"(...) Les « fronts populaires » sont à l'ordre du jour lorsque se prépare une crise révolutionnaire, que la révolution prolétarienne s'avance et surgit : ils en sont le contraire, sa négation. (...)" |
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Fronts populaires d'hier et d'aujourd'hui
Le Front populaire en pratique : aujourd'hui
Ne faut-il pas alors se prononcer pour qu'un gouvernement d'union de la gauche accède au pou. voir, en quelque sorte pousser en avant l'union de la gauche ?
Ainsi raisonnent les partisans du « front populaire de combat ».
Les partisans du « front populaire de combat » se caractérisent en général par une référence au socialisme, à la révolution, sur le ton le plus radical qui soit, aboutissant à la nécessité, pour parvenir au but (la révolution), de pousser en avant le front populaire, de le « déborder », de le « gauchir » pour « aller plus loin »... Mais peut-on « déborder », « pousser » une coalition de partis ouvriers avec des partis bourgeois ? Peut-on « gauchir » une politique qui subordonne les intérêts du prolétariat à la défense de l'Etat ? Les exemples du M.I.R. chilien, de Pivert en 1936, du P.O.U.M. pendant la révolution espagnole répondent : non.
Avant de revenir sur ces situations historiques, sur ces exemples, il faut insister sur la responsabilité politique que portent et porteront demain les partisans du front populaire. Que des petits bourgeois comme Michel Rocard ou Gilles Martinet rejoignent, avec Delors ou d'autres, le camp du front populaire-union de la gauche, quoi de plus normal... Ces hommes ont, en toutes circonstances, défendu sans se masquer le régime de la propriété privée des moyens de production. Avec l'union de la gauche, ils poursuivent leur travail, espérant de surcroît conquérir un fauteuil ministériel.
Que des organisations qui se situent « à gauche » du P.C.F. et du P.S., se réclament du marxisme, voire du trotskysme, appellent - par exemple - à voter union de la gauche, pratiquant une politique de petits pas vers l'union de la gauche, caractérisée non plus comme un front populaire, mais comme une « alternative réformiste globale », voilà qui donne à réfléchir.
A propos de ceux qui voulaient ruser avec le front populaire, Trotsky écrivait : « Les petits crimes et trahisons qui peuvent passer pratiquement inaperçus dans les périodes normales, connaissent une puissante répercussion dans une époque révolutionnaire. On ne devrait jamais oublier que la révolution crée des conditions acoustiques particulières. »
Raisonnons : si le programme commun est un programme « réformiste » qui ouvre, avec l'union de la gauche - qui n'est pas un front populaire - une « alternative globale » au régime de la bourgeoisie, cela signifie que l'impérialisme, stade suprême du capitalisme, peut tolérer une véritable ère de réformes favorables au prolétariat, et alors le programme de transition de la IV° Internationale est faux, caduc, lorsqu'il déclare : « L'Internationale communiste est entrée dans la voie de la social-démocratie à l'époque du capitalisme pourrissant, alors qu'il ne peut être question de réformes sociales systématiques, ni de l'élévation du niveau de vie des masses. » Et alors... un pont s'établit entre ceux qui caractérisent l'union de la gauche comme une « alternative réformiste globale » et les staliniens partisans de la « démocratie avancée » au nom de laquelle ils défendent l'Etat bourgeois. Tout se tient.
En réalité, le programme commun dont le contenu est, du point de vue des « réformes », incohérent, est un programme de défense de la V° République, de la propriété privée, du système capitaliste, de l'Etat bourgeois. Et la participation des radicaux de gauche, demain d'une « quatrième composante » gaulliste, etc., constitue le « pont » de l'alliance des partis ouvriers P.C.F., P.S., avec la bourgeoisie, quelle que soit -par ailleurs - l'importance numérique des radicaux de gauche et des gaullistes...
Peut-on « déborder » une telle alliance contre-révolutionnaire, peut-on « gauchir » le dispositif mis en place pour résister à la lutte de classe du prolétariat, pour protéger l'Etat bourgeois ? Non, mille fois non !
Au contraire, la participation au Front populaire (fût-ce du bout des lèvres) d'organisations qui se réclament du marxisme est une action d'autant plus criminelle que les masses, passé la première phase des illusions, se heurteront au front populaire et chercheront une voie, se tournant vers les organisations « à la gauche » du P.S. et du P.C... qui alors au nom du « front populaire du combat » les conduiront là où staliniens et sociaux-démocrates n'avaient pas la force de les mener : à la défaite. Ecoutons ce que Trotsky écrit du P.O.U.M. dans une lettre adressée à Victor Serge le 30 juillet 1936 : « Prenons maintenant le cas de Nin. Certains (parmi lesquels Rosmer) jugent sectaire ma très violente critique de sa politique. S'il en est ainsi, c'est le marxisme qui est sectaire, car il est la doctrine de la lutte des classes, et non pas de la collaboration de classes. Les événements actuels d'Espagne montrent en particulier à quel point l'alliance de Nin avec Azańa a été criminelle : maintenant, les ouvriers espagnols paient de leur vie par milliers l'ignominie réactionnaire du Front populaire, qui avec l'argent du peuple a entretenu une armée dirigée par les bourreaux du prolétariat. Il s'agit là, cher Victor Lvovitch [Victor Serge], non pas de petits détails, mais de la nature du socialisme révolutionnaire. »
Trotsky avait raison ; en Espagne, durant la révolution, la relative faiblesse du P.C. comme du P.S., l'implantation réelle des formations anarchistes dans le prolétariat, comme l'existence d'une puissante organisation se réclamant du marxisme, le P.O.U.M., ouvraient de grandes possibilités à la révolution... à condition que le P.O.U.M. ne vienne pas prêter main-forte au P.C. et au P.S. dans leur politique de front populaire. La participation du P.O.U.M. au gouvernement catalan ferma toutes les issues au prolétariat, permettant aux staliniens de mettre en place le dispositif politique, militaire et policier qui étranglerait le prolétariat et... le P.O.U.M. lui-même.
Si la formule de Marceau Pivert, « front populaire de combat », a une signification, c'est bien celle de renforcer « à gauche » l'alliance contre-révolutionnaire pour mieux écraser le prolétariat révolutionnaire. L'exemple du M.I.R. chilien n'est pas moins significatif. Fondé en 1965 par le regroupement d'éléments en rupture avec le stalinisme et la social-démocratie auxquels vinrent se joindre des militants du Secrétariat unifié de la IV° Internationale, et des maoïstes, le M.I.R. devait connaître un développement réel, notamment à l'Université, dans les zones rurales les plus arriérées (mapuches), comme dans les bidonvilles où étaient rejetés les couches les plus pauvres du prolétariat, et aussi les déclassés qui forment le lumpen prolétariat. Influencé - sinon contrôlé - par Castro, le M.I.R. dont l'activité centrale se menait dans les secteurs marginaux du prolétariat s'orienta rapidement vers des actions gauchistes, menées avec résolution et succès : expropriations, prises d'otages, résistance armée aux latifundiaires et occupation de terres, etc.
Jusqu'en 1970, le M.I.R. acquit ses « lettres de noblesse » par une politique gauchiste, inspirée des théories foquistes et guérilleristes, sans prendre réellement part à la maturation politique de la lutte du prolétariat. Au point que le M.I.R. fut surpris du résultat des élections du 4 septembre 1970, dont il ne s'était pas préoccupé, sans pour autant appeler à l'abstention. Ce qui est remarquable, c'est la rapidité avec laquelle, une fois Allende élu, le M.I.R. se mit politiquement, militairement, au service du front populaire ; dès le mois d'octobre 1970, le M.I.R. déclare dans un communiqué : « Comme nous l'avons dit en mai et en août, nous avons développé notre appareil militaire naissant, et nous l'avons mis au service d'une éventuelle victoire électorale de la gauche. C'est ce que nous avons fait en 1970, le 4 septembre, et c'est ce que nous faisons actuellement... Nous soutenons que la majorité électorale de la gauche et un gouvernement d'unité populaire sont un excellent point de départ en vue de la lutte directe pour la conquête du pouvoir par les travailleurs. En incorporant de nouveaux contingents populaires et en suscitant de nouvelles formes de luttes, ils entraîneront un affrontement inévitable entre les exploiteurs nationaux et étrangers d'une part, et les travailleurs d'autre part... Les puissants d'aujourd'hui ne céderont pas leurs richesses et leurs privilèges gratuitement. La stratégie de la lutte armée est aujourd'hui plus que jamais à l'ordre du jour. »
La participation du M.I.R. à l'Unité populaire se fera donc, l'accord politique étant scellé, sur le plan « militaire » : le G.A.P., « Groupe de protection armé », assurant la défense personnelle d'Allende, sera assuré pour l'essentiel par les militants du M.I.R. Lorsque nous écrivons que l'accord était scellé sur l'essentiel, nous n'exagérons rien. Au mois de décembre 1970, des militants contrôlée par le P.C.C. ouvrent le feu sur des colleurs d'affiches du M.I.R., tuent un militant, en blessent grièvement plusieurs autres. Luis Corvalan déclare : « Il est évident qu'à propos de cela nous avons fait et nous faisons notre propre analyse autocritique... En conséquence, nous ne voyons aucun inconvénient à déclarer publiquement que, nous pensons que l'on va à une sorte d'accord entre le M.I.R. et l'Unité populaire. y compris bien sûr le P.C., afin que le M.I.R. appuie le gouvernement du camarade Salvador Allende. Nous pensons bien sûr que les différences entre communistes et miristes subsistent dans bien des domaines, et que la lutte idéologique reste à l'ordre du jour, mais sur un autre plan, sur un plan fraternel. »
Quant à Miquel Enriquez, il déclarait au nom du M.I.R. : « La politique qui doit prévaloir sur tous les plans et sur tous les fronts, est celle qui répond à la nécessité de regrouper les forces et de frapper l'ennemi principal. Pour cette raison, l'union de toutes les forces destinées à affronter l'ennemi était et reste fondamentale ; elle relègue au second plan les divergences qui séparent les différentes forces de gauche.»
Il convenait de sceller cet « accord sur l'essentiel » : des délégations du P.C. assistèrent aux obsèques du militant du M.I.R. assassiné...
Au front populaire de combat de Marceau Pivert répond ici le « front populaire armé », « militaire » du M.I.R., qui, incapable d'analyser la signification de l'Unité populaire, ne mena jamais campagne pour la rupture des partis ouvriers d'avec les partis bourgeois, soutenant avec des « critiques » et des écrits « gauchistes » le front populaire dressé contre le mouvement révolutionnaire du prolétariat.
Le front populaire de combat ne peut pas exister. Etre « un peu » dans le front populaire, c'est y être complètement, pour le justifier, lui donner un contenu « révolutionnaire » par définition antinomique avec son existence. Le « front populaire de combat » n'est que la couverture gauche ou gauchiste d'une criminelle et funeste politique dirigée contre la révolution. Pour s'en convaincre, il suffit de lire ces lignes extraites de la revue Que Faire ?, fondée par André Ferrat, exclu - nous l'avons vu - de la direction du P.C. français au plus fort de la vague révolutionnaire de juin 1936.
Sous le sous-titre « les causes de l'échec », Ferrat écrit :
« Il suffit de comparer l'œuvre du gouvernement Blum, dans les premières semaines, quand il se trouvait sous la pression directe des masses, avec les résultats négatifs de ses efforts ultérieurs, pour apercevoir que si les masses ont péché. dans cette période, c'est par l'insuffisance de leur pression, et non par son exagération. Si en septembre 1936 les ouvriers avaient su imposer au gouvernement une politique d'aide à l'Espagne, s'ils avaient su imposer en octobre une politique économique financière anticapitaliste, s'ils avaient empêché - malgré les appels de Blum au calme - le Sénat, en juin 1937, de perpétrer son premier coup d'Etat contre le suffrage universel, certes, la situation serait aujourd'hui autrement favorable pour le prolétariat.
« La tragédie consistait dans l'attachement trop grand des ouvriers à la légalité antidémocratique, couvrant la révolte des privilégiés contre la nation, dans la confiance trop grande dans le gouvernement formel n'ayant que l'apparence du pouvoir, dans le contrôle populaire insuffisant sur ce gouvernement. Les illusions légalistes et réformistes, l'absence d'une notion exacte des contradictions de classes, l'étroitesse nationale, les préjugés pacifistes et corporatistes - voici le terrain qui a préparé l'écroulement des forces révolutionnaires en automne 1938. Mal préparés à affronter les difficultés, les ouvriers réagissaient parfois d'une façon désordonnée, dans des conditions peu favorables. Mais si ces explosions affaiblissaient les forces ouvrières, à qui la faute ? N'incombe-t-elle pas, en premier lieu, à ceux qui ont freiné, par tous les moyens, la lutte en ne lui fixant pas les objectifs nécessaires dès juin 1936 et en cédant, l'une après l'autre, les positions conquises en juin ? »
Ainsi, l'échec est dû, non à la victoire du Front populaire sur les masses, mais à l' « insuffisance de leur pression » sur le gouvernement Blum-Daladier. Le petit-bourgeois Ferrat, partisan du front populaire de combat, oppose l'œuvre du gouvernement Blum, sous la pression des masses, à une deuxième phase où le prolétariat, perdant pied, aurait renoncé à combattre... C'est le « bon » front populaire opposé au « mauvais »... Précisément, la fonction des fronts populaires est d'opposer au mouvement révolutionnaire, aux aspirations des masses, la coalition des partis ouvriers et des partis bourgeois, disloquant l'action prolétarienne, la minant de l'intérieur, en protégeant le système de la propriété privée des moyens de production.
En 1936, le Front populaire a vaincu : c'est-à-dire qu'il a contenu, combattu l'action des masses, préservé l'Etat bourgeois, fait refluer le prolétariat. Et Ferrat tire de cette situation la conclusion que la responsabilité en incombe au prolétariat !
Mais, pour Ferrat, tout espoir n'est pas perdu :
« La victoire de la bourgeoisie en 1938 ne résout aucun des grands problèmes qui se posent devant ce pays. La classe ouvrière, dépossédée du pouvoir, continue à peser, du dehors, sur le cours des événements. Les classes moyennes qui acclament aujourd'hui Daladier, "sauveur de l'ordre et de la paix", se détourneront de lui en s'apercevant qu'il est incapable de leur donner l'ordre et la paix.
« L'heure du prolétariat, l'heure du Front populaire, en tant qu'alliance révolutionnaire des ouvriers et des petits bourgeois, peut sonner une fois encore, si la classe ouvrière sait tirer les enseignements nécessaires de l'échec et se réarmer en conséquence. »
Pour l'animateur de la revue Que faire ?, la victoire viendra d'un nouveau Front populaire, présenté ici comme l'alliance révolutionnaire des ouvriers et des petits bourgeois, alors qu'en toutes circonstances il est l'alliance des partis ouvriers avec les partis bourgeois.
Ainsi, en Espagne avec le P.O.U.M., en France en 1936 avec Pivert et la revue Que faire ?, au Chili avec le M.I.R., en chaque occasion les partisans du front populaire de combat ont en fait aidé, fortifié, l'action contre-révolutionnaire menée par les chefs du front populaire. On ne peut contourner l'obstacle. En France, la Ligue communiste révolutionnaire qui se réclame du trotskysme est confrontée à la question du front populaire de combat.
L'analyse rigoureuse de la politique des « fronts populaires », des terribles défaites qu'elle a coûtées au prolétariat mondial, ne procède d'aucun pessimisme. Cette politique est fondamentalement une politique défensive que la bourgeoisie et les appareils des partis et syndicats ouvriers qui sont inféodés à la société bourgeoise opposent à l'initiative du prolétariat, de la jeunesse, des masses exploitées. Contre l'aspiration des masses au front unique des organisations ouvrières, partis et syndicats en vue de combattre le capital, ses gouvernements, son Etat, les partis ouvriers et les appareils syndicaux dressent l'alliance des partis ouvriers avec les partis du capital. Les masses ont l'initiative mais les illusions que les tenants des fronts populaires leur inculquent, pour les contenir, les freiner, les faire refluer et disloquer leur mouvement vers la révolution et au cours de la révolution, les empêtrent et peuvent causer leur perte. Les militants révolutionnaires - l'Organisation communiste internationaliste pour la reconstruction de la IV° Internationale - se fondent sur l'initiative, les besoins, les aspirations de classe du prolétariat, de la jeunesse, des masses exploitées, pour dégager les voies de la révolution prolétarienne, et contribuer à détruire la gangue des illusions. Toute la dimension historique de l'époque des guerres et des révolutions, de la révolution prolétarienne, de la nouvelle période de la révolution mondiale qui s'est ouverte en 1968, est indispensable pour mener ce combat. La continuité historique vivante que le programme de la IV° Internationale et l'organisation qui combat pour la construction du parti révolutionnaire et la reconstruction de la IV° Internationale concrétisent et incarnent est indispensable à l'accomplissement de cette tâche. C'est bien pourquoi il ne peut s'agir de répandre une idéologie et de réduire l'activité de cette organisation et de ses militants à de la propagande. « L'émancipation des travailleurs sera l'œuvre des travailleurs eux-mêmes », et cela non à la suite d'on ne sait quelle conversion idéologique, mais au cours d'un mouvement pratique.
La seule solution à la crise conjointe de l'impérialisme et des bureaucraties du Kremlin, c'est la dictature du prolétariat sur la base de la démocratie soviétique, l'expropriation du capital, la planification de l'économie sous contrôle ouvrier, la constitution des Etats-Unis socialistes d'Europe. Le gouvernement nécessaire pour assumer la transition de la dictature de la bourgeoisie à la dictature du prolétariat est un gouvernement ouvrier et paysan qui détruise I'Etat bourgeois, commence à exproprier la bourgeoisie, ,s'appuie sur le prolétariat, la jeunesse, les masses organisées dans leurs comités, leurs conseils, leurs soviets. Mais, encore une foi, ce sont les masses qui, dans un mouvement pratique et en relation avec la construction d'un parti révolutionnaire, peuvent réaliser ces tâches historiques, en partant des conditions et des relations politiques réelles qui résultent de l'histoire du mouvement ouvrier, des organisations qui aujourd'hui restent leurs organisations.
Tout puissant mouvement du prolétariat à l'époque actuelle pose nécessairement la question du gouvernement. Combattant le capital, luttant pour leurs revendications, en France voulant en finir avec la V° République, le prolétariat, la jeunesse, les masses exploitées tendent à porter au pouvoir un gouvernement du prolétariat, des exploités, mais dont la forme concrète est forcément à leurs yeux un gouvernement de leurs partis, les partis ouvriers traditionnels, le P.S. et le P.C.F. La question se pose : est-il possible de satisfaire les revendications, d'exproprier le capital, si les organisations ouvrières, les syndicats et partis ne rompent pas avec les partis de la bourgeoisie, dont les radicaux « de gauche », avec la politique de l'« union de la gauche » sans rivage à droite que le P.C.F. veut élargir sans cesse jusqu'à l'« union du peuple de France » ? La réponse est évidente : non. La condition nécessaire, bien qu'elle ne soit pas suffisante, est que les partis ouvriers rompent avec les partis bourgeois, y compris les radicaux de gauche, qu'ils réalisent le front unique des partis ouvriers, que soit porté au pouvoir un gouvernement des seuls partis ouvriers. Défenseurs de la société bourgeoise, de l'Etat bourgeois, au moment présent de la V° République et de ses institutions, les dirigeants du P.S. et du P.C.F. s'opposent de tous leurs moyens à cette politique. Sans doute, un gouvernement des seuls partis ouvriers peut aussi défendre la société bourgeoise, l'Etat bourgeois, mais en période révolutionnaire les masses attendent d'un tel gouvernement qu'il satisfasse leurs revendications et s'attaque à la société et à l'Etat bourgeois. Porter au pouvoir un gouvernement de ce genre exige déjà une très profonde et très puissante activité révolutionnaire des masses. Le fait qu'il soit au pouvoir ne peut qu'inciter les masses à aller plus loin sur la voie de la révolution.
Le combat politique pour un gouvernement des seuls partis ouvriers sans ministres représentants des organisations et partis de la bourgeoisie est un puissant moyen d'agitation, un ferment révolutionnaire au sein des masses, un facteur de modification des rapports politiques au sein de la classe ouvrière, de la jeunesse, des masses exploitées, car il répond à leurs besoins et aux exigences quotidiennes qui les confrontent, et épouse la logique de la lutte des classes. Toute revendication, même partielle, ne peut être satisfaite sans que se réalise l'unité de front de ceux qui luttent pour qu'elle soit satisfaite, et par conséquent elle soulève le problème de l'unité de leurs organisations. Toute revendication fondamentale ne soulève pas moins ce problème à une échelle beaucoup plus générale, et celui de la lutte politique contre le gouvernement du capital, pour un autre gouvernement : le gouvernement du front unique ouvrier.
Le mot d'ordre du gouvernement des seuls partis ouvriers implique qu'en fonction du moment politique des mots d'ordre politiques précis, allant dans ce sens, soient mis en avant à chacun de ces moments. L'O.C.I. a mené depuis les élections présidentielles toute une agitation circonstanciée sur le thème : que le P.S. et le P.C.F. s'unissent et appellent les masses au combat pour imposer la dissolution de l'Assemblée nationale élue en 1973, mais qu'à maintes reprises depuis le suffrage universel a désavouée. Cette agitation politique participe, intègre, une activité qui utilise tous les canaux et répond à toutes les déterminations de la lutte des classes. Ainsi que le disait Trotsky, des processus moléculaires au sein des masses se déroulent qui préparent les plus grande bouleversements politiques. Il faut y intervenir, les dégager, les féconder, en prenant les initiatives politiques adaptées, en regroupant et en organisant une avant-garde qui se développera au feu de l'action et constituera l'instrument indispensable à la victoire de la révolution prolétarienne, le parti révolutionnaire. Mais encore faut-il les saisir, les appréhender, comprendre quelles sont leurs tendances.
Ce n'est pas un phénomène spécifique à la France. C'est précisément parce que ces processus existent dans tous les pays d'Europe que la révolution prolétarienne y est à l'ordre du jour, mais en France il nous est possible de les saisir et d'y intervenir de façon précise. Au cours de tous les mouvements du prolétariat, de la jeunesse, des masses exploitées, ils se manifestent. Ce sont de tels processus qui ont préparé les conditions de la grève générale de mai-juin 1968 que les masses ont imposée aux dirigeants des centrales syndicales. Les leçons politiques de la grève générale sont tirées, le prolétariat et la jeunesse se préparent à surmonter les obstacles que la politique de l'« union de la gauche » dresse contre leur action, ils se préparent à faire un bond politique en avant, au cours de ces processus moléculaires.
Déjà, en 1968, par la voix des métallos, le prolétariat se dressait contre la politique des dirigeants qui voulaient brader la grève générale. Le lundi 27 mai 1968, Frachon et Séguy sont allés chez Renault vanter les accords de Grenelle, et tenter d'obtenir la reprise ; d'un seul cri les ouvriers de chez Renault ont répliqué : « Ne signez pas ! » Frachon et Séguy ont provisoirement reculé pour mieux disloquer ultérieurement la grève générale. Le « Ne signez pas ! » déclenchait la crise politique qui fit vaciller de Gaulle, et surtout exprimait le conflit fondamental qui oppose les masses aux appareils et à leur politique de défense de la société bourgeoise.
En d'innombrables mouvements, la contradiction entre les besoins et les aspirations des masses et la politique des dirigeants des partis et des syndicats s'est plus ou moins ouvertement et brutalement exprimée. En juin 1971, une puissante grève des cheminots déferlait et un véritable conflit s'ouvrait entre travailleurs de la S.N.C.F. et dirigeants syndicaux. En octobre 1971, les conducteurs de la R.A.T.P. se mettaient en grève malgré la volonté des dirigeants syndicaux. Ils imposaient, à ces dirigeants qui n'en voulaient pas, la tenue d'une assemblée générale. A cette assemblée générale, un conducteur lançait la fameuse formule : « Les syndicats à nous, les permanents à notre service. » Il énonçait ainsi ce qui depuis des années est devenu, et devient de plus en plus, une des préoccupations majeures de millions de prolétaires : se subordonner leurs organisations et les appareils de ces organisations, notamment les syndicats, leur imposer le front unique, avoir le contrôle de leurs mouvements.
En 1972, les travailleurs du bâtiment de Nantes imposaient la constitution d'un comité central de grève. Au cours d'autres mouvements, grève de la Sécurité sociale en 1973 par exemple, cette volonté s'exprimait également. Cette même exigence a trouvé une expression encore plus nette et claire au moment de la mobilisation des lycéens contre la loi Debré en 1973.
Au début de l'année 1974, les mineurs de Lorraine, en avril les travailleurs des banques, exprimaient à leur tour cette aspiration. Pendant les années 1974, 1975, 1976, le processus se poursuit : au cours de grands mouvements comme ceux de l'O.R.T.F., du France, des P.T.T., etc., comme au cours de centaines de mouvements partiels, aux objectifs limités. Mais ce sera la grande grève des étudiants en 1976 qui exprimera le plus clairement la tendance des masses à se donner les moyens d'organiser et de contrôler leurs combats, d'imposer l'unité contre toutes les manœuvres. A la veille et au lendemain des élections municipales de mars 1977, les dockers de Dunkerque ont constitué leur comité de grève avec leur syndicat. Ils ont déjoué toutes les manœuvres que le bureau confédéral C.G.T. a entreprises pour liquider leur grève, et ont remporté une brillante victoire.
Le conflit entre les besoins, les aspirations des masses et la politique de l' « union de la gauche » telle qu'elle se traduit au cours des luttes des classes est indubitable. Très souvent, jusqu'alors, les appareils syndicaux sont parvenus à contenir, à canaliser et à disloquer les mouvements de la classe ouvrière et de la jeunesse, et donc semble-t-il à imposer leur politique. C'est une vue à court terme et superficielle : la crise du régime, la crise de la bourgeoisie, ne cessent de s'approfondir. Les échecs que la classe ouvrière subit au cours des luttes revendicatives ne modifient pas les rapports de force entre les classes. Dans les conditions actuelles, ils deviennent des facteurs de maturation politique de la classe ouvrière. Les appareils bureaucratiques, en prenant en charge toutes les contradictions de la bourgeoisie, en étant de façon constante en opposition aux aspirations des masses, intègrent ces contradictions qui les déchirent à leur tour. Ces éléments nourrissent les processus moléculaires en cours au sein de la classe ouvrière, et à leur tour ceux-ci approfondissent la crise politique.
A ce jour, ils ne sont pas arrivés au degré de maturité, d'homogénéité, où la quantité se transforme en qualité, mais d'ores et déjà de multiples initiatives peuvent et doivent être prises qui ouvrent la voie du combat, celle de l'unité, aux masses, de la constitution des organismes indispensables au regroupement des masses, à leur action sur la ligne du front unique des organisations ouvrières, en des secteurs précis, sur des revendications données que soulève en foule la politique du gouvernement et du patronat. La revendication de la garantie de remploi aux maîtres auxiliaires de l'enseignement secondaire a, depuis le début 1977, permis qu'une telle initiative soit prise. Deux politiques s'affrontent sous une forme concrète à propos d'une revendication précise : celle du front unique ouvrier et celle de l' « union de la gauche »-front populaire. L'enjeu de la bataille, c'est d'arracher la garantie de remploi des M.A., mais au-delà, ce sont les formes d'organisation politiques qu'une avant-garde, sous l'impulsion de l'O.C.I., a constituées (le Comité de liaison des maîtres auxiliaires) qui est en cause. Son existence permet aux M. A. de se doter de formés d'organisation qui surmontent la division, et permettent d'agir. L'appareil stalinien du Syndicat national de l'enseignement secondaire, au compte du P.C.F. et de sa politique, s'efforce par tous les moyens d'empêcher que les maîtres auxiliaires soient victorieux, non seulement parce qu'il soutient la politique du gouvernement, qu'il s'apprête à faire appliquer la nouvelle réforme de l'enseignement, dite « Haby », mais parce que ce que réalisent les M.A. est la réponse à ce que recherchent des millions et des millions de travailleurs - comment s'organiser pour vaincre.
Le non-renouvellement des contrats salariaux en 1977 crée un vide dans les relations sociales, qui est très dangereux du point de vue du gouvernement et du patronat. Bergeron [1] ne cesse d'en avertir le gouvernement Giscard-Barre. Les dirigeants de la C.G.T., de la F.E.N., de la C.F.D.T., sont tout aussi effrayés. Un dénominateur commun de lutte est donné à de grandes et décisives corporations, à la classe ouvrière, contre la baisse effective du pouvoir d'achat. Une gigantesque explosion sociale peut s'ensuivre, qui poserait d'emblée la question du gouvernement. Les initiatives politiques soulevant clairement la nécessité de s'organiser sur la ligne du front unique ouvrier, sont des composantes nécessaires de la maturation des processus en cours.
La classe ouvrière n'est pas encore parvenue à constituer les organismes nécessaires à son contrôle, à son unité, à son organisation comme classe et qui englobent syndicats et partis. L'expérience politique accumulée, la fermentation en cours ne laissent pas douter que de tels organismes vont surgir : comités de grève, éventuellement comités ouvriers, formes d'organisation à caractère soviétique, sinon les soviets. Voilà ce que préparent les processus moléculaires actuels. L'organisation révolutionnaire qui construit le parti révolutionnaire doit s'engager à fond, être l'élément conscient de leur développement et de leur réalisation, et non attendre passivement qu'ils viennent à maturité. La formation des comités ouvriers, des conseils, traduit le besoin de la classe ouvrière, de la jeunesse, des masses, de disposer d'organismes qui les unissent et organisent leur combat. Les soviets sont des parlements et des exécutifs prolétariens. Dans cette mesure, ils incluent nécessairement les organisations traditionnelles de la classe ouvrière, les militants ouvriers ; les organisations qui entendent mener la lutte de classe du prolétariat jusqu'à la prise du pouvoir y ont également leur place. En conséquence, leur existence correspond à l'objectif d'un gouvernement des seuls partis ouvriers, sans ministres représentant des partis bourgeois, aujourd'hui un gouvernement du P.S. et du P.C.F. L'intervention sur tous les terrains, en utilisant toutes les formes de la lutte des classes, est ordonnée par cette perspective politique. Elle est incluse dans chaque lutte, dans chaque action en apparence partielle ou d'ordre plus général.
Aucune garantie n'existe que le P.S. et le P.C.F en France devront former un tel gouvernement, bien que ce ne soit pas exclu. Dans un proche avenir, ils vont même tout faire pour ne pas avoir à former un gouvernement d' « union de la gauche », ainsi que nous l'avons montré plus haut. La crise révolutionnaire, qui est inévitable, les y amènera, en réponse à la volonté des masses qui se tourneront vers eux pour qu'ils prennent le pouvoir. A quel moment, après quels développements politiques, sous quelles formes ? Il est impossible d'apporter une réponse à ces questions. Mais toute la situation en France se développe dans ce sens. La revendication « qu'ils rompent avec la bourgeoisie, ses partis, qu'ils forment un gouvernement des seuls partis ouvriers » deviendra plus nécessaire encore. Les masses ressentiront plus clairement cette nécessité. Les rapports à l'intérieur du mouvement ouvrier évolueront, se modifieront. Les possibilités de construction du parti révolutionnaire croîtront, le renforcement de l'organisation qui construit le parti contribuera à clarifier aux yeux de tous ce que doit être et ce que, doit faire un authentique gouvernement ouvrier et paysan. La crise sociale et politique en France et en Europe, les rapports entre les masses et leurs organisations peuvent aussi contraindre à plus ou moins long terme le P.S. et le P.C.F. à former un gouvernement sans ministres représentant les partis bourgeois. Ce serait un bond en avant du processus révolutionnaire qui donnerait une fantastique impulsion au mouvement des masses, à la fermentation politique. La nécessité de la formation d'un authentique gouvernement ouvrier et paysan, qui s'appuie sur le prolétariat et les masses organisés dans leurs comités, leurs soviets, qui détruise la vieille machine de l'Etat bourgeois, qui exproprie la bourgeoisie, qui se prononce et agisse pour la constitution des Etats-Unis socialistes d'Europe, serait plus encore intensément ressentie. Les rapports à l'intérieur de la classe ouvrière, de la jeunesse, des masses exploitées, se transformeraient en faveur de la construction du parti révolutionnaire jusqu'au moment où les relations avec les masses en feraient le véritable parti ouvrier de telle sorte qu'il puisse engager la lutte pour le pouvoir, qu'il puisse former un authentique gouvernement ouvrier et paysan.
Assurément, il s'agit là d'une ligne de développement. La vie fera surgir un flot d'événements, de formes imprévues et imprévisibles. Il y aura des flux et des reflux. Le processus sera long et sinueux. Mille facteurs interviendront en France, en Europe, dans le monde. Qu'en sera-t-il concrètement des luttes de classes dans les autres pays, et comment s'enchaîneront-elles et se recouperont-elles concrètement aux luttes de classes en France ? Comment évoluera la crise de l'impérialisme, celle de la bureaucratie du Kremlin, de son appareil international, des autres bureaucraties parasitaires ? La ligne de développement peut être prévue, et elle doit l'être de façon générale. La vie sera plus riche et complexe que toutes les prévisions.
Il est clair, par exemple, que la dislocation de l'appareil international du Kremlin modifierait bien des données.
La clef de tout reste la construction de partis révolutionnaires et la reconstruction de la IV° Internationale. La crise qui la disloqué la IV° Internationale complique à l'extrême la solution de ce problème. Mais la période révolutionnaire qui est ouverte fournira les matériaux nécessaires. Nous nous préparons à des années et des années de luttes politiques aux épisodes multiples et divers. Nous intégrons notre intervention dans la lutte des classes au mouvement spontané, instinctif, semi-conscient des masses, comme un élément, et finalement l'élément déterminant de la lutte de classe du prolétariat. Quels que soient les obstacles, le parti de la révolution prolétarienne sera construit. Nous pouvons donc conclure bien simplement : les fronts populaires d'hier et d'aujourd'hui sont de même nature, ce sont des instruments de la contre-révolution. Mais, cette fois, le prolétariat brisera ces carcans et sortira victorieux de l'épreuve.
Notes
[1] Depuis que ces lignes ont été écrites, la C.G.T.-F.O. a signé des accords salariaux à la R.A.T.P., à E.D.F.~G.D.F. et aux Charbonnages de France.
Ces « accords salariaux » sont l'application pure et simple de la politique des revenus que le gaullisme a toujours tenté d'imposer à la classe ouvrière. La signature de ces accords à l'initiative de la direction de la C.G.T.-F.O. correspond donc à l'application stricte du plan Barre de blocage des salaires. La signature de ces accords a la même signification que la défaite organisée par la C.G.T. au Parisien Libéré, sans avoir la même portée, étant donné les rapports comparés de la C-G.T. et de la C.G.T.-F.O. dans la classe ouvrière. Dans tous les cas, la signature des contrats salariaux est un soutien direct à la politique du gouvernement, comme l'est la tactique des « grèves tournantes » et des journées d'action sans lendemains organisées par la C.G.T. Les deux confédérations se partagent le travail sur le terrain.