La propriété féodale se présente sous deux formes : une immobilière, dite corporelle par les feudistes, consistant en un château ou manoir avec ses accins, préclôtures et terres environnantes, « aussi loin qu'us chapon pouvait couvrir d'une seule volée; » — une mobilière, dite incorporelle, consistant en services militaires, corvées, dîmes et redevances diverses.
La propriété féodale, dont la propriété ecclésiastique n'est qu'une variété, naît au milieu de communautés de villages basées sur la propriété collective, et s'agrandit à ses dépens ; et, à la suite d'une série de transformations séculaires, elle aboutit à la propriété bourgeoise, la vraie forme de la propriété individuelle.
La propriété féodale et l'organisation sociale qu'elle engendre servent de passage entre le collectivisme familial, ou plus exactement consanguin, et l'individualisme bourgeois.
Dans les temps féodaux la propriété et le propriétaire ont des servitudes et n'ont pas acquis l'indépendance bourgeoise, le droit d'user et d'abuser. La terre n'est pas achetable et vendable, elle est grevée de servitudes et se transmet d'après des coutumes et des lois, que le propriétaire ne peut enfreindre : — le propriétaire est tenu de remplir des devoirs envers ses supérieurs et ses inférieurs hiérarchiques.
La féodalité dans son essence est un contrat de services réciproques : le baron ne possède une terre et des droits sur le travail et les récoltes de ses serfs et vassaux, qu'à la condition de rendre' des services à son supérieur et à ses inférieurs. Le seigneur féodal, en recevant « la foi et l'hommage » de son vassal, « s'engageait à le protéger envers et contre tous, et à l'aider en toutes circonstances » : — le vassal, pour s'assurer cette protection, devait suivre en guerre son seigneur et lui payer certaines redevances en services personnels et en dîmes sur ses moissons et animaux domestiques [1]. Le baron, pour trouver, en cas de besoin, aide et appui, se rattachait à un seigneur plus puissant, qui à son tour, était le vassal d'un des grands feudataires du roi ou de l'empereur.
Tous les membres de la hiérarchie féodale, qui partait du serf pour s'élever jusqu'au roi ou à l'empereur, étaient étroitement reliés par des devoirs réciproques. Le devoir alors, comme le lucre aujourd'hui, était l'âme de la société. Tout était mis en contribution pour l'imprimer profondément dans le cœur des grands et des petits. La poésie populaire, ce premier et puissant moyen d'éducation, faisait du devoir une religion. Roland, le héros épique de la féodalité, assailli et accablé par les Sarrasins à Ronce vaux, réprimande de la sorte son frère d'armes Olivier, qui se plaint d'être abandonné par Charlemagne :
..... Ne dites tel ultrage.
Mal seit de l'coer ki el' piz se cuardet !
Nus remeindrum en estal en la place;
Par nus i iert e li colps e li caples.
.......................................................
Pur sun seignur deit hum suffrir granz mals.
E endurer e forz freiz e granz calz.
Si'n deit hum perdre de l'sanc e de la carn.
Fier de ta lance e jo de Durendal,
Ma bone espée que li Reis me dunat.
Se jo i moerc, dire poet ki l'avrat,
Que ele fut à nobilie vassal
[2] ! Aoi.
Le collectivisme consanguin n'avait pu donner que l'unité communale ; la féodalité créait une vie provinciale et nationale, en unissant par des devoirs et des services réciproques les groupes autonomes et isolés d'une province et d'une nation. A ce point de vue, la féodalité est une fédération militaire de baronnies.
Les devoirs du baron envers ses serfs, ses tenanciers et ses vassaux, étaient nombreux et .onéreux ; mais quand la féodalité entra en son déclin, il s'affranchit de ses devoirs, tout en retenant et aggravant les redevances et les corvées qui autrefois n'étaient que le prix de services réels qu'il rendait. — Non content de se débarrasser des charges féodales, il éleva des prétentions sur les terres de ses vassaux, sur les forêts et les autres biens communaux. Les feudistes français, justement stigmatisés de l'épithète de plumes féodales, soutinrent que la terre, les bois, les prés èt les eaux avaient appartenu de tout temps au seigneur, qui n'avait fait qu'en céder la jouissance à ses serfs et vassaux. Les feudistes anglais fabriquèrent la même histoire ; ils déclarèrent qu'à une époque indéterminée, « quelquefois vaguement associée avec la féodalisation de l'Europe, d'autres fois plus spécialement avec la conquête normande, le territoire de toute l'Angleterre avait été confisqué; que les terres de chaque seigneurie furent octroyées en toute propriété au seigneur, qui en distribua une partie aux hommes libres qui le suivaient, mais en conserva une partie, qu'il donna à cultiver à ses serfs ; que tout ce qui n'était pas compris dans cette distribution fut mis de côté, comme terres vagues appartenant au seigneur, et que tous les usages qui ne peuvent être rattachés aux principes féodaux grandirent ultérieurement et insensiblement de la tolérance du seigneur féodal [3] ». En un mot, tout avait appartenu au baron, et tout devait lui être restitué. Grâce à ces impudentes falsifications, la noblesse en France et en Angleterre put s'emparer des forêts et dès terres qui étaient la propriété des communautés villageoises.
Les historiens bourgeois et Merlin, le terrible juriste de la Convention et le grand destructeur des biens communaux, dans leur désir de retrouver la forme individuelle de la propriété jusque dans les temps féodaux, ont admis la thèse intéressée des aristocrates. — L'histoire de la genèse et de l'évolution de la propriété féodale exposera la fausseté de l'opinion des feudistes, et montrera comment la propriété seigneuriale s'est constituée à l'aide de la fraude et de la violence.
La féodalité, qui apparaît comme l'organisation hiérarchique de l'autorité, prit naissance et grandit dans un milieu égalitaire ; mais pour que l'égalité engendrât le despotisme, il fallut la coopération séculaire d'événements que l'on doit rappeler pour expliquer cette genèse.
Les tribus germaines qui, pendant des siècles, envahissaient l'Europe occidentale étaient des populations mouvantes dans un état de barbarie assez analogue à celui des tribus iroquoises lors de la découverte de l'Amérique. Strabon nous' dit que les barbares établis en Belgique et dans le nord-est de la France ignoraient l'agriculture et ne vivaient que de laitage et de viande, principalement de la Chair fraîche de troupeaux de porcs, sauvages et dangereux comme des loups, qui paissaient librement dans les immenses forêts couvrant larégion : ils étaient si nombreux qu'ils suffisaient à leur nourriture et à l'achat d'autres objets de consomma-tionet de luxe. Strabon ajoute que les Gaulois avaient eu les mêmes mœurs, et que pour les connaître il n'y avait qu'a étudier celles des Germains de son époque. (Liv. IV.) Quand César débarqua en Angleterre, il trouva que les Bretons du pays de Kent avaient, eux aussi, les mêmes mœurs que les Gaulois : ils ne cultivaient pas la terre, vivaient de laitage et de viande et se couvraient de peaux de bêtes; ils se peignaient le corps en bleu pour épouvanter leurs ennemis, et avaient leurs femmes communes entre frères [4]. En Europe ainsi que dans toutes les parties du monde, le point de départ est le même.
L'égalité la plus farouche régnait parmi ces barbares, qui étaient guerriers et chasseurs; et leurs usages et coutumes tendaient a conserver cette égalité héroïque. Lorsqu'ils devenaient sédentaires et commençaient à pratiquer une agriculture rudimentaire, ils entreprenaient de constantes expéditions guerrières, pour ne pas désapprendre le métier des armes. Un chef de renom n'avait qu'à annoncer qu'il allait entrer en campagne, pour voir accourir et se ranger sous ses ordres des combattants désireux de butin et de gloire. Pendant la durée de l'expédition, ils lui devaient obéissance, comme tous les guerriers grecs à Agamemnon; mais ils s'asseyaient à la même table et banquetaient ensemble sans distinction, et se partageaient également et au sort les dépouilles : une fois rentrés au village, ils reprenaient leur indépendance et leur égalité, et le chef de guerre perdait son autorité. De cette manière libre et égalitaire les Scandinaves, et en fait tous les barbares, ont organisé leurs corps excursionnaires. Ces mœurs piratiques se sont conservées durant tout le moyen âge; on recrutait des soldats en s'adressant à la libre initiative individuelle : pour lever une armée contre les Anglais et les Albigeois, Guillaume le Conquérant et Innocent III n'eurent qu'à promettre le partage des biens des vaincus. AHastings, au moment où les troupes allaient engager le combat, Guillaume, élevant la voix, parla en ces termes à ses soldats : Pensez à bien combattre, et mettez tout à mort; car si nous vainquons, nous serons tous riches : ce que je gagnerai, vous le gagnerez; si je conquiers, vous conquerrez; si je prends la terre, vous l'aurez. — Le saint-père employa le même langage que le fils de Robert le Diable pour, exciter les fidèles à exterminer les hérétiques albigeois : Sus donc, soldats du Christ! Détruisez l'impiété par tous les moyens que Dieu vous aura révélés (il ne leur révéla que l'incendie, le meurtre et le pillage) ; chassez le comte de Toulouse, lui et ses vassaux, de leurs châteaux; privez-les de leurs terres, afin que les catholiques orthodoxes soient établis dans les domaines des hérétiques. (10 mars 1208.) Les croisades, qui jetèrent sur l'Orient les guerriers européens, s'organisaient de la même façon; elles prenaient pour prétexte la délivrance des pierres du saint sépulcre, et pour but le pillage [5].
Quand les barbares, en quête de terres, conquéraient un pays, ils tuaient les habitants, ainsi que l'avaient fait les Hébreux sur l'ordre de leur bon Dieu; mais d'ordinaire ils se contentaient de saccager les villes et de s'emparer des terres dont ils avaient besoin, et ils s'établissaient dans les campagnes, qu'ils cultivaient à leur manière, laissant les vaincus vivre à côté d'eux selon leurs lois et coutumes. Leurs établissements n'étaient pas laissés au hasard ou au caprice, mais étaient faits d'après leur organisation tribale, ainsi que le constate expressément César et que le confirme Elphinstone, qui, à la fin du siècle dernier, combattait les barbares de l'Afganistan [6]. Chaque tribu recevait un territoire qui était distribué entre ses génies ou clans vivant dans un ou plusieurs villages. Plusieurs villages unis par des liens de parenté formaient une centène (huntari, vieil allemand; haradh, vieux norse), plusieurs centènes un comté, et plusieurs comtés un duché. Sur :ette organisation tribale, les rois mérovingiens greffèrent un rudiment d'organisation politique.
La terre dont le village n'avait pas pris possession demeurait à la disposition de la centène ; ce qui n'était pas alloti à celle-ci appartenait au comté ; et tout ce qui restait — d'ordinaire c'était une grande étendue de terrain — était à l'immédiate disposition de toute la nation. On trouve en Suède côte à côte tous ces différents degrés de possession, dit Engels : chaque village possède ses terres communales ; au delà sont les terres communales de la centène ou du harads et du comté, et enfin celles de là nation, que le roi réclame en sa qualité de représentant de la nation, mais qui cependant continuent à porter le nom de terres communales [7]. Les terres de la couronne, dans toutes les monarchies féodales, étaient des biens appartenant à la nation : il ne faut pas les confondre avec les fermes que les Mérovingiens possédaient à Braine, Attigny, Gompiègne, la Verberie, etc., qui appartenaient à la gens des Mérovées.
Mais en devenant sédentaires et agriculteurs, et plus tard en se convertissant au christianisme, les barbares perdaient peu à peu leurs habitudes guerrières, bien que quelques-uns d'eux restassent invinciblement attachés aux mœurs primitives. Les Germains que connut Tacite s'étaient déjà dépouillés de leur rudesse barbare ; ils étaient sédentaires et cultivateurs ; cependant la tribu des Gattes restait exclusivement consacrée à la guerre : ils commençaient tous les combats, prenant les positions les plus dangereuses; ils ne possédaient ni maisons, ni terres, ni soucis d'aucune sorte. Partout où ils se présentaient ils étaient, nourris. Les guerriers renommés des autres tribus maintenaient auteur d'eux en permanence, par des festins et des présents, des hommes dévoués, prêts à les suivre dans leurs expéditions. Ces guerriers cattes et ces braves inféodés à des chefs militaires constituaient une espèce d'armée permanente chargée de défendre ceux de leurs tribus qui s'adonnaient plus spécialement aux travaux de l'agriculture.
Mais à peine les barbares envahisseurs s'étaient-ils déshabitués de la guerre, que d'autres barbares fondaient sur eux comme sur une proie. Pendant des siè: eles, des masses pressées de barbares se ruèrent sur l'Europe : à l'est, les Goths, les Huns, les Germains; au nord, les Scandinaves; au sud, les Arabes. Pour protéger les frontières contre leur irruption, les empereurs romains établissaient des colonies de vétérans, leur distribuaient des terres, des animaux, des grains et quelque argent; les barbares eux-mêmes étaient utilisés contre les barbares, — on leur accordait des terres et on leur confiait des places fortes à défendre ; — mais ces barrières de là civilisation étaient emportées par l'inondation barbare.
Et quand l'Orient, le Nord et le Sud eurent cessé d'inonder l'Europe de leurs flots humains et que les barbares devenus sédentaires reprirent l'œuvre de la civilisation qu'ils avaient interrompue et détruite, un nouveau fléau se déchaîna : des bandes d'hommes armés parcouraient le pays, pillant et rançonnant; après chaque guerre, les soldats des deux armées ennemies fraternisaient et partaient en expédition pour leur propre compte [8]. Pendant des siècles on vécut en Europe dans la crainte constante d'être pillé, emmené en esclavage et massacré.
Les invasions qui ruinaient et désorganisaient le pays n'empêchaient pas les tribus déjà établies de s'entre-déchirer entre elles. Ces luttes intestines continuelles condamnent les peuples barbares à l'impuissance vis-à-vis de l'étranger; car ils ne savent étouffer leurs haines de clan à clan et de village à village pour s'opposer à l'ennemi commun. Tacite, qui ne songeait qu'à ladomination romaine, demandait aux dieux d'entretenir ces haines si désastreuses; car, disait-il, « la fortune ne peut donner à Rome rien de plus heureux que la dissension de ses ennemis ».
Les habitants des campagnes, pour se protéger contre tant de dangers, fortifiaient leurs villages, que les chartes d'Auvergne des XIIe et XIIe siècles désignent du nom de castra, camps. Etant tous égaux, puisqu'ils appartenaient tous au même clan, ils avaient recours à l'élection pour nommer les chefs chargés de la défense, lesquels avec les envoyés des rois sont les embryons des barons féodaux [9]. Ces derniers ne remplissaient au début que le rôle de collecteur des impôts (freda) provenant des compensations, de président des réunions populaires où se rendait la justice, de surveillant militaire et de mainteneur de l'ordre. Ils étaient soumis à l'autorité du conseil des anciens et de l'assemblée populaire. Le comte (graffîo) qui, dans les tribus franques, négligeait de chasserun étranger dont l'expulsion avait été ordonnée par l'assemblée, était frappé d'une amende de deux cents sous d'or (Lex salica) : c'était précisément la somme qu'il fallait payer en compensation d'un meurtre (wergeld). — Les pouvoirs qui dans la suite devaient devenir l'apanage des seigneurs féodaux appartenaient à la communauté, réunie en assemblées plénières (folke — mootes); tous les habitants devaient y assister en armes, sous peine d'une amende. Des communautés possédaient des colons et des serfs.
Les lois du pays de Galles, recueillies en 940 par ordre du roi Hoël-Da et publiées en 1841 par A. Owen, indiquent le mode d'élection, les qualités et les fonctions de ces chefs de village, qui, à peu de chose près, sont les mêmes dans toutes les tribus barbares. Le chef de la gens ou du clan était élu par tous les chefs de famille ayant femmes et enfants légitimes; il exerçait son pouvoir à vie; chez d'autres peuples, ses fonctions étaient temporaires ; en tout cas il pouvait être révoqué. Il fallait que toujours il fût prêt « à parler en faveur de ses parents et qu'il fût écouté; qu'il fût prêt à se battre pour ses parents et qu'il fût craint; qu'il fût prêt à se porter garant pour ses parents et qu'il fût accepté ». Quand il rendait justice, il se faisait assister par les sept vieillards les plus âgés; il avait sous ses ordres un vengeur (avenger) chargé d'exécuter les vengeances; car la justice n'était alors que la loi du talion, que la vengeance, coup pour coup, blessure pour blessure, dommage pour dommage. A la première alerte, quand on avait proféré la clameur, — le haro des Normands, le biafor des Basques, — tous les habitants devaient sortir en armes de leurs maisons et se mettre sous ses ordres : il était chef militaire, et tous lui devaient obéissance et fidélité. Celui qui ne répondait pas à l'appel était condamné à l'amende. Les habitants étaient organisés militairement ; ainsi à Tarbes ils étaient groupés par dizaines, ayant à leur tête un dizainier, chargé de veiller à ce que tout le monde fût armé et que les armes fussent en bon état [10].
Toute fonction chez les barbares tend à s'immobiliser dans une même famille : on est tisserand, forgeron, magicien ou prêtre, de père en fils : de cette manière naissent les castes. Le chef chargé du maintien de l'ordre intérieur et de la défense exterieure était choisi parmi tous les habitants ; mais peu à peu on prit l'habitude de l'élire dans la même famille, qui finit par désigner elle-même le chef de la communauté, sans qu'on passât par la formalité de l'élection. On serait dans l'erreur de croire que les fonctions de chefs consti-, tuaient au début un privilège enviable : elles étaient au contraire des charges lourdes et dangereuses ; les chefs étaient rendus responsables de tout. Une disette était pour les Scandinaves le signe certain du courroux des dieux : ils en faisaient porter la faute à leur roi, qui était déposé et parfois mis à mort. Ces fonctions étaient si peu recherchées que l'élu del'assemblée populaire ne pouvait s'y soustraire sans encourir le bannissement et la peine grave de voir démolir sa maison, le bien sacré et inviolable de la famille. L'ancienne Coutume d'Amiens dit : « Se li maires qui eslus seroit refusoit le mairie... et se aucuns refusoit l'esquivinage, on abateroitse maison. » Gomme cite de pareilles pénalités dans les coutumes de Folkestone et de Hastings pour les maires et jurats qui, élus, refuseraient d'entrer en fonction [11].
Les communautés villageoises de l'Inde que l'on a pu observer de notre temps ont pour fonctionnaires publics des tisserands, des forgerons, des maîtres d'école, des brahmines, des danseuses pour les cérémonies religieuses, etc. ; ils sont au service delà communauté, qui les rétribue en les logeant et leur allouant des redevances prélevées sur les récoltes et les troupeaux; onleur accorde parfois des lots de terre [12], qui sont cultivés en partie ou en totalité par les villageois. Les chefs élus des villages européens furent traités comme les fonctionnaires des villages hindous ; leurs compagnons, pour reconnaître leurs services, leur allouaient, lors des partages agraires, plus de terres qu'au reste des habitants; — ainsi dans le bourg de Malmesbury, l'alderman, qui en était le chef, était payé de ses services par une pièce de terre supplémentaire, que l'on nommait la cuisine de l'alderman ; — et, pour leur permettre de se consacrer à leurs fonctions publiques, ils labouraient leurs champs et leur donnaient les prémices des récoltes et des troupeaux qu'ils avaient charge de protéger [13]. Le métier de chef n'était pas une sinécure ; il fallait qu'il fût toujours sur le qui-vive, prêt à se battre. Gomme reproduit le dessin d'un manuscrit du XIe siècle, qui représente des moissonneurs coupant le blé sous la garde d'un guerrier armé d'une lance.
Les chefs élus ne se distinguaient pas d'abord des autres habitants ; mais le fait de les choisir toujours dans la même famille finit par constituer un privilège qui se transforma en droit héréditaire ; le chef de la famille privilégiée devint par droit de naissance, sans que l'on eût besoin de recourir à l'élection, le chef naturel de la communauté. L'autorité royale n'eut pas d'autres origines dans les tribus franques : la gens des Mérovées fournissait les chefs militaires, comme celle desLevys'des prêtres chez les Hébreux; mais les guerriers élisaient celui des Mérovées qu'ils voulaient pour chef; Pépin le Bref non seulement se fit élire par l'assemblée des guerriers, mais, pour pallier son usurpation, il se fit consacrer par l'évêque de Mayence et par le pape Etienne III, qui l'appela « l'oint du Seigneur ». Les rois mérovingiens ne donnaient aucun ordre particulier, aucun diplôme, sans employer les formules suivantes : Una cum nostris oplimatibus (d'accord avec nos nobles), —De consensu fidelium nostrorum (avec le consentement de nos fidèles), etc. Les lois saliques et ripuaires et les ordonnances des premiers rois franks ne sont point promulguées au nom d'aucun prince [14].
Il se peut que le chef du village était choisi parce qu'il possédait la maison la plus spacieuse, la plus facile à défendre, afin que les paysans pussent s'y replier eneas d'attaque. Cet avantage stratégique, qui d'abord pouvait être accidentel, finit par être une des conditions exigées de tout chef : dans les villages indiens sur les frontières, the burj ou le beffroi est toujours attenant à la maison du chef et est d'un usage constant comme lieu de refuge et d'observation. Durant les temps féodaux, on n'était seigneur qu'à la condition de posséder « un château ou maison forte avec une basse-cour fortifiée de fossés et de ponts-levis, avec une grosse tour carrée et un moulin à bras dedans [15] », pour que les paysans pussent mettre à l'abri leurs récoltes et bestiaux, moudre leurs grains et organiser la défense. La maison du chef était considérée comme une espèce de maison commune ; elle le devenait en réalité dans les , moments de danger. Les villageois s'appliquaient à la réparer, à creuser ses fossés, à fortifier ses murailles ; dans les villages collectivistes il est d'habitude que tous les habitants concourent à la réparation ou à la construction de la maison de n'importé quel membre de la communauté. Cette coutume est l'origine du droit qu'avait le seigneur féodal « d'obliger ses vassaux et tenanciers de contribuer à la construction des fortifications, s'il étaitfondé en titre, et même sans titre, si c'est en temps de guerre. » Et ce qui indique bien l'origine de ce droit, c'est le cemmentaire suivant de l'écrivain feudiste : « Et comme ces fortifications servent également pour la sûreté des campagnes et des villes et la conservation des personnes autant que des biens, les forains ayant des biens dans le lieu sont obligés d'y contribuer. »
Les barbares, plus guerriers que cultivateurs, étaient les propres défenseurs du village et de sa maison forte ; au premier appel ils accouraient en armes et se plaçaient sous la direction du chef pour lui prêter main-forte et l'aider à repousser l'agression; ils montaient également la garde pendant le jour dans la tour d'observation et faisaient le guet la nuit : dans beaucoup d'endroits le seigneur conserva jusqu'à la Révolution le droit d'exiger de ses vassaux ce service de surveillance. Mais quand les habitudes agricoles prirent le-dessus, les paysans, pour se dispenser de ces services militaires qui les empêchaientde vaquer à leurs travaux,, les convertirent en redevances données au chef, à condition qu'il entretiendrait des hommes d'armes exclusivement chargés de ce service de défense et de garde ; dans toutes les amendes infligées à un délinquant, une partie était réservée spécialement pour le chef et ses hommes d'armes. On donnait ainsi au chef les moyens d'entretenir une force armée qui allait lui permettre d'imposer ses volontés et de dominer ses anciens compagnons.
Le village situé dans la meilleure position stratégique devint un centre ; en cas d'invasion, les habitants des villages circonvoisins venaient y chercher un asile ; et pour trouver ce refuge dans le danger, ils durent contribuer à l'entretien de ses fortifications et de ses hommes d'armes. Le chef de cette communauté de paysans étendit son autorité sur les pays environnants.
De cette manière naturelle prirent naissance dans les villages collectivistes, dont tous les membres mâles étaient égaux en droits et en devoirs, les premiers éléments du féodalisme : ils seraient restés stationnaires durant des siècles, ainsi que dans les Indes, sans les événements extérieurs qui les ébranlèrent et leur infusèrent une nouvelle vie. Les guerres et les conquêtes développèrent ces germes embryonnaires, les agglomérèrent et les unirent étroitement, par des devoirs et droits réciproques, en un vaste système social qui, durant le moyen âge, s'étendit sur l'Europe occidentale.
Ce qui, dans les temps modernes, s'est passéaux Indes permet de comprendre l'action de la conquête pour transformer les chefs des communautés villageoises en barons féodaux. Quand les Anglais établis sur le littoral étendirent leur domination dans l'intérieur des terres, ils vinrent en contact avec des villages organisés de la façon décrite précédemment : chaque groupe agricole avait à sa tête un paysan, son headman, dit Maine, qui parlait en son nom et traitait avec les conquérants. Les autorités anglaises ne prirent pas la peine de s'enquérir des origines et de la nature de son pouvoir, ni de sa véritable situation dans la communauté ; ils trouvèrent plus simple de le considérer comme le maître du village, dont il n'était que le représentant, et le traitèrent en conséquence ; ils augmentèrent et affermirent son autorité de tout le poids que leur donnait le droit du plus fort ; et en maintes circonstances ils aidèrent les chefs de villages à dominer leurs anciens compagnons et à les déposséder de leurs droits et de leurs biens. Les Français et les Anglais essayèrent vainement de donner cette autorité aux sachems des Iroquois.
Les conquérants du moyen âge se comportaient d'une manière analogue : ils laissèrent en situation les chefs locaux dans les villages trop peu importants pour être donnés en bénéfices à leurs fidèles, et les rendirent responsables de la rentrée des impôts et de la conduite de leurs subordonnés ; ils leur donnèrent de la sorte une autorité qu'ils ne possédaient pas dans leurs communautés. Mais dans les points stratégiques les vainqueurs substituèrent aux lieux et places des chefs de village un de leurs guerriers : c'était un poste militaire qu'ils leur confiaient. La durée d'occupation de ces postes, nommés bénéfices, dépendait des circonstances : d'après les rédacteurs dès livres des fiefs, les bénéficiers auraient été révocables dans l'origine, puis annuels, viagers et enfin héréditaires et perpétuels. On profitait de tous les événements pour convertir les bénéfices en biens héréditaires et en francs-alleux, c'est-à-dire en terre exempte de tout droit seigneurial : en France, les rois de la deuxième race ontdû souvent prendre des ordonnances contre des usurpations de cette espèce. « Que celui qui tient un bénéfice de l'empereur ou de l'Église, n'en transporte rien dans son patrimoine, » dit Charlemagne dans un capitulaire de l'an 803 (Cap. VII, c. III). Mais les ordonnances ne purent empêcher ces transformations des chefs militaires en barons féodaux. —On peut donc dire que la féodalité eut une double origine, l'une indigène, l'autre étrangère ; elle est née des nécessités dans lesquelles évoluaient les communautés villageoises, et de la conquête.
Les barons féodaux, soit qu'ils fussent des chefs de communautés transformés par la marche naturelle des événements, soit qu'ils fussent des chefs militaires imposés par les vainqueurs, étaient tenus de résider dans le pays qu'ils devaient défendre et administrer. Le bien qu'ils possédaient et les redevances qu'ils recevaient sous forme de corvées et de dîmes étaient la récompense des services qu'ils rendaient aux cultivateurs placés sous leur juridiction. Les barons et leurs hommes d'armes formaient une armée permanente et sédentaire, nourrie et entretenue par les habitants immédiats qu'ils protégeaient [16].
Le baron devait justice, aide et protection à ses vassaux, et ceux-ci lui devaient « foi et hommage ». A toute mutation par suite de décès du seigneur ou du vassal, ce dernier, dans le délai de quarante jours, devait, en personne et non par procuration, se transporter au principal manoir et non ailleurs, pour bien indiquer qu'il ne faisait la foi que pour trouver un abri dans le château du baron; si le seigneur était absent et n'avait laissé personne pour le représenter, le vassal, après s'en être enquis, faisait la foi devant la porte du manoir et en faisait dresser le procès-verbal. Il devait être dans une attitude suppliante, réclamant protection, tête nue, sans épée ni éperons, mettre le genou en terre et joindre les mains. Le seigneur, pour recevoir la foi, plaçait les mains du vassal dans les siennes en signe d'union et de protection. Le vassal faisait alors « l'aveu et le dénombrement», c'est-à-dire rénumération des terres et dépendances qu'il mettait sous la garantie du baron; dans les temps primitifs, il apportait une motte de ses champs. — Parfois c'était le seigneur qui le premier s'engageait vis-à-vis de ses vassaux. Dans les Fors (coutumes) de Bigorre il est dit que le comte de Bigorre, « avant de recevoir le serment des habitants de la terre délégués à cet effet, prêtera lui-même serment qu'il ne changera rien aux coutumes anciennes, ni à celles dont il trouvera les habitants en possession ; il fera confirmer son serment par celui de quatre nobles de sa terre ».
Le vassal devait le service militaire à son seigneur « quand une armée étrangère avait envahi sa terre, quand il voulait délivrer son château assiégé ou quand il allait à une guerre déclarée », c'est-à-dire entreprise dans l'intérêt des habitants de ses terres. Mais, bien que lié étroitement, il pouvait, au début de l'organisation féodale, abandonner son seigneur en un certain nombre de cas spécifiés dans les capitulaires des années 813 et 816 et qui sont : « Quand le seigneur a voulu le tuer, le réduire en servitude, le frapper d'un bâton ou d'une épée, déshonorer sa fille ou sa femme et lui enlever son patrimoine. » .
La noblesse féodale, une fois son autorité constituée, devint à son tour une cause de trouble dans le pays qu'elle était chargée de défendre. Les barons, pour agrandir leurs terres et étendre leur domination, se firent une guerre intestine et continuelle, à peine suspendue par des trêves de courte durée pour permettre les travaux des champs. On peut assimiler la guerre entre barons à la concurrence, qu'aucune trêve ne suspend, entre industriels et,commerçants des temps modernes. Le résultat est le même, l'une etl'autre aboutissent à la centralisation de la propriété et de la puissance sociale qu'elle comporte. Le vaincu féodal, quand il n'était pas entièrement dépossédé et misa mort, devenait le vassal de son vainqueur, qui s'emparait d'une partie de ses terres et de ses vassaux. Les petits barons disparurent au profit des gros, qui devinrent de grands feudataires et qui établirent des cours ducales, où les seigneurs tenus en vasselage durent faire acte de présence.
Il arrivait souvent aux barons de se transformer en voleurs de grande route, qui pillaient les campagnes et rançonnaient les voyageurs et les villes et qui méritaient richement les épithètes de gens-pille-hommes, gens-tue-hommes qu'on leur donnait [17]. Les villes durent s'armer et se mettre sous la protection du roi ou des grands feudataires qui centralisaient les terres et la puissance féodale, et transformaient les barons en courtisans.
Mais à mesure que les petits barons disparaissaient, les guerres de château à château s'éteignaient, la tranquillité s'établissait dans les campagnes, et la nécessité de la protection féodale diminuait ; les seigneurs purent alors abandonner leurs terres et se rendre dans les cours ducales et royales pour faire le métier de courtisans, ne remplissant plus le rôle de protecteurs de leurs vassaux et tenanciers. Du moment que le cultivateur n'avait plus besoin d'être défendu militairement, la féodalité perdait sa raison d'être. — La féodalité, née de la guerre, périt par la guerre : elle se détruisit elle-même, par les qualités guerrières précisément qui lui avaient donné naissance.
Mais tant que dura la féodalité, des traces de la primitive égalité dans le sein de laquelle elle avait été engendrée persistèrent, alors même que toute égalité avait disparu entre le seigneur et ses vassaux et tenanciers. — Le seigneur féodal redevenait leur égal dans l'assemblée communale, qui réglait les intérêts agricoles des villageois aussi bien que les siens : elle se réunissait sans son autorisation et malgré son refus de la convoquer, ainsi qu'il en avait le devoir; son droit d'usage sur les biens communaux était tout aussi li- mité que celui des autres habitants ; le nombre des bes- tiaux qu'il devait y envoyer paître était déterminé. Delisle, dans son étude sur les classes agricoles de Normandie, cite des textes qui prouvent que le droit des nobles était restreint : ainsi le seigneur de Bricqueville n'était autorisé à envoyer pâturer sur les prés communaux que deux bœufs et un cheval. Il était si peu privilégié, que la Poix de Fréminville nous apprend que « le seigneur qui n'a pas de bétail à lui appartenant ne peut en introduire d'étrangers, soit en louant, soit en vendant, soit même en voulant prêter gratuitement son droit d'usage [18]. »
La propriété ecclésiastique a eu une origine sinon identique à celle de la propriété seigneuriale, du moins analogue. En ces temps troublés on cherchait aussi bien auprès de l'Église que des barons une protection pour ses biens et sa vie. Le prêtre possédait un pouvoir que n'avait pas le baron : il ouvrait les portes du ciel. La foi était naïve, mais ardente et profonde : l'épopée et la chanson populaire, cette véritable expression des sentiments et des pensées intimes de la masse, accordent au prêtre le pouvoir de sauver des flammes de l'enfer et de donner des places au paradis. Dans la Chanson de Roland,
l'archevêque Turpin, pour ramemet au combat les chevaliers qui fléchissent,
leur promet le paradis, en même temps qu'il les menace de la si redoutée
chanson populaire :
Seignurs baruns, nen allez mespensant ;
Pur Deu vus pri que ne seiez fuiant,
Que nuls prozdum, malvaisement n'en cant!
Asez est mielz que moerium cumbatant.
Pramis nus est, fin prendum aïtant,
Ultre cest jur ne serum plus vivant,
Mais d'une chose vus sui jo bien guarant :
Seinz Pareis vus iert abandunant ;
As Innocenz vus en serez seant
[19].
Le clergé avait fait accroire que l'avarice était le premier et le plus important attribut de Dieu et que ses saints trafiquaient de leur crédit et de leur protection; ce qui faisait dire à Clovis que « saint Martin ne servait pas mal ses amis, mais qu'il se faisait payer trop cher de ses peines ». On donnait en mourant ses biens à l'Eglise pour s'assurer un siège au paradis ; cette donation, laissée d'abord à la libre volonté des individus, finit par être imposée: « Tout homme qui mourait sans donner une partie de ses biens à l'Église, dit Montesquieu, ce qui s'appelait mourir déconfès, était privé de la communion et de sépulture. Si l'on mourait sans faire de testament, il fallait que les parents obtinssent de l'évêque qu'il nommât, concurrem-menlavec eux, des arbitres pour fixer ce que le défunt aurait dû donner en cas qu'il eût fait un testament. » (Esprit des lois, 1. XXVIII, ch. XLI.) Les prêtres prenaient leurs précautions en engageant leurs fidèles à se dépouiller de leur bien pendant leur vie, à condition d'en garder l'usufruit jusqu'au jour de leur mort. La crainte de la fin du monde en l'an 1000 multiplia considérablement les donations aux prêtres et aux couvents ; à quoi bon conserver les biens de ce monde, puisque gens et bêtes devaient périr et que l'heure du jugement dernier allait sonner? Mais quand l'an 1000 fut passé sans cataclysme, on revint de sa peur, et on regretta amèrement les biens qu'on avait subtilisés de son vivant sous un faux prétexte. On protesta : les héritiers attaquèrent les testaments. Pour intimider ces braves gens qui réclamaient leurs biens, l'Église eut recours aux anathèmes et aux malédictions. Les cartulaires de l'époque sont remplis de formules de malédictions pour épouvanter l'esprit des donateurs et de leurs parents : en voici unequis,e rencontre fréquemment dans les registres d'Auvergne : « Si un étranger, si quelqu'un de vos parents, si votre fils, si votre fille, étaient assez insensés pour attaquer cet acte, pour envahirles biens dédiés à Dieu et consacrés à ses saints, qu'ils soient frappés comme Hérode d'une atroce blessure ; comme Dathan, Àbiron, comme Judas qui vendit le Seigneur, qu'ils soient torturés dans les profondeurs de l'enfer [20]. »
Mais les biens de l'Église avaient d'autres origines. Beaumanoir, en rapportant les causes qui avaient si fort multiplié les serfs dans le royaume, dit que plusieurs hommes libres s'étaient vendus, eux et leurs hoirs, soit par misère, soit pour avoir la protection d'un maître contre leurs ennemis, et que des hommes libres s'étaient engagés, par dévotion, pour eux et leur postérité, à rendre certains services ou à payer certaines redevances à une église ou. à un monastère ; on oublia l'origine de cette sujétion et oh la regarda comme la preuve d'une véritable servitude. (Coutumes du Beauvoisis, c. XLV.) On se donnait à l'Église pour avoir sa protection temporelle. La plupart des actes d'esclavage volontaire (obnoxatio), dit Guérard, étaient provoqués par l'esprit de dévotion et par les ménagements que les évèques et les abbés avaient pour leurs serfs et par les avantages que la loi leur assurait. Les serfs et les vassaux de l'Église et des monastères jouissaient des mêmes privilèges que ceux qui appartenaient au roi ; ils avaient droit à une compensation triple en cas d'injure, de blessure et de mort. Le roi et l'Église se chargeaient de poursuivre le coupable, tandis qu'autrement ce soin incombait à la famille de l'offensé.
Les couvents étaient des places fortes pouvant soutenir des sièges en règle, et les moines s'exerçaient au maniement des armes; à Hastings, des gens d'Église se battaient dans les deux armées; l'abbé de Hida, un couvent situé près de Winchester, avait amené à Harold douze moines ; ils tombèrent tous les armes à la main. Les hauts dignitaires de l'Église étaient des chefs militaires qui déposaient la chasuble et la croix pour endosser la cuirasse et empoigner la lance. Desévêques comme celui de.Cahors, quand ils officiaient solennellement, plaçaient sur l'autel leur casque, leur cuirasse, leur épée et leur gantelet de fer. Roland à Roncevaux n'a pas de plus bel éloge pour Turpin, que de dire a Olivier :
Li Areevesques est mult bons chevaliers :
Nen ad meillur en terre, desuz ciel,
Bien set ferir ede lance e d'espiet.
..........................................................
Dient Franceis: « Ci ad grant vasselage ;
En l'Arcevesque est bien la croce salve.
Kar placet Deu qu'asez de tels ait Carles. Aoi
[21].
Durant les temps féodaux, les clercs étaient les seules personnes possédant quelque instruction; ils la mettaient, ainsi que leur épée, au service des paroissiens qui les nourrissaient. Ils s'interposaient souvent entre les populations rurales et les seigneurs qui les opprimaient; dans l'Irlande moderne on voit encore le bas clergé faire cause commune contre les landlords avec les fermiers et les paysans qui pourvoient à leur subsistance.
Si l'union était étroite entre le prêtre et le peuple des villes et des campagnes, par contre le clergé entrait souvent en lutte avec la noblesse féodale. Dans leurs accès de terreur superstitieuse et de piété fiévreuse, les barons pouvaient se dépouiller, en faveur des monastères et des églises, d'une partie de leurs terres et de leurs richesses; mais dans leurs moments de calme ils convoitaient les biens des moines et des prêtres et saisissaient la première occasion pour s'en emparer [22].
Les rois des premières races et les chefs militaires donnaient en bénéfices à leurs fidèles et à leurs soldats des églises et des monatères ; du VIIIe au XIIe siècle, un grand nombre d'églises étaient possédées par des laïques [23]. Les rois de France jusqu'à la Révolution avaient conservé le droit de régale, qui leur donnait tous les fruits des évêchés vacants. Les rois féodaux considéraient que les biens ecclésiastiques étaient amassés par la Providence pour subvenir à leurs besoins pressants ; ils rançonnaient les églises et les monastères avec le même sans-gêne qu'ils mettaient à extorquer l'or aux juifs. Mais le clergé recevait tant, dit Montesquieu, qu'il faut que dans les trois races on lui ait donné plusieurs fois tous les biens du royaume. » Quand Henri VIII, le Barbe-Bleue de l'histoire anglaise et le suprême pontife d'Angleterre, réforma l'Église catholique, il confisqua 645 monastères, 90 collèges, 2,374 églises et chapelles libres, 110 hôpitaux avec leurs revenus, s'élevant à plus de 50 millions par an : il faisait sur une grande échelle ce qu'avaient pratiqué ses prédécesseurs. Les bourgeois révolutionnaires de 89, en s'emparant des biens du clergé, n'avaient fait, en définitive, qu'imiter l'exemple donné par les rois très catholiques de France.
Les redevances féodales survécurent aux barons féodaux, disparus pour cause d'inutilité; elles devinrent l'apanage des nobles, souvent d'origine bourgeoise, qui ne rendaient plus aucun des services dont elles avaient été primitivement le prix. Violemment attaquées par les écrivains bourgeois et énergiquement défendues par les feudistes, elles furent supprimées définitivement par la révolution bourgeoise de 1789. La révolution bourgeoise anglaise, accomplie un siècle et demi auparavant, établit la bourgeoisie au pouvoir, avec la Chambre des communes siégeant à côté de la Chambre des seigneurs ; mais elle laissa subsister un grand nombre de privilèges féodaux, qui sont des anachronismes aujourd'hui que la classe aristocratique n'est, dans le sens littéral du mot, qu'une fraction de la classe capitaliste.
Les économistes et les historiens libéraux de notre siècle, au lieu de rechercher l'origine des servitudes féodales et leur raison d'être dans le passé et d'expliquer leur suppression par la disparition des causes qui les avaient nécessitées, ont cru devoir faire preuve de science et de libéralisme en condamnant en bloc et sans discernement tout ce qui de près ou de loin appartenait à la féodalité. Cependant, si l'on veut comprendre l'organisation sociale du moyen âge, il faut connaître la signification de ces servitudes, qui sont la forme mobilière de la propriété féodale. Il serait trop long de passer en revue toutes les servitudes féodales; je ne choisirai que celles qui ont soulevé le plus l'indignation des écrivains bourgeois ; je montrerai que si elles ont été maintenues et aggravées par la force, elles ont été au début consenties volontairement.
CORVÉE. — On a vu que le baron féodal, quand il n'était pas un chef militaire imposé par un conquérant, était d'ordinaire un simple citoyen de la commune qui ne se distinguait par aucun privilège des autres membres, ses égaux; il recevait son lot dans les partages agraires, mais, au lieu de cultiver ses champs, les autres habitants s'engageaient à le faire pour lui, afin de lui permettre de consacrer tout son temps à la défense de la commune. Haxthausen a vu le seigneur russe continuer à recevoir le quart et le tiers des terres du mir, qu'il faisait cultiver par les habitants du village.
Latruffe-Montmeylian dit qu'en France « la portion attribuée au seigneur sur les biens communaux variait selon la nature des titres des habitants. Elle était de deux tiers quand, les paysans jouissaient du droit d'usage dans la forêt seigneuriale, et du tiers seulement quand le droit d'usage ne s'exerçait que dans la forêt communale [24]. » Quand les biens des monastères et des barons s'agrandirent, les serfs qu'ils possédaient n'étant plus assez nombreux pour cultiver leurs terres, ils les donnaient en culture à des communautés de paysans libres vivant « au même pot et au même pain », suivant la caractéristique expression de l'époque. Mais les tenanciers, qu'ils fussent libres ou serfs, devaient un certain nombre de journées de travail au seigneur féodal, soit pour labourer ses champs, soit pour rentrer ses récoltes.
En ces temps où la production marchande et le commerce n'existaient pas, le baron et le paysan devaient manufacturer tout ce que réclamaient leurs besoins [25]. Dans la maison féodale et dans l'abbaye se trouvaient des ateliers de toute nature pour la fabrication des armes, des instruments aratoires, des tissus, des vêtements, etc. Les paysans, leurs femmes et leurs filles étaient tenus d'y aller travailler un certain nombre de jours par an. Les ateliers de femmes étaient dirigés par la dame châtelaine elle-même et portaient le nom de gynecia (gynécées). Les monastères possédaient également des ateliers féminins [26]. Ces ateliers ne tardèrent pas à devenir des harems pour les seigneurs et leurs valets, et même des lieux de débauches où les barons et les prêtres prostituaient leurs serves et leurs vassales : le mot de gyneciaria, ouvrière du gynécée, devint synonyme dé prostituée. Le scandale devint si grand que des évêques durent interdire aux curés d'avoir de semblables ateliers. On voit que le bordel, dans le monde moderne, a une origine religieuse et aristocratique.
Les journées de travail dues au baron par les vassaux et les tenanciers libres étaient au début peu nombreuses ; dans certains endroits elles étaient de trois journées par an [27] ; des ordonnances royales fixèrent leur nombre, à défaut de contrat ou de coutume, à douze par an. Les corvées des serfs étaient plus considérables; elles n'ont ordinairement pas dépassé trois jours par semaine ; mais le serf avait la jouissance du petit champ que lui abandonnait le seigneur et dont il ne pouvait être expulsé ; il avait de plus une part dans les récoltes du baron et des droits de pâturage dans ses forêts et sur ses terres arables. Le comte de Gasparin, qui fut ministre de l'agriculture sous Louis XVIII, dans son traité sur le Métayage publié en 1821, n'hésite point à reconnaître la supériorité du métayage sur le régime des corvées pour le propriétaire foncier [28]. Mais sur le déclin de la féodalité les seigneurs abusèrent de leur pouvoir pour augmenter les corvées ; « ils avaient pris une telle autorité, dit Jean Chenu, un écrivain du commencement du XVIIe siècle, qu'ils faisaient labourer, vendanger et mille autres corvées, sans autre titre que la crainte d'être bâtonné ou mangé par les gens d'armes. » Lorsque la paix fut à peu près établie dans l'intérieur des pays européens, les paysans n'ayant plus besoin d'être protégés, la noblesse de cour qui succéda aux barons féodaux devint parasitaire et oppressive.
BANS DE MOISSON. — On a cru que le droit possédé par le seigneur de proclamer le jour .où l'on devait faucher les prés, vendanger le raisin, moissonner le blé, etc., était purement féodal, tandis qu'au contraire son origine remonte à l'époque où la propriété collective florissait. On a vu plus haut que pour que les terres arables pussent être livrées aux bestiaux de la commune, le conseil des anciens du village fixait le jour des différentes moissons. Cette coutume, établie dans l'intérêt de tous les villageois, ne put être détournée de son véritlable but que lorsque le seigneur trafiqua avec ses récoltes. Il se substitua au conseil des anciens ou influa sur ses décisions et retarda la proclamation du ban des moissons, afin de faire la récolte sur ses terres avant celle des autres champs de la commune, et afin de pouvoir par conséquent la vendre le premier et dans de meilleures conditions.
BANALITÉ [29]. — Bien que le mot soit féodal, l'usage qu'il désigne est communiste. Dans les collectivités de village , ainsi qu'il a été dit, certaines fonctions sont remplies par des individus entretenus aux frais de la commune ; le village avait son berger communal pour mener au pâturage les bêtes de tous les habitants ; il possédait également des forges, des boucheries, des moulins, des animaux reproducteurs, au service de toute la communauté. Chaque famille, au lieu de chauffer son four pour cuire son pain, l'envoyait au four banal ou communal : cet usage avait été établi dans un intérêt économique, afin de réduire la consommation du bois de chauffage. La garde et l'entretien du four étaient confiés au conseil des anciens; puis au seigneur, qui, partout où il eut intérêt à le faire, substitua son autorité à celle des mandatés de la commune. L'impôt prélevé pour l'usage des choses banales était très minime : dans une ordonnance de 1223, de Guillaume Blanches-Mains, archevêque de Reims, il est dit que le prélat « aurait le four banal et percevrait un pain pour chaque fournée de trente-deux pains. » Boucher d'Argis cite des arrêts de 1563 et 1673 qui fixent le droit de mouture dans les moulins banaux à un seizième et à un treizième ; aujourd'hui il est calculé que le meunier prélève plus du dixième [30]. — De telles institutions ne pouvaient exister qu'en l'absence de toute production marchande ; elles étaient des entraves au développement du commerce et à l'exploitation de la communauté par des particuliers : les bourgeois révolutionnaires de France les déclarèrent entachées de féodalisme et les abolirent en 1790.
L'ÉGLISE. — Le curé était lié aux populations rurales qui le choisissaient, le nourrissaient, et qu'il instruisait, amusait avec les légendes religieuses, récréait par les cérémonies du culte et autres représentations dramatiques et protégeait contre le baron ; l'union qui existait alors entre le prêtre et le peuple se manifeste dans le caractère que possédait l'Église. Le temple de Dieu, qui finit par être la propriété exclusive du clergé et par être fermé au public, en dehors des heures du culte, était alors une propriété commune au curé, au baron et aux paysans. Le chœur et l'autel appartenaient aux décimateurs, c'est-à-dire au seigneur et au prêtre ; ils étaient « tenus aux réparations du chœur, telle que celle des murs, voûtes, lambris, couvertures, pavés, stalles, sièges, vitraux, autel et tableaux... Les habitants de la paroisse étaient tenus à l'entretien et aux réparations de la nef, parce qu'elle leur appartient, » dit La Poix de Fréminville. Us tenaient dans l'église leurs marchés, assemblées communales, réunions dansantes, et y déposaient leurs récoltes en cas d'urgence [31]. Thorold Rogers dit que partout en Angleterre l'église était la salle commune de réunion de la paroisse et une forteresse dans les moments de danger ; elle était bâtie à l'endroit que les premiers occupants avaient fortifié de palissades [32]. Le temple de Dieu était autrefois comme un lieu sacré pour le dépôt des objets précieux: les Hébreux faisaient du temple de Jérusalem, les Romains de celui de Vesta et les Grecs de celui de Delphes, des banques de dépôts pour leurs trésors.
Les cloches des églises du moyen âge appartenaient aux paysans, qui les faisaient soiiner pour annoncer leurs assemblées et prévenir en cas d'incendie ou d'attaque : dans les archives judiciaires des provinces de France des XVIIe et XVIIIe siècles, on trouve souvent mentionnés des jugements rendus contre des cloches accusées d'avoir prévenu les paysans de l'arrivée des employés de la gabelle et de la maréchaussée royale ; elles étaient condamnées à être descendues et fouettées parla main du bourreau, « nonobstant qu'elles fussent bénies et consacrées par une cérémonie des plus solennelles, puisque l'on y emploie l'huile de saint chresme, l'encens et le myrte et que l'on récite plusieurs prières ». L'église était la maison de Dieu, dressée en face du manoir féodal, et les paysans se serraient autour d'elle.
LA DIME — était le salaire des curés, payé autrefois par les paroissiens, acquitté aujourd'hui par l'État, qui en prélève le montant par des impôts. Elle était payée en nature, ainsi que les autres redevances féodales. Vau-ban reconnaît que les dîmes et redevances en nature sont moins onéreuses pour le cultivateur que les impôts en espèces; en effet, elles étaient proportionnées à la récolte, plus ou moins considérables selon son abondance ou sa rareté. Tandis que l'impôt reste le même, que la récolte soit bonne ou mauvaise ; pour l'acquit ter, le paysan doit acheter de l'argent avec ses produits; et dans cet échange, le petit cultivateur, toujours pressé par le besoin, est obligé de subir les exigences du possesseur du numéraire (banquier ou marchand de grains). Si tous les gouvernements modernes ont adopté le payement des impôts en argent, c'est autant pour le rendre invariable que pour mettre à la charge du cultivateur les aléas de la vente des récoltes.
La dîme en faveur de l'Église, était au début facultative, comme elle l'est encore aujourd'hui en Irlande; Mably prétend que dans les capitulaires de Charlemagne on ne trouve aucun passage qui l'impose expressément; elle était payée aussi bien au prêtre qu'au sorcier. Agobard, archevêque de Lyon au IXe siècle, se plaint amèrement que l'on n'acquittait pas aussi exactement la dîme ecclésiastique que celle accordée aux tempstaires (tempestarii), sorciers qui avaient le pouvoir d'envoyer la tempête et de de'toumer les orages. Aussi le synode de Francfort, tenu soùs Gharlemagne en 794, se servit du diable pour faire entrer la dime ecclésiastique : on y rédigea un capitulaire dans lequel il est dit que « dans la dernière famine, on avait trouvé les épis vidés, dévorés par les démons qui reprochaient de n'avoir pas payé la dîme ». Prêtres et sorciers, Diable et Dieu sont souvent les mêmes personnages sous des noms différents.
Mais de facultative la dime devint obligatoire, en vertu de l'adage féodal : nulle terre sans charges ni dînes; elle fut convertie en un droit domanial et fut accordée à des seigneurs laïques, ou à des abbés qui la revendaient à des seigneurs laïques. La dîme donnée volontairement pour obtenir les secours spirituels des gens d'Église devint obligatoire et finit par être un impôt oppressif que nul service n'autorisait : ainsi l'or fin se change en plomb vil.
Si les redevances seigneuriales, qui devinrent onéreuses et iniques lorsque les barons féodaux cessèrent de remplir le rôle de protecteurs de leurs vassaux, tenanciers et serfs, avaient été consenties volontairement, lapropriété foncière nobiliaire, à son origine poste militaire confié temporairement à un guerrier, ou simplement droit dans les partages agraires, s'agrandit par la fraude et la violence, principalement aux dépens des biens communaux.
Marx, dans l'admirable chapitre XXVII du Capital sur l'expropriation de la population des campagnes, auquel je renvoip le lecteur, a montré de quelle façon brutale et expéditive les seigneurs d'Ecosse et d'Angleterre ont complètement dépouillé les paysans de leurs terres. Bien qu'aucune autre nation européenne ne puisse se vanter d'avoir nourri une aristocratie qui ait accompli son œuvre de monopolisation du sol avec autant de rapacité et de férocité, cependant dans tous les pays civilisés les paysans ont été dépossédés de leurs biens et de leurs droits séculaires : tous les moyens ont été employés par nobles et bourgeois pour arriver à cette louable et lucrative fin. Nous allons en citer quelques-uns.
Les redevances et les corvées étaient devenues si exagérées, surtout depuis que la noblesse avait cessé de remplir tout rôle utile, que pour les racheter les paysans consentaient à céder au seigneur une partie des terres communales du village. Ces cessions de territoire, avidement recherchées parles seigneurs, semblent avoir été presque toujours pratiquées à l'aide de la ruse : les nobles corrompaient un certain nombre de villageois, qui s'arrangeaient pour constituer à eux seuls l'assemblée générale de la commune qui votait les abandons de terres; aussi trouve-t-on en France des ordonnances royales qui cassent ces décisions et imposent la restitution des terres à la commune et qui spécifient qu'aucune cession des biens communaux ne sera valable si elle n'est résolue par tous les habitants réunis à cet effet.
Les voleurs de biens communaux ne recouraient pas toujours à ces procédés parlementaires; souvent ils les prenaient brutalement. Au xvie siècle, alors que la bourgeoisie manufacturière et commerciale se développait rapidement, les terres communales furent convoitées à la fois par les nobles et les spéculateurs qui pullulaient. La population des villes croissait, et pour répondre à ses nouveaux besoins l'agriculture devait multiplier ses produits. Développer l'agriculture était une préoccupation générale. Des spéculateurs, sous prétexte d'augmenter l'étendue des terres arables, se firent délivrer par les rois de France des ordonnances leur octroyant le droit de mettre en culture les terres incultes : ils s'empressèrent de ranger dans la catégorie des terres incultes les biens communaux, et se disposèrent à les enlever aux paysans, qui les défendirent les armes à la main ; pour vaincre leur résistance, les accapareurs appelèrent à leur aide la force armée de l'Etat, qu'entre autres rois, Henri IV ; le roi de la poule au pot, mit à leur service.
Les nobles, pour s'emparer des terres des villages, employèrent des procédés qui sentaient la chicane : ils prétendirent que les champs possédés par les paysans ne correspondaient pas à leurs titres de propriété, ce qui était parfaitement exact en bien des cas; ils exigeaient la vérification des droits de propriété et confisquaient à leur profit tout le surplus ; d'autres fois leurs procédés étaient révolutionnaires ; ils supprimaient les titres qu'ils s'étaient fait remettre et, le titre brûlé, le paysan ne pouvait plus établir son droit de possession sur son champ, qui demeurait sans propriétaire, et, en vertu de l'adage pas de terre sans seigneur, le noble accaparait les terres paysannes. Les autodafés des litres de propriété de 1789 étaient la réponse aux suppressions des titres faites par les nobles du xvie siècle.
L'accaparement des forêts commença plus tôt : sans s'embarrasser de paperasses, les seigneurs s'adjugeaient la propriété des bois et des taillis; il les clôturaient et interdisaient aux paysans d'y chasser et d'user de leur droit séculaire de prendre leur bois de chauffage et de construction. Ces empiétements des nobles sur les forêts qui étaient propriété commune excitèrent les colères et donnèrent lieu en Europe à de terribles révoltes. « Les seigneurs ne nous font que du mal, dit le paysan dans le Roman de Rou du XIe siècle; ils ont tout, peuvent tout, mangent tout et nous font vivre en pauvreté et douleur... Pourquoi nous laisser traiter ainsi? Nous sommes des hommes comme eux, nous avons les mêmes membres, la.même taille, la même force pour souffrir et nous sommes cent contre un... Défendons-nous contre les chevaliers, tenons-nous tous ensemble, et nul homme n'aura seigneurie sur nous, et nous pourrons couper les arbres, prendre le gibier dans les forêts et le poisson dans les étangs, et nous ferons notre volonté aux bois, dans les prés et sur les eaux. » Les Jacqueries qui éclatèrent au milieu du XIVe siècle dans les provinces du nord et du centre de la France furent occasionnées par les prétentions des nobles d'interdire aux paysans l'usage des forêts et la jouissance des eaux. De pareilles révoltes se produisirent en Allemagne, depuis celle des Saxons contre l'empereur Henri IV jusqu'à celle des paysans de la Souabe qui, au temps de Luther, prirent les armes contre les seigneurs qui leur refusaient l'usage des bois et des eaux. La révolte de la Souabe eut un contre-coup sanglant en Alsace-Lorraine.
Ces soulèvements obligèrent les seigneurs à respecter enmaintes circonstances les droits usagers des paysans, qui étaient si bien établis que La Poix de Fréminville déclarait, en 1760, que « même si les paysans en abusaient, ils ne pourraient leur être enlevés, car le droit d'usage dans les forêts doit être regardé perpétuel, et qu'étant perpétuel, il est accordé tant pour les habitants présents que pour ceux qui leur succèdent dans l'avenir, et que l'on ne peut priver d'un droit acquis ceux qui ne sont pas nés. » Mais les bourgeois révolutionnaires de 1789 n'eurent par le respect du juriste féodal pour les droits des paysans; ils les abolirent au profit du grand propriétaire foncier.
Si les seigneurs durent parfois s'incliner devant les droits usagers des paysans, ils les déclarèrent des faveurs octroyées par leur bon plaisir ; ils se considérèrent propriétaires des forêts, comme plus tard ils devaient élever des prétentions sur les terres mêmes de leurs vassaux. Au moyen âge, quand un homme libre possesseur d'un alleu cherchait la recommandation, c'est-à-dire la protection d'un homme puissant, il lui apportait une motte de sa terre, lui jurait foi et hommage, et s'astreignait à de certaines redevances en services ou en nature. Il demeurait néanmoins maître de son champ. Mais le seigneur féodal, en plusieurs provinces, se déclara maître du foncier, c'est-à-dire du sol au-dessous de la surface, tout en reconnaissant aux paysans ou domaniers la propriété des superfices, c'est-à-dire de tout ce qui recouvrait le sol : bâtisses, plantations, arbres, récoltes, bien que le droit féodal n'accordât pas au seigneur la'possession du sous-sol, puisque pour exploiter une mine sur son propre fonds, il était obligé d'obtenir l'autorisation royale, qui n'était octroyée que pour un temps déterminé et contre redevances. Cependant c'est à l'aide de telles fictions légales que de nos jours les nobles de Bretagne demandent l'expropriation des cultivateurs, descendants des vassaux de leurs ancêtres.
La révolution bourgeoise de 1789 créa la propriété privée du sol : jusque-là les biens-fonds de France, ceux des nobles comme ceux des bourgeois et des paysans, étaient soumis à des droits usagers qui leur enlevaient pendant un temps tout caractère de propriété privée. Non seulement les forêts accaparées par les nobles devaient rester ouvertes aux bestiaux des habitants du village, mais encore les terres arables ; une fois la récolte enlevée, elles redevenaient propriétés communes, et les paysans y envoyaient pâturer leurs bêtes. Les vignes mêmes n'étaient pas soustraites à un tel usage [33]. Non seulement les propriétaires devaient livrer leurs terres à la vaine pâture, mais ils n'avaient pas le droit d'y faire les cultures à leur guise : ils devaient se conformer aux arrêtés des conseils communaux, et pour planter des vignes ils devaient obtenir une permission royale. Cette autorisation, quelques années avant la Révolution, fut refusée à Montesquieu, au grand scandale des encyclopédistes. — Le propriétaire avait des devoirs envers la terre ; il n'avait pas le droit de la laisser inculte ; le 13 octobre 1693, Louis XIV rendait un arrêt autorisant, dans les cas où les propriétaires ne cultivaient pas eux-mêmes leurs terres, « toute personne de les ensemencer et d'en récolter les fruits, à charge de partager avec le maître du champ. » Cette ordonnance ne faisait que remettre en vigueur une vieille coutume. « Nos maieurs, dit Coquille, aimant le bien public et la police... avec grande raison ont introduit la coutume, par laquelle est permis à chacun labourer terre d'autruy non labourée, sans le congé du propriétaire, à la charge de payer le champart au dit propriétaire. Le champart n'est de pareille quantité partout, selon la multitude des laboureurs et bonté des terres : en aucuns cas est la tierce gerbe, en autre la quarte, la cinquième, la sixième et la septième ; il se faut reigler selon l'usance du pays. » (Questions et Réponses sur les coutumes de France, § LXXVI.)
La propriété foncière féodale n'était rien moins que libre ; elle n'était pas individuelle, mais familiale ; son propriétaire en titre ne pouvait en trafiquerVil n'était qu'un usufruitier chargé de la transmettre à son descendant. Les biens ecclésiastiques avaient ce caractère; mais, au lieu d'appartenir à une famille, ils étaient la propriété des pauvres et de l'Église, la grande famille catholique: les abbés, les moines et les prêtres qui les occupaient n'en étaient que les administrateurs très infidèles. Pour les soustraire à l'impôt, le clergé français professa jusqu'à la Révolution que les biens ecclésiastiques ne devaient pas être considérés comme une propriété ordinaire, mais comme la propriété de personne, res nullius, parce qu'ils étaient propriété sacrée, religieuse, res sacræ, res religiosæ. Les bourgeois révolutionnaires les prirent au mot : ils déclarèrent que le clergé n'était pas propriétaire des biens ecclésiastiques, qui appartenaient à l'Église; or le mot grec ecclesia, d'où vient Église, signifie réunion, ensemble, société de tous les fidèles, ce qui n'est pas autre chose que la nation même; les biens de l'Église sont donc des biens nationaux. On les nationalisa comme les avait déjà socialisés Charles-Martel, qui les distribua entre ses guerriers. Les bourgeois révolutionnaires, imitant Henri VIII d'Angleterre, firent main basse sur les biens de l'Église et se partagèrent entre eux des propriétés qui appartenaient aux pauvres et à la nation.
Les historiens libéraux et les économistes bourgeois ont précisément attaqué le plus furieusement ces servitudes, que Neufchâteau appelait les « taches de la rouille féodale », mais qui étaient des vestiges du communisme primitif et qui' apportaient un certain bien-être aux paysans, qu'ils ne devaient plus connaître du jour où la propriété privée bourgeoise remplacerait la propriété féodale.
Les historiens et les politiciens bourgeois, ces impudents falsificateurs de l'histoire, ont fabriqué de toutes pièces une légende sur la révolution de 1789 : elle a été faite, .disent-ils, au profit des paysans et leur a donné la terre. A les entendre, on croirait que la propriété paysanne n'existait pas auparavant et que pour apparaître il fallut qu'elle attendît la vente des biens nationaux, et le partage des biens communaux. Cette gigantesque liquidation territoriale, qui est une répétition sur une plus vaste échelle de celle qu'entreprit au xvie siècle Henri VIII d'Angleterre, profita surtout aux spéculateurs et aux bourgeois, qui saisirent l'occasion de s'enrichir aux dépens de, la noblesse et du clergé, d'agrandir leurs biens et de se procurer de beaux, domaines à bon marché : mais elle n'augmenta pas sensiblement le nombre de petits propriétaires, ainsi que le- constate Léonce de Lavergne dans son Economie rurale. En effet, dans la France de l'ancien régime « il y avait une immensité de petites propriétés rurales », déclarait Necker; «le nombre des petits propriétaires est si prodigieux, écrivait Arthur Young, que je crois qu'il comprend le tiers du royaume. » F. de Neufchâteau assure que « dans les départements qui forment la sénatorerie de Dijon, les terres sont distribuées entre la majeure partie des habitants : il en est peu qui soient absolument privés de propriété foncière ». Ces propriétaires n'étaient pas de création récente, puisque, ajoute-t-il, leurs terres sont morcelées à l'infini, par suite de partages après décès, depuis plusieurs générations [34].
La révolution de 1789 n'a pas créé la petite propriété; mais si elle n'a pas donné la terre aux paysans, elle les a dépouillés d'une partie de leurs biens communaux et les a dépossédés de leurs droits usagers sur les terres des nobles et des bourgeois : droit de glanage, de paisson dans les forêts, de vaine pâture sur les terres arables après la récolte, et d'autres droits tout aussi importants pour leur bien-être. La Révolution n'a été faite qu'au profit des moyens et des grands propriétaires, aristocrates aussi bien que bourgeois.
Les nobles ont fait preuve d'une rare inintelligence en ne comprenant pas qu'en compensation du sacrifice de quelques privilèges surannés, plus factices que réels, la révolution bourgeoise allait les débarrasser des servitudes féodales dont ils avaient eux-mêmes réclamé l'abolition et qui, selon l'expression courante du XVIIIe siècle, enlevaient, après la moisson, aux biens-fonds tout caractère de propriété privée pour leur donner celui de propriété commune. Un agronome d'avant la Révolution, Duhamel du Monceau, bien que critiquant sévèrement et justement le droit de vaine pâture, qui s'opposait à l'introduction de toute nouvelle Culture, ajoutait: « Cependant, comme je crois qu'il faut respecter jusqu'à un certain point les usages anciens, il me paraît que le seul moyen de remettre en vigueur l'agriculture, serait de déclarer que chaque propriétaire pourrait soustraire à la vaine pâture la trentième partie de son domaine [35]. » La loi du 28 septembre 1791 sur les Biens et usages ruraux autorisa les propriétaires à soustraire à la vaine pâture leur domaine tout entier. Cet attentat contre leurs droits séculaires fut autrement puissant que l'abolition de la royauté et la constitution civile du clergé, pour soulever contre la Révolution les paysans du Midi, de l'Auvergne, de l'Anjou, du Poitou, de la Vendée, de la Bretagne et de l'Alsace [36].
Les émigrés, quand ils rentrèrent dans les « fourgons de l'étranger », reprirent possession de leurs terres invendues, débarrassées des charges féodales qui les grevaient et se firent payer par l'État au delà de leur valeur celles qui avaient été vendues [37]. La Révolution n'a pas arraché la terre de France des griffes des aristocrates; cette œuvre est accomplie tous lesjours par les financiers, les industriels et les commerçants, qui sont en train de l'accaparer. La propriété foncière, qui se centralise par l'expropriation constante des petits cultivateurs, n'entretient dans le luxe le plus scandaleux que de grossiers et d'imbéciles parasites, qui n'ont ni les vertus guerrières des barons féodaux, ni l'élégance et la politesse des courtisans de Versailles.
Sur les 49,388,304 hectares soumis à l'impôt foncier, qui représentent la partie utilisable et productive du territoire de la France, 2,574,589 hectares sont possédés par 5,091,097 propriétaires, soit en moyenne un demi-hectare par cultivateur ; tandis que 8,017,542 hectares sont monopolisés par 10,482 nobles embourgeoisés et bourgeois emmillionnês, soit en moyenne 764 hectares par parasite. La même Assemblée qui, en 1871, démembra la France del'Alsace-Lorraine, livra 33,000 hectares aux princes d'Orléans. — D'après un dire digne de foi, la famille Rothschild détient plus de 200,000 hectares [38].
Les lambeaux du territoire national laissés aux paysans sont insuffisants pour leur procurer des moyens d'existence, mais ils les enchaînent aux champs et permettent aux propriétaires capitalistes d'avoir toujours à leur disposition des journaliers pour cultiver leurs biens. Avant la Révolution, pour se procurer des travailleurs aux époques des moissons et dans le courant de l'année, les propriétaires étaient obligés, dans un grand nombre de provinces, de les établir sur leurs domaines, dans des maisonnettes auxquelles étaient annexés des champs de un à deux hectares ; on nommait manouvreries ces petites fermes, concédées aux laboureurs, en échange d'un certain nombre de journées de travail [39] . Les lopins de terre des paysans modernes jouent, le rôle des manouvreries du siècle dernier, avec cette différence que les paysans doivent les payer de leurs deniers.
Les terres centralisées sont données en fermage ou cultivées, pour des sociétés financières, par des agronomes au courant des progrès de la science et de la technique agricole, mais une partie des terres monopolisées par les parasites sont transformées pour leur amusement en territoires de chasse, d'où les faisans et les lièvres chassent les paysans.
La Révolution, au lieu de mettre la propriété à la portée du paysan, l'en éloigne au contraire par la hausse constante qu'elle a imprimée au prix de la terre et au taux de la rente foncière des parasites.
1789 | 1815 | 1859 | 1884 | |
Prix moyen de l'hectare .................... | 400 fr. | 600 fr. | 1,000 fr. | 1,800 fr. |
Rente foncière par hectare ............... | 12 fr. | 18 fr. | 30 fr. | 54 fr. |
Les chiffres de 1789 sont fournis par Forbonnais et Lavoisier ; ceux de 1815 et 1859 par L. de Lavergne, et ceux de 1884 sont établis d'après l'évaluation du lise, qui estime l'hectare au prix moyen de 1,800 francs; et on reste au-dessous de la vérité si on porte aujourd'hui ce prix moyen à 2,000 francs, et la rente foncière à 60 francs par hectare ; c'est à 3 0/0 que Lavergne calcule le taux de la rente foncière [40].
La propriété rurale, dans l'espace d'un siècle, a plus que quintuplé de valeur vénale. Cette énorme exagération du prix de la terre est la principale, sinon l'unique cause de la crise permanente de l'agriculture. Le paysan ne peut plus acheter la terre sans emprunter, sans se mettre, pour la vie durant, dans les mains de l'usurier: il n'est alors qu'un propriétaire nominal; ce n'est pas lui qui possède son champ, c'est le banquier ; il ne le travaille que pour payer les intérêts de sa dette, qui monte à mesure qu'il l'acquitte.
Les profite du propriétaire parasitaire ne s'élèvent que parce que les gains du cultivateur diminuent. Le loyer de la terre que paye le paysan pour qui les bourgeois ont fait la Révolution est autrement lourd que celui que payait le travaillera du moyen âge : car le seigneur féodal restait associé aux chances du laboureur ; sa rente foncière n'était pas une somme d'argent invariable et fixée d'avance, mais une part de la récolte, bonne ou mauvaise ; souvent même, dans les années de disette, au lieu de recevoir des redevances, il était obligé de procurer des grains, des fourrages et des bestiaux aux cultivateurs.
Olivier de Serres, qui écrivait dans un temps où la noblesse de cour s'efforçait d'aggraver les conditions du louage de la terre, recommandait comme le meilleur système de métayage celui du partage égal, quand le seigneur avait fourni la moitié du bétail, les outils de labourage et les semences et qu'il laissait les pailles avec la quantité de blé nécessaire pour que le métayer nourrît ses animaux de labour sans bourse délier. Mais si l'on remonte plus avant dans le passée, on rencontre des conditions plus avantageuses pour le laboureur. L. Delisle, dans son étude sur les classes agricoles du moyen âge, entre autres contrats de louage, cite ceux des tenanciers des religieux de Saint-Julien de Tours, qui abandonnaient aux moines la sixième gerbe, dans d'autres contrats la dixième et même la douzième [41]. Ces conditions n'étaient pas particulières à une province, car on les trouve également dans le Midi. Des actes datés de 1212 et 1214 montrent les religieux de l'abbaye de Moissac donnant leurs terres à cultiver à des paysans libres et ne se réservant que le tiers, le quart et même le dixième de la récolte. Lagrèze-Fos-sat, qui a étudié ces actes, remarque que « les paysans traitent de gré à gré avec les religieux et que le prélève-mentdes produits stipulés en faveur de ces derniers n'avait pas le caractère d'un tribut imposé; il était débattu d'avance et librement consenti [42] ». Dans les pays vinicoles, les vignes étaient données à comptant; le propriétaire prélevait la moitié de la récolte et ne pouvait déposséder le colon et ses descendants du terrain qu'ils avaient planté.
Le livre de comptes de l'abbaye de Saint-Germain des Prés, que Guérard a publié en 1844, nous fait pénétrer dans la vie des serfs et des cultivateurs libres du IXe siècle : les champs étaient donnés en culture non à des individus, mais à des communautés de paysans, travaillant et vivant en commun, comme il a été dit plus haut.
Les terres de l'abbaye étaient classées en manses ingénuités ou libres — elles étaient les plus nombreuses — et en manses serviles; au moyen âge la terre avait des qualités morales : elle était seigneuriale, vassale ou serve. Les tenanciers étaient tenus à des services et à des redevances de bestiaux, volailles, œufs, légumes, moutarde et autres objets de consommation et d'utilité agricole, tels que bardeaux, échalas, bois, osier, etc. Guérard a calculé en argent la valeur approximative des services et des redevances ; et il a trouvé que l'hectare des manses libres payait une rente de 6f,13 en corvées et de 10f,62 en produits, et que l'hectare des manses serviies acquittait une rente de 15f,34 en corvées et de 6f,46 centimes en produits. Les cultivateurs de l'abbaye s'élevaient au chiffre considérable de 10,026, la plupart Germains d'origine, à en juger par leurs noms. Les conditions faites aux paysans de l'abbaye, vu le nombre des cultivateurs, devaient être, à peu de chose près, la règle générale. — Quel est le fermier de nos jours qui ne consentirait à échanger son propriétaire capitaliste contre les moines du IXe siècle, pour occuper une terre au prix de 21f,80 l'hectare, payés non en argent, mais en journées de prestations et en produits [43] ?
La révolution de 1789, qui n'aurait pu s'accomplir sans le concours actif et passif des paysans, trompa toutes leurs espérances : elle paracheva l'œuvre spoliatrice de l'aristocratie; elle les dépouilla, sans compensation, de leurs droits et de leurs biens communaux, qui depuis des siècles subissaient les assauts de la noblesse, du clergé et de la bourgeoisie ; elle libéra la propriété foncière des servitudes qui la rattachaient au communisme primitif de la gens, et elle intronisa la propriété privée avec son droit absolu d'user et d'abuser.
Les paysans, pour reconquérir leurs droits supprimés et leurs biens dérobés par les seigneurs, se lancèrent dans la tourmente révolutionnaire au premier appel des états généraux : avec une joie frénétique et au grand ahurissement et mécontentement des révolutionnaires bourgeois, ils flambèrent les châteaux et les parchemins féodaux; mais des griffes acérées des aristocrates, ils tombèrent dans les mains crochues des capitalistes.
Les paysans ont été dupés par les révolutionnaires bourgeois, comme les volontaires de la République ont été volés par les spéculateurs territoriaux du milliard des biens des émigrés qu'on leur avait promis, comme les Jacques avaient été trahis par Etienne Marcel, le héros bourgeois. Mais, battus et jamais vaincus, ils se rallient aujourd'hui au rouge drapeau du socialisme pour recommencer la révolution sociale qui expropriera les expropriateurs et qui réparera les crimes de la Révolution de 1789.
Notes
[1]. The Vision of Piers the Plowman. (la vision de Piers le laboureur), composée quelques années avant la révolte des paysans de Kent, qui s'emparèrent de Londres en 1380, rappelle aux nobles leurs devoirs envers les serfs et les vassaux qui les nourrissaient. Piers dit au chevalier :
Ye profre yow so faire
That I shall swynke, and swete, and sow for us bothe,
And otheer laboures do for thi love al my lyf-tyme,
In convenant that thow kepe holik irke and myselve
Fro wastoures and fro wikked men that this world struyeth.
Ce que vous offrez est si juste, — que je travaillerai et suerai et sèmerai pour nous deux, — et autres labeurs ferai pour ton amour toute ma vie durant, — sous condition que tu protèges la sainte Église et moi-même — contre les dévastateurs et les hommes méchants qui courent le monde.
[2]. Ne dites un tel outrage. — Maudit soit qui porte lâche cœur au ventre ! — Nous tiendrons ferme en la place ; — De nous viendront et les coups et la bataille !.., Pour son seigneur on doit souffrir grands maux,— Et endurer et forts froids et grande chaleur, — Aussi on doit perdre du sang et de la chair. — Frappe de ta lance et moi de Durandal — la bonne espée que le Roi me donna. — Si je meurs, qui l'aura pourra dire — Qu'elle fut à noble vassal. » Aoi. (Chanson de Roland; édition Léon Gautier, XCIII et XCIV.)
La chanson de Roland, l'épopée populaire du moyen âge, était souvent chantée au commencement des batailles. A Hastings, quand les deux armées furent en présence, un chevalier normand, Tailléfer, sortit des rangs et entonna le chant de Charle-mague et de Roland, «pour enflammer le courage des soldats », dit William of Malmsbury. En chantant il jouait de son épée, la lançait en l'air, et la saisissait par la poignée : les Normands reprenaient en chœur le refrain et criaient : « Dieu aide ! »
L'interjection Aoi! qui se trouve après chaque strophe, a exercé l'ingéniosité des philologues ; elle correspond à notre ohé! ainsi que le remarque M. Gautier, et avertissait que le couplet était terminé ; car probablement la Chanson de Roland était chantée par deux jongleurs, comme le Kalevala l'est encore de nos jours en Finlande par deux runoiat. L'un commence en chantant une strophe que l'autre répète, puis dit la sienne, que le premier à son tour répète, et ainsi de suite tant que dure le poème, c'est-à-dire souvent des journées et des nuits entières.
[3]. H.-S. Maine, Village communities, p. 84. Cette opinion était émise devant une commission de la Chambre des communes par un avocat, M. Blamire, qui, d'après Maine, «était un jurisconsulte des plus familiers avec la propriété foncière anglaise dans ses formes les plus rares ».
[4]. Die Bello Gallico, V, § 14.
[5]. Un économiste de grand renom, M. de Molinari, a innocemment comparé les entreprises financières de notre temps aux expéditions piratiques du moyen âge; c'est confesser que les honnêtes placements de pères de famille n'ont pour but que le pillage. Il existe cependant une différence: les guerriers féodaux jouaient leurs personnes, tandis que les capitalistes, qui accourent en foule aux 10 et 20 0/0 des prospectus de la finance, n'engagent que des capitaux qu'ils se sont bien gardés de créer.
[6]. « Les terres des Gundehpoors sont divisées eu six lots, correspondant au nombre de clans qui composent la tribu ; les lots sont tirés au sort... Tous les trois ou cinq ans les partages sont renouvelés... Ce qu'il y a de surprenant, c'est que ces transactions, chez un peuple sans lois, ne donnent lieu à aucune querelle ni à aucune rixe sanglante. » (Mountstuart Elphinstone, An Account of the kingdom of Caubul; 1805.)
[7]. F. Engels, Socialism utopian and scientific. Voir le remarquable appendice sur la Mark.
[8]. Après la bataille de Poitiers (1356), les soldats des deux armées, se trouvant sans emploi, s'associèrent et firent la guerre pour leur propre compte. Après le traité de Rrétigny (1360), qui rendit la liberté au roi Jean, prisonnier des Anglais, on licencia lès troupes des deux partis ; elles s'organisèrent en bandes ettin-rent la campagne. Une bande opérait dans le Nord ; une autre, plus considérable, commandée par Talleyrand-Périgord, descendit la vallée du Rhône et ravagea la Provence. Elle passa par Avignon, où le pape régala les chefs et donna l'absolution aux soudards, qui ne s'en souciaient guère, et un cadeau de 500,000 livres : elle rançonnait les villes et ravageait les campagnes.
[9]. Parfois on s'adressait à un guerrier étranger. Les Fors (coutumes) de Béarn débutent par cette déclaration d'indépendance : A quelts sort los fors de Bearn : en los quo ans fé mentiou que antiquement en Bearn no havé Senhor. (Voici les coutumes du Béarn; elles fontmention qu'anciennement il n'y avait pas de seigneur au béarn.) — Mais les habitants de Pau, ayant besoin d'un chef militaire et ayant entendu vanter un chevalier de Rigorre, l'élurent seigneur pour un an. L'assemblée populaire l'ayant requis de se conformer aux coutumes, qu'il enfreignait; il fut tué dans l'assemblée même parce qu'il refusa d'obéir.
[10]. L. Deville, Études historiques sur Tarbes (Bulletin de la So riétë académique des Hautes-Pyrénées, 6e année, 2e livraison, 1861).
[11]. Gomme, Village community.
[12]. Ces lots de terre recevaient parfois les noms des métiers dont on avait récompensé l'exercice au bénéfice de la communauté. « Il existe, dit Maine, dans plusieurs paroisses anglaises certaines pièceà de terre dans les terrains communaux qui, depuis un temps immémorial, portent le nom d'un métier, et souvent aussi il existe cette croyance populaire qu'un individu n'exerçant pas le métier dont la pièce porte le nom ne peut légalement la posséder. » (Village communities.)
[13]. « Les Basoutos s'assemblent tous les aus pour retourner et semer les champs de leur chef et de sa première femme. Des centaines d'hommes rangés sur une ligue droite lèvent et abaissent simultanément leurs mattocqs : tout le village concourt à l'entretien du chef. » (Casalis, les Basoutos.)
[14]. Voici la formule d'intronisation des anciens rois d'Aragon, qui devait, à peu de chose près, être celle des rois Francs : « Nous, qui individuellement sommes autant que toi, nous te faisons notre roi, à condition que tu respectes nos coutumes ; sinon, non. »
[15]. Boucher d'Argis, Code rural ou Maximes et règlements concernant les biens de campagne; 1774, 3e édit.; ch. VI, § 2.
[16]. Dans les langues romanes le mot baron, le premier nom des seigneurs féodaux, avait la signification d'homme fort, de guerrier vaillant, qui indique bien le caractère essentiellement militaire de la féodalité. — Vassal a eu pareillement le sens de brave, vaillant.
[17]. Vitry, le légat d'Innocent III, qui prêcha en Belgique et en Allemagne la croisade contre les Albigeois (en 1208), écrit :«Les seigneurs, malgré leurs titres et dignités, ne cessent d'aller à la proie et de faire métier de voleurs et de brigands, en ravageant des contrées entières par des incendies...» Les mœurs cléricales n'étaient ni pires ni meilleures : l'archevêque de Narbonne de la fin du xiie siècle courait avec ses chanoines et archidiacres les champs, chassant les bêtes, pillant les paysans et violant les femmes. Il entretenait à sa solde une bande de routiers aragonnais, qu'il employait à rançonner le pays ; les évêques et les abbés aimaient « grandement les femmes blanches, le vin rouge, les riches habits et les beaux chevaux, vivant richement tandis que Dieu a voulu vivre pauvre, » dit un troubadour.
[18]. La Poix de Fréminville, Traité général du gouvernement des biens des communautés d'habitants; Paris 1760.
[19]. Seigneurs barons, pas de mauvaises pensées; — pour Dieu vous prie, ne fuyez pas, — de peur qu'on ne vous chansonue méchamment. — Il vaut mieux que nous mourions en combattant. — Entre nous, il est certain que nous allons mourir ; — après ce jour nous ne serons plus vivants; — mais d'une chose je vous suis bien garant : — le saint paradis vous sera ouvert ; — à côté des saints vous serez assis.
[20]. Cité par H.-F. Rivière dans son Histoire des institutions de l'Auvergne; 1874.
[21]. L'archevêque est très bon chevalier : — il n'en est de meilleur sur terre, dessous le ciel, — bien sait frapper de la lance et de l'épée. — Les Français disent : Voilà de la grande braverie ! — Avec l'archevêque la croix est en sûreté. — Plût à Dieu que Charles en eût beaucoup de pareils. Aoi.
[22]. Sweyn, fils de Godwin et frère de Harold, avait enlevé une religieuse et commis un meurtre dans un moment de passion ; pour apaiser ses remords, il se condamna lui-même à faire nu-pieds le voyage de Jérusalem. Il accomplit rigoureusement ce pénible pèlerinage, mais il en mourut, rapporte W. of Malmesbury.
[23]. Pépin d'Héristal, son petit-fils Pépin le Bref et Charlemagne, qui avaient à se faire pardonner le meurtre de Dagobert et leur usurpation, furent des protecteurs de l'Église ; mais Charles-Martel, père de Pépin le Bref, la dépouille brutalement de ses biens. Le chroniqueur, pour raconter le fait, se sert du verbe socialiser. Karolus, plurima juri ecclesiastico detrahens, prædia fisco sociavit, ac deinde militibus dispertivit. (En chronico Centutensi, lib. II.)
[24]. Latruffe-Montmeylian, Du droit des communes sur les biens communaux; Paris, 1825. — Montmeylian est un des rares écrivains qui, en France, aient eu le courage de défendre les biens communaux contre la rapacité bourgeoise.
[25]. Olivier de Serres, dans son Théâtre de l'agriculture et du mesnage des champs, conseillait au propriétaire foncier de produire tout ce qu'ils consommaient et de fabriquer leurs vêtements avec les produits de leur exploitation, plutôt que de vendre ces produits et d'en consacrer le prix à l'achat des objets fabriqués ailleurs : il recommandait d'avoir dans chaque exploitation agricole une boucherie, une boulangerie, une filature, etc. En effet, l'économie féodale ne connaît pas la production marchande, ni la circulation des marchandises, qui'sont les caractéristiques de l'économie bourgeoise.
[26]. Dans l'acte de donation fait en 728 par le comte Éberhard au monastère de Morbach, on rencontre la mention de quarante ouvrières travaillant dans le gynécée.
[27]. Que les hommes libres aient la pais et qu'ils aillent trois fois par an au charroi comtal, ordonne le Fors de Bigorre.
[28]. Les raisons que donne le comte de Gasparin sont topiques et méritent d'être citées, car elles peuvent être appliquées au travail du prolétaire :
« Le système des corvées est l'obligation de donner au serf pour sa nourriture une certaine étendue de terre à cultiver pour son propre compte, à charge par lui de réserver au propriétaire un certain nombre de jours de travail en payement de cette jouissance... Les intérêts du maître et du serf se séparent, chacun d'eus prend une individualité ; le serf sait que le travail qu'il fait sur les terres qui lui sont concédées est le gage de son aisance, il le rend plus actif pour qu'il devienne plus fructueux... En est-il de même des journées consacrées au seigneur? Les mains qui étaient libres trois jours de la semaine redeviennent esclaves les trois autres. Le serf apprend à distinguer ce qu'il fait pour lui ou pour son maître ; et cette distinction est fatale aux intérêts de ce dernier... Vient le système des métairies. Si nous le comparons à la corvée, il est facile de voir que le métayage est bien plus avantageux au propriétaire. Dans les métairies, l'impossibilité où se trouve le colon de distinguer dans son travail ce qui sera son profit ou celui de son maître le force à mettre partout la même application ; et si le terrain qu'il cultive est proportionné à ses forces, il en tire tout ce que l'on peut espérer dans un état donné de développement de l'industrie agricole. » (Le Métayage, publié avec le concours du ministre de l'agriculture.)
[29]. Ou entend par ce mot, en droit féodal, l'usage obligé d'une chose appartenant au seigneur.et moyennant redevance, par exemple l'usage d'un four ou d'un animal reproducteur.
[30]. Boucher d'Arois, Code rural, chap. XV, Des banalités.
[31]. Un statut
synodial de 1529 défend de « faire ou souffrir en l'église ou cimetières
d'icelles, aulcunes fêtes, danses, jeux, esbatements, représentations, marchés et autres assemblées illicites ; car l'église est seulement ordonnée à Dieu servir et non à faire telles folies. » Mais ce statut semble avoir été peu écouté, carie Mercure de France de septembre
1742 rapporte que dans le diocèse de Besançon on célébrait, le jour de Pâques, une danse nommée
Bergerette, réglée par les statuts mêmes de l'Église : on la dansait in medio navis ecclesiæ; la danse terminée, on banquetait cum vino rubro et claro. — Bonnet, dans son Histoire de la danse, dit que, le jour de saint Martial, les habitants du Périgord dansaient dans l'église pendant qu'on chantait les cantiques. On répétait, à la fin de chaque strophe :
San Marceou, pregas per nous,
E nous espingarem per vous.
(Saint Martial, priez pour nous, — et nous danserons pour vous.)
[32]. Thorlold Rooers, Economical interprétation of history.
[33]. François de Neufchâteau cite, dans son Voyage agronomique de 1806, un mémoire publié en 1763 parla Société d'économie rurale de Berne où l'on se plaint amèrement de ce qu'après la vendange les vignobles doivent rester ouverts aux moutons « pour y pâturer comme dans un terrain commun ».
[34]. F. de Neufchâteau, Voyage agronomique dans la sénatorerie de Dijon ; 1806.
[35]. Duhamel du Mongeau, Éléments d'agriculture; 1762.
[36]. On ne peut exagérer l'importance de la vaine pâture, quand ou lit ce qu'en dit un agronome de l'époque : « Elle est une ressource précieuse pour une infinité de petits propriétaires, qui, étant hors d'état de nourrir des bestiaux avec le produit de leurs terres, les nourrissent bien en les faisant pâturer pendant sis à sept mois sur les terres en jachère de toute la commune. Il n'y a point de villages où chaque habitant, même dépourvu de propriété foncière, n'ait une ou deux vaches, cinq à six brebis et quelquefois un cheval. Avec ces bestiaux ils ont du lait, du beurre et du fromage, dont ils se nourrissent, et ils ont de la laine pour se faire des bas, des bonnets et des étoffes communes; le fumier, s'ils ne l'emploient eux-mêmes, faute de terres à cultiver, ils le vendent, et pendant tout l'hiver ils ont seulement à acheter des fourrages secs avec l'argent économisé sur le salaire qu'ils font toute l'année. » (G. Deschenes, Mémoire sur la vaine pâture et les jachères, tome V des Mémoires publiés par la Société d'agriculture du département de la Seine ; an XI.)
[37]. L'exposé des motifs de la loi sur l'indemnité d'un milliard proposée le 3 janvier 1825 par M. de Martignac, estime exactement à 981,819,968 francs la valeur totale des biens nobles vendus.
[38]. Le tableau suivant donne la distribution approximative de la propriété foncière ; il est établi d'après le classement officiel des cotes foncières de 1884.
DÉSIGNATION des CATEGORIES |
NOMBRE des COTES |
NOMBRE des propriétaires |
SUPERFICIE soumise à l'impôt |
NOMBRE d'hectares possédés en moyenne par proprietaire | ||||||||||||||||||||
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[39]. Pour s'assurer des journaliers ou manouvriers, comme on les nommait, les propriétaires fonciers étaient obligés de les'établir sur leurs terres. L'usage en était si général, même après la Révolution, que, dans son Mémoire sur l'art de perfectionner les instructions rurales, Perthuis donne le plan d'une de ces habitations de paysans, composée d'une chambre communiquant d'un côté avec l'étable, de l'autre avec une petite laiterie; et d'un cabinet pour y mettre en état de vente les produits de sa petite culture (lin, chanvre, etc.) ou pour y exercer son métier. « On attache ordinairement aux manouvreries une culture de 2 arpents métriques (environ un hectare 25 ares), dans lesquels remplacement de la maison et de ses dépendances occupe un demi- arpent... Les manouvriers n'estimaient pas les manouvreries données sans terres... Deux vaches et quelquefois un élève composent tout le troupeau du manouvrier ; il lui est fourni par son propriétaire à titre de cheptel mort. » (Mémoire publié dans le tom. Vil de la Société d'agriculture du département de la Seine ; an XIII.)
[40]. L. de Lavergne, Économie rurale de France depuis 1789.
[41]. Léopold Delisle, Étude sur la condition de la classe agricole au moyen âge, du dixième au quinzième siècle, en Normandie, 1851.
[42]. A. Lagrèze-Fossat, Éludes historiques sur Moissac ; 1872.
[43]. Polyptique de l'abbé Irminon, ou dénombrement des manses, des serfs et des revenus de l'abbaye de Saint-Germ'ain des Prés, sous le règne de Charlemagne, publiée par Guérahd en 1844.
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