1971 |
"L'histoire du K.P.D. (...) n'est pas l'épopée en noir et blanc du combat mené par les justes contre les méchants, opportunistes de droite ou sectaires de gauche. (...) Elle représente un moment dans la lutte du mouvement ouvrier allemand pour sa conscience et son existence et ne peut être comprise en dehors de la crise de la social-démocratie, longtemps larvée et sous-jacente, manifeste et publique à partir de 1914." |
Révolution en Allemagne
Pierre Broué
De la conquête des masses à la défaite sans combat
Les efforts de Lénine au 3° congrès de l'Internationale pour le maintien de l'unité du parti allemand ne peuvent étonner : rien de plus étranger en effet à la pensée de Lénine que le dogmatisme qui nie la réalité ou tente de la violenter pour qu'elle corresponde à ses schémas. Il faut ignorer la politique de Lénine dans le parti ouvrier social-démocrate entre 1906 et 1912 et, après 1921, son attitude face à la scission du parti allemand au congrès de Heidelberg, ses efforts pour le rapprocher du K.A.P.D. et des indépendants de gauche en 1920, son souci, après l'action de mars, d'aboutir à un compromis réparateur pour affirmer, comme Levi a été l'un des premiers à le faire, que la scission constituait aux yeux des bolcheviks un des moyens permanents et privilégiés de la construction du mouvement ouvrier révolutionnaire.
L'un des premiers résultats du 3° congrès de l'Internationale est de mettre fin aux tentatives de réunification avec le K.A.P.D. Lénine, qui s'en était fait le défenseur le plus constant depuis le congrès de Heidelberg, apprécie désormais de façon différente ce courant gauchiste. Déjà, à la veille du congrès, il considérait comme une grave erreur d'avoir en 1920 bataillé pour l'admission du K.A.P.D. au sein de l'Internationale comme parti sympathisant [1]. Sa prise de position contre Appel, au cours des débats, la façon dont il a, dans sa critique, lié les positions défendues par le K.A.P.D. à celles des gauchistes de l'Internationale, indiquent vraisemblablement de sa part la prise de conscience du danger que constituerait, pour l'avenir de l'Internationale, la jonction de ces deux ailes gauchistes, lesquelles, pour l'essentiel, ne semblent séparées que par des questions de personnes.
Au cours des débats, les interventions des autres dirigeants de l'exécutif montrent bien qu'un tournant a été opéré. Zinoviev s'en est pris à un article de Gorter disant que les intérêts du pouvoir soviétique l'emportent dans l'esprit des dirigeants sur les nécessités révolutionnaires. Il menace :
« Avec une telle politique, mi-puérile, mi-criminelle, vous allez prendre place parmi les ennemis de la république prolétarienne » [2].
Radek, l'interrompant, s'écrie que « Gorter défend déjà Cronstadt » [3]. Dans ces conditions, il n'est pas étonnant que Radek et Zinoviev, au nom du comité exécutif, aient sommé le K.A.P.D. de fusionner dans les trois mois avec le V.K.P.D. sous peine d'être exclu de l'Internationale [4].
De son côté, la délégation du K.A.P.D., qui n'a, au cours du congrès, atteint aucun des objectifs qui lui avaient été fixés, revient avec la conviction que l'idée de construire une fraction de gauche dans la III° Internationale était une illusion [5]. La décision de rupture est cependant renvoyée, avec l'accord des deux partis, aux instances nationales du K.A.P.D. : son comité central, le 31 juillet 1921, prend les premières dispositions pour la construction d'une « Internationale ouvrière communiste » dirigée contre l'Internationale communiste [6]. En fait, la décomposition du premier parti gauchiste est à cette époque déjà largement entamée. Nombre des partisans du national-bolchevisme ont fait du chemin, qu'il s'agisse de Wendel, revenu en été 1920 à la social-démocratie [7] ou de Wolffheim, qui, dans la « Ligue pour l'étude du communisme allemand », se lie aux officiers et aux entrepreneurs qui le conduiront vers les groupuscules nazis [8]. De son côté, Otto Rühle est devenu l'un des plus violents ennemis de l'Internationale et des perspectives communistes, qui sont à ses yeux :
« En haut : autorité, bureaucratisme, culte de la personnalité, dictature des chefs, puissance du commandement. En bas, discipline cadavérique, subordination, garde-à-vous » [9].
Champion d'une orientation révolutionnaire « antiautoritaire », il dévie, lui aussi, loin du mouvement ouvrier organisé. Le reste du parti, groupé derrière Schröder et le groupe de Berlin, survit jusqu'à la prochaine scission [10]. Le courant gauchiste n'est pas éteint, et se ranime au cœur même du K.P.D. Mais le parti gauchiste fondé en 1920 est, lui, moribond.
A partir de 1921, les problèmes théoriques posés aux communistes sont fort différents de ceux que les bolcheviks avaient connus avant guerre : à deux reprises, en effet, en 1905 d'abord puis en 1912, la scission avait constitué le moyen de construire le parti russe dont les « liquidateurs » ne voulaient pas. Après 1914, le problème se pose sur un plan international : il s'agit pour les bolcheviks de reconstruire le mouvement ouvrier mondial, reconstruction qui passe par l'élimination des dirigeants gagnés à la bourgeoisie, et de rassembler les masses ouvrières dans des partis nouveaux.
Jusqu'en 1921, on considère que la révolution est imminente, que « la maison brûle » : malgré sa brutalité, la scission constitue la seule méthode pour donner dans les délais les plus brefs une direction révolutionnaire aux masses qui tendent les mains vers le pouvoir. Mais, à partir du 3° congrès mondial, la révolution n'est plus nulle part imminente. D'un autre côté, la scission du mouvement ouvrier international, réalisée par les communistes comme le moyen le plus rapide de liquider le passé opportuniste et de réunifier le prolétariat sur une base révolutionnaire, aboutit en fait à une division durable entre Internationales, partis et syndicats rivaux. Dans une période historique qui est toujours aux yeux des bolcheviks celle de la crise finale du capitalisme, la perspective révolutionnaire demeure, même à plus long terme, la prise du pouvoir. Mais elle suppose la victoire du courant révolutionnaire sur le courant réformiste à l'intérieur du mouvement ouvrier. Or cette victoire — personne n'en doute depuis que les gauchistes ont quitté l'Internationale — ne peut être remportée par les seuls arguments des discussions théoriques et de la propagande : elle dépend essentiellement de la capacité des révolutionnaires à convaincre les masses dans l'action à travers leur propre expérience.
La situation allemande est le meilleur exemple des difficultés que les communistes rencontrent sur cette voie. L'action de mars a démontré que l'action isolée des communistes constituait en définitive un facteur négatif de leur développement, qu'elle décourageait les militants en les vouant à la défaite et qu'elle effrayait les autres, même sympathisants, les rejetant, sinon directement vers la bourgeoisie, du moins, en ce qui concerne les masses organisées autour des dirigeants de la social-démocratie, dans une attitude de scepticisme et de passivité. Pour reprendre confiance en leurs propres forces, pour avoir une vue concrète des objectifs à atteindre, pour obtenir un contact avec les partis et syndicats dits réformistes, les masses ouvrières doivent lutter contre le régime capitaliste. Or elles ne se décident à entrer en lutte que si elles ont le sentiment que la victoire est possible. C'est pourquoi elles éprouvent le besoin de mener, même sur des objectifs limités, des luttes d'ensemble, sur un front de classe. La division de la classe ouvrière née de la scission est un obstacle dans cette voie : les ouvriers qui font confiance à l'une des organisations, politique ou syndicale, ne sont pas prêts à croire sur parole les partisans de l'organisation concurrente. L'action commune exige donc des accords au sommet entre organisations, sauf circonstances exceptionnelles. Mais, là aussi, les obstacles sont immenses, puisque les communistes ont à proposer des accords à des dirigeants qu'ils qualifient en même temps de « traîtres ». Cessant de les dénoncer, ils faciliteraient leurs trahisons à venir; continuant de le faire, ils leur fournissent de solides raisons pour refuser toute collaboration. C'est cette contradiction que la politique du front unique se propose de surmonter : elle repose sur la conviction que les masses qui suivent les dirigeants social-démocrates peuvent être amenées à leur retirer leur confiance à l'occasion de nouvelles « trahisons » si elles se produisent dans une action menée, cette fois, en commun.
La stratégie du front unique était implicitement contenue dans la politique des dirigeants bolcheviques en 1917 au sein des soviets, leur lutte pour la rupture de la coalition entre partis ouvriers et partis bourgeois, leur appel au pouvoir des soviets, forme supérieure de l'unité de front de la classe en lutte. Le mot, pourtant, n'avait jamais été prononcé ; jusqu'à la lettre ouverte de 1921, les communistes avaient surtout conçu leur lutte pour l'unification de la classe ouvrière comme l'élimination des directions « opportunistes » : avec les vingt et une conditions, les communistes s'étaient faits, partout, les agents de la scission, et les social-démocrates les défenseurs de l' « unité ». La stratégie du front unique apparaît en filigrane dans les résolutions du 3° congrès invitant les partis à « aller vers les masses ». Parvenir à l'unification de la classe ouvrière sous le drapeau du communisme, surmonter la scission et débarrasser le mouvement ouvrier de ses dirigeants opportunistes : l'objectif demeure identique à celui de l'offensive révolutionnaire des années 19171921, mais les méthodes changent.
Rien ne permet d'affirmer qu'en formulant cette nouvelle politique les bolcheviks aient voulu tourner définitivement le dos à la politique de la période précédente, aient définitivement accepté l'idée de la cohabitation, au sein d'une même organisation, des réformistes et des révolutionnaires. Rien ne permet non plus d'affirmer que les propositions de Lénine pour surmonter les conséquences de la division ouvrière s'en seraient tenues aux seules formules avancées en 1921-1922 pour définir la ligne du front unique. La maladie ne lui laissera pas le temps d'aller plus loin dans cette voie, s'il en avait l'intention, mais, de toute façon, les nécessités de la lutte interne au sein du parti russe risquaient fort de bloquer ensuite la discussion au stade où elle était arrivée. Les résistances à la politique du front unique rencontrées au sein des différents partis de l'Internationale, tant de la part des gauchistes impénitents que des éléments dits « droitiers » et « opportunistes », montrent que l'Internationale communiste avait déjà sécrété sa propre idéologie et que l'homme qui l'avait fondée et inspirée avait à tenir compte de sa routine, de ses réflexes acquis, en un mot de son conservatisme.
Tandis que le 3° congrès mondial pose en termes nouveaux la stratégie de la révolution prolétarienne, Paul Levi, de son côté, met au point un texte sur « Les Tâches des communistes » [11]. Comme Lénine et Trotsky, il constate le renversement du rapport de forces entre les classes à l'échelle mondiale et souligne que les communistes doivent désormais adapter leur politique aux « longues échéances ». Cela implique un certain nombre de révisions et de corrections.
La première concerne la politique syndicale. L'Internationale syndicale rouge avait été conçue sur la base d'une politique qui « comptait sur une progression rapide de la révolution et un changement rapide dans l'attitude des masses ». Il importe de la remettre désormais en question. Il en va de même pour l'attitude à l'égard de la social-démocratie : devenue le parti du réformisme, c'est-à-dire de la collaboration de classes, elle conserve néanmoins — et pour une durée imprévisible — un capital considérable de confiance chez les travailleurs : les espoirs passés d'exclure du mouvement les dirigeants opportunistes et de parvenir rapidement, après des scissions, à la réunification révolutionnaire sont à rejeter dans un avenir plus ou moins lointain. C'est maintenant une donnée objective nouvelle de la situation mondiale que la coexistence de deux partis ouvriers, l'un réformiste et l'autre révolutionnaire, le premier très supérieur au second en nombre. La scission des rangs ouvriers contribue en outre à la prostration des masses, à la frustration de leur sentiment le plus vif, celui de leur unité.
Dans de telles conditions, les communistes doivent se garder de tout ce qui pourrait accroître la division. Ils ont au contraire le devoir de tout faire pour souder dans l'action les prolétaires divisés dans leurs organisations. Ils doivent « entrer en rapport avec les autres partis prolétariens et œuvrer en commun avec eux dans des luttes concrètes, qu'elles soient parlementaires ou extraparlementaires », en d'autres termes, reprendre la politique inaugurée par la lettre ouverte de janvier 1921.
Levi estime que ce problème désormais capital, celui « des relations entre les communistes et les autres partis prolétariens », ne saurait être réglé à la lumière de l'expérience de la révolution russe et des bolcheviks, car la situation en Allemagne, et de façon générale en Europe occidentale, est profondément différente :
« La différence fondamentale entre les relations correspondantes en Allemagne, par exemple, et en Russie est la suivante : en Russie, la vie des partis prolétariens à l'époque de préparation de la révolution se déroulait illégalement. La forme revêtue par les luttes entre partis prolétariens était essentiellement celle d'écrits polémiques et de résolutions. Il n'y a pas là critique de l'évolution des partis, imposée par les circonstances, mais simple constatation : en Allemagne, c'est différent. En Allemagne, c'est au sein des mouvements de vastes couches prolétariennes que s'opèrent les discussions à l'intérieur du prolétariat. La première époque proprement dite de la révolution, l'époque qui va des premières luttes ouvertes à la prise du pouvoir par les bolcheviks, se mesure en mois. En Allemagne, les luttes dont le terme fut que, provisoirement, le prolétariat ne put s'emparer du pouvoir, ont duré beaucoup plus longtemps. Elles se sont déroulées sous la forme de luttes entre, d'une part, les communistes et une grande partie des indépendants, d'autre part les social-démocrates, Inutile dans ce contexte de rechercher des responsabilités il suffit de constater que la défaite est identique pour tous, pour les travailleurs social-démocrates comme pour les communistes. (…) Politiquement, le résultat a donc été le même pour toutes les parties du prolétariat, la défaite ; sur le plan économique, la même chose, l'exploitation demeure. C'est-à-dire que le corps social formant unité, le prolétariat, est demeuré, qu'il existe de nouveau, et que même avec la plus belle nuance d' « aristocratie ouvrière » on ne pourra philosopher un nouveau marxisme celui qui se débarrasse de la social-démocratie tout entière par le mot d'ordre de l' « aristocratie ouvrière » a une bien mauvaise connaissance de la situation allemande. Pourtant un reste, et un reste précieux, demeure des années passées : il y a aujourd'hui dans la classe ouvrière allemande une profonde différenciation sur le plan des idées. L'idée de la réforme sociale s'est séparée très nettement de l'idée de la révolution sociale. Point n'était déjà auparavant besoin de preuve : le projet de programme du parti social-démocrate l'a fournie définitivement et la résistance qu'il a rencontrée dans la social-démocratie prouvent seulement que de tels clivages ne sont jamais aussi nets que bien des dirigeants de la social-démocratie se l'étaient imaginé et qu'on ne peut pas tout de suite appeler par son nom tout ce qui existe » [12].
C'est cet état de fait qui commande aux communistes une tactique « unitaire » :
« Donc : les idées de réforme sociale et de révolution se sont séparées, s'opposent sous forme de partis (…), et comment doivent-ils prendre position l'un vis-à-vis de l'autre? Lorsque au temps des luttes ouvertes la social-démocratie s'est placée devant la bourgeoisie pour la protéger (...), elle a forcément provoqué contre elle la lutte des masses révolutionnaires. Mais maintenant que le front passe de nouveau ailleurs, que les ouvriers social-démocrates sont de nouveau du côté des vaincus, et économiquement du côté des exploités, il faut créer des rapports qui laissent à tout moment ouverte la possibilité de lutte en commun contre la bourgeoisie, aussi rigoureuse que soit la distinction des idées et la séparation des partis. Cela signifie d'abord qu'il faut introduire un certain rationnement dans l'emploi des épithètes oiseuses » [13].
Paul Levi souligne à ce propos l'effet désastreux produit sur les ouvriers allemands par l'emploi d'un certain vocabulaire, des insultes rituelles comme « traître » ou « mencheviste », des phrases ronflantes, toutes faites, qui sonnent bien dans les bureaux de l'exécutif mais ne correspondent à rien dans la conscience des ouvriers d'Europe occidentale :
« Ce changement de langage attirera peut-être aux communistes allemands de la part du bureau restreint de l'exécutif le reproche de manquer de « langage révolutionnaire », mais il ne pourra que rehausser leur prestige au sein du prolétariat allemand. (...) Ce ne sont là, il est vrai, qu'aspects accessoires, et il n'est pas besoin d'adopter l'étiquette et le langage de la cour de Louis XIV. Il est beaucoup plus important de créer, par la participation la plus active dans toutes les organisations prolétariennes — indépendamment des syndicats —, un esprit de confiance dans le communisme et une atmosphère répondant à l'esprit de solidarité prolétarienne. La participation la plus enthousiaste à tout ce qui est prolétarien, aux organismes d'éducation, aux coopératives, partout, voilà le terrain sur lequel, malgré toutes les divergences de conception sur le but et sur la méthode, se développe l'esprit qui peut seul créer un front commun contre la bourgeoisie » [14].
Ce front unique prolétarien est certes, sans exemple, dans l'histoire du mouvement communiste, mais la situation qui l'impose est, selon Paul Levi, nouvelle, elle aussi :
« Les communistes allemands doivent bien en avoir conscience : la tâche qui consiste à opposer l'idée de la révolution sociale, sous la forme d'un parti de masses, à l'idée de la réforme sociale, sous la forme d'un parti de masses, est une tâche nouvelle, elle est sans précédent dans l'Histoire, elle doit être résolue par le parti allemand lui-même et ne le sera certainement pas par la simple transcription absurde de recettes russes sur les « mencheviks », etc. [15].
Le parti communiste allemand est-il capable désormais d'opérer le tournant nécessaire, de montrer aux autres partis d'Europe occidentale la voie à suivre? L'expérience faite depuis le congrès de Livourne a convaincu Paul Levi qu'il n'en était rien, et que ce parti n'était capable d'aucune initiative.
« Pour la première fois, un parti communiste pouvait jouer le rôle dirigeant dans la lutte politique sous le signe de la révolution sociale et mesurer ses forces avec celles d'un parti social-démocrate qui n'a pas son pareil en cohésion et en clarté à sa manière, en unité aussi. La révolution allemande, si elle n'a rien apporté, pouvait apporter au prolétariat allemand ce parti. Les stratèges de l'action de mars en ont décidé autrement. Maintenant, le parti communiste allemand unifié est un parti broyé en ce qui concerne le nombre de ses adhérents, et, sur le plan idéologique, il n'est plus qu'un monceau de ruines. Au lieu d'essayer de reconstruire, on a passé des compromis, on a scellé l'effondrement. Le nombre de ceux qui ont gardé ce qu'ils avaient est infime. Peut-être en arrivera-t-on — et faute de miracle, on y arrivera — à ce que le parti communiste connaisse le sort du Tarim, ce fleuve d'Asie centrale qui sort de la montagne en roulant des eaux abondantes, grandit et grossit, mais n'atteint jamais la mer. Il se perd dans les steppes sibériennes, comme s'il n'avait jamais existé. Dans ce cas, le sort aura refusé au prolétariat allemand le don d'un parti révolutionnaire prolétarien, aussi homogène du point de vue révolutionnaire que la social-démocratie l'est du point de vue réformiste » [16].
Une réconciliation de Levi avec l'Internationale n'était en principe pas exclue et Lénine avait tout fait pour qu'elle demeure possible. C'est pourtant le contraire qui se produit : l'exclusion de Levi, devenue définitive, est suivie d'autres, et le parti, une fois de plus, connaît la scission.
D'abord, Levi reste sourd aux propositions de Lénine transmises par Clara Zetkin. Dès le 27 juillet il écrivait ironiquement à son amie Mathilde Jacob :
« Quelques-uns sont revenus de La Mecque. Clara va venir dans quelques jours. Lénine a ouvert la perspective du pardon. Je dois aller à La Mecque (Canossa). Trotsky a parlé aussi sec que moi... Lénine pas moins ferme. Zinoviev, du coup, s'est retourné, Radek toujours la même crapule... » [17].
Et, après le retour de Clara Zetkin, il lui écrit :
« Clara venait avec trois propositions: 1) beaucoup de compliments (nécessaire, comme disent les vieux juifs, pour faire le sabbat) ; 2) arrêter la revue et toute organisation ; 3) six mois de pénitence et, pour bonne conduite et célébration de l'omniscience bolchevique, la perspective d'une indulgence de Lénine» [18].
Blessure d'amour-propre trop profonde ? « Vanité d'homme de lettres » qui refuse de reconnaître ses torts sur des questions qu'il juge secondaires alors qu'il a la conviction d'avoir eu raison sur l'essentiel, écœurement devant la bassesse de certaines attaques, la haine brutalement démasquée, sentiment d'isolement qui fait de lui en quelques jours l'ennemi de ce parti qui était le sien, lassitude et découragement, fin d'un dialogue intérieur qui lui fait trancher le débat en condamnant une solidarité d'organisation pour laquelle il avait tant plaidé lui-même ? Ce sont là sans doute éléments d'explication de son attitude. En faisant appel à Lénine, le 27 mars, Levi espérait que ce dernier lui donnerait raison, reconnaîtrait la justesse de sa position, le caractère méritoire de son initiative d'avril, et qu'il désavouerait les manœuvres de Zinoviev, les palinodies de Radek, les stupidités de Béla Kun et de Rakosi. A-t-il vraiment pratiqué à l'égard de Lénine la politique du « tout ou rien » ? A-t-il cru possible que Lénine sacrifie à son amour-propre à lui non seulement Zinoviev et Kun, mais les militants allemands qui avaient fait confiance aux représentants de l'exécutif ? Il semble plutôt que l'évolution de Levi se soit faite peu à peu et qu'au moment où lui parvenait le message de main tendue de Lénine il avait de son côté atteint un point de non-retour. Sa déception se traduit néanmoins dans la façon dont il commente le 2° congrès mondial au cours duquel, selon lui, seule l'autorité de Lénine et de Trotsky a empêché — de façon très provisoire — la victoire définitive dans l'Internationale de ce qu'il appelle le courant « semi-anarchiste » :
« L'Internationale ne se compose malheureusement pas de milliers de Lénine et de Trotsky. L'opinion de ces derniers est très importante, mais non décisive. Et les lévites tant décriés ont pour eux la vérité éternelle, plus Lénine et Trotsky, mais contre eux l'appareil du parti, la presse, l'organisation, la direction pratique à l'exécutif. C'est pourquoi, en Allemagne, Lénine est pour ainsi dire la théorie grise et Béla Kun la pratique » [19].
En fait, les résultats du congrès de l'Internationale se traduisent au sein du parti allemand de façon moins simpliste. Ruth Fischer est fermement opposée au compromis de Moscou, dont elle perçoit parfaitement qu'il confirme et accentue la ligne du 2° congrès qu'elle espérait voir définitivement abandonnée. Demeurée en Allemagne pendant les travaux de Moscou, elle se dépense pour organiser, de Berlin, une pression sur les congressistes : c'est ainsi que, le 2 juillet, 2 000 fonctionnaires du district adoptent sur sa proposition le texte d'un télégramme à Moscou dénonçant les activités fractionnelles des lévites et réclamant leur exclusion en bloc [20]. Mais elle ressent sans doute également le besoin de raffermir le moral de ses partisans, dont l'un au moins, Friesland, vient précisément d'être convaincu par Lénine.
Le comité central se réunit les 3 et 4 août à Berlin. Il confirme, par une large majorité - quatre voix hostiles seulement -, l'adhésion donnée aux thèses par ses délégués, et ratifie du coup le « traité de paix ». Mais l'application concrète s'en révèle difficile. La centrale voudrait une déclaration nette de la minorité, spécifique, justifiant son ralliement, ce qui constituerait une coupure nette avec Levi et les exclus : elle propose en échange de coopter Clara Zetkin et Malzahn à la centrale, et trois de leurs camarades au comité central [21] Neumann, au nom de la minorité, a de tout autres exigences : démission et réélection de la centrale, désignation de nouveaux comités de rédaction, retour à la liberté de discussion et de critique, et, surtout, réélection des délégués pour le congrès du parti afin qu'il soit tenu compte des débats et décisions de Moscou : les délégués ont en effet été élus avant le 3° congrès mondial dans une atmosphère de « chasse aux sorcières centristes », alors que prévalait la théorie de l'offensive formellement condamnée depuis [22]. Maslow mène la bataille contre tout compromis, et rallie finalement le comité central : les revendications de l'opposition et même les propositions de cooptation faites par la centrale sont repoussées [23]. Cette querelle tenace a évidemment des partisans à Moscou : Radek lui-même a envoyé à Die Rote Fahne un article [24] où il attaque Clara Zetkin de façon telle que Lénine parlera à son propos d' « ardeur polémique peu opportune » et l'accusera d'aller « jusqu'à énoncer une contre-vérité manifeste » [25]. A Berlin même, le courant est si fort en ce sens que Friesland, qui se bat loyalement pour l'application des accords de Moscou, est mis en minorité dans ce qui avait été son fief, par Maslow et Ruth Fischer : 90 voix contre 33 [26]. Et c'est incontestablement à ces derniers — dirigeants désormais du district de Berlin-Brandebourg — que Radek, pourfendeur des opportunistes, apporte de Moscou une caution de poids [27].
La confusion est telle que le congrès d'Iéna du V.K.P.D. ne reçoit pas moins de trois lettres officielles en provenance de Moscou, une de Radek [28], une de Lénine [29] et une de l'exécutif en tant que tel [30]. Radek le met en garde contre le danger opportuniste, prévient le parti allemand qu'il doit se garder d'oublier, dans sa lutte pour conquérir les masses, que social-démocrates et indépendants sont des traîtres au prolétariat. Lénine explique longuement pourquoi il a défendu Paul Levi au cours du congrès mondial et pourquoi le parti doit défendre à tout prix le « traité de paix » conclu à Moscou. L'exécutif, après avoir rappelé les décisions du congrès mondial, renvoie dos à dos les « mencheviks » de la droite et les « braillards » de la gauche. Le 17 août, l'exécutif a âprement discuté de la situation dans le parti allemand sur la base d'un rapport de Radek qui accuse Neumann de violer les accords de Moscou et souligne le danger de droite. Béla Kun assure que les informations données révèlent une situation nouvelle : pour lui, la lettre de l'exécutif est désormais « dépassée », et il propose une résolution indiquant nettement que la lutte doit être menée « avant tout contre la droite ». Il est finalement décidé l'envoi d'un télégramme en ce sens, qui ne devra être communiqué aux délégués qu'en cas de nécessité absolue [31].
Le bilan du congrès d'Iéna va refléter ces pressions et tendances contradictoires. Non seulement il reprend pour l'essentiel les thèses de Moscou, mais les dépasse sur bien des points, renouant nettement avec sa politique de janvier de lutte pour le front unique ouvrier. Il adopte notamment un manifeste contenant des revendications qui permettent un tel front uni avec les social-démocrates, la confiscation des biens des anciennes dynasties, le contrôle de la production par les comités d'usine, le transfert sur les capitalistes du fardeau des réparations [32]. L'opposition vient de Ruth Fischer, dont l'intervention constitue le premier « manifeste » de la gauche : elle critique, sans mettre ouvertement en cause les décisions du 3° congrès mondial, une ligne qu'elle considère une fois de plus comme opportuniste [33]. En revanche, le congrès montre la volonté de la majorité de continuer à régler ses comptes : il adopte un amendement présenté par Thaelmann se démarquant de la critique faite par Trotsky de l'action de mars [34], exclut Curt et Anna Geyer et précipite ainsi le départ de trois députés jusque-là hésitants, Däumig, Marie Mackwitz et Adolf Hoffmann; ils vont former avec Levi un « collectif communiste de travail» (K.A.G.) au Reichstag, dont le titre même est une amorce de scission [35]. Pourtant la désignation de la nouvelle direction démontre le souci de suivre une ligne proche de celle que conseille Lénine : de Clara Zetkin, qui vient de la « droite », à Friesland, qui vient de la « gauche », tous les membres de la centrale sont des partisans convaincus du compromis de Moscou. Le nouveau président du parti est Ernst Meyer, Friesland occupant le poste de secrétaire général.
Levi ne voit dans le congrès d'Iéna qu'une confirmation de sa thèse selon laquelle l'emporte désormais dans le parti allemand un appareil bureaucratique aux conceptions semi-anarchistes – deux phénomènes qu'il juge, pour sa part, étroitement liés [36].
La politique de la nouvelle centrale va démentir ses pronostics. Après l'assassinat, le 26 août, par des extrémistes de droite, du député catholique Mathias Erzberger, le parti se lance en effet dans une politique unitaire de lutte contre la réaction et participe dans plusieurs villes industrielles à des manifestations organisées par les autres partis ouvriers [37]. En Thuringe, les élections de septembre donnant aux partis ouvriers une majorité au Landtag, le parti communiste accepte de soutenir - sans participer - un gouvernement de coalition ouvrière formé de social-démocrates majoritaires et indépendants [38]. En octobre, il présente un programme en quatre points, proche des revendications de la centrale syndicale, dans lequel il reprend notamment le mot d'ordre de « saisie des valeurs réelles » [39] et, en son nom, Thalheimer déclare qu'il est prêt à soutenir les partis social-démocrates dans toute politique visant à conquérir pour la classe ouvrière des « positions de pouvoir » [40]. Levi, qui ne voit d'abord dans ces contradictions que duplicité, doit bientôt rectifier son jugement.
C'est en effet le nouveau secrétaire général du parti, Friesland, qui est l'homme de pointe de la nouvelle politique, renouant délibérément avec celle de janvier 1921 et pour l'essentiel avec la ligne lévite. Très rapidement, l'ancien farouche pourfendeur de « droitiers » fait à son tour d'édifiantes expériences : en quelques semaines, aux postes de commande du parti, il refait l'itinéraire de Levi, se heurte comme lui à l'exécutif et à ses initiatives, qui lui paraissent des obstacles à la nouvelle politique. Selon ses biographes, c'est lui qui, dès septembre, inspire la démarche de la centrale effectuée par Pieck et Heckert auprès de l'exécutif [41] : les dirigeants allemands demandent qu'on renonce à la pratique des appels publics et des lettres ouvertes, qu'on multiplie les contacts personnels, qu'on les aide à consolider leur autorité dans leur parti. Ils désirent que soit mise dans la presse de l'I.S.R. une sourdine aux attaques contre les syndicats et leurs dirigeants réformistes, qui sont utilisées en Allemagne pour présenter les communistes comme des scissionnistes [42]. Ces thèmes sont l'écho de ceux que Paul Levi développe depuis des mois, Le rapprochement est plus flagrant encore à partir du moment où le conflit éclate entre Friesland et les délégués de l'exécutif à Berlin, Félix Wolf et surtout Héléna Stassova, chargée, depuis le congrès d'Iéna, de reprendre en mains les « questions d'organisation », Une fois de plus se trouve posé le problème des « éminences grises », et Friesland, à leur propos, va jusqu'à parler de l'existence, dans la direction même du parti, d'un « contre-gouvernement » [43]. La question se pose évidemment de savoir dans quelle mesure la nouvelle direction allemande — ou une partie d'entre elle, avec Friesland — ne va pas chercher la réconciliation avec Levi et son K.A,G., et quelles en seraient alors les conséquences,
Les développements au sein du parti allemand continuent à diviser l'exécutif. Le premier rapport sur le congrès d'Iéna est fait au présidium, le 18 septembre, par Heckert et Pieck leur principal souci semble être les progrès de la gauche parmi les ouvriers berlinois, à qui il est décidé d'adresser une lettre ouverte [44], A l'exécutif, le 24 septembre, le rapporteur, Heckert, salue comme une « libération » l'exclusion, par 273 voix sur 278, de Düwell et Geyer, mais signale que la lettre envoyée au congrès par l'exécutif a indisposé l'organisation berlinoise [45]. Le 1° novembre, l'exécutif commence à se préoccuper de la fondation du K.A.G. et désigne pour travailler sur cette question une commission formée de Radek, Heckert et Zinoviev [46], Désormais la question du K.A.G. domine tout : le 3 novembre, l'exécutif apprend, par Heckert la démission de Däumig et d'Adolf Hoffmann ; Radek dit qu'il faut « cogner sur la droite, par tous les moyens » ; Platten propose l'envoi immédiat de Heckert et Pieck auprès de la centrale [47], On s'inquiète à Moscou de l'absence de réaction à Berlin devant l'apparition d'un « nouveau centre de regroupement centriste »; Radek propose d'envoyer une lettre à la centrale, s'étonnant de sa passivité face au K.A.G. :
« Quiconque ne dénonce pas son véritable caractère (...) ne combat pas politiquement ces gens comme des ennemis du communisme, travaille pour eux et leur sert de porte-parole à l'intérieur du parti » [48].
L'ultimatum ainsi adressé à la centrale exige que soient mis au pied du mur des hommes comme Malzahn et Neumann, demeurés à des postes responsables dans le parti et qui soutiennent Friesland, alors qu'on connaît leur accord de principe et qu'on soupçonne leurs liens « fractionnels » avec Levi. A la réunion le la centrale qui se tient quelques jours après, Heckert et Pieck sont présents, avec un message de l'exécutif qui ne dissimule pas sa méfiance à l'égard de Friesland, dont Eberlein propose le remplacement par Pieck au poste de secrétaire général [49]. Les dirigeants allemands sont hésitants : la centrale rejette la proposition d'Eberlein et souhaite voir s'approfondir la discussion politique. Quelques jours plus tard, le comité central avalise la ligne Friesland en votant une résolution qui, tout en condamnant toute tentative scissionniste éventuelle du K.A.G., préconise la poursuite de la discussion politique avec ses membres [50].
Le 20 novembre se tient la première conférence du K.A.G., autour de Levi et Däumig : le député communiste Otto Brass s'y rend et n'hésite pas à y donner des informations sur la dernière session du comité central [51]. Le manifeste adopté par la conférence précise les conditions auxquelles il serait possible, pour le K.P.D., de « regagner la confiance des masses » : indépendance matérielle du parti à l'égard de l'Internationale, refus ultérieur de tout subside, contrôle paritaire de l'exécutif et de la centrale sur toutes les publications de l'Internationale avant leur diffusion en Allemagne, garanties contre toute ingérence de l'exécutif, ouverte ou non, en matière d'organisation, dans les affaires du parti allemand, choix d'une politique communiste « nette, acceptable pour les ouvriers révolutionnaires », unitaire, excluant toute aventure du type de l'action de mars, et enfin d'une politique syndicale également unitaire [52]. Friesland, de son côté, rédige pour Die Internationale — dont la rédaction va prendre ses distances, dans une note de présentation — un article qui constitue une ouverture en direction du K. A. G., en même temps qu'un avertissement à ses adversaires dans le parti : la politique de front unique implique l'abandon de la méthode des invectives et des excommunications [53]. De discrètes allusions au problème des rapports entre l'Internationale et la direction des partis communistes montrent qu'en réalité l'alliance est conclue de fait entre Levi et l'homme qui lui a succédé à la tête du parti allemand.
C'est au cours de ce réalignement des forces à l'intérieur du parti et de sa direction qu'éclate la bombe des « documents de mars ». A partir du 25 novembre 1921, le Vorwärts commence en effet la publication d'extraits des documents saisis le 5 juin précédent par la police prussienne dans les bagages de Clara Zetkin [54] : pour l'essentiel, des témoignages de militants et responsables communistes, des procès-verbaux de réunions, primitivement destinés au dossier de l'enquête ouverte par l'exécutif sur l'action de mars, ils attestent, avec un accent de vérité incontestable, les initiatives provocatrices prises par certains en mars, projets d'enlèvements ou attentats simulés, et mettent notamment en relief les tentatives d'Eberlein pour « soulever » les ouvriers d'Allemagne centrale [55].
Quoiqu'ils soient publiés par la presse social-démocrate, qui les tient elle-même de la police du ministre prussien de l'intérieur, Severing, ces documents — facilement authentifiables pour un communiste — sont accablants pour les responsables de l'action de mars et confirment les plus graves des accusations lancées par Levi au cours des mois précédents. Friesland croit trouver dans leur publication et le choc qu'elles constituent pour bien des militants, qui tenaient de bonne foi Levi pour un calomniateur, l'occasion d'une clarification politique décisive. L'affaire Eberlein lui permet de soulever toutes les questions politiques qui se trouvent en jeu : ingérence de l'exécutif dans la direction [56], conception gauchiste de la lutte, indépendance du parti, reconnaissance loyale des erreurs commises. Son premier réquisitoire met en cause directement et Félix Wolf, dont les rapports à l'exécutif sont faits par-dessus la tête de la centrale allemande, et Radek lui-même, dont les articles officieux adressés à Die Rote Fahne à la veille et au lendemain des sessions du comité central dépossèdent en fait ce dernier de ses pouvoirs de décision [57]. Le problème des liens avec l'exécutif est reposé et Friesland affirme :
« A travers les pressions sur quelques membres de la centrale dans des questions personnelles) à travers une correspondance incontrôlée, etc., il est impossible de construire des directions responsables de partis qui puissent jouir d'une solide confiance auprès des masses ouvrières de leurs pays » [58].
Le terrain semble solide. Dès le 28 novembre, Friesland rencontre Malzahn et Neumann et ils se mettent d'accord pour se battre ensemble pour réclamer l'exclusion d'Eberlein [59]. Le 30, Malzahn, Neumann et Hauth, du département syndical, adressent à la centrale un texte réclamant de façon impérative l'exclusion d'Eberlein, en qui, comme Friesland, ils voient un simple instrument d'une fraction de l'exécutif dans le parti allemand. Le district de Hanau prend une position analogue [60]. Les contradictions se tendent à l'extrême : on peut penser qu'une véritable tempête va secouer le parti.
Un réflexe de solidarité va jouer dans l'autre sens. Le parti peut-il accuser l'un des siens à la suite de la publication de documents dans la presse social-démocrate ? C'est finalement à cette question que se réduit le différend qui, du haut en bas, divise les membres du parti, et c'est en fonction de la réponse donnée que les uns et les autres se déterminent.
Le débat s'ouvre lors de la réunion du Polburo du 12 décembre [61]. Friesland — soutenu sur ce point par Ernst Meyer — y défend la thèse chère aux partisans de Levi d'un contrôle de la centrale allemande sur les publications de l'Internationale en langue allemande. La résolution qu'il soumet est repoussée par six voix contre deux, mais cinq de ses adversaires — Clara Zetkin, Thalheimer, Heckert, Pieck et Walcher — déclarent que, d'accord avec elle sur le fond, ils se refusent seulement à la voter pour ne pas prendre une position qui serait un acte d'hostilité à l'égard de l'exécutif [62]. Friesland entreprend alors de démontrer que le principal danger pour le parti réside dans les progrès des gauchistes de Berlin qui ont à son avis près de la moitié des militants du parti derrière eux, et qu'en conséquence la centrale doit éviter une attitude dure à l'égard du K.A.G. : la politique du pire le repousserait en effet vers la droite et ouvrirait la perspective d'un éclatement du parti [63]. Il n'est pas suivi sur cette voie. Félix Schmidt se fait le champion de la lutte sur deux fronts, « Friesland avec le K.A.G. et Fritzi avec son K.A.P. » [64]. Wilhelm Pieck réclame la destitution de Friesland et son remplacement par une direction collective. Walcher surenchérit et demande l'envoi de Friesland à Moscou [65]. Comme Friesland demande pourquoi on ne l'exclut pas tout simplement du parti, Pieck rétorque :
« Une centrale forte pourrait et devrait exclure Friesland. Nous ne sommes pas une centrale forte et nous ne pouvons pas le faire de but en blanc » [66].
Il reprend à son compte la proposition de Walcher. Finalement, c'est de justesse que sont prises les décisions capitales : cinq voix contre trois pour la révocation de Friesland du poste de secrétaire général, six voix contre deux pour son envoi à Moscou ; Ernst Meyer a voté contre une résolution qui impliquait à son sens l'exclusion de Friesland de la centrale, mais approuve la résolution le déléguant à Moscou [67].
Ainsi qu'il l'avait annoncé à la centrale avant le vote, Friesland refuse l'exil. Le 20 décembre, avec Brass et Malzahn, il rédige un « appel aux membres du parti », dans lequel ils condamnent « l'influence pernicieuse exercée par certains membres de l'exécutif » et le danger qui existe « de compromettre définitivement l'Internationale communiste et l'idée même d'une direction centralisée internationale du prolétariat révolutionnaire » [68]. De leur côté, soixante-quatorze militants, dont de nombreux responsables syndicaux — parmi lesquels Niederkirchner, Franken, Fritz Winguth — réclament le retrait des responsables des provocations de mars et la publication de tous les documents sur l'affaire [69]. Signé de cent vingt-huit responsables, l'appel de Brass, Friesland et Malzahn est remis à la centrale le 22 décembre [70]. Friesland, avec l'aide du syndicat des métaux de Berlin, fait imprimer une brochure, Sur la crise de notre parti, à cinq cents exemplaires diffusés parmi les cadres : elle reproduit les principaux documents de la discussion en cours, présentés par Friesland, qui, pour la première fois par écrit, dans un texte destiné inévitablement à être divulgué, met en cause nommément, en tant que représentants de l'exécutif, Félix Wolf et Radek lui-même [71]. La centrale rejette le 22 l'appel des trois et rédige une réponse, qu'elle publie [72]. Elle va, de même, faire publier les textes de ces opposants, qu'elle qualifie de « saboteurs » et de « scissionnistes » [73]. Le 27, enfin, elle exclut Friesland de son sein et suspend de leurs responsabilités les signataires des différents appels [74].
Certes, de nombreux militants et cadres partagent les opinions de Levi ou Friesland, ou sont sensibles à leurs arguments : depuis le mois d'avril, les protestations n'ont pas manqué contre la politique d'exclusions autant que contre l'action de mars et son déroulement, et elles ont émané tant de la vieille garde spartakiste et indépendante que des jeunes, puisque la centrale de la jeunesse communiste elle-même a protesté [75]. Mais il ne s'agit pas d'une affaire d'opinion : la majorité de ces hommes refusent de suivre Friesland, après Levi, parce qu'ils ne sauraient envisager de se désolidariser de l'exécutif dans ces circonstances. Pour les militants qui ont partagé le point de vue de Levi mais n'ont pas emboîté le pas au K.A.G. ni à Friesland, ce sont Levi et Friesland qui partent : ainsi réagissent le vieil Emil Eichhorn [76] et le vétéran indépendant de Halle, Kilian [77], le militant syndical Niederkirchner [78], les militants de Hanau, comme le métallo Rehbein [79], et de Francfort, comme Jakob Schloer, personnellement lié à Levi [80], l'ancien disciple de Jogiches, Werner Hirsch [81], le jeune communiste Walter Gollmick [82] et les responsables du parti de Rhénanie : Franz Charpentier comme Franz Dahlem [83].
L'exécutif consacre la plus grande partie de sa réunion du 18 décembre à la situation à l'intérieur du parti allemand. Remmele, qui rapporte, dit que Friesland a maintenant jeté le masque. Le K.A.G. n'a rencontré dans le parti aucun écho sauf à sa direction : centrale et département syndical. Mais il n'y a, à ce sujet, « aucune clarté » dans la centrale, puisque Friesland n'en a pas été exclu [84]. Les représentants russes se déchaînent. Pour Zinoviev, le K.A.G. constitue « l'ennemi le plus dangereux » parce qu'il mine le parti « de l'intérieur » : il faut exclure sans hésiter quiconque accepte la discussion avec Levi [85]. Boukharine est plus violent encore : c'est au nom de la clarté politique qu'il faut chasser du parti les lévites, car leur présence dans ses rangs rendrait extrêmement périlleuse l'application de la nouvelle tactique de front unique [86]. Zinoviev s'inquiète des risques de scission à gauche :
« Si la centrale ne prend pas une position claire à l'égard des charlatans comme Levi et des bandes contre-révolutionnaires comme le K.A.G., nous allons avoir de l'autre côté les bêtises gauchistes ! » [87].
Il rappelle à l'exécutif que la centrale a été élue par un congrès « de gauche » et qu'elle tergiverse face à la droite ; puisque Friesland et ses partisans se servent de l'attitude de Lénine au 3° congrès, il est indispensable que Moscou prenne position et dénonce le K.A.G. comme une agence de la bourgeoisie. Radek entreprend de démontrer que les désaccords sont plus larges, qu'il a notamment au sein de la centrale allemande des hésitations sur la question syndicale, des réticences plus ou moins exprimées contre l'I.S.R. [88]. La direction allemande ainsi mise en accusation ne trouve pas d'avocat. Seul Brandler — arrivé depuis peu à Moscou — s'élève contre une condamnation publique du K.A.G. qu'il juge « dangereuse », car, dit-il, le seul problème est « que la centrale n'a pas encore saisi la situation politique dans toute sa dimension » [89]. En fait, les jeux sont faits, et l'exécutif décide de mettre tout son poids dans la balance en confiant à Radek. Boukharine et Remmele la rédaction d'une lettre à la centrale [90], qu'il approuvera le 10 janvier.
La discussion dans le parti est rudement menée, mais les formes respectées. Friesland a toute latitude pour s'exprimer dans les assemblées de militants qui, l'une après l'autre, le condamnent [91]. Le jour de l'ouverture de la session du comité central qui doit trancher de façon définitive, Die Rote Fahne lui porte le coup de grâce en publiant la lettre de l'exécutif signée, entre autres, de Lénine, Trotsky, Zinoviev, Boukharine, Radek, condamnant comme « ennemi du prolétariat » quiconque, dans l'Internationale, se déclare solidaire de Levi [92]. Le comité central, par quarante voix contre quatre, exclut du parti Friesland et ses partisans [93]. Thalheimer, devant l'exécutif de l'Internationale, traitera l'affaire par le mépris, parlant du départ de « chefs sans troupes » [94]. Il est vrai que nombre de militants qui auraient pu constituer la base de l'opposition conduite par Friesland avaient quitté le parti au lendemain de mars. Il est non moins vrai que d'autres, qui lui donnent raison sur bien des points, le condamnent et même l'excluent. Pourtant Thalheimer parle là avec une légèreté surprenante. Les hommes qui sont définitivement exclus en janvier 1922, comme ceux qui l'ont été en avril et mai ou qui sont partis d'eux-mêmes depuis l'action de mars — dont une fraction importante reviendra à la social-démocratie en passant par le parti indépendant — sont précisément de ces cadres sans lesquels Lénine pensait que la construction d'un parti révolutionnaire était impossible en Allemagne. Ceux qui pourraient à la rigueur contester cette appréciation à propos des cadres d'origine intellectuelle comme Levi, Däumig, Adolf Hoffmann, Bernhard Düwell, Friesland ou Curt Geyer, ne peuvent nier la perte que constitue pour le mouvement communiste allemand le départ ou l'exclusion des Otto Brass, Richard Müller, Wegmann, Paul Neumann, Winguth, Malzahn, Paul Eckert, officiers de cette armée prolétarienne dont la conquête, lors du congrès de Halle, avait été considérée comme une étape décisive dans la bataille pour la construction d'un parti communiste de masse, et, pour cette raison, célébrée à l'époque comme un triomphe.
Le débat sur la question de Paul Levi, du K.A.G. et enfin de Friesland, avait été dominé par la crainte d'une double scission. L'expulsion de la « droite » était une des revendications de la « gauche », mais les progrès de cette dernière renforçaient dans le parti les résistances « droitières », et le parti tout entier était finalement constamment menacé d'éclatement [95]. De ce point de vue, l'élimination ou le départ des chefs de file de la « droite » ne règle aucun des problèmes posés.
Il subsiste en effet dans les cadres du parti allemand une tendance « droitière » aux racines profondes dont aucune exclusion ne peut venir à bout et que les événements de 1921 ont incontestablement renforcée. Nombreux sont les militants qui n'ont pas voulu condamner en Levi puis en Friesland des idées qui sont les leurs, mais seulement des actes d'indiscipline, des initiatives qui divisent le mouvement communiste, portent atteinte à la solidarité avec le parti russe. La pression de l'exécutif avait été capable de les entraîner à gauche, en mars. Pour beaucoup, qu'ils aient plus ou moins résisté, comme Brandler, à cet entraînement, ou que, comme Frölich, ils aient foncé tête baissée dans l'offensive, la défaite, puis les réprimandes subies à Moscou ont représenté de véritables chocs. Des militants comme Brandler, Thaiheimer, Walcher, Ernst Meyer, qui avaient pendant les années du K.P.D. (S) combattu de toutes leurs forces le « gauchisme », peuvent à présent mesurer la gravité de leur rechute dans cette « maladie infantile » et en évaluer le coût. Ils seront désormais résolument « droitiers », systématiquement obstinés dans une attitude de prudence, bardés de précautions contre la tentation putschiste et même le simple réflexe gauchiste. Convaincus par les dirigeants de l'Internationale de l'ampleur de la bévue qu'ils ont commise, ils en perdent confiance dans leur capacité de raisonner et renoncent souvent à défendre leur point de vue pour se rallier de façon systématique à celui des bolcheviks, qui, eux, du moins, ont su vaincre.
Les nouveaux dirigeants allemands, en particulier Ernst Meyer, qui va présider la centrale pendant une année et qui subit fortement l'influence de Radek, cherchent à s'orienter dans la situation allemande en fonction de l'analyse faite au 3° congrès mondial de la situation internationale. Puisque la vague révolutionnaire a reflué, puisque la prise du pouvoir par le prolétariat n'est plus à l'ordre du jour immédiat, puisque l'offensive de la bourgeoisie contraint la classe ouvrière à la défensive, à un combat acharné pour défendre son existence même, il faut que les mots d'ordre du front unique correspondent aux revendications concrètes des ouvriers et constituent en même temps des éléments pour les aider à prendre conscience de la nécessité de la révolution prolétarienne. Dans l'Allemagne de 1921-1922, l'un des éléments de prise de conscience doit être la lutte pour rejeter la charge des réparations, qui pèse sur les seules épaules de la classe ouvrière à travers les impôts retenus sur les salaires, cependant qu'industriels et hommes d'affaires ne paient les leurs qu'avec des mois et même des années de retard, en marks dévalués. L'idée que « les capitalistes doivent payer leur part » n'est pas une idée proprement communiste mais, précisément, elle peut unifier les rangs du prolétariat dans sa lutte. La centrale met donc en avant la revendication de la « saisie des valeurs réelles » par l'Etat [96], celles-ci comprenant aussi bien les comptes bancaires que les actions, bons, propriétés commerciales et industrielles. Elle fait valoir que la saisie par l'Etat de 51 % des « valeurs réelles » permettrait la réalisation d'un contrôle effectif de la production, tout en assurant le paiement des réparations sans en faire peser l'essentiel sur les salariés. A travers la lutte pour la saisie des valeurs réelles, l'objectif du K.P.D. est de faire apparaître clairement à tous les ouvriers la nature de l'Etat et du gouvernement capitalistes et la nécessité d'un gouvernement ouvrier. En même temps, la centrale estime que ce mot d'ordre, acceptable et compréhensible pour tous les travailleurs, est susceptible de permettre le rassemblement et la « lutte de masses » de larges couches décidées à lutter contre la mainmise de la grosse industrie sur l'économie et la vie politique.
En présentant cette politique comme la « Nep allemande » et en arguant que le développement d'un « capitalisme d'Etat » peut constituer en lui-même une phase de préparation à la prise du pouvoir et à la dictature du prolétariat, Ernst Meyer et la centrale projettent ainsi en Allemagne la politique de concessions aux tendances capitalistes menée en Russie à travers la Nep — au moment même où l'Etat allemand démontre son impuissance face aux féodalités économiques.
Cette politique est loin de rencontrer un consentement enthousiaste dans les rangs du parti. Elle n'est en fait directement accessible qu'aux anciens spartakistes qui ont, dans les années 1919-1920, réfléchi aux moyens de marcher au pouvoir sans commencer par prendre le fusil. Des anciens indépendants de gauche — dont une bonne partie a déserté le parti, avec Levi ou individuellement, au lendemain de l'action de mars — ne sont restés que les éléments les plus combatifs, parfois les plus frustes, ceux qui se sont battus en mars, ceux qui ont voulu l'adhésion à l'Internationale communiste parce qu'ils voulaient faire la révolution tout de suite. La nouvelle politique ne leur convient guère : elle ressemble trop à la politique graduelle qu'ils ont rejetée dans la social-démocratie et le parti indépendant. C'est chez eux que le prestige de ces dirigeants incertains, hésitants, passant de la « passivité » à l' « activité inopportune », est le plus faible.
La nouvelle gauche berlinoise va capitaliser à son profit ce nouveau courant gauchiste. Ruth Fischer, contrairement à Friesland, n'a pas approuvé le tournant de l'été 1921. Elle pense que « le 3° congrès n'a pris aucune position claire sur les vues de Paul Levi et a été incapable d'entreprendre la critique de l'action de mars sans donner l'impression que Levi n'avait pas été exclu que pour des raisons de discipline » [97]. L'hostilité à la politique définie au 3° congrès, considérée comme un recul, une retraite injustifiée, englobe également une sévère critique de la Nep telle qu'elle est justifiée et appliquée en Russie. Aux yeux des théoriciens de la nouvelle « gauche », Lénine et ses camarades sont, eux aussi, retombés dans l'erreur opportuniste et la voie des concessions au capitalisme, et c'est l'ensemble de leur politique de 1921 qui constitue une rupture avec l'esprit révolutionnaire de 1917, dans la mesure où elle implique l'extension de la Nep au reste du monde, c'est-à-dire l'abandon de la perspective de révolution mondiale à court terme [98]. Pensant, elle aussi, la politique mondiale en termes russes, cette nouvelle gauche noue des contacts avec l'opposition ouvrière condamnée par Lénine et le 10° congrès du parti bolchevique en mars: au cours de l'été 1921, Maslow rencontre à plusieurs reprises à Berlin, dans l'appartement d'Arthur Rosenberg, les anciens animateurs de cette opposition. Chliapnikov et Lutovinov, qui sont employés dans les services extérieurs et ont également des relations avec le K.A.P.D. [99] Ruth Fischer et lui pensent que les dirigeants russes, pour sortir de difficultés gigantesques, ne se sont pas contentés de concessions internes aux éléments capitalistes sur le terrain économique, mais cherchent à l'extérieur des points d'appui qui leur permettent de trouver avec l'impérialisme un modus vivendi. Dans une telle perspective, la politique dite de « conquête des masses », la tactique du front unique ouvrier ont la même signification dans la bouche d'Ernst Meyer qu'elles l'avaient dans celle de Paul Levi : il s'agit de rechercher un rapprochement avec la social-démocratie, que la condamnation des vrais révolutionnaires sous l'étiquette de « gauchistes » facilite considérablement.
La « gauche » du K.P.D. naît donc au confluent de deux courants : intellectuels de la génération d'après guerre, et ouvriers, souvent incultes politiquement, venus des rangs des indépendants de gauche. Elle échappe tout à fait à ceux des hommes de l'exécutif qui avaient été ses parrains ou ses protecteurs dans la préparation du combat contre Levi, et se dresse contre l'exécutif et les dirigeants bolcheviques eux-mêmes, au nom de la défense de la révolution russe : tous ses partisans pensent en effet que l'existence en Allemagne d'un « parti de combat » — ou, à la rigueur, d'une gauche démarquée de la centrale « opportuniste » — pourrait apporter une aide précieuse à ceux qui, en Russie, luttent contre l'opportunisme et la tendance à la capitulation [100]. En fait, la gauche berlinoise constitue un véritable parti dans le parti, avec sa physionomie propre et ses caractéristiques [101].
Il semble que Lénine ait parfaitement saisi les causes « objectives » du développement de la gauche. Il confie à Clara Zetkin :
« Je comprends que, dans la situation actuelle, il puisse y avoir chez vous quelque chose comme une opposition de gauche. ( ... ) Il y a des ouvriers mécontents, et qui souffrent, mais qui manquent d'éducation politique et n'y voient pas suffisamment clair dans la situation. Pour eux, on n'avance pas assez vite. L'Histoire ne semble pas pressée, mais eux, les ouvriers mécontents, trouvent que c'est la direction de votre parti qui ne veut pas se presser. C'est elle qu'ils rendent responsable de l'allure de la révolution mondiale. Ils sont toujours à critiquer et à crier. Je comprends tout cela » [102].
Pourtant, après une intervention de Ruth Fischer à une réunion entre délégués allemands au 4° congrès, il ajoute :
« Mais, ce que je ne comprends pas, c'est que cette opposition de gauche ait les chefs que j'ai entendus. (…) Une pareille opposition, des chefs pareils, ne m'en imposent pas du tout ! Cependant, je le dis sans détours, votre centrale ne m'en impose pas davantage, elle qui ne trouve pas le moyen (...) d'en finir avec des démagogues de faible envergure. Il devrait pourtant être facile de régler leur compte à des gens comme ceux-là, de détacher d'eux et d'éduquer politiquement les ouvriers qui ont des sentiments révolutionnaires. Précisément parce que leurs sentiments sont révolutionnaires, tandis que les « radicaux » de l'espèce ceux-là sont au fond les pires opportunistes » [103].
En attendant pourtant que la centrale soit capable de mener une telle politique, il est nécessaire d'éviter une scission qui, après des cadres précieux, ferait perdre au parti allemand une partie de ses troupes de choc et de sa jeunesse. C'est pourquoi Lénine s'emploie à combattre le danger d'éclatement. Dans sa lettre au congrès d'Iéna, rédigée le 14 août 1921 [104], il donne aux communistes allemands de franches explications sur sa propre attitude pendant le 3° congrès mondial, notamment en ce qui concerne l'affaire Levi, définitivement réglée depuis par Levi lui-même. Il insiste également sur le fait que la nouvelle tactique ne signifie pas l'abandon, mais une préparation meilleure de la lutte révolutionnaire pour le pouvoir :
« La conquête de la majorité du prolétariat, voilà la tâche principale. (...) Elle est possible, même quand la majorité du prolétariat suit officiellement les chefs de la bourgeoisie, ou même quand le prolétariat hésite. (...) Préparons-la avec plus d'ardeur et de soin ne laissons passer aucune des occasions où la bourgeoisie oblige le prolétariat à se lever pour la lutte, apprenons à déterminer avec justesse les moments où les masses du prolétariat ne peuvent pas ne pas se lever avec nous » [105].
Il insiste cependant sur le fait que, pour être capable de s'atteler à cette tâche, le K.P.D. devra d'abord mettre un terme à ses conflits internes, « écarter les brouillons de droite aussi bien que de gauche », « s'occuper du travail véritable ». Et, à ce propos, il suggère aux Allemands d'envoyer en Russie pour une année ou deux ce Maslow qui « veut jouer au gauchiste et s'entraîner au sport de la chasse aux centristes », à qui il se propose de trouver un travail utile, afin de le « transformer » [106].
L'unique effet de cette proposition sera de provoquer l'indignation de la gauche, qui y voit une ingérence et même une menace d'autant moins supportable que Maslow est d'origine russe, et le congrès ne retiendra pas la suggestion de Lénine [107]. Pendant toute l'année qui suit, pourtant, la gauche va maintenir dans ses bastions de Berlin-Brandebourg — où Ruth Fischer a pris la place de Friesland — et du Wasserkante — où son chef de file est Hugo Urbahns, à côté de qui le docker Thaelmann prend de plus en plus d'importance — une fraction ayant sa propre politique et ne respectant la discipline que de façon parfois très formelle [108]. Quand, à l'automne 1922, à la veille du 4° congrès de l'Internationale, le district de Berlin-Brandebourg organise à la Kliems-Festsäle, dans la capitale, une conférence qui formule son propre programme, et désigne Ruth Fischer pour aller le défendre au congrès de Moscou [109] dans la perspective d'un « retour au 2° congrès » qui passerait par l'annulation des décisions du 3° [110], la centrale a beau jeu d'y dénoncer une activité fractionnelle et de réclamer des sanctions, que justifient en outre à ses yeux les activités de la gauche comme ses contacts avec l'opposition ouvrière russe et le K.A.P.D. [111]. Malgré le peu de sympathie qu'il éprouve pour les dirigeants de la gauche, Lénine s'oppose fermement à toute sanction au cours des réunions préparatoires : pour lui, le parti allemand ne peut se permettre une scission de plus [112]. Dans le contexte du moment, son autorité est suffisante pour l'empêcher et pour contraindre la centrale de « droite » à s'accommoder de l'existence de son opposition de « gauche» [113].
Notes
[1] Voir chap. XXVII.
[2] Protokoll des III... , p. 190.
[3] Ibidem.
[4] Bock, op. cit., p. 262.
[5] Bock, op. cit., p. 262.
[6] Ibidem, p. 341.
[7] Ibidem, p. 444.
[8] Ibidem, p. 281.
[9] Ibidem, p. 286.
[10] Elle aura lieu en mars 1922, date àpartir de laquelle deux groupes rivaux, celui de Berlin et celui d'Essen, se réclament tous deux du K.A.P.D. (Ibidem, p. 244).
[11] « Die Aufgaben der Kommunisten », Sowjet, n° 5, 1° juillet 1921, pp. 138-144.
[12] « Der Parteitag der V.K.P.D. », Unser Weg (Sowjet). n° 819, août 1921, pp. 236-237.
[13] Ibidem, p. 237.
[14] Ibidem, pp. 237-38.
[15] Ibidem, p. 238.
[16] Ibidem, p. 239.
[17] Archives Levi, P 113/15, cité par Beradt, op. cit., p. 57.
[18] Archives Levi, P 113/20, cité par Beradt, ibidem.
[19] Ibidem, p. 240.
[20] Die Rote Fahne, 3 juillet 1920.
[21] BerichtII (7) ... , p. 64 ; P. Levi, « Nach dem III. Weltkongress », Sowjet, n° 7, p. 215 ; Die Tätigkeit ... (13. Juli 1921 - 1. Februar 1922), compte rendu de la séance de l'exécutif du 17 août 1921, au cours de laquelle Karl Radek affirme que l'accord de Moscou ne prévoyait que l'entrée de Zetkin à la centrale et celle de Malzahn au C.C.
[22] Levi, op. cit., Sowjet, n° 7, p. 215.
[23] Brandt et Lowenthal, op. cit., p. 175. A propos du comportement de Maslow dans cette session du comité central, Lénine va écrire qu'il « joue au gauchiste et désire s'exercer dans le sport de la chasse aux centristes », parle de son « manque d'intelligence » en précisant qu'il n'emploie cette dernière formule que pour « s'exprimer poliment » (Œuvres XXXII, p. 552).
[24] Radek, « Der 3. Weltkongress über die Märzaktion und die weitere Taktik », Die Rote Fahne, 14 et 15 iuillet 1921.
[25] Lénine, op. cit., pp. 548-549.
[26] Brandt et Lawenthal, op. cit., p. 176.
[27] Lénine, ibidem, précise que l'article de Radek lui a été adressé par un militant polonais, ce qui jette une lueur sur les alignements au sein de l'Internationale.
[28] Bericht II (7)..., pp. 174·181. Publiée à part sous le titre Die innere Lage Deutschlands und die nächsten Aufgaben der V.K.P.D. Offener Brief an den 2. Parteitag der V.K.P.D. (Hamburg, 1921). Il s'agit d'une initiative personnelle, que Radek se contente de mentionner dans son rapport au présidium le 17 août (Die Tätigkeit ... , p. 102).
[29] Bericht II (7)... , en français, Œuvres, t. XXXII, pp. 546-556.
[30] Bericht II (7)... , pp. 155-174. Le texte rédigé par Zinoviev avait été soumis au petit bureau et approuvé au cours de la réunion du 13 août (Die Tätigkeit ... , p. 86)
[31] Compte rendu détaillé de cette réunion de l'exécutif dans Die Tätigkeit ... , pp. 100-104.
[32] Ibidem, pp. 409-415.
[33] Ibidem, pp. 262-265.
[34] Ibidem, p. 408.
[35] Angress, Stillborn Revolution, p. 209.
[36] « Nach dem Parteitage. Das Ergebnis des Parteitages der V.K.P.D.», Sowjet, n° 10, septembre 1921, pp. 265-268.
[37] Die Rote Fahne, 25, 27 août, 1° septembre 1921. Le texte « Arbeiter Deutschlands! Werktatiges Volk », Die Rote Fahne, 29 août 1921, appelle à la lutte pour un « front unique prolétarien ».
[38] Ibidem, 6 octobre 1921.
[39] Ibidem, 23, 25 octobre 1921. Voir également I.M.L.-Z.P.A., 3/1/25, « An unsere Organisationen », 28 octobre 1921, pp. 51,54, cité par Mujbegović, op. cit., p. 309, n. 18.
[40] Inprekorr, n° 112, 29 novembre 1921, pp. 98-99.
[41] Brandt et Lowenthal, op. cit., p. 185.
[42] Ibidem, p. 186, et Friesland, Zur Krise unserer Partei, p. 3.
[43] Brandt et Lowenthal, op. cit., p. 187.
[44] Die Tätigkeit..., p. 202.
[45] Ibidem, pp, 208·209.
[46] Ibidem, p. 243.
[47] Ibidem, pp. 249-250,
[48] Die Rote Fahne, 16 novembre 1921.
[49] Brandt et Lowenthal, op. cit., p. 187 ; Friesland, Zur Krise unserer Partei, pp. 5-6.
[50] Die Rote Fahne, 22 novembre 1921 ; Friesland, « Das Ergebnis des Zentralausschusses », Die Internationale, n° 17, 1° décembre 1921, pp. 592-593.
[51] Brandt et Lowenthal, op. cit., p. 189.
[52] « Resolution der I. Reichskonferenz der K.A.G. », Unser Weg (Sowjet), n° 15, 15 décembre 1921, p. 415.
[53] « Parteitaktische Bemerkungen», Die Internationale, n° 18/19, 15 décembre 1921, pp. 642-647.
[54] Voir chap. XXVII, note 44.
[55] Le parti communiste publiera l'année suivante les documents complets sous le titre Die Enthüllugen zu den Marzkampfen. Enthülltes und Verschwiegenes.
[56] Cette question était en effet au centre du conflit dans la centrale. Citant les archives du K.P.D. et notamment les procès-verbaux des organismes dirigeants, Véra Mujbegović le montre clairement. Dès le 31 mai, la centrale avait exprimé le désir d'ouvrir des discussions, àMoscou, au sujet du choix des représentants de l'I.C. Le procès-verbal précise sur ce point : « Il est nécessaire de souligner qu'il faut, si c'est possible, déléguer des camarades qui connaissent exactement la situation dans les pays en question » (I.M.L.-Z.P.A., 3/1, pp. 7-9). Le procès-verbal de la réunion de la centrale du 26 novembre suivant s'exprime en ces termes : « Les camarades sont d'avis qu'il est aisé de comprendre la nécessitéd'une critique nouvelle de l'exécutif : jusqu'àmaintenant, et dans de nombreux domaines, le travail n'a pas été fait comme il aurait dû l'être. » Il poursuit cependant en se désolidarisant des critiques de Levi contre l'exécutif, car il estime qu'elles « constituent des attaques contre le travail de l'Internationale tout entière, que le parti allemand — membre de l'Internationale — ne peut soutenir» (I.M.L.-Z.P.A., 3/1, p. 167).
[57] Friesland, op. cit., p. 10.
[58] Ibidem.
[59] Ibidem, pp. 7-9.
[60] Friesland, op. cit., p. 16. Les responsables de Hanau avaient déjà soutenu Levi lors de son exclusion et s'étaient prononcés pour sa réintégration (Die Rote Fahne, 24 juillet 1921).
[61] Protocole de la séance du Polburo du 12 décembre reproduit dans Friesland, op. cit., pp. 16-23. Les présents étaient Clara Zetkin, Thalheimer, Pieck, Walcher, Remmele, Ernst Meyer, Friesland et Schmidt, plus « Heinrich » (Süsskind), rédacteur en chef de Die Rote Fahne, et « Käte »(Katarina Rabinovitch. alias Käte Pohl), secrétaire permanente du Polburo (ibidem, p. 16).
[62] Ibidem, p. 20.
[63] Ibidem, pp. 17-19.
[64] Ibidem, p. 21. « Fritzi » désigne Ruth Fischer.
[65] Ibidem, p. 23.
[66] Ibidem. La suggestion venait d'Heinrich Süsskind.
[67] Ibidem, p. 23.
[68] Friesland. op. cit., pp. 28-32.
[69] Ibidem, pp. 23-27.
[70] Brandt et Lowenthal, op. cit, p. 198.
[71] Friesland, op. cit., p. 10.
[72] Die Rote Fahne, 24 décembre 1921.
[73] Ibidem, 25 décembre 1921.
[74] Ibidem, 28 décembre 1921.
[75] Weber, Die Wandlung, II, p. 140.
[76] Ibidem, p. 104.
[77] Ibidem, p. 181.
[78] Ibidem, p. 135.
[79] Ibidem, p. 254.
[80] Ibidem, p. 277.
[81] Ibidem, p. 164.
[82] Ibidem, p. 140.
[83] Ibidem, pp. 90-91.
[84] Ibidem, pp. 329-330.
[85] Ibidem, p. 332.
[86] Ibidem, p. 334.
[87] Ibidem, p. 331.
[88] Ibidem, p. 335.
[89] Ibidem, p. 333.
[90] Ibidem, pp. 375-386.
[91] Brandt et Lowenthal. op. cit., p. 201.
[92] Die Rote Fahne, 22 janvier 1922. Ce genre de pratique, article de Radek ou lettre ouverte de l'exécutif mettant le C.C. au pied du mur au début de ses travaux, faisait précisément partie des « moyens de pression » expressément condamnés par Friesland et les siens.
[93] Bericht III (8) ..., p. 126.
[94] Exécutif élargi de l'I.C. (21 février-4 mars 1922), p. 19.
[95] Véra Mujbegović (op. cit., p. 314) cite un rapport qui résume le problème posé aux dirigeants allemands avec l'apparition du K.A.G. et les progrès de la gauche : « Il n'est pas impossible que l'opposition organise un nouveau parti social-révolutionnaire avec le K.A.G. et l'aile gauche de l'U.S.P.D. Bien entendu, ses dirigeants nient aujourd'hui avoir de semblables intentions, mais, si cela devait malgré tout se produire, les résidus du K.P.D. seraient rejetés dans les eaux ultra-gauchistes autour de Ruth Fischer-Maslow, et, en fin de compte, vers l'unification avec le K.A.P.D. » (I.M.L-Z.P.A., St. 12/179, p. 6).
[96] La décision formelle en est prise par le comitécentral des 16 et 17 novembre 1921 (Die Rote Fahne, 22 novembre 1921), après, que l'A.D.G.B. et l'A.f.A. ont décidé, le 15 novembre, de leurs « dix revendications », comprenant notamment la saisie de 25 % des « valeurs réelles » (Korrespondenzblatt des A.D.C.B., 26 novembre1921. p. 679).
[97] Protokoll des IV ... , p. 80.
[98] R. Fischer, op. cit., p. 185
[99] Ibidem, pp. 181-182.
[100] Ibidem, p. 182.
[101] Le district de Berlin-Brandebourg est dirigé par des intellectuels — le fait est rare ailleurs —, jeunes, et qui n'ont pratiquement joué aucun rôle avant 1919 : Ruth Fischer, Maslow, Rosenberg. Autour d'eux, des hommes et des femmes plus jeunes encore, ceux qu'on appelait les « jeunes » de Ruth Fischer, en général brillants : ainsi Gerhard, le frère de Ruth, Werner Schelem, qui devient Orgleiter du district en 1922, Lily Karpus qui, à vingt-deux ans, est responsable du travail féminin, et bien entendu, Heinz Neumann. C'est dans cette équipe qu'apparaît, sous le nom d'Alexandre Emel, Moïse Lourié, plus tard un des hommes de confiance de l'I.C. en Allemagne, et aussi futur accusé du procès de Moscou de 1936. Tous sont originaires de la bourgeoisie et de la petite bourgeoisie, tous ont terminé, ou interrompu pour militer, des études universitaires brillantes. Mais, en même temps, la gauche berlinoise est un bastion ouvrier. Autour de Ruth Fischer se sont regroupés les rescapés du vieux noyau des délégués révolutionnaires qui n'ont pas suivi Levi et Friesland : Anton Grylewicz, (ancien adjoint d'Eichhorn), Paul Schlecht, outilleur, le cheminot Geschke, le métallo König, chef de file de l'opposition dans le D.M.V., l'employé Kasper, le dirigeant des chômeurs Grothe, l'imprimeur Mahlow, le métallo Max Hesse, sont des cadres organisateurs de la classe ouvrière berlinoise depuis 1916 au moins. Le district de Berlin-Brandebourg révèle aussi des « organisateurs », hommes d'appareil discrets, mais efficaces, qui tiennent solidement les leviers de commande, les Hans Pfeiffer ou Torgler, à l'extérieur typique de fonctionnaires allemands. Ces hommes, très différents par leurs origines, leurs caractéristiques et leurs destins ultérieurs, constituent une équipe extrêmement homogène à cette époque.
[102] Zetkin, Souvenirs..., pp, 63-64.
[103] Ibidem, p. 64.
[104] Œuvres, t. XXXII, pp. 545-556.
[105] Ibidem, p. 555.
[106] Ibidem, p. 552. Ruth Fischer (op. cit, pp. 182 et 184) affirme que les dirigeants allemands étaient en réalité à l'origine de la proposition qu'ils avaient suggéré à Lénine. Elle écrit notamment (ibidem, p. 184) : « Les dirigeants spartakistes, à partir du moment où ils furent incapables de faire accepter leur politique au parti par la procédure démocratique normale, opérèrent leur tournant vers le communisme réformiste en recherchant l'intervention russe d'Etat dans la vie de leur parti, contrairement aux mœurs du Comintern de l'époque (…). Quand Ernst Meyer, disciple de Rosa, demanda à Lénine d'éliminer Maslow de l'Allemagne à cause de son origine russe, il introduisit un élément nouveau dans le communisme allemand. » (C'est nous qui soulignons.) Bien que la thèse fondamentale sous-jacente à cette interprétation mérite une discussion que nous mènerons seulement dans la dernière partie, il faut indiquer dès maintenant qu'aucun document ne confirme cette affirmation de Ruth Fischer d'ailleurs, quelques mois après, les dirigeants de la centrale proposeront l'envoi à Moscou de Friesland, qui n'était pas, bien entendu, d'origine russe.
[107] R. Fischer, op. cit., p. 182.
[108] Voir chap. XXXII.
[109] R. Fischer, op. cit., p. 181.
[110] C. Zetkin, Souvenirs..., p. 61.
[111] R. Fischer, op. cit., p. 181.
[112] Ibidem, p. 186 ; le point de vue de R. Fischer est ici corroboré par celui de Clara Zetkin, Souvenirs ... , pp. 61-64. Parmi les dirigeants de l'I.C., Radek était le « mentor » de la droite, mais Zinoviev défendra à plusieurs reprises des positions proches de celle de la gauche, tout au moins pendant l'année 1922.
[113] Au lendemain du congrès d'Iéna, le groupe dirigeant d'Ernst Meyer est pendant quelque temps qualifié de « conciliateur », dans la mesure où il tient à garder la porte ouverte à Levi ; l'exclusion des lévites puis du partisans de Friesland acquise, ces conciliateurs deviennent à leur tour la « droite ».