1922 |
Source : Bulletin communiste n° 16-17 (troisième année), 22 avril 1922. Le texte est précédé de l'introduction suivante : « Le 16 mars, le camarade Marcel Cachin a rendu compte, au Comité Directeur, de la Conférence tenue à Moscou du 21 février au 4 mars, par le Comité exécutif de l'Internationale Communiste. Les délégués du Parti à cette Conférence étaient, outre Marcel Cachin, les camarades Daniel Renoult, Louis Sellier, R. Métayer (auxquels se joignirent A. Ker, Albert Treint, Souvarine et aussi Alfred Rosmer). »
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Rapport au Comité Directeur
La conférence à laquelle nous venons d'assister, à Moscou a tenu douze jours de séances, du 21 février au 4 mars.
L'ordre du jour comportait :
Les rapports des sections nationales les plus importantes ; la question du front unique ; la situation de l'Internationale Syndicale ; les menaces de guerre ; la politique économique de la Russie ; la question française ; la question hongroise ; la question russe ; la presse communiste ; la famine en Russie et les moyens d'y remédier ; les jeunesses communistes.
Nous avions reçu un mandat strict sur la question du Front Unique. Pour le reste, un mandat large.
Notre compte rendu vous sera présenté en trois parties :
Ker vous entretiendra de la politique nouvelle en Russie et de la situation du communisme international ;
Renoult rapportera sur la question du front unique.;
Ma mission est de vous soumettre les décisions relatives : 1° à la question française ; 2° à la conférence proposée par les organisations adhérentes à Vienne (Internationale deux et demie).
Je fus appelé d'abord à improviser un bref rapport sur la situation de notre Parti. Je dus établir ce petit document sans autre note, sur mes souvenirs. Mais il faut cependant en donner lecture, car l'agence Rosta l'a transmis défiguré dans certaines de ses parties. En particulier, m'a-t-elle prêté sur les rapports de la C. G. T. U. et du Parti des affirmations inexactes qui ont paru dans l'Humanité et qu'il est impossible de ne pas rectifier.
Voici le texte exact de mon intervention :
Le Parti Communiste français est né du Congrès de Tours, il y a quatorze mois. Au cours de l'année qui vient de finir, son travail essentiel a été de s'organiser à l'intérieur, de se constituer, de s'affirmer en tant que parti en face de toutes les autres formations politiques.
On a dû d'abord multiplier les efforts pour assurer les besoins de la propagande. Il s'agissait de défendre le Parti naissant contre les agressions de ses ennemis acharnés. En outre, il était nécessaire de porter à nos fédérations et aux organisations locales un concours oral dont elles ne pouvaient se passer.
Le total des réunions ainsi tenues en 1921 à travers la France est très élevé. Le travail absorba une grande partie de l'activité des membres du premier Comité Directeur et nous pouvons dire qu'il fut très efficace. Si insuffisant que soit encore notre recrutement, 130 000 membres pour 1921, le Parti Communiste français est de tous les organismes politiques nationaux celui qui compte de beaucoup le plus grand nombre d'adhérents.
L'élite ouvrière et paysanne française est aujourd'hui groupée autour du Parti Communiste et de la nouvelle C. G. T., dont la volonté scissionniste des partisans d'Amsterdam a entraîné la constitution. Le Parti Communiste a fourni le concours le plus entier aux éléments révolutionnaires des syndicats dans leur lutte pour obtenir la majorité confédérale qu'ils viennent de conquérir.
La presse du Parti est en général en progrès. Les résultats financiers de l'Humanité sont très satisfaisants ; ils lui permettent de venir en aide aux organes quotidiens et périodiques de Paris et de la province. L'Humanité mettra cette année à leur disposition, sur ses bénéfices, une somme de 700 000 francs. Nous comptons cinq quotidiens et plus de quarante hebdomadaires. Le journal central du Parti est le plus important des organes d'opinion du pays. Son tirage se maintient à 180 000 exemplaires environ. Il s'élève au-dessus de ce chiffre lorsque se manifeste une émotion populaire de quelque importance. Actuellement, il est le centre autour duquel se groupent à peu près tous les militants révolutionnaires de Paris et de la France.
Sous la direction et le contrôle du Parti, l'Humanité a mené plusieurs campagnes au cours de 1921.
Elle a contribué, avec l'lnternationale, à de retentissantes élections parisiennes qui ont grandi le prestige du Parti (Loriot et Souvarine, Marty et Badina).
Elle a réuni un million et quart de francs, soit 24 millions de marks, pour les sinistrés de la Volga.
Son attitude a obligé le gouvernement français à hâter la démobilisation d'une classe de soldats levée pour occuper la Ruhr et dont elle relatait chaque jour avec éclat les actes d'indiscipline.
Elle a poursuivi sans trêve le militarisme, dénoncé ses exigences, son esprit, ses crimes. Elle a violemment attaqué les votes des impôts indirects, l'impôt sur les salaires ouvriers.
Elle combat les tendances à la répression contre les travailleurs, les tentatives contre la journée de huit heures.
D'entente avec le Comité Directeur, et conformément aux indications de l'Exécutif, elle a contribué à organiser la semaine de propagande communiste de novembre.
Elle ouvre ses tribunes aux syndicalistes, à la propagande des femmes.
Elle a créé un journal pour les paysans ; un journal pour les jeunes.
Elle a aidé à la création de quotidiens communistes rédigés en arabe et faisant appel au prolétariat indigène de l'Afrique du Nord.
Le Comité Directeur élu à Marseille, soucieux d'intéresser à l'action du Parti tous les camarades inscrits dans ses rangs, a pris, dès ses premières séances, une décision nouvelle qui est en cours d'exécution. Outre qu'il vient d'organiser avec succès à travers la France entière des centaines de réunions contre la politique de Poincaré, il a dressé une liste de revendications concrètes et immédiates intéressant directement la vie de tous les prolétaires sans parti. Il a tiré des feuilles volantes adressées à tous les membres de toutes les sections avec mandat pour chacun de prendre à part des dizaines de camarades de travail, d'appeler leur protestation contre les menaces de réduction de salaires, d'attentat à la journée de huit heures, de guerre, d'impôts nouveaux ; de leur demander leur signature avec leurs adresses. Le Parti centralisera les résultats de cette action à laquelle il intéresse personnellement tous ses militants sans exception et par laquelle il veut toucher des centaines de mille de sans-parti et d'indifférents.
Le groupe parlementaire du Parti ne compte que quinze membres sur plus de six cents députés bourgeois. Une liaison organique le rattache au C. D. ; une commission commune aux deux groupements en règle son action. Jusqu'à présent, cette action s'exerça surtout dans les pays où furent délégués les députés communistes aux fins d'agitation.
A la Chambre, ils s'opposent à tous les autres partis ; mais leur petit nombre les dessert ; néanmoins, ils ont agi de leur mieux contre les desseins impérialistes des dirigeante, en faveur de la Révolution Russe qu'ils défendent de toutes leurs forces à chaque occasion ; le règlement de la Chambra va être modifié pour tenter de restreindre la liberté de parole, à la suite de leurs interventions récentes. Ils ont fait échouer, par leur tactique, un projet de loi préparé par les ministres pour mettre un terme à la propagande antimilitariste à laquelle le Parti donne en ce moment une place prépondérante.
Le Parti français s'est donné une constitution et un règlement à son Congrès administratif du mois de mai 1921. Il a fixé les lignes de son activité concrète et ses programmes spéciaux au Congrès de Marseille de décembre dernier.
Il compte des représentants communistes dans plusieurs centaines de municipalités ouvrières et paysannes. Ces représentants sont groupés en une fédération, dont le centre est à Paris, et fonctionne aux côtés du C. D. et sous son contrôle. Nous attachons une grande importance à ces œuvres d'administration locale pour le présent et plus encore pour l'avenir.
Telles sont, camarades, quelques-unes des tâches qui, depuis Tours, ont sollicité notre activité.
Autant que le permettent les conditions mêmes de notre opinion ouvrière, nous avons conscience d'avoir obéi dans notre action aux directives de nos trois Congrès mondiaux.
C'est notre loi. C'est notre préoccupation maîtresse.
Les membres de notre Parti sont dévoués sans aucune réserve à la Troisième Internationale à laquelle ils ont donné leur adhésion du fond de leur cœur.
Au reste, ils ne méconnaissent ni leurs imperfections ni leurs erreurs. Certains le lui rappellent avec insistance et sans discrétion. Mais quelle que puisse être l'appréciation sur certains détails de la vie du Parti français, nul ne peut nier le grand effort vers le Communisme qu'il a accompli depuis Tours et les résultats évidents et certains auxquels il est parvenu.
Une commission spéciale, présidée par Trotsky et composée de Zinoviev, Clara Zetkin, Kolarov, Ambrogi, Walezki, Humbert-Droz, fut désignée pour présenter à la Conférence un rapport sur la situation intérieure du Parti français.
Elle se réunit à plusieurs reprises pour étudier les cause du malaise qui, depuis quelques mois, menace gravement notre Parti et pour tenter d'y porter le remède. A ces multiples réunions de commission assistèrent les sept représentants du Parti Communiste français, les camarades Souvarine, Treint, Ker, D. Renoult, Métayer, Louis Sellier et Marcel Cachin. Dès la première réunion, qui se tint le jeudi 23 février, Zinoviev déclara qu'avant l'arrivée des quatre délégués extraordinaires du Comité Directeur, les camarades Ker et Treint avaient été entendus par les membres du Praesidium sur la situation de notre Parti et qu'il convenait qu'à notre tour nous donnions notre sentiment sur le même sujet. En notre nom. Daniel Renoult déposa sur le bureau la note suivante :
Le Comité Directeur a donné à la délégation spéciale pour la Conférence Internationale le mandat le plus large en ce qui concerne la situation intérieure du Parti Communiste français.
Le Comité Directeur a chargé cette délégation de rechercher avec l'Exécutif les moyens propres à faire cesser une crise qui s'envenime et s'aggrave au point de mettre en danger le recrutement même du Parti.
Il estime que les causes de cette crise sont personnelles et non politiques.
Depuis le Congrès de Tours (décembre 1920) jusqu'à la fin de l'été dernier, l'accord entre les camarades appartenant au Comité de la IIIe Internationale et à l'autre fraction du Parti a été parfait.
A Tours, le Comité Directeur fut composé de treize membres du Comité de la IIIe Internationale et de onze membres appartenant à la fraction dite groupe Cachin-Frossard.
Les décisions du Comité furent prises à l'unanimité.
C'est après le Troisième Congrès International que la crise commença.
Elle eut pour cause initiale l'article de Souvarine consacré au Congrès dans le Bulletin Communiste et dans lequel, sans aucun mobile, il attaquait Paul Louis et Victor Méric, reprochant à l'un sa manière journalistique qui, disait-il, rebutait les lecteurs, accusant l'autre d'avoir toujours été un révolutionnaire peu zélé du Comité de la IIIe Internationale.
Paul Louis ne jugea pas qu'il était nécessaire de répondre. Mais Méric, polémiste ardent, répondit, non pas avec violence ou injurieusement, mais en utilisant les moyens d'ironie qui lui sont propres.
Pendant ce temps, le ton des lettres de Souvarine au Comité Directeur devenait de plus en plus acerbe. Il a pu justement faire observer que son irritation avait pour cause le silence du Comité Directeur, qui ne lui répondit pas. Il est certain que la liaison fut, pendant longtemps, mal établie. On peut ajouter que le secrétariat international, assuré par Loriot, a peut-être parfois, pour des motifs divers, différé certaines réponses, mais ces considérations ne peuvent justifier le ton de certaines lettres où Victor Méric est traité de malhonnête homme et Rappoport de vipère.
Le Comité Directeur, à l'unanimité, chargea Loriot d'écrire à Souvarine pour lui demander de ne plus correspondre avec son Parti sur un pareil ton.
Le Comité Directeur, d'autre part, blâmait les polémiques personnelles.
Il convient de noter que ces difficultés ont surgi entre membres de l'ancien Comité de la Troisième Internationale et que l'organe qui s'y mêla fut le Journal du Peuple d'où viennent tous les amis personnels de Souvarine et Souvarine lui-même.
Cette considération envenima la crise lorsqu'arriva de l'Exécutif la décision relative au Contrôle de la presse, au Journal du Peuple et à la Vague. Certains camarades supposèrent que Souvarine avait agi personnellement auprès de l'Exécutif pour obtenir cette décision que Fabre appela un ukase. La vérité est aujourd'hui rétablie. Mais, c'est un membre du Comité de la Troisième Internationale, Vaillant-Couturier, qui est responsable de la prolongation de l'erreur dont se plaint Souvarine.
Le Comité Directeur fit de son mieux pour arrêter les polémiques, dont il était facile de prévoir les conséquences. Il en préserva le plus qu'il put aux journaux officiels : le directeur de l'Internationale demanda publiquement à Méric d'y renoncer, ce dernier ayant, dans ce journal, fait allusion à un article de Souvarine paru dans l'Humanité.
Il faut rappeler, pour montrer qu'aucune divergence politique sérieuse ne se produisit au sein du Comité Directeur, que toutes les thèses pour le Congrès de Marseille y furent adoptées à l'unanimité.
C'est seulement sur la question de la direction du Parti et du Praesidium qu'une majorité et une minorité se constituèrent pour une fois. Mais, au Congrès de Marseille, la thèse dite de politique générale traitant cette question, thèse remaniée à la suite des conversations avec Valetzky et Bordiga, reçut l'assentiment public de Loriot et fut votée à l'unanimité moins une voix par le Congrès.
Il s'agissait donc, non pas d'un conflit politique, mais de différends purement personnels et que le Parti espérait dissiper peu à peu, lorsque la non-réélection de Souvarine au Comité Directeur vint aggraver la crise.
C'est la Fédération de la Seine, dont on connaît l'esprit révolutionnaire, qui assura l'échec de Souvarine. On a parlé de cuisine électorale au Congrès de Marseille. Mais, dans la Seine, les militants pestèrent individuellement au sein de chaque section. Loriot, Vaillant-Couturier, Ker, obtinrent de 9 à 8 000 voix. Souvarine en obtint 2 000. Il est évident qu'il s'agit là d'une manifestation contre un homme et non contre une tendance.
L'échec de Souvarine dans la Seine, qui eut pour conséquence son échec à Marseille, s'explique, pour une part, par l'irritation causée dans les masses du Parti par ses polémiques, les façons autoritaires qu'on luii prête, ses attaques violentes contre un militant comme Victor Méric, populaire pour son long passé révolutionnaire et estimé de tous pour son indiscutable intégrité.
Cet échec s'explique, pour une part plus importante encore, par l'émotion produite par les deux articles où Souvarine s'est déclaré partisan du désistement des communistes, au second tour, en faveur des dissidents. La Fédération de la Seine est vivement opposée à cette tactique. Elle demande que les candidats communistes soient maintenus à tous les tours de scrutin. Au Congrès de Marseille, elle a voté contre la thèse du Comité Directeur, qui permet aux Fédérations de choisir entre le retrait pur et simple du candidat communiste ou son maintien dans tous les cas au deuxième tour.
Il est hors de doute, pour tout observateur sincère, que l'attitude prise par Souvarine sur cette question a nui grandement à sa popularité, d'autant plus qu'on lui reprochait d'avoir, lors de sa candidature dans le deuxième secteur, rédigé entièrement une affiche qui, citant l'Ere Nouvelle, le Populaire et la France Libre, faisait appel aux dissidents des deux groupes et aux bourgeois radicaux.
Ainsi, s'explique son échec à la Seine. A Marseille, cet échec fut moins net. Il fut seulement distancé par le dernier élu de quelques centaines de voix.
La démission immédiate de Loriot, Vaillant-Couturier, Dunois et Treint, qui se solidarisèrent avec Souvarine, pourrait donner à la crise un caractère politique, si l'on ne notait pas qu'il lui fut répondu immédiatement par la motion Ker, votée à l'unanimité et maintenant Souvarine comme délégué à l'Exécutif.
Par ce vote, le Congrès voulut marquer non seulement qu'il se refusait à donner à l'échec personnel de Souvarine un caractère politique, mais encore qu'il s'associait aux déclarations de Ker, rendant hommage aux qualités d'intelligence et à l'effort de travail dont le délégué du Parti français à l'Exécutif avait donné les preuves.
Le Congrès, après le Comité Directeur, a blâmé solennellement les polémiques personnelles, de quelque côté qu'elles puissent venir. Il a enjoint au Comité Directeur de les réprimer sans faiblesse.
Il a déclaré que les écarts de tendance de droite ne sauraient être tolérés. Depuis, Brizon, appelé devant la Commission des conflits, blâmé publiquement par elle, a déclaré qu'il acceptait ce blâme et n'écrirait plus d'articles semblables à ceux qui avaient ému le Parti. Henri Fabre a reçu aussi un premier blâme.
On ne pourrait, d'ailleurs, sans méconnaître outrageusement la vérité, affirmer qu'il existe dans le Parti français une tendance de droite importante.
Verfeuil, qui, à Berne, à côté de Loriot, militait contre la IIe Internationale et lançait dès cette époque le mot d'ordre pour l'épuration du Parti français, n'est pas un homme de droite. L'exemple de discipline qu'il a donné à Tours a fortement contribué à maintenir les gens batailleurs dans le Parti communiste.
Victor Méric a été toute sa vie un homme d'extrême-gauche. Rappoport fut l'un des fondateurs du Comité de la IIIe Internationale.
Il est vrai qu'il existe, à l'état sporadique, dans le Parti quelques éléments de droite qui tendent à se grouper autour du Journal du Peuple, qui, d'autre part, accueille les syndicalistes révolutionnaires et quelques anarchistes.
Ces éléments n'ont aucune importance. Le Journal du Peuple lui-même ne compte ni pour sa vente, ni pour son autonomie politique.
Le Comité Directeur n'en est pas moins résolu à agir énergiquement dès que le besoin s'en fera sentir. Il n'a aucune raison de ménager ni cette infime tendance de droite, ni le Journal du Peuple.
Il est profondément convaincu que la crise dont souffre le Parti, et qui commence à nuire sérieusement à son recrutement, en jetant le découragement dans les masses, est due exclusivement aux luttes personnelles qui viennent d'être sommairement retracées.
Il a donné à sa délégation spéciale un mandat large en vue de réaliser le maximum d'accord et de réconciliation.
Il est, d'ailleurs, résolu à agir avec la plus grande énergie pour éviter que l'année qui commence soit viciée pour le communisme français par les déplorables querelles du dernier semestre de 1921.
La discussion s'engagea immédiatement sur les termes et les conclusions de ce document. Le camarade Souvarine le critiqua avec vivacité et essaya de montrer que la crise dont souffrait le Parti était d'ordre non personnel, mais politique, qu'elle était née des progrès, de la droite dans nos rangs et de l'attitude de faiblesse ou de complaisance vis-à-vis du Comité Directeur. Il se plaignit du Journal du Peuple, qu'il accusa d'avoir mené contre l'Exécutif et contre lui-même une campagne qui triompha à Marseille. Il se plaignit aussi que la tendance qu'il représentait était exclue du nouveau Comité Directeur ; que les tribunes du Parti étaient enlevées à ses amis, et que, d'une manière générale, le Parti en son ensemble était redevenu, comme avant Tours, un parti social-démocrate.
Le camarade Treint reprit les critiques de Souvarine contre la majorité présente du Parti. Il affirma que le Journal du Peuple était le journal de la Fédération de la Seine, celui qui guidait les tendances de droite, maîtresses du communisme français ; que, depuis Marseille, le Parti avait montré sa vraie figure, jusque-là dissimulée ; que son article du 9 janvier avait créé le délit de tendance et que la décision d'un récent Comité directeur, modifiant la composition du Comité de direction du Bulletin Communiste, avait, en réalité, privé ses amis de leur tribune, et cependant, ajouta Treint, ceux qui ont le droit de parler dans le Parti, c'est nous ; ceux qui ont le droit de se taire, ce sont les gens de droite et ceux qui leur sont complaisants.
Trotsky prit la parole pour attaquer, lui aussi, les campagnes du Journal du Peuple sur le Bloc des gauches, les articles multiples où Fabre regrette la scission de Tours, ceux où l'Exécutif est pris à partie. Il nous demande quelles sanctions nous comptons prendre contre ces violations des conditions d'admission à la IIIe Internationale.
D'autre part, il déclara que les démissionnaires de Marseille avaient commis une faute grave contre la discipline communiste et contre le Congrès, et qu'il convenait aussi d'examiner leur cas.
Nous répondîmes, Sellier, Métayer, D. Renoult et moi, en mettant au point la véritable influence du Journal du Peuple dans le communisme français et en rectifiant les assertions émises par Souvarine et Treint sur l'importance de la droite dans le Parti et sur l'orientation réelle du nouveau Comité directeur.
La séance fut remise au samedi 25.
Au début de cette seconde séance, Souvarine renouvela avec vigueur ses attaques contre le Parti français. Il déclara que le Parti s'élevait désormais contre les 21 conditions, qu'il tolérait la propagande du pacifisme bourgeois, qu'il manquait de discipline, que la Fédération de la Seine s'était affirmée fédéraliste et qu'il était intolérable qu'on supporte les campagnes de droite du Journal du Peuple, alors que ses amis et lui étaient privés de tribune.
« Il faut, dit-il, que la direction du Parti choisisse entre ceux qui défendent la IIIe Internationale et ceux qui la combattent. Il faut un Congrès extraordinaire pour adopter un programme politique qui nous départagera. »
Trotsky s'éleva contre cette proposition, à laquelle il fit le reproche d'être inopportune et nuisible. Les tendances qui ne sont encore qu'en embryon finiront par prendre force et consistance. Or, il ne faut dans aucun des partis de la IIIe Internationale ni tendances, ni fractions rivales intérieures.
Il renouvela ses affirmations de blâme aux quatre démissionnaires, en nous demandant si, dans un, esprit d'unité, nous ne serions pas disposés à demander leur réintégration au Comité directeur.
Clara Zetkin prit la parole pour répondre qu'on ne pouvait pas imposer une proposition de ce genre au Parti français ; que, tout au plus, la Commission pouvait-elle lui en offrir la suggestion en lui laissant la latitude de prendre lui-même ses résolutions.
D. Renoult déclara en notre nom que nous étions prêts, quant à nous, dans les termes indiqués par Clara Zetkin, à écouter des propositions d'entente.
Je m'associai à D. Renoult ; mais je crus devoir m'élever contre les paroles prononcées à la dernière séance et au début de celle-ci par Treint et Souvarine. Le Parti n'est pas un Parti opportuniste ; ce n'est pas un Parti de droite. Je rappelai notre travail commun depuis Tours et je protestai contre ceux qui émettent la prétention de diminuer le rôle et l'action de notre Comité directeur et des militants de la majorité. J'ajoutai que je demandais aux camarades qui le critiquaient si amèrement si leur intention était de le détruire. Quant à nous, nous ne sommes pas disposés à le laisser ainsi attaquer devant la Commission.
Trotsky nous fit une réplique amicale et conciliante. Il affirma qu'à ses yeux et aux yeux des camarades de l'Exécutif la constitution du Parti communiste français avait été un grand fait historique qu'ils avaient salué avec grande joie. Il rendit hommage à l'œuvre du Parti depuis Tours et depuis Marseille, dont il reconnut la grande utilité et la tenue communiste des résolutions qui y furent prises à l'unanimité.
Quant à la question personnelle à Souvarine, auquel j'avais fait reproche des termes des lettres et des conséquences qu'elles avaient eues, il me répondit qu'après tout c'est nous qui, à Marseille, l'avions réélu comme notre délégué à l'Exécutif.
Au terme de la réunion, Zinoviev nous demanda, de répondre à quatre questions par lui posées en conclusion au débat :
Voici ces quatre questions ;
Que comptez-vous faire pour mettre un terme aux progrès de la droite représenté par le Journal du Peuple et son directeur ?
Que comptez-vous faire à l'égard des quatre démissionnaires ?
Quelle sera votre attitude vis-à-vis des syndicats ?
Que pensez-vous du régime des fractions dans le Parti ?
Nous prîmes acte des termes de ce questionnaire et demandâmes à réfléchir avant d'y répondre.
La séance fut alors levée.
Le mardi 28, troisième séance, au début de laquelle Daniel Renoult donna lecture de nos réponses. Voilà le texte de la note que déposa notre camarade :
La délégation française, conformément aux déclarations de Marseille contre l'opportunisme de droite, s'engage à demander au C. D. au nom de l'Exécutif le renvoi immédiat de Henri Fabre devant la commission des conflits, aux fins d'exclusions.
La délégation enregistre la désapprobation formulée par l'Exécutif à l'occasion de la démission de plusieurs membres du C. D. Dans un but d'apaisement, elle demandera au C. D. de proposer au prochain Conseil National la réintégration de ces camarades. Le C. D. déciderait que ce Conseil National aura pouvoir de congrès. Les camarades actuellement en fonction par suite des démissions conserveraient leurs mandats jusqu'à la fin de l'exercice.
La délégation insistera auprès du C. D. pour que la thèse du Congrès de Marseille relative aux rapports des syndicats et du Parti soit strictement appliquée. La Commission syndicale du C. D. devra travailler sans relâche dans ce but.
Le régime des fractions ne peut exister dans un parti communiste. La délégation transmettra au C. D. la volonté exprimée par l'Exécutif en vue de mettre un terme aux discordes intestines, d'en finir avec les polémiques irritantes et de réaliser l'union étroite de tous les communistes pour l'action.
Trotsky et Zinoviev déclarent qu'ils acceptent le texte de cette note.
Ker proteste contre la première réponse et réclame l'application de l'article 9 des statuts de la 3e Internationale, ainsi conçu : « L'Exécutif a le droit de demander à une section nationale l'exclusion de tout membre ou de toute fraction qui aurait enfreint la discipline communiste ».
Métayer prend en notre nom l'engagement de soutenir le point de vue suggéré par la commission. Mais il est impossible de « déposséder le Parti français, comme le demande Ker » ; il doit rester maître de la sanction à infliger à ses membres indisciplinés.
Clara Zetkin appuya le point de vue de Métayer et déclara qu'elle faisait confiance aux camarades français. Elle demanda que le Comité Directeur invite les membres du Parti à ne plus collaborer au Journal du Peuple.
Treint se refuse à suivre Clara Zetkin. Il demande à Moscou d'agir immédiatement. « Notre Parti, dit-il, est trop malade pour agir énergiquement dans le sens indiqué par la commission. »
Clara Zetkin l'interrompt pour lui répondre que si le Parti est si malade que le dit Treint, rien ne pourra le sauver, surtout un ordre venu de Moscou par-dessus la tête des camarades français.
Treint insiste, puis il ajoute :
En outre, la deuxième réponse ne nous donne aucune satisfaction. En acceptant la proposition de notre réintégration, nous faisons un grand sacrifice. Notre intention était d'en appeler au Parti lui-même et de nous faire réintégrer par lui. Dans la résolution Renoult, nous sommes blâmés sans que nous puissions faire connaître les raisons de nos démissions.
J'interviens alors pour affirmer, après D. Renoult, Sellier et Métayer, que nous nous élevons contre cette idée de la survivance des fractions dans le Parti ; que leur survivance, c'était sa dislocation : que nous étions prêts aux plus grands efforts de conciliation pour mettre fin aux querelles désolantes d'aujourd'hui, mais qu'il importait, d'autre part, que l'on réponde à nos offres conciliatrices par une attitude identique.
Zinoviev répond qu'après mes déclarations, il y a lieu de faire confiance aux camarades français : qu'il importe seulement que le Parti français reste en rapports étroits avec l'Exécutif, qu'il entretienne avec lui des relations plus suivies que dans le passé, qu'il frappe la droite même si elle n'est encore qu'embryonnaire. Ces conditions remplies, il combat l'idée de fraction à part dans le Parti et il conclut qu'il faut les étouffer dans leur germe.
Trotsky conclut en disant à Souvarine et à Treint :
Vous vous plaignez que la proposition de Renoult, qui va servir de base à la résolution définitive, contienne un blâme à votre adresse. Mais la résolution est équilibrée. Elle reconnaît que vous avez commis une faute en démissionnant. Elle compense le blâme en demandant votre réintégration. En outre, elle défère le Journal du Peuple et son directeur devant la Commission des Conflits.
Nos camarades de la majorité nous répètent que ni Fabre ni le « Journal du Peuple » ne jouent dans le Parti un rôle important qui justifie la procédure que nous vous soumettons. Mais il est des symptômes de maladie d'abord d'apparence insignifiante, et contre lesquels cependant il est nécessaire de réagir à temps.
Souvarine réclame, avant de prendre des engagements, que soit réglée la question du Bulletin Communiste.
Zinoviev et moi lui répondons qu'il faut d'abord obéir des deux parts au désir d'unité exprimé par la commission : lorsque cette unité morale sera à nouveau réalisée dans le Parti, la paix revenue ne manquera pas d'avoir ses conséquences
Une sous-commission est désignée pour entendre lecture du rapport que Trotsky doit soumettre à la Conférence.
Cette sous-commission se réunit le mercredi 1er mars.
Elle adopte le texte de Trotsky avec quelques modifications.
Le voici intégralement :
Le parti communiste français a fait, depuis Tours, un grand effort d'organisation, qui a retenu dans ses cadres les meilleures forces du prolétariat éveillé à l'action politique. Le congrès de Marseille a été pour le parti l'occasion d'un sérieux travail doctrinal, dont le mouvement ouvrier révolutionnaire tirera certainement le plus grand profit.
Rompant avec les traditions parlementaires et politiciennes du vieux parti socialiste, dont les congrès n'étaient que prétextes à joutes oratoires des leaders, le parti communiste a, pour la première fois en France, appelé l'ensemble des militants ouvriers à une étude préalable et approfondie de thèses traitant de questions essentielles pour le développement du mouvement révolutionnaire français.
La crise d'organisation dans le parti français, qu'il est également faux d'estimer au dessous et au dessus de son importance, constitue un des moments du développement du parti communiste français, de son épuration intérieure, de sa reconstruction et de sa consolidation sur une base réellement communiste.
La scission de Tours a fixé la ligne de partage fondamentale entre le réformisme et le communisme. Mais c'est un fait absolument indiscutable que le parti communiste qui a surgi de cette scission a conservé, dans certaines de ses parties, des survivances du passé réformiste et parlementaire, dont il ne se débarrassera que par des efforts intérieurs en prenant part à la lutte des masses.
Ces survivances du passé, dans certains groupes du parti, se manifestent :
Par une tendance à rétablir l'unité avec les réformistes
Par une tendance à former un bloc avec l'aile radicale de la bourgeoisie;
Par la substitution du pacifisme humanitaire petit bourgeois à l'antimilitarisme révolutionnaire;
Par la fausse interprétation des rapports entre le parti et les syndicats;
Par la lutte contre une direction du parti vraiment centralisée ;
Par les efforts pour substituer une fédération platonique de partis nationaux à la discipline internationale d'action.
Après la scission de Tours, les tendances de ce genre ne pouvaient se manifester avec une pleine force ni compter sur une grande influence dans le parti. Toutefois, sous la pression puissante de l'opinion publique bourgeoise, les éléments enclins à l'opportunisme manifestent un penchant naturel les uns vers les autres et s'efforcent de créer leurs organes et points d'appui.
Si faible que soit le succès qu'ils aient obtenu dans cette direction, ce serait une erreur de ne pas estimer à sa propre valeur le danger que leur travail représente pour le caractère révolutionnaire et l'unité du parti. En aucun cas les organisations communistes ne peuvent servir d'arène pour la libre propagande des opinions qui furent en substance la cause de la sécession des réformistes, dissidents du parti de la classe ouvrière. Tout manque de clarté sous ce rapport empêcherait inévitablement le travail révolutionnaire d'éducation dans les masses.
La séance plénière du congrès exécutif constate que les résolutions du congrès de Marseille, pénétrées de l'esprit de l’Internationale Communiste, créent des points d'appui hautement importants pour l'activité du parti parmi les masses laborieuses des villes et de la campagne.
En même temps, la séance plénière du comité exécutif prend connaissance avec satisfaction de la déclaration de la délégation français que le Journal du peuple l'organe où se concentrent les tendances réformistes et confusionnistes , vu qu'il occupe une position complètement, opposée au programme de l’Internationale, aux décisions des congrès du parti communiste français à Tours et à Marseille et à l'intransigeance révolutionnaire du prolétariat français conscient, sera, dans le plus court délai, mis hors du contrôle du parti.
L'importance exclusive du congrès de Marseille consiste en premier lieu en ce qu'il a posé devant le parti la tâche capitale d'un travail systématique et régulier dans le sein des syndicats, conformément à l'esprit du programme et de la tactique du parti. Ceci implique, justement, la désapprobation décisive de la tendance manifestée par ces membres du parti qui, sous le prétexte de lutter pour l'autonomie, d'ailleurs tout à fait indiscutable, des syndicats, luttent, en réalité, pour l'autonomie de leur propre travail à l'intérieur des syndicats, sans aucun contrôle et sans direction de la part du parti.
La séance plénière prend connaissance de la déclaration de la délégation française, suivant laquelle le comité directeur du parti prend et prendra toutes les mesures nécessaires pour que les décisions du parti soient accomplies dans un esprit d'activité communiste à l'intérieur des syndicats (strictement unis et disciplinés), sous la direction du comité directeur du parti.
Vu que les statuts de l'Internationale communiste et de ses sections se fondent sur le principe du centralisme démocratique et garantissent suffisamment le développement régulier et normal de chaque parti communiste, la séance plénière considère comme injustifiée la démission de plusieurs membres du comité directeur élus au congrès de Marseille, indépendamment des mobiles politiques de ces démissions. L'abandon des postes confiés par le parti peut être interprété, par les masses du parti, comme l'affirmation qu'il est impossible de collaborer régulièrement entre représentants de nuances différentes, à l'intérieur des cadres du centralisme démocratique et peut servir d'impulsion à la formation de fractions à l'intérieur du Parti.
La séance plénière du comité exécutif exprime sa conviction absolue que la lutte contre les manifestations susindiquées des tendances anticommunistes sera menée par la majorité écrasante du parti et par toutes les institutions dirigeantes du parti. Considérant que la formation de fractions ferait inévitablement le plus grand tort au développement du parti et porterait atteinte à son autorité parmi le prolétariat, une séance plénière du comité exécutif prend connaissance avec satisfaction de la déclaration de la délégation française, suivant laquelle le comité central est prêt à prendre les mesures d'organisation nécessaires pour que la volonté du congrès de Marseille soit exécutée jusqu'au bout et intégralement, et que les camarades qui avaient démissionné fassent de nouveau partie de la direction du parti pour y accomplir un travail régulier et sans discorde.
A la Conférence, la résolution et les commentaires oraux qui en furent faits par Trotsky furent adoptés sans débat.
Il est proposé par la délégation d'entente avec l'Exécutif que, conformément aux décisions de Marseille, Souvarine reste à Moscou. Il lui est adjoint un co-délégué. Sellier accepte provisoirement de remplir la fonction, en attendant que le Comité directeur ait fait choix de son remplaçant.
Pour le Praesidium, Zinoviev propose que les deux délégués de la France soient appelés à y siéger au même titre. Souvarine juge impossible pour lui d'accepter cette proposition. Il donne sa démission publiquement. Le bureau la refuse. Quarante-huit heures après, il retire sa démission,
Tel est, camarades, le compte rendu, aussi fidèle que possible, des débats relatifs à la question intérieure française et les conclusions que nous vous soumettons. Nous nous sommes inspirés exclusivement, en les formulant, en les défendant à Moscou comme ici, de l'intérêt du Parti, du rétablissement de son unité morale, de sa dignité et aussi du souci de fidélité à la IIIe Internationale.