1921

Source : Le bulletin communiste, numéro 33 (deuxième année), 11 août 1921.


Le troisième congrès communiste mondial

Notes et Commentaires

Boris Souvarine


Format ODT Format Acrobat/PDFTéléchargement
Cliquer sur le format de contenu désiré

Pour la troisième fois réunie en Congrès à Moscou, l'Internationale Communiste a donné au monde de nouvelles preuves de sa force et de sa maturité politique. Des centaines de délégués, représentant les fractions les plus avancées des prolétariats de tous les pays, se sont concertés librement dans la capitale de leur patrie révolutionnaire pour fomenter au grand jour le complot permanent du prolétariat révolté contre le sanglant régime de la bourgeoisie oppresseuse. Il n'est police ni okhrana, il n'est frontière, ni cordon sanitaire, ni fil de fer barbelé qui aient pu entraver la volonté des communistes internationaux de s'assembler pour conjoindre leurs efforts de leurs mandants et les mieux diriger contre l'ennemi capitaliste ou le trompeur réformiste. Les séances du Congrès avaient été précédées de plusieurs séances du Comité Exécutif élargi par l'adjonction de délégations de tous les partis, et siégeant en véritable session préparatoire du Congrès. C'est là que fut mis au point le règlement des travaux du Congrès et que furent entendus et discutés les rapports sur la situation de trois des principaux partis de l'Internationale : ceux de Tchéco-Slovaquie, de France et d'Italie, qui avaient depuis peu traversé des crises modifiant leur physionomie. On y prononça de vives critiques et de chaleureux plaidoyers. On y accepta de bonne grâce les reproches mérités, on rectifia les assertions erronées, on réfuta les accusations trop hâtives : tout cela avec une saine passion, une franchise vigoureuse qui témoignent d'une excellente santé morale. Combien nous étions loin des parlottes pompières et solennellement béates de la 2e Internationale !

Que Laporte1 ait polémiqué avec... Trotsky, que Reiland2 ait pourfendu un Frossard invisible et présent, que Lénine ait fustigé Bela Kun, que la délégation française se soit prise de bec avec Radek, que quelques divergences de vues aient attisé les discussions, soit au Comité Exécutif, soit au Congrès, soit dans les commissions, — ce sont bien là les manifestations les plus évidentes de cette « discipline monacale » imposée car le « knout moscovite » aux « séides » de Zinoviev, à ces sectateurs « serviles », « fanatiques », ou « étroits », quand ils ne sont pas corrompus par « l'or de Moscou » ou les « diamants de l'impératrice »...

* * *

Les controverses sur les Partis français et tchéco-slovaque ont été inspirées par une préoccupation principale : ces partis ont-ils accompli leur scission dans de bonnes conditions, qui leur épargnent une crise analogue à la crise récente du Parti italien ? Ne se trouvera-t-il pas dans ces partis des camarades qui inclineront à suivre l'exemple d'un Serrati, d'un Paul Levi ? Les participants ont été unanimes à déclarer, tout au moins prématurées, les craintes exprimées par nos camarades de « gauche » et à repousser leurs outrances. En même temps, ils ont maintenu dans son intransigeance intégrale la position des communistes vis-à-vis des réformistes, serviteurs conscients ou inconscients de la bourgeoisie.

Ni opportunisme, ni inopportunisme, telle est la bonne formule dont l'Internationale veut s'inspirer pour conformer sa tactique aux nécessités diverses et variables de la lutte de classes révolutionnaire.

L'Internationale Communiste sait ce qu'elle veut et veut ce qu'elle veut. Elle entend se garder de toute déviation démocratique-bourgeoise, parlementaire ou réformiste, comme de toute déviation insurrectionnaliste (on dirait aujourd'hui putschiste), ou syndicaliste, ou anarchiste.

Le Parti français, qui a su trouver la voie révolutionnaire et s'y est résolument engagé, saura aussi y persévérer. Il y fera vraisemblablement des faux pas, mais tous les Partis Communistes — sans exception — en ont fait : l'essentiel est de ne pas perdre des yeux le but final, et de se diriger vers lui sans faiblesse, quelque dure que soit la route, quelque tentants que soient les chemins qui s'en écartent. Notre Parti fera d'autant mieux son devoir qu'il sera plus intimement lié avec l'Internationale, qu'il entretiendra des rapports fréquents avec le Comité Exécutif de Moscou, qu'il saura profiter ainsi de l'expérience accumulée par tous les Partis révolutionnaires prolétariens au cours de plusieurs années de luttes, de souffrances et de sacrifices.

* * *

La délégation française au Congrès rendra compte à notre Parti des discussions qui eurent trait au mouvement ouvrier français et éclairera de ses commentaires les résolutions prises à leur issue. Nul doute que ce compte rendu ne soit accueilli avec satisfaction par l'unanimité de nos sections et fédérations.

La composition variée de notre délégation sera pour tous la meilleure garantie de la véracité de son rapport, qui différera sensiblement des calembredaines de la presse contre-révolutionnaire. Il faut dire que nous ne sommes pas nous-mêmes (nous, délégués au Congrès) dépourvus de certains torts, du fait de l'insuffisance des informations envoyées par nous à notre Parti. Mais nous ne sommes pas non plus dépourvus d'excuses. Les camarades envoyés à Moscou n'ont pas seulement pour tâche de participer aux travaux du Congrès et de ses commissions. Ils ont aussi à profiter de ce rendez-vous international exceptionnel pour interroger les militants de tous les pays, et ils doivent s'informer des conditions de développement de la Révolution russe, étudier la vie du prolétariat maître du pouvoir et faire leur profit de ses tentatives malhabiles, de ses expériences coûteuses, mais fructueuses aussi.

Enfin, nous avions compté sur le Bureau de presse du Congrès pour informer nos camarades français, — mais à tort. En effet, l'énormité de la besogne excédait les moyens d'un personnel technique insuffisant. Des discours qui subissent la sextuple épreuve de la sténographie, de la traduction, du résumé analytique, des transmissions et retransmissions télégraphiques, de la réception et de l'impression, atteignent le public très altérés, quelquefois déformés au point de ne rappeler en rien l'original.

Ces observations nous sont suggérées par la lecture tardive d'un numéro de l'Internationale3 (7 juillet), où se trouve le compte rendu fait par Reynaud de la discussion sur le Parti français au Comité Exécutif. Reynaud a scrupuleusement puisé dans le journal Moscou ses informations et les a fidèlement transcrites. Mais le malheur est que Moscou a défiguré malencontreusement, et de la meilleure foi du monde, ladite discussion. Il faut avoir été témoin de ces séances de l'Exécutif pour apprécier l'immensité du contraste entre la discussion telle qu'elle fut et son reflet dans Moscou.

Quelques exemples. Le caractère de l'intervention de Reiland est déformé sensiblement : Reiland, à propos de l'attitude du Parti français lors de l'occupation militaire du Luxembourg, a protesté contre le silence observé par notre Parti et son principal journal. Sur ce point, sa critique était non seulement fondée, mais irréfutable. Le Parti et l'Humanité sont absolument inexcusables de n'avoir pas fait état des renseignements qui leur furent envoyés par nos camarades luxembourgeois. Et il faut dire que Trotsky eut tort, dans sa réplique foudroyante aux critiques du Parti français, de prêter à Reiland, pour mieux la combattre, une exagération qui n'était ni dans l'esprit, ni dans les paroles de Reiland, lequel n'a jamais demandé que notre Parti décrétât la Révolution pour empêcher l'occupation armée du Luxembourg, mais a simplement et avec raison constaté la carence de nos organes officiels en une circonstance où ils auraient dû prendre position. Par contre, Reiland a péché par irréflexion ou méconnaissance du mouvement communiste français en suggérant l'exclusion de Frossard et les sévères répliques qu'il s'est attirées n'étaient pas imméritées.

La relation de l'intervention de Laporte est aussi très mauvaise. Laporte n'a pas dit toutes les sottises que Moscou lui impute généreusement. Il est suffisant qu'il ait proféré celle qui lui valut la splendide démonstration de Trotsky, — à propos de la mobilisation de la classe 19, considérée par nos Jeunesses comme une possibilité d'action insurrectionnelle. Quant au reste, Laporte n'a nullement outrepassé les limites de la critique judicieuse d'un Parti... dont il est membre, — étant entendu qu'il eut tort de ne pas dire dans sa section et sa fédération ce qu'il tenait tant à dire à Moscou.

Les discours de Trotsky, de Lénine, de Zinoviev, rapportés par Moscou, ne donnent en rien une idée de ce qu'ils ont été. La critique pénétrante faite par Trotsky du syndicalisme révolutionnaire français et de cette sorte de neutralité bienveillante observée par les communistes français à son égard ; l'impitoyable riposte de Lénine aux « bêtises de gauche » de Bela Kun ; la sagesse présidentielle de Zinoviev, son habile « justice distributive » dans la conclusion du débat, tout cela est omis par le compte rendu. Et c'est grand dommage pour tous les lecteurs. Souhaitons que nos camarades rentrés en France sachent en traduire l'esprit, sinon la lettre, pour le plus grand bénéfice intellectuel de notre Parti.

* * *

La brillante improvisation de Trotsky devant le Comité Exécutif élargi, au sujet du Parti français, comporte principalement pour nous un précieux enseignement quant aux rapports des communistes avec les syndicalistes-révolutionnaires. Trotsky s'est attaché à démontrer que le syndicalisme français, révolutionnaire en 1906 et représentant à cette époque un indéniable progrès sur le socialisme tel que le concevait le Parti, deviendrait contre-révolutionnaire en 1921 s'il s'obstinait à invoquer comme des dogmes ses formules de 1906, sans considération pour le bouleversement des valeurs, la refonte des doctrines, la mise au point des idées provoqués par la « petite » guerre impérialiste et la « petite » révolution russe...

Il était temps que Trotsky attirât l'attention des communistes français sur la nécessité d'opposer notre doctrine communiste à celle des syndicalistes, sur l'intérêt d'engager avec ceux-ci de courtoises controverses pour les acculer à des définitions précises. Notre collaboration avec les syndicalistes-révolutionnaires, qui a déjà porté d'heureux fruits, aboutirait à une faillite si elle n'assurait pas une interpénétration de plus en plus étroite des deux grands courants révolutionnaires. Aider les syndicalistes-révolutionnaires à orienter le mouvement ouvrier vers le but final du communisme n'implique pas abdiquer devant eux, renoncer à faire prévaloir des méthodes que nous trouvons bonnes puisque nous les préconisons. Le concours donné sans réserve ni marchandage à la minorité syndicale révolutionnaire par le Parti et ses organes ne saurait comporter l'approbation de l'apolitisme syndicaliste, la renonciation à l'action politique sous toutes ses formes, la négation du rôle historique d'un parti politique du prolétariat, l'attribution aux syndicats d'une tâche (l'exercice du pouvoir politique) qu'ils ne pourraient assumer, en un mot la méconnaissance du caractère politique de toute lutte de classes et la confusion entre la politique et l'économie, caractérisant la doctrine syndicaliste.

Avant tout, il importe de déterminer les positions respectives des communistes et des syndicalistes, de faire en sorte que ceux-ci et ceux-là clarifient leurs conceptions propres. Alors seulement il sera possible d'apprécier la signification et d'évaluer l'importance de ce qui les sépare, malentendu facile à dissiper ou divergence irréductible. Il faut que les militants du prolétariat soient mis à même de choisir entre le syndicalisme et le communisme (nous ne disons pas entre le syndicat et le Parti), qui sont choses très différentes. On ne peut admettre, ni parmi les syndicalistes, ni parmi les communistes, — à moins d'une singulière confusion de pensée, — que des camarades soient communistes dans le Parti et syndicalistes (même révolutionnaires) au syndicat. Cette attitude, qui est celle de Quinton4, de Mayoux, de Verdier, de beaucoup d'autres, ne reflète qu'illogisme et contradiction. Le communiste reste communiste dans tous les milieux et en toutes circonstances, que ce soit au syndicat ou ailleurs. Il ne peut être à la fois communiste et syndicaliste, puisqu'il ne peut être à la fois pour et contre l'existence même d'un Parti, pour et contre l'action politique, pour le pouvoir au Parti et pour le pouvoir aux syndicats, pour le syndicalisme se suffisant à lui-même et pour le syndicat ne suffisant pas à tout. Notre ami Amédée Dunois, qui semblait incliner vers l'étrange conception accolant le syndicalisme-révolutionnaire au communisme (article du Bulletin Communiste n° 25 intitulé Syndicalisme et Communisme) ne contestera pas la justesse de ces constatations, du point de vue marxiste, pour peu qu'il veuille bien réviser ses considérations peut-être hâtivement formulées.

Le Parti ne peut être considéré par des communistes comme une organisation accessoire, quelquefois utile, souvent superflue, jamais indispensable, ce qui est la conception syndicaliste-révolutionnaire. Pour nous, communistes, le Parti doit être l'organisation de classe par excellence, puisqu'il est fondé sur le principe même de la lutte des classes, puisqu'il s'inspire uniquement de l'esprit de classe, puisqu'il n'a d'autre but que de réaliser l'émancipation d'une classe, en d'autres termes, puisqu'il ne comprend que des communistes. Le syndicat est, de fait, une organisation de classe parce qu'il n'est composé que de salariés, d'exploités. Mais il n'est pas toujours guidé par l'esprit de classe, encore moins souvent par l'esprit communiste. Il suffit d'être ouvrier (même réactionnaire) pour entrer au syndicat. Il faut être communiste pour entrer au Parti. Il est trop évident qu'une réunion de communistes, ouvriers ou non, et même affligée des défauts imputables à notre Parti actuel, est encore supérieure par la qualité de son esprit communiste, par la netteté de sa conscience de classe, à une réunion d'ouvriers parmi lesquels se trouveront des partisans de toutes opinions politiques, rassemblés non par esprit de classe, mais par intérêt matériel immédiat. Que tout prolétaire détienne en puissance un tempérament révolutionnaire, que tout ouvrier ou paysan pauvre soit un communiste qui s'ignore, c'est là une vérité abstraite, encore que vérité, et les fondements d'une organisation révolutionnaire ne peuvent reposer que sur des réalités, non sur des abstractions. La division de la société en classes n'entraîne pas une corollaire rigoureuse, un classement politique déterminé par l'extraction. Toute classe a ses transfuges, qui passent dans le camp adverse, et ses alliés, qui viennent de l'autre camp : Trotsky le rappelle opportunément dans son livre Terrorisme et Communisme et l'illustre d'exemples historiques contre lesquels ne prévaudra aucune théorie rigide. Les Vendéens étaient des prolétaires qui s'insurgeaient sous la conduite de chefs aristocrates contre la Révolution, défendue par bon nombre de ci-devants : Marx, Engels, Bakounine, Bebel, Jaurès, Liebknecht, Rosa Luxemburg, Mehring, n'étaient « ni syndiqués, ni syndicables » : mais en quel prolétaire la conscience de classe du prolétariat s'est-elle mieux incarnée ? Blanqui allait jusqu'à soutenir qu'une Révolution est mûre quand il se trouve une quantité suffisante de « déclassés » qui se mettent à la tête de la classe opprimée, encore inexpérimentée et partant inapte à faire le meilleur usage de ses moyens de combat contre la classe dominante. Ce qui est certain, c'est que la révolution sociale recrute ses champions partout où elle les trouve. Le syndicat peut être le réservoir des forces révolutionnaires, mais le Parti en est la sélection.

Les syndicalistes critiquent âprement la composition du Parti, l'insuffisante rigueur de son recrutement ; leurs observations sont souvent justes, mais elles n'atteignent en rien le principe fondamental qui est à l'origine du Parti et qui reste sa raison d'être ; si notre Parti contient trop d'éléments petits-bourgeois, il doit s'épurer, comme fait actuellement le Parti Communiste russe ; quant aux syndicalistes les plus consciemment révolutionnaires, c'est-à-dire communistes, leur rôle est d'enrichir le Parti des forces prolétariennes sur lesquelles s'exerce leur influence. Les syndicalistes qui reprochent au Parti français ses traditions démocratiques, ses velléités opportunistes, oublient que c'est précisément leur éloignement du Parti, leur absentéisme, leur attitude d'expectative illimitée qui retarde la transformation définitive du Parti en véritable formation d'avant-garde du prolétariat. Nous l'avons dit avant le Congrès de Tours et plusieurs fois répété depuis : l'unité de front révolutionnaire et une direction révolutionnaire unique ne seront obtenues en France que par l'entrée des syndicalistes-révolutionnaires dans le Parti.

Quand les syndicalistes nous disent qu'il y a loin de ce que veut être notre Parti en principe à ce qu'il est en fait, ils méconnaissent qu'il en est ainsi de la mise en pratique de toute théorie et que notre œuvre, imparfaite comme toute œuvre humaine, est perfectible aussi, comme toute œuvre humaine aussi. Il ne tient qu'à eux de nous aider à porter notre Parti au plus haut degré accessible de capacité directrice et combattante. A eux également de former un parti politique du prolétariat, si celui qui existe est indigne. Mais qu'un parti communiste soit, il le faut, sans quoi le prolétariat resterait un corps sans tête, une armée sans cadres ni chefs.

Si le syndicalisme se cristallisait autour de la « Charte d'Amiens », il serait conservateur, c'est-à-dire réactionnaire. Pour qu'il soit désormais révolutionnaire, il doit devenir communisme, comme le socialisme lui-même, après des années d'édulcoration et de corruption, est redevenu sous l'influence du bolchevisme russe le communisme qu'il était à son origine. Voilà sur quoi Trotsky a attiré l'attention des délégués français ; ce faisant, il a tracé la ligne que suivront dorénavant nos militants dans les syndicats. Que des syndicalistes poursuivent leur propagande comme si rien ne s'était passé depuis 1914 qui dût les conduire à corriger leur point de vue, c'est leur droit. Mais quant aux communistes, leur devoir est clair : ils doivent faire dans les syndicats une propagande communiste, exclusivement communiste.

* * *

L'Humanité, au cours des discussions sur le Parti français au Comité Exécutif, a reçu son petit lot de critiques. La plupart étaient justifiées, et, aussi bien, les militants français qui ne se nourrissent pas d'illusions n'avaient-ils pas attendu les réunions de Moscou pour formuler une appréciation parfois sévère de leur journal officiel. Mais l'Humanité a eu la bonne fortune de trouver un censeur si maladroit en Bela Kun (il y a partout des maladroits, et les communistes n'en sont pas dépourvus) qu'elle a bénéficié de certaines attaques. Bela Kun est un bon lutteur, courageux jusqu'à l'audace, mais il est moins bon polémiste, il manque de mesure et de subtilité.. Sa comparaison de l'Humanité avec la Freiheit5 a immédiatement tourné à l'avantage de l'Humanité, d'un assentiment spontané unanime que Zinoviev a modérément traduit. Plus tard, à la commission pour « l'organisation », le délégué français qui écrit ces lignes eut la satisfaction d'entendre Trotsky rendre à l'Humanité l'hommage qu'elle mérite tout autant que certaines critiques ; un camarade allemand émettant des objections à l'attribution de deux voix au Parti français dans le Comité Exécutif, Trotsky répliqua vertement à ce qu'il appela un « manque de tact » (en quoi il fut approuvé par Radek) et, pour ramener les choses à leurs justes proportions, il demanda aux camarades allemands : « Quand serez-vous capables de faire un journal ayant la sphère de diffusion de l'Humanité ? » Cela fut fort bien dit, parce que justement pensé. L'Humanité a ses défauts, la Rote Fahne en a d'autres et la Pravda ne mérite pas que des éloges, il s'en faut.

Entre communistes, on doit échanger sans ménagements et en toute camaraderie les observations et critiques suggérées par l'intérêt du mouvement communiste. C'est ce que nous avons fait, à Moscou, profitant de l'occasion de ce rendez-vous international unique fournie par les quatre Congrès qui ont siégé en juin et juillet. Nous en sortons tous, critiqueurs et critiqués, à la fois plus assurés, plus confiants, plus forts. Les imbéciles internationaux de la « reconstruction » ne comprennent, et ne comprendront jamais, ces méthodes de travail. Mais il y a, parmi les « reconstructeurs » des gens qui ne sont pas des imbéciles (traîtrise et sottise ne sont pas forcément jumelles) et qui comprennent fort bien que les communistes puisent précisément dans ces méthodes ce qui fortifie leur confiance et décuple leur ardeur.

Pour en revenir à nos journaux, nous ne craignons pas d'en signaler ouvertement les lacunes et les erreurs sans nous soucier des ricanements niais de nos adversaires. Pendant que ceux-ci ricanent, nous élevons de quelques degrés le niveau de perfectionnement de nos organes, et c'est là l'essentiel. Les journaux communistes, et en général révolutionnaires, sont d'ailleurs à tel point supérieurs, par la tenue et le contenu, aux feuilles jaunes de nos contempteurs (voyez France Libre6, Peuple7 et Populaire8, dérisoires et méprisables), que nous pouvons être en toute quiétude indifférents à la moindre velléité de comparaison.

L'Humanité est devenue un journal vivant, actuel, combattif, cela est indiscutable. Mais elle peut, avec les moyens intellectuels et matériels dont elle dispose, faire encore de grands progrès.

Il lui faut d'abord mettre sa rédaction à l'unisson, la discipline, et pour cela, sans doute, la réduire en nombre, en exigeant de chaque collaborateur plus de travail. Il lui faut s'habituer à s'adresser à la grande masse prolétarienne, qui attend de son journal, chaque jour, une direction spirituelle, des mots d'ordre ; les questions traitées doivent être rendues intelligibles à l'ouvrier inéduqué, au « camarade élémentaire », elles ne doivent pas être réservées à quelques boulevardiers, à de petits cercles de militants informés, aux habitués du Croissant9. Il faut que l'Humanité reflète mieux la vie du prolétariat, ce dont elle ne se soucie pas assez. Il faut qu'elle mette à la portée des « simples », des « élémentaires » les questions de politique internationale que Paul Louis10 traite d'une façon ésotérique, comme s'il s'ingéniait à rebuter les lecteurs. Tout cela, l'Humanité peut et doit le réaliser sans trop d'efforts.

Tel quel, notre journal fait très bonne figure à côté des autres quotidiens communistes, ou sympathisants comme le Daily Herald11. Celui-ci est vide, non seulement de pensée communiste, mais encore d'esprit révolutionnaire ; il flatte tous les travers de ses lecteurs, donne dans des procédés journalistiques de mauvais aloi. La Rote Fahne est riche de contenu doctrinal, mais son information internationale est détestable, et elle reste inaccessible à la masse ouvrière. L'Ordine Nuovo12 a les défauts de l'Humanité sans avoir la compensation d'une diffusion aussi considérable. La Pravda reste inégalée et pour longtemps inégalable par la rectitude de sa direction théorique, par la richesse et la variété de ses articles, par la solidité de son « fond » ; mais elle mérite aussi de sévères critiques pour l'insuffisance de son information, intérieure et internationale.

Si l'on examine les publications hebdomadaires ou mensuelles, on n'en trouve pas qui échappe à la critique. Le meilleur des journaux hebdomadaires français, la Vie Ouvrière13, ne s'adresse pas aux ouvriers, mais à une élite de militants, pour laquelle elle présente d'ailleurs un intérêt de premier ordre. Le Bulletin Communiste14, lui, ne vise pas à atteindre la masse, il ne prétend la toucher qu'indirectement par l'intermédiaire des militants du Parti ; mais il n'est pas composé d'une façon assez systématique et n'a pas encore su constituer une phalange de collaborateurs français qui apporterait aux partis des autres pays la documentation dont ils ont besoin sur ile mouvement social en France. La Revue Communiste15 a les mêmes défauts que le Bulletin, et quelques autres en plus ; elle n'est pas une revue dans le sens bien défini du mot, elle est presque toujours inactuelle, et l'absence de méthode dans la composition est plus blâmable quand il s'agit d'une publication mensuelle que d'un hebdomadaire. La Vague a connu un grand succès dans le passé, mais à quel prix ? Elle a su se mettre à la portée du public ouvrier et paysan, mais elle s'est vulgarisée dans le mauvais sens du terme, elle s'est abaissée à un niveau inférieur au lieu de s'efforcer d'élever ses lecteurs à un niveau intellectuel supérieur. C'est ce qui s'appelle : pour vivre, perdre toute raison de vivre. C'est le type du journal à ne pas imiter. L'Ouvrier Communiste16, qui reflète un remarquable effort de pensée, a, comme la Vie Ouvrière, le tort de ne s'adresser qu'à une poignée de convertis. Le Phare17 est supérieur à la Revue Communiste par ses commentaires d'actualité et sa chronique internationale, pourtant trop pauvre, mais son fond est trop formé d'emprunts. Mais que dire du Workers' Dreadnought18, qui ne trouve rien d'autre a publier que Crainquebille19, à la première page et en article de tête ? Et de cette Communist Review dont on n'arrive pas à deviner la raison d'être ? De telles publications ne sont bonnes qu"à disparaître.

En résumé, la presse communiste française, avec ses défauts et ses qualités, tient dignement sa place parmi les éditions du mouvement communiste international. Mais elle est susceptible de s'améliorer beaucoup et c'est pourquoi le Comité Exécutif a tenu, d'abord à inviter le Parti français à renforcer son contrôle sur la presse, puis à attirer son attention, comme celle de tous les Partis, sur « le caractère de nos journaux », par une circulaire destinée à susciter des discussions entre rédacteurs communistes sur la meilleure manière de « prolétariser » notre presse.

Ce qui manque le plus à notre milieu communiste français, une revue doctrinale et documentaire comme celles de nos camarades allemands ou hollandais, ne sera pas créé par improvisation. Là, comme en bien d'autres domaines, le problème reste à résoudre par suite du « manque d'hommes », c'est-à-dire de l'insuffisance de nos forces intellectuelles, que l'on constate dans tous les pays, même en Russie, où les plus éminents de nos militants sont débordés par l'énormité de la besogne à accomplir. Il faudrait créer un foyer de culture communiste, un centre d'attraction pour les jeunes intelligences susceptibles de se mettre au service de la cause prolétarienne. Mais... ceci est une autre histoire et nous entraînerait trop loin du 3e Congrès communiste.

* * *

Le Comité Exécutif, d'accord avec les représentants à Moscou du Comité de la 3e Internationale, a pris une résolution rédigée par la délégation française, aux termes de laquelle notre Comité est considéré comme ayant rempli sa tâche (et bien rempli), et comme désormais superflu. La dissolution du Comité doit être un fait accompli dans les trois mois qui suivent le Congrès, soit avant la fin d'octobre, et les œuvres du Comité, son journal et son service d'éditions, doivent être transférées au Parti.

Cette décision n'appelle que peu de commentaires. Elle était prévue depuis le Congrès de Tours, et les militants responsables de la direction du Comité n'entendaient pas prolonger artificiellement son existence au delà du terme que lui assignaient ses statuts, sa constitution même. Le Parti est aujourd'hui adhérent à la 3e Internationale, adhérent sans réserve ni arrière-pensée ; il fait partie intégrante du mouvement communiste international ; il est une section du Grand Parti Communiste mondial qui lui donne l'orientation générale et qui le contrôle. Un organe de contrôle intérieur n'a donc plus d'utilité. Quant au rôle initiateur que le Comité a rempli, il sera dévolu désormais à tous ses membres, dont l'initiative s'exercera dans les sections et fédérations. Plus exactement, il sera dévolu à tous les hommes de notre Parti capables de prendre une initiative ou d'assumer une responsabilité.

En effet, l'ancien classement de nos militants, qui correspondait aux positions prises à certaine heure de l'histoire de notre Parti, ne correspond plus aujourd'hui à rien. Il nous est permis de penser, d'espérer, que nos compagnons de lutte du Comité de la 3e Internationale seront pour le Parti parmi ses meilleures forces d'activité et d'entraînement. Mais rien ne nous autorise à les considérer comme une catégorie spéciale, distincte du reste du Parti. La vie, le combat quotidien, provoquent des chassés-croisés, des déclassements et des reclassements... Tel Amédée Dunois, qui fit partie d'un autre groupe que le nôtre, se trouve maintenant parmi nous et il nous semble qu'il y a toujours été ; par contre, tel Victor Méric s'est montré, en plusieurs circonstances, un partisan peu zélé de ce Comité auquel il devait pourtant sa charge au Comité Central du Parti... En vérité, la classification d'avant Tours est frappée de caducité.

Il n'y a pour l'heure ni droite, ni centre, ni gauche dans notre Parti. Peut-être se formera-t-il encore des « tendances », sans doute même s'en formera-t-il quand le Parti abordera les tâches difficiles. Mais une tendance ne mérite pas de s'appeler gauche ou droite, en d'autres termes d'être considérée comme une tendance, tant qu'elle ne se réclame pas d'une doctrine propre, tant qu'elle ne se propose pas une tactique particulière. Pour prendre un exemple concret, nous rappellerons que l'on appelle actuellement « communisme de gauche » la tendance qui, dans certains pays, préconise l'antiparlementarisme, la formation de syndicats communistes, la tactique offensive dans des actions localisées, etc. Or, de telles suggestions ne se sont pas exprimées dans le Parti français. Notre charte doctrinale reste la motion de Tours, jusqu'au jour où le Parti aura adopté un programme politique plus complet, plus fouillé. Cette charte fait loi pour tous les communistes, et le Comité de la 3e Internationale n'a plus de raison d'être qui est le principal artisan de son adoption. Il pouvait, après Tours, s'assigner provisoirement la mission d'en assurer le respect. Il ne le peut plus, depuis le 3e Congrès communiste mondial, où la délégation française s'est montrée une, indivisible et solidaire.

Le Comité de la 3e Internationale meurt. Il meurt de sa mort naturelle, ayant bien accompli sa mission. Son souvenir vivra dans la mémoire des communistes. Le Parti lui doit l'initiative de son orientation à gauche (là, on peut parler de gauche...). Il lui doit d'avoir ouvert la marche vers l'Internationale Communiste, d'avoir fait la besogne la plus pénible, la plus ingrate de défrichement et d'ensemencement, d'avoir reçu les premiers coups du pouvoir bourgeois. Il lui doit l'exemple d'une lutte d'idées franche, droite, désintéressée, dépourvue des préoccupations mesquines qui interviennent trop souvent dans les luttes politiques, pures à leur naissance et corrompues à leur issue. Il lui doit aussi une couche nouvelle de militants, d'hommes neufs que les anciens dirigeants du Parti eussent refoulés dans l'ombre et que le Comité, rompant avec les pires traditions, a rapidement conduits en quelques mois aux postes de confiance du Parti ; nous avons nommé Vaillant-Couturier, Ker, Reynaud, Treint, et tant d'autres que l'obscurité provinciale rend quasi anonymes, tous si différents par les qualités, les dons naturels, le bagage acquis, mais si semblables par l'esprit communiste, le dévouement à leurs idées, l'ardeur mise au service de la cause révolutionnaire. Le Comité lègue au Parti sa Bibliothèque Communiste, cette série encore insuffisante, mais pourtant bien précieuse de brochures de propagande et de livres de doctrine communiste qui fussent restés inconnus en France sans notre initiative. Il lui donne aussi ce Bulletin Communiste, dont d'autres, plus qualifiés que nous, diront s'il a quelques mérites...

Oui, nous pouvons regarder avec fierté les dernières années écoulées et penser que nous avons fait modestement notre devoir. Quant à l'avenir qui nous attend, avec ses tâches ardues, ses combats, ses risques, ses périls, nous allons résolument au-devant, avec tous nos camarades de lutte anciens et nouveaux, a priori confiants dans tous : la Révolution reconnaîtra bien les siens.

* * *

Le Congrès a unanimement approuvé le rapport présenté par Zinoviev au nom du dernier Comité Exécutif. Cela ne signifie pas que les délégués aient estimé au-dessus de toute critique tous les actes et toutes les paroles de l'Exécutif pendant l'intervalle séparant le 3e du 2e Congrès, delà signifie que l'Executif a su faire une politique conforme aux décisions des Congrès, qu'il a dignement représenté l'Internationale communiste dans les circonstances où il a eu à intervenir, qu'il n'a commis aucune faute grave, la part étant faite aux imperfections inhérentes à toute œuvre humaine. Quelque désir que l'on ait de voir l'Exécutif disposer d'une meilleure organisation que dans le passé et répondre mieux encore aux besoins de l'Internationale et de ses sections, on ne peut nier que toute critique adressée à l'Exécutif atteigne, au travers de l'Exécutif, les principaux partis affiliés. En effet, la représentation des Partis à l'Exécutif a été très insuffisante, jusqu'au 3e Congrès. Zinoviev l'a rappelé en termes assez crus, à la tribune, et nul n'a contesté la valeur de ses constatations. Si donc l'Exécutif se trouvait être inférieur à sa tâche, la responsabilité en incombait d'abord aux organisations fédérées, qui négligent d'envoyer à l'organisme central permanent des militants de valeur, appropriés au rôle que l'on attend d'eux.

Mais si l'on pousse plus à fond encore l'examen du problème, on s'aperçoit vite qu'il est insoluble. Zinoviev a convié les partis adhérents à envoyer à l'exécutif « leurs meilleurs représentants ». Cette invitation s'inspire évidemment du louable souci d'avoir un Comité Exécutif hautement représentatif et qualifié, mais elle oublie de tenir compte de la situation des Partis, de leurs forces intellectuelles, de leurs besoins. Si les « meilleurs représentants » siègent à l'Exécutif, les Partis seront privés de militants, sinon indispensables puisque nul ne lest, du moins très précieux si l'on songe à ce « manque d'hommes » auquel nous avons fait allusion plus haut et dont souffrent tous les Partis Communistes.

La vérité est que nous avons actuellement le choix entre : décapiter les Partis pour former le Comité Exécutif de premier ordre, et renoncer à former le Comité Exécutif de nos rêves pour laisser à chaque Parti ses « meilleurs représentants ». La question est de savoir si la place des « meilleurs représentants » est à Moscou ou dans leur pays, c'est-à-dire en quel lieu ils peuvent rendre le plus de services. A cette question, il n'est pas de réponse générale absolue. Certains Partis peuvent, en certaines circonstances, se priver, pour un certain temps, du concours de certains hommes ; mais seul, tant que les conditions politiques de l'Europe feront de la Russie l'unique asile de l'Exécutif, le Parti russe pourra déléguer ses « meilleurs représentants » en permanence. Les autres Partis ne pourront y avoir qu'accidentellement un ou deux de leurs meilleurs représentants. Qu'on le veuille ou non, qu'on le trouve excellent ou fâcheux, la direction de l'Internationale Communiste, dans l'intervalle des Congrès, incombera donc, pour la plus grande part, au Parti russe, et ce pour la bonne raison qu'il est impossible de faire autrement. Dès que l'Exécutif pourra se déplacer vers le centre de l'Europe, il n'y manquera pas et, alors, le problème sera posé différemment.

Si l'on envisage toutes les difficultés que l'ancien Comité Exécutif a dû vaincre pour remplir sa mission, l'on doit dire qu'il a bien travaillé et que le Congrès eut raison de ne pas lui marchander son approbation. Il n'en reste pas moins que le nouvel Exécutif devra faire mieux que son prédécesseur et que le 4e Congrès devra se montrer envers lui plus exigeant que ne l'a été le Congrès précédent envers l'Exécutif précédent.

La ratification unanime du rapport de l'Exécutif impliquait la ratification de l'exclusion de Paul Levi du Parti Communiste Unifié d'Allemagne, et par conséquent de d'Internationale Communiste. La fraction de Levi était représentée au Congrès par Clara Zetkin, Neumann, Malzahn20, qui n'avaient pas été délégués par leur Parti, mais que le Comité Exécutif avait invités en leur donnant voix consultative. Ces camarades ont largement usé du droit de combattre le point de vue de la Centrale du Parti allemand et de défendre l'opposition. Mais leurs critiques, quelquefois justes, toujours utiles, n'ont en rien légitimé l'action de Levi en diminuant le prestige de la majorité.

La décision du Congrès frappe individuellement Levi et non pas sa fraction, parce que ce n'est pas la critique élevée contre la Centrale qui est condamnable, mais la façon dont Levi a prétendu justifier ses conceptions au détriment du Parti et en faisant le jeu de la bourgeoisie. Les communistes ont le droit et le devoir de confronter leurs opinions quand elles diffèrent, mais ils ne sauraient, sans trahison, prendre à témoin de leurs divergences de vues l'ennemi bourgeois et l'appeler en arbitre de leurs différends. Au surplus, il a été surabondamment démontré que, depuis longtemps déjà, Levi avait rompu moralement le pacte qui le liait à l'Internationale Communiste et avait suivi de près Serrati dans la déviation opportuniste. Le Congrès a mis un terme aux rapports devenus équivoques de Levi avec notre Internationale et nul ne s'est levé pour y contredire.

Les scissions de Halle, de Tours et de Livourne se trouvaient implicitement approuvées par le vote de la résolution approuvant l'Exécutif. Les deux premières ne pouvaient prêter à controverse. La troisième a provoqué un débat attendu... et décevant, de par la carence de Serrati et des serratistes les plus marquants.

L'Exécutif avait pris soin de publier un recueil de documents, la plupart puisés dans l'Avanti ! (articles de Serrati, résolutions du Comité directeur du Parti socialiste italien et de son Groupe parlementaire, etc.) pour mettre impartialement les délégués à même d'apprécier la situation dans le mouvement italien. Cette collection de textes, rigoureusement documentaire, prenait d'ailleurs l'aspect d'un réquisitoire accablant pour la politique de Serrati et de son groupe, par le simple fait du rapprochement des propos et commentaires des dirigeants du Parti socialiste italien. On attendit, en vain, à Moscou, Serrati ou quelqu'un de ses lieutenants. Serrati, qui n'avait cessé, depuis Livourne, de protester de sa fidélité envers la 3e Internationale, se livrait, en réalité, à une comédie, de crainte de perdre le contact des masses, très attachées moralement à la résolution russe et à l'Internationale Communiste. Ne cherchant qu'à retarder le plus possible l'heure où il lui faudrait avouer la rupture, il ne se souciait nullement de subir, personnellement, au Congrès mondial, l'humiliation de la réprobation unanime dont il était assuré d'avance, connaissant bien lui-même l'étendue et la profondeur de son « évolution ». Il s'est bien gardé aussi d'envoyer au Congrès un Alessandri, acoquiné aujourd'hui à Grumbach-Homo, à Albert Thomas, à Renaudel. Nous avons vu venir vers nous un vieux militant sympathique, honnête, subjectivement digne d'estime et de confiance, mais peu ouvert aux conceptions communistes : Lazzari, qui s'est révélé un démocrate avancé et rien de plus. Aux discours si substantiels de Lénine, de Rakovsky, de Lozovsky, Lazzari a opposé le néant, et ses deux collègues, Maffi21 et Riboldi22, n'ont pas été plus capables de réfuter les critiques décernées à leur Parti.

Le Congrès a confirmé les décisions du Comité Exécutif et celles du 2e Congrès. Le Parti socialiste italien s'est mis lui-même hors de l'Internationale en refusant d'appliquer les 21 conditions. Il ne peut y rentrer qu'après avoir exclu son aile réformiste, le groupe de la Critica Sociale ou de Reggio Emilia. Les trois représentants du P. S. I. ont pris l'engagement de défendre devant leur Parti les résolutions du Congrès international. Nous verrons comment ils le tiendront. D'ores et déjà, nous tenons à dire que nous n'avons plus d'illusions sur ce que nous réserve un Parti qui pactise avec les fascistes, avec les social-traîtres français, et qui évolue avec une rapidité vertigineuse dans le sens de la collaboration des classes.

Notes

1 Maurice Laporte (1901-1987), fondateur et premier secrétaire général des Jeunesses Communistes françaises de 1920 à 1923.

2 Ed Reiland (1897-1967), fondateur du Parti Communiste du Luxembourg.

3 L'Internationale, « journal communiste du soir », dirigé par Daniel Renoult. Cesse de paraître en 1924.

4 Augustin Quinton (1890 - ?), mécanicien-ajusteur, secrétaire de l’UD Calvados (1919-1921), secrétaire des CSR (1921). D’abord favorable à l’adhésion à l’Internationale Syndicale Rouge, il est néanmoins partisan de l’autonomie syndicale, et refusera qu’un membre de l’Internationale Communiste siège au CE de l’ISR. Il changera d’avis ensuite voyant l’inféodation de l’ISR au PCUS. Signa en septembre 1921 avec Fargue et Besnard le manifeste du Comité central des CSR, préconisant la création d’une CGTR (CGT Révolutionnaire). Quinton n’appartint jamais au « Pacte » conclu en février 1921 à l’initiative de Besnard, mais soutint néanmoins ses amis anarcho-syndicalistes. Il adhéra à la CGT-SR en 1927, mais arrêtera de militer quelques années ensuite. (Note de la fondation Pierre Besnard)

5 Journal des indépendants allemands (USPD).

6 Journal des membres de la SFIO les plus favorables à l'Union Sacrée, puis à partir de 1920 organe du Parti Socialiste Français, petite formation qui allait se fondre en 1935 dans l'Union Socialiste Républicaine.

7 Le Peuple, quotidien de la majorité de la CGT, opposé alors à La vie ouvrière.

8 Le Populaire, quotidien de la SFIO.

9 Café du deuxième arrondissement de Paris, où fut assassiné Jaurès.

10 Paul-Louis (1872-1955), « reconstructeur », puis membre du Parti Communiste de 1920 à 1922.

11 The Daily Herald, quotidien britannique d'origine syndicaliste, qui a paru de 1911 à 1964, avant d'être relancé sous le titre The Sun.

12 Hebdomadaire fondé en 1919 par Antonio Gramsci, devenu quotidien et organe du Parti Communiste italien en 1921.

13 En 1921, revue hebdomadaire de la minorité révolutionnaire de la CGT.

14 Au moment où l'article paraît le Bulletin communiste est toujours l'organe du Comité de la Troisieme Internationale, groupement qui existait déjà en 1920 avant le congrès de Tours à l'intérieur de la SFIO. Quelques semaines plus tard, en novembre 1921, il devient l’organe du Parti Communiste (S.F.I.C).

15 Revue créée par Charles Rappoport, 20 numéros entre mars 1920 et février 1922.

16 Journal du Groupe Communiste de Bruxelles.

17 Mensuel communiste suisse.

18 Journal communiste britannique animé par Sylvia Pankhurst.

19 Nouvelle d'Anatole France.

20 Heinrich Malzahn (1884-1957). Fils d'ouvrier, mécanicien. Au parti en 1906, dans l'opposition de gauche du syndicat des métallos. Membre du cercle des délégués révolutionnaires. A l'U.S.P.D. en 1917, membre du comité d'action des grévistes eu janvier 1918, de l'exécutif des conseils en novembre 1918, du comité révolutionnaire en janvier 1919, puis président du comité des conseils d'usine de Berlin. Député indépendant en 1920, un des chefs de file de la gauche. Au V.K.P.D. et dans la commission syndicale en 1920. Hostile à l'action de mars, organise cependant la grève dans la Ruhr. Prend la défense de Paul Levi au 3e congrès de l'I.C. Organise l'opposition de droite avec Brass et Friesland, exclu en janvier 1922. revient à l'U.S.P.D. puis au S.P.D. (Rôle politique ultérieur mineur ; arrêté par les nazis de 1940 à 1945.) (Notice biographique de Pierre Broué)

21 Fabrizio Maffi (1868-1955), allait entrer dans le parti communiste italien en 1924.

22 Ezio Riboldi (1878-1965) allait lui aussi entrer dans le parti communiste en 1924. Lazzari, Maffi et Riboldi étaient délégués du Parti Socialiste Italien au 3e congrès de l'Internationale Communiste. Ils allaient en rentrer décidés à expulser les réformistes du PSI pour assurer son intégration à l'IC.


Archives LenineArchives Internet des marxistes
Haut de la page Sommaire