1919

Source : num�ro 6 du Bulletin communiste (permi�re ann�e), 22 avril 1920. Y figure l'introduction suivante : � Le probl�me de la participation aux �lections n'�tant pas une question de principe, mais de tactique, il n'est pas simple � r�soudre et ne peut l'�tre dans tous les pays de la m�me mani�re. C'est ce que Karl Radek rappelait aux spartakistes dans une lettre que publie la Kommunistische R�te Correspondenz et que nous reproduisons ici. ï¿½


Parlementarisme et r�volution

Karl Radek

10 f�vrier 1919


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...Vous m'�crivez que les camarades de Hambourg sont tr�s contents de la d�cision de votre congr�s constitutif de boycotter les �lections de l'Assembl�e nationale et voient dans l'opposition de Rosa Luxemburg et de K. Liebknecht une incompr�hensible manifestation d'opportunisme. La chose n'est pas si simple cependant. La question ne se laisse pas trancher si simplement : � Nous sommes en faveur de la dictature des soviets, nous devons donc boycotter l'Assembl�e nationale comme les bolcheviks l'ont fait ! ï¿½ Avant de traiter la question en elle-m�me, je veux vous dire personnellement : lorsqu'en octobre, nos camarades autrichiens se h�t�rent de retourner en Autriche � la premi�re nouvelle de l'explosion de la R�volution, j'ai eu un entretien avec les camarades influents des prisonniers de guerre autrichiens. Sur l'ordre du comit� central nous f�mes unanimement d'accord que la question de la participation aux assembl�es nationales des divers pays d�pendait du degr� de d�veloppement r�volutionnaire en Hongrie, en Autriche, en Tch�coslovaquie et en Yougoslavie, au moment o� il faudrait prendre une d�cision. Je crois que vous avez eu l'occasion de vous convaincre que ni moi, ni B�la Kun, ni Muna, ni Toman, etc., n'avons une tendance � l'opportunisme. Et comme je sais que vous avez une certaine confiance en L�nine, je puis vous dire que lorsque je lui fis part du r�sultat de la discussion, non seulement il fut compl�tement d'accord, mais il me pria encore de bien r�p�ter � chaque camarade partant pour l'Autriche : � On ne doit pas, au d�but de la R�volution, mener la politique que les bolcheviks n'ont appliqu�e qu'apr�s leur victoire ï¿½.

Parce qu'une petite partie des masses r�volutionnaires est d�j� m�re pour cette politique, par exp�rience, intelligence ou instinct, on ne doit pas supposer que cette maturit� existe dans les masses. Pour terminer le c�t� personnel de la question, je dirai encore : Lorsque je discutai une fois la question sous toutes ses faces avec Liebknecht, il me dit en riant : � Savez-vous, je me l�ve chaque matin adversaire de la participation aux �lections et je m'endors chaque soir partisan ï¿½.

Vous ne devez pas consid�rer pour cela Liebknecht comme un f�tu de paille entra�n� par le vent, mais vous devez constater que la chose n'est pas si simple.

Comment se pr�sente-t-elle donc ?

La d�mocratie bourgeoise et le parlementarisme furent un moyen d'�veiller, de rassembler et d'organiser les masses, d'obtenir des r�formes qui am�liorent la situation des masses et leur permettent de ne pas penser seulement � leur petit morceau de pain. Parce que tel �tait le cas, nous �tions, nous marxistes, en opposition aux anarchistes et aux syndicalistes, favorables � la participation aux �lections et au travail parlementaire, quoique nous sachions tr�s bien que le parlementarisme corrompait les parlementaires et �veillait dans les masses l'esp�rance que les � ï¿½lus ï¿½ lutteraient pour elles.

Nous cherchions � faire dispara�tre ces r�sultats du parlementarisme par une propagande et une agitation claires et r�volutionnaires, mais nous croyions que les avantages en surpassaient les inconv�nients.

Les anarchistes et les syndicalistes pr�tendent que nous nous sommes tromp�s et qu'ils avaient raison ; ils consid�rent la faillite de la 2e Internationale comme une cons�quence de la corruption parlementaire. Ce n'est .pas exact, les faits le prouvent d�j� ; les syndicalistes et anarchistes comme Jouhaux, Cornelissen, Kropotkine ont trahi aussi bien que Scheidemann et Legien. L'Internationale ne s'est pas divis�e parce que le cr�tinisme parlementaire domina en elle ; il ne domina en elle que pour les raisons qui provoqu�rent sa faillite : parce que, dans l'�poque paisible qui suivit 1890, la masse ouvri�re n'�tait pas r�volutionnaire, ne menait ni ne voulait mener aucune lutte r�volutionnaire ; c'est pourquoi elle n'avait aucune force pour emp�cher la guerre. L'opportunisme parlementaire fut le r�sultat de cette �poque paisible o� l'ouvrier esp�rait se lib�rer par des r�formes, ce qui n'emp�cha pas que l'opportunisme ait renforc� cette na�vet� r�formiste et ait rendu la faillite plus effrayante encore. Seule l'influence du galimatias anarcho-syndicaliste permet � beaucoup de jeunes camarades, en particulier, de dire que c'est nos d�sillusions parlementaires qui nous ont conduits a devenir les adversaires du parlementarisme et � inventer le � syst�me ï¿½ des soviets.

Vous vous souviendrez peut-�tre comment, en mars de l'ann�e derni�re, � l'�cole allemande du Parti, � P�trograd, je vous signalais, � vous et � vos coll�gues, dans le rapport sur le congr�s du Parti, que L�nine introduisit, dans la r�solution sur la situation, un passage qui laissait au parti bolchevik une voie libre pour l'utilisation du Parlement. Je vous posais la question, � vous �l�ves du Parti : Pourquoi L�nine a-t-il fait cela, bien que les bolcheviks aient, peu de temps auparavant dissous l'Assembl�e nationale ? Ils ne pensaient naturellement pas � en convoquer une nouvelle. Lorsque voua m'avez regard� tout d�concert�s, je vous expliquai ceci : Lorsque les bolcheviks, dans les premiers mois de la r�solution, �taient une minorit� dans la classe ouvri�re, ils propageaient le mot d'ordre : � Tout le pouvoir aux soviets ï¿½. Mais, malgr� cela, ils �taient partisans de la convocation de l'Assembl�e nationale. Kautsky croit que les bolcheviks esp�raient alors y obtenir une majorit� ; c'est naturellement un non-sens. Mais ils ne pr�voyaient pas la prise du pouvoir, qui n'est possible que dans la forme des soviets, que dans un avenir �loign�, et c'est pourquoi ils �taient partisans de l'Assembl�e nationale, afin d'employer sa tribune, la lutte qui s'y d�roule, pour remuer les masses et pour les gagner � la pens�e de la dictature du prol�tariat. Lorsque les bolcheviks prirent le pouvoir � plus t�t qu'ils ne le pensaient � ils ne pouvaient pas l'organiser dans la forme de l'Assembl�e nationale, m�me s'ils y avaient eu la majorit�, ce qui n'�tait pas le cas. Ils savaient que la grande majorit� des paysans �taient alors derri�re les bolcheviks, desquels ils attendaient la terre ; mais ce n'est pas parce que la constitution de l'Assembl�e nationale s'opposait aux volont�s r�elles de la majorit� du peuple � gr�ce � l'absence d'organisation bolchevik dans les villages, gr�ce a l'identification erron�e des socialistes r�volutionnaires de gauche qui marchaient avec les bolcheviks avec les socialistes r�volutionnaires de droite qui leur �taient oppos�s, gr�ce en un mot � la confusion paysanne � que les bolcheviks ont dissous la Constituante. Si tel avait �t� le cas, on aurait proc�d� � de nouvelles �lections. La raison r�elle est que nous avons vu que le parlementarisme ne peut �tre l'organe de l'�tablissement du socialisme. Pour l'�tablissement du socialisme, le travail commun des ouvriers et des techniciens dans les fabriques, le travail des travailleurs manuels et intellectuels dans les conseils d'ouvriers pour des buts divers et d�termin�s, est n�cessaire. Un parlement form� de repr�sentants des diverses classes ennemies ne peut servir de couronnement, de r�union � tous ces conseils ; seuls peuvent le faire la repr�sentation de la classe qui construit le socialisme, le prol�tariat, et les organisations qui le r�alisent, les conseils d'ouvriers. Ce n'est pas par d�sillusion parlementaire que nous avons rejet� le parlementarisme, mais parce qu'il est inutile pour le but que la classe ouvri�re triomphante doit se fixer, pour l'�tablissement du socialisme. Il �tait n�cessaire tant qu'il fallait rassembler et r�veiller les ouvriers ; il est inutile d�s qu'il s'agit de b�tir la soci�t� socialiste. Mais si la classe ouvri�re �tait vaincue pour un certain temps, nous aurions de nouveau le devoir de la rassembler et nous emploierions le parlement, d'autant plus que nos organisations et notre presse seraient plus pers�cut�es. En mars 1918, apr�s la grande d�faite de notre politique ext�rieure � Brest, L�nine entrevoyait la possibilit� d'une victoire passag�re des ennemis. Il d�montra alors aux camarades qu'il serait n�cessaire, au cas o� la voie parlementaire serait libre, de l'utiliser, pour �lever la t�te au-dessus des men�es souterraines. Je me souviens que la pr�voyance et l'�lasticit� de L�nine vous en imposait beaucoup, � vous �coliers allemands et autrichiens du Parti, lorsque je prenais cet exemple pour vous montrer combien la tactique des communistes doit �tre dialectique.

Mais le vin de la jeune r�volution allemande vous est mont� � la t�te, � vous-m�mes et � vos adh�rents. Vous avez cru, en d�cembre, qu'on pourrait vaincre rapidement les oppositions, et c'est pourquoi vous �tiez alors pour le boycottage. Liebknecht, Rosa Luxembourg, Levi, comptaient avec la probabilit�, au moins avec la possibilit� d'une �volution plus lente, et c'est la raison pour laquelle ils �taient partisans de la participation aux �lections. Ils voulaient utiliser la tribune de l'Assembl�e nationale pour notre agitation. Lorsque j'arrivai � Berlin, avant le congr�s constitutif du Parti, j'�tais tout � fait d'accord avec eux. Ce ne fut que lorsque je vis l'opinion des organisations que je compris qu'ils ne r�ussiraient pas � entra�ner la majorit�, bien qu'ils aient eu raison. Le parti venait de na�tre, ses adh�rents ressentaient le besoin de tirer une ligne de d�marcation tr�s nette entre eux et le reste du monde. Cette opinion pr�valut. Les chefs du parti communiste savaient qu'ils n'auraient pas la majorit�, ils comprenaient tr�s bien les principes r�volutionnaires qui parlaient en faveur du boycottage, et cependant ils s'engag�rent l'un apr�s l'autre, publiquement, en faveur de la participation aux �lections.

Pourquoi ? Pr�cis�ment parce qu'ils devaient se dire : Si l'�volution ne se poursuit pas tr�s rapidement, si elle ne dissout pas l'Assembl�e nationale, il faut s'attendre � prendre part peut-�tre aux �lections des Communes, des Etats et de l'Empire.

Aujourd'hui, o� j'�cris cette lettre, on ne sait naturellement pas avec quelle rapidit� la r�volution se d�veloppera. Comme je l'ai souvent �crit dans la presse russe, et comme je vous l'ai dit dans mes conf�rences, je suis convaincu que le d�veloppement de la r�volution dans l'Europe occidentale sera lent � cause de la force et de l'organisation de la bourgeoisie et du manque d'alli�s r�volutionnaires pour le prol�tariat, comme les paysans l'�taient en Russie. Ce serait un non-sens absolu de rejeter la possibilit� d'employer un moyen, si petit soit-il, pour l'organisation et l'agitation communistes.

Pensez encore � une chose : malgr� la lente �volution de la r�volution mondiale, elle sera pleine de collisions et de luttes. Nous avons beau lutter de toutes nos forces contre l'�meute, nous ne pouvons emp�cher que les masses populaires qui souffrent, se r�voltent toujours de nouveau contre le rench�rissement, le ch�mage, etc., qu'elles s'�lancent dans un endroit, avant que la victoire g�n�rale soit possible. Nous avons beau mettre en garde et jeter l'alarme, apr�s chacune de ces collisions, la bourgeoisie et ses sbires social-d�mocrates se jetteront d'abord sur les organisations communiste et leur presse et chercheront � les an�antir. Nous devons sans cesse compter que nous devrons toujours de nouveau dispara�tre de la surface. Ce serait stupide de renoncer � en principe ï¿½ aux planches sur lesquelles nous pouvons toujours nous �lever pour crier aux masses nos mots d'ordre. On peut dire : la bourgeoisie nous enl�vera toute possibilit� d'activit� l�gale. Laissons-la faire, mais ne renon�ons pas nous-m�mes � ces possibilit�s. Lorsque, apr�s les journ�es de janvier, nous avons fait repara�tre la Rote Fahne interdite, pensez-vous que nous l'ayons fait avec la conviction que les bandes de Noske ne mettraient plus la main sur notre journal, par piti� pour les fondateurs assassin�s de notre organe central ? Je crois si peu � l'immortalit� l�gale de la Rote Fahne que je n'ai pas fait une seule visite � mes amis de la r�daction. Mais la conviction que la contre-r�volution peut de nouveau d�truire un jour notre vaillant journal ne nous supprime pas le devoir de tout mettre en �uvre pour le faire para�tre. L'�ventualit� que l'emploi du moyen parlementaire nous soit rendu difficile ne doit pas nous conduire � y renoncer nous-m�mes � par principe ï¿½.

Pour terminer, encore deux enfantillages � de principe ï¿½. � Vous �crivez qu'un camarade a dit que la participation aux �lections signifierait que nous � reconnaissons ï¿½ l'Assembl�e nationale. � Grand Dieu, je reconnais tout ce qui existe, parce que j'ai des yeux. Ce qui importe, c'est de savoir comment je le reconnais et comment je l'emploie. Quand nous disons, dans l'agitation des masses, que la d�mocratie bourgeoise n'est pas la voie du socialisme, mais que nous devons entrer dans l'Assembl�e nationale pour le dire aussi aux masses qui ne viennent pas � nos assembl�es, un cheval comprendrait. Par l�, je r�fute aussi l'argument de ce philosophe qui affirmait que la participation aux �lections signifierait que nous consid�rons la r�volution comme termin�e. Non, cela signifie que nous reconnaissons quelle n'a fait que commencer...

Berlin, 10 f�vrier 1919.

Karl RADEK.


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