1938 |
Article (T4368) traduit du russe, avec la permission de la Houghton Library. |
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18 juin 1938
Workers Age [1] du 11 juin publie un article qui défend les nombreuses années de soumission à la bureaucratie thermidorienne de Lovestone et compagnie.
Dans mon étude sur la morale, j'ai souligné l'attitude criminelle de Brandler et Lovestone sur les procès de Moscou. La réponse de Lovestone est la suivante : « Oui, nous nous sommes trompés, mais Trotsky aussi sur le procès des mencheviks en 1931 [2] . Quelle est la différence ? »
Nous allons brièvement expliquer la différence à ces messieurs. Les mencheviks sont un parti petit‑bourgeois conservateur, lié à l'impérialisme. Pendant la révolution d'Octobre, ils étaient alliés à la bourgeoisie contre le prolétariat. Pendant la guerre civile, la droite des mencheviks (Maisky, Troianovsky [3] et bien d'autres) se sont rangés du côté des impérialistes, certains les armes à la main.
Les émigrés mencheviques de Paris considèrent que Léon Blum, l'employé des trusts et le bourreau des peuples coloniaux, est leur ami et chef. Dans ces circonstances, des formes différentes d'un bloc entre les mencheviks russes, surtout leurs représentants individuels, ou leurs groupes, et les impérialistes, sont parfaitement possibles, tant aujourd'hui qu'à l'avenir, comme elles le furent par le passé.
Les accusés du procès des mencheviks en 1931 étaient soit peu connus, soit totalement inconnus, des gens, en tout cas, dont le passé politique n'offrait aucune garantie, et dont les idées politiques à l'époque du procès étaient totalement inconnues [4] .
Si, en fonction des circonstances que je viens d'indiquer, j'ai admis la possibilité que ces mencheviks ou d'autres, ou d'anciens mencheviks, étaient réellement engagés dans des intrigues ou des combines impérialistes, je n'ai cependant pas le moins du monde pris la défense de la bureaucratie ni de la justice stalinienne. Au contraire, j'ai continué ma lutte irréconciliable contre l'oligarchie de Moscou.
Mais l'affaire était ‑ avec la permission de M. Lovestone - quelque peu différente avec les procès contre les « trotskystes ». Par tout son passé, ce groupe avait montré qu'il était peu enclin à l'amitié avec la bourgeoisie et l'impérialisme. Les écrits des « trotskystes » ont été et sont encore accessibles. Zinoviev et Kamenev ét aient des figures de dimension internationale. Je crois d'ailleurs que Lovestone les connaissait personnellement assez bien. L'accusation contre eux était politiquement et psychologiquement absurde. Les procès contre les « trotskystes » ont eu lieu cinq ans après celui des mencheviks. Pendant ces cinq années, la bureaucratie thermidorienne avec ses méthodes de faux et d'amalgame.
L'ignorer, ne pas le voir, n'était possible que pour qui ne voulait ni le savoir ni le voir. C'est précisément à cette catégorie qu'appartiennent Brandler, Lovestone et leurs amis. Ils n'ont pas cru un seul instant que Trotsky, Zinoviev, Kamenev, Smirnov , Radek , Piatakov et les autres étaient des terroristes contre-révolutionnaires, des alliés des fascistes, etc. Love stone et compagnie ne sont bons à rien en tant que marxistes, mais personne ne les prend pour des imbéciles. Ils savaient très bien qu'on était en présence d'une imposture gigantesque. Mais, comme, dans leur politique petite‑bourgeoise, couarde et conservatrice, ils avaient solidement lié leur réputation à celle de la bureaucratie thermidorienne, ils ont tenté de la suivre jusqu'au bout, dans l'espoir que Staline arriverait à violer l'opinion publique. Au fond de leur cœur, ils espéraient qu'à cause de ce service, le Kremlin finirait par les « reconnaître » et les rappellerait à leurs « fonctions ». Ce n'est que lorsqu'ils se sont aperçus que le super‑imposteur de Moscou avait ignominieusement échoué qu'ils ont battu en retraite et reconnu à mi‑voix leur « légère » erreur.
En France, à la fin du siècle dernier, un officier juif, Dreyfus [5] , a été accusé d'espionnage. Dreyfus était un inconnu. On pouvait être démocrate, socialiste, adversaire de l'antisémitisme, etc. profondément sincère et admettre encore la possibilité que Dreyfus ait réellement pu être un espion : ce sont des choses qui arrivent avec les officiers. Mais c'est tout à fait autre chose que de défendre l'état‑major général français et toutes sortes de canailles réactionnaires et de participer à la campagne de presse anti‑sémite.
Entre ces deux erreurs, Messieurs du Workers Age, il y a une différence ! L'une était un épisode, l'autre découle organiquement d'une politique complètement pourrie.
Je n'écris pas cela pour Lovestone et sa clique. Le cas de ces gens est désespéré. Pendant quinze ans, ils n'ont été que l'ombre des divers groupes à l'intérieur de la bureaucratie soviétique. Lovestone a été zinoviéviste avec Zinoviev, boukharinien avec Boukharine , stalinien avec Staline. Pendant quinze ans, il a répété toutes les calomnies et tous les faux contre les prétendus «trotskystes ». La fraternisation qu'il a affichée en 1936 avec lagoda [6] et Vychinsky était u n maillon naturel dans cette chaîne honteuse. Lovestone n'est pas rééduquable. Mais, dans les rangs de ceux que l'on appelle les lovestonistes, il se trouve incontestablement des gens parfaitement sincères qui ont été systématiquement trompés. C'est pour eux que j'écris ces lignes.
Notes
[1]
Workers Age
était l'organe de l'Independent Labor League, alors dirigée par Jay Lovestone,
[2]
En mars 1931 s'était déroulé à Moscou un procès d'un prétendu « centre menchevique » : les accusés avouaient leurs « crimes
». Trotsky avait cru aux aveux et à la culpabilité des accusés et avait reconnu son erreur en 1936, sur les instances de Sedov.
[3]
Maisky était ambassadeur à Londres et Troianovsky à Washington. Ivan M. Liakhovetsky dit Maisky
(1884‑1975) avait été ministre d'un gouvernement blanc et, pour cela, exclu par les mencheviks. Aleksandr A. Troianovsky
(1882-1955) avait renié les bolcheviks bien avant la guerre et appartenait aussi jusqu'en 1920 à la droite menchevique.
[4]
Trotsky connaissait au moins l'un des accusés, l'historien Soukhanov, mais, comme il l'indique, certainement pas « ses idées
de l'époque ».
[5]
Il s'agit évidemment du capitaine Alfred Dreyfus (1859‑1935) et de son «affaire », qui divisa l'opinion française; Trotsky
donne ces explications parce qu'il écrit pour le journal américain Socialist Appeal.
[6]
En soutenant, en 1936, la thèse de l'authenticité et de la véracité des ,aveux des accusés, Brandler et Lovestone avaient
effectivement cautionné les metteurs en scène. Henrikh G. Iagoda
(1891‑1938), vice‑président du G.P.U. en 1924, était devenu en 1934 commissaire à l'intérieur (N.K.V.D.) et avait mis en scène
le premier procès, à l'issue duquel, accusé par Staline d'avoir « quatre ans de retard », il avait été remplacé par Ejov.
Il avait été exécuté en même temps que Boukharine.
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