"(...) Les « fronts populaires » sont à l'ordre du jour lorsque se prépare une crise révolutionnaire, que la révolution prolétarienne s'avance et surgit : ils en sont le contraire, sa négation. (...)" |
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Fronts populaires d'hier et d'aujourd'hui
Le Front populaire en pratique : aujourd'hui
L'aboutissement est toujours le même le front populaire est l'antichambre du fascisme. Le tragique exemple du Chili l'a de nouveau démontré. Or, à l'horloge de l'histoire sonne à nouveau l'heure des fronts populaires ; en France notamment. L'« union de la gauche » n'est en effet qu'une nouvelle mouture du front populaire. Ses composantes politiques rappellent celles du Front populaire de 1935-1936 : le parti communiste français, le parti socialiste, le parti radical. A cette constatation d'évidence, de subtils analystes politiques, dont certains se réclament même du trotskysme, objectent : « Mais le parti radical qui participe à l'union de la gauche depuis 1971 n'est plus le parti radical des années 1935-1938. Alors, et depuis la fin du XIX° siècle, le parti radical était le principal parti de la III° République. C'est ce parti qui dirigeait la plupart des gouvernements de la III° République, ou y participait, que ceux-ci soient axés à droite ou à gauche. On peut admettre qu'il était le parti démocratique du capital financier français. Désormais, il n'en est plus ainsi. Les groupes radicaux ne sont plus que des vestiges du passé. Ils ne sont plus "le" parti du capital financier. L'un des deux groupes se rattache aux partis de la V° République dont il n'est qu'une force d'appoint. L'autre groupe, dit des radicaux de gauche, vit à l'ombre du parti socialiste, et à la remorque de l'union de la gauche. En conséquence, un changement qualitatif s'est produit : il n'y a plus vraiment de parti radical parti du capital financier, mais deux groupes marginaux. Hier, le parti radical marquait de son sceau le Front populaire. Aujourd'hui, le groupe des radicaux de gauche est un simple ajout à l'"union de la gauche" qui est essentiellement composée du P.C.F. et du P.S. L'union de la gauche n'est donc pas un front populaire. »
Que le parti radical ne soit plus que l'ombre du parti qu'il fut sous la III° République est évident. La fin lamentable de la III° République en 1940 ne pouvait que porter un coup irréparable au parti par excellence de la III° République que le parti radical incarnait. Il n'a pas pour autant disparu. La tradition a en politique une grande résistance, lorsque les relations sociales et politiques entre les classes ne sont pas totalement bouleversées. Or, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les rapports entre les classes et à l'intérieur des classes, les relations politiques, ont été tels que le passé sous une certaine forme a survécu.
Les masses, le prolétariat français, se sont, à partir de 1943, relevés de leurs défaites consécutives au Front populaire. Leur mouvement a participé de la vague révolutionnaire qui, à la fin de la guerre, a mis en question les Etats bourgeois et le régime capitaliste en Europe. Syndicats et partis ouvriers se sont reconstruits et renforcés dans la clandestinité. En 1944, le prolétariat français émerge de la guerre fort d'une puissance politique sans égale. Ainsi sur le plan électoral - qui déforme au détriment des masses l'expression des rapports de force : le 21 octobre 1946, aux élections à la première constituante, les députés élus de la S.F.I.O. et du P.C.F. obtiennent la majorité absolue. En revanche, l'Etat bourgeois est disloqué. La S.F.I.O. et le P.C.F. participent, aux côtés du M.R..P, au gouvernement que dirige de Gaulle. Lorsque celui-ci démissionne, au début de 1946, ils forment jusqu'en avril 1947 avec le M.R.P. des gouvernements tripartites, et font voter la Constitution qui institue la IV° République. Grâce à leur participation à ces gouvernements, la classe ouvrière est contenue, l'Etat bourgeois reconstruit, avec l'aide des crédits américains et en imposant la politique du « produire d'abord, revendiquer ensuite », l'économie capitaliste « redémarre ». Ce que la participation au pouvoir bourgeois des partis ouvriers a commencé, la division imposée à la classe ouvrière à partir de 1947 au nom de la guerre froide, les grèves tournantes de 1947-1948 vont le poursuivre.
Le moment n'est pas encore venu où un régime fort, un régime bonapartiste, doit et peut être imposé aux masses. Au début de 1946, de Gaulle a quitté le pouvoir, conscient que tenter d'imposer une forme de dictature contre les masses au faîte de leur puissance, c'est prendre le risque d'exacerber la lutte des classes. Cela aurait en effet risqué de nourrir la tendance à la révolution prolétarienne. Le capital financier français a préféré s'en remettre au tripartisme et faire revivre le parlementarisme. La carte gaulliste n'était pas pour autant abandonnée : en 1947, de Gaulle fonde le Rassemblement du peuple français. Le programme du R.P.F. se résume rapidement : en ce qui concerne les rapports politiques et sociaux en France, Etat fort, « en finir avec le régime des partis » l' « association capital-travail », c'est-à-dire : liquidation des libertés démocratiques, intégration et destruction des organisations syndicales et politiques de la classe ouvrière, corporatisme. Sur le plan international, défense de l'« Union française », faire prévaloir les intérêts du capital financier français en Europe en empêchant le capitalisme allemand de se relever et de redevenir la plus forte puissance capitaliste d'Europe, en conséquence, déploiement d'une politique nationaliste et chauvine. Cette politique ne correspondait pas aux possibilités de l'impérialisme français, tant en fonction des rapports entre les classes en France qu'en fonction des rapports à l'intérieur du système impérialiste. L'« Union française » ne pouvait être défendue que dans le cadre de l'alliance Atlantique avec le soutien de l'impérialisme U.S., donc de la politique U.S. dans le monde et en Europe, pour impulser l'économie capitaliste française. Les injections de crédits américains restaient indispensables, avec le plan Marshall, pour impulser l'économie capitaliste française. La participation de la S.F.I.O. au pouvoir pendant la « guerre froide » était un impératif catégorique découlant des rapports entre les classes, bien que la politique de pression du P.C.F. sur la bourgeoisie au moyen d'une succession de grèves tournantes n'ait pas remis en cause l'Etat et le pouvoir bourgeois. Le R.P.F., le pouvoir fort, le nationalisme ne correspondaient pas aux exigences du moment. Le démarrage tonitruant du R.P.F. en l947, ses succès électoraux aux élections municipales d'octobre 1947, ont fait long feu. Le capital financier l'abandonnait définitivement : la «troisième force » devenait sa formule politique du moment. Bloc politique formé du M.R.P. et de la S.F.I.O., auquel les rescapés du parti radical, les débris des vieilles formations de la Ille République participaient, plus quelques groupuscules bourgeois, telle l'Union démocratique et socialiste de la Résistance, de François Mitterrand en 1951. Un formidable trucage électoral - la loi des apparentements - donnait la majorité des députés à la troisième force, laminait le R.P.F. et le P.C.F. Mais de son côté, la S.F.I.O. était rejetée dans l'opposition, après avoir été au premier rang de la troisième force. Peu après, de Gaulle dissolvait le R.P.F. Nombre des « compagnons députés » se ralliaient aux gouvernements de troisième force. Dans l'immobilisme, l'impuissance, la IV° République agonisera encore sept ans jusqu'en mai-juin 1958.
Cette conjoncture politique a donné aux partis moribonds de la III° République - dont le parti radical - l'occasion de jouer à nouveau un important rôle politique, car ils étaient indispensables au fonctionnement de la IV° République. Pendant les années de IV° République, de René Mayer jusqu'à Bourgès-Maunoury, en passant par Queuille, Mendès France, Edgar Faure, Félix Gaillard, nombreux vont être les présidents du Conseil radicaux, et plus nombreux encore les ministres.
La fin de la IV° République, non moins lamentable que celle de la Ill°, devait nécessairement porter un nouveau coup, très dur, aux partis et organisations bourgeois, au premier rang desquels le parti radical.
Bien plus, la S.F.I.O., en tant que parti ouvrier-bourgeois parlementaire, est morte du fait que son secrétaire général d'alors, Guy Mollet, a ouvert en 1958 les avenues du pouvoir à de Gaulle et qu'il a été l'un des maîtres d'œuvre de la Constitution de la V° République. Mais il y a place au sein de la classe ouvrière et des masses pour un parti de tradition socialiste, et le capital financier a besoin d'un tel parti tant que la classe ouvrière et ses organisations ne peuvent être brisées. Le P.S. a surgi des cendres de la S.F.I.O. Ce n'est plus la vieille S.F.I.O., vieux parti ouvrier social-démocrate. Le P.S. est un conglomérat de différents courants aux origines diverses. Occupant la place et remplissant les fonctions de la S.F.I.O., il n'en recueille pas moins - en partie - son héritage, et doit être caractérisé comme un parti ouvrier bourgeois au même titre que le P.C.F.
Certes, le problème ne peut être posé de la même façon en ce qui concerne le parti radical, formation bourgeoise disloquée : il ne peut absolument pas retrouver une influence de masse, une large assise. Ce serait une erreur d'en conclure de « gauche » et de « droite » n'ont plus aucun rôle politique à jouer. Si les dirigeants P.C.F. ont fait le maximum pour que le groupe numériquement insignifiant des radicaux dits de gauche signe le « programme commun », ce n'était pas un acte politique gratuit. Le parti radical, dont le M.R.G., reste un des partis du capital financier. Le capital financier utilise tel ou tel parti bourgeois, telle ou telle formation bourgeoise, et tous à la fois, en fonction de la conjoncture et des exigences politiques du moment. L'intégration des radicaux dits de gauche au sein de l'« union de la gauche », formellement sur un pied d'égalité avec le P.S. et le P.C.F., était nécessaire pour affirmer la nature de l'« union de la gauche » en tant que regroupement se situant dans la tradition bourgeoise, respectant et défendant l'ordre, l'Etat, le pouvoir bourgeois. C'est une ouverture vers tous les autres partis et organisations bourgeois. En cas d'effondrement de la V° République, quels seront les organisations et partis bourgeois qui subsisteront ? Au cas où un retour au parIementarisme se révélerait nécessaire, quels organisations et partis bourgeois incarneront la tradition « républicaine » ? Si faibles qu'ils soient, la participation des radicaux de « gauche » à un gouvernement aux côtés du P.S. et du P.C.F. suffirait à donner le caractère de gouvernement de coalition entre les partis bourgeois « républicains », « démocratiques », à un tel gouvernement. Les radicaux de gauche constituent un pont vers les autres partis bourgeois. L'« union de la gauche » est une nouvelle mouture du front populaire. Pour affirmer ce caractère, les dirigeants du P.S. et du P.C.F. y ont fait participer le M.R.G. Alliance politique de type front populaire, I'« union de la gauche », au cas où les circonstances politiques l'exigeraient, formerait un gouvernement de type front populaire largement ouvert à droite.
Le programme de l'union de la gauche est tout aussi significatif. Actuellement, le P.C.F. exige la « re-discussion » de certaines de ses parties. Cela ne changera pas sa nature. Elle ne dépend pas de l'extension des nationalisations, ou de telle ou telle réforme, si importantes puissent-elles être, mais des dispositions prises par rapport à l'Etat, à ses institutions, à ses corps constitués, l'armée, la police, l'administration, la magistrature, etc.
Le programme commun de gouvernement ne se propose même pas d'en finir avec la V° République, tout au plus de l'amender, et d'y introduire une certaine dose de parlementarisme ; quant à l'Etat, il restera intact, « démocratisé ».
L'article de Gilles Masson que Les Cahiers du communisme de juillet-août 1977 ont consacré à la « re-discussion » du programme commun de gouvernement, et qui a fait beaucoup de bruit, est encore plus net : « Une transformation démocratique du fonctionnement des institutions n'appelle pas de révision constitutionnelle d'ensemble par le biais d'une Constituante. Militer actuellement pour une Constituante pourrait laisser croire que le régime actuel est fidèle au texte de la Constitution. Or, la légalité, fût-elle la leur, est contradictoire et gênante pour les monopoles. Le référendum constitutionnel, les responsabilités du Premier ministre, le refus du gouvernement d'engager dès après sa nomination sa responsabilité devant l'Assemblée nationale, sont plus que de simples déviances, des violations de la loi par le régime lui-même ; le retour au respect de la lettre de la Constitution permettrait déjà des changements. »
On ne peut clamer avec plus de conviction : « Vive la V° République ! »
Toutes les autres parties du programme commun ne sont là que pour faire « passer » la défense des institutions, des corps constitués, des organes de l'Etat bourgeois. Considéré dans son ensemble, le programme commun semble incohérent, éclectique, un fouillis. A la vérité, ce programme est inapplicable : c'est aussi qu'il n'est pas fait pour être appliqué. L' « union de la gauche » et son programme ont été constitués ainsi qu'une ultime ligne de défense de la V° République et de l'Etat bourgeois alors que la crise de la bourgeoisie aboutira à la dislocation de la V° République, à la crise révolutionnaire, à la révolution prolétarienne. De là l'incohérence « programmatique » du programme de l' « union de la gauche ». Incohérent en tant que programme, il répond à une logique politique extrêmement claire. Cette incohérence ne serait pas moins, en cas de venue au pouvoir de l' « union de la gauche », lourde de conséquences économiques, sociales, politiques. Le programme de nationalisations plus ou moins appliqué sans que soit remis en cause le fait que le moteur de la production est l'extraction et la réalisation de la plus-value, l'anarchie économique qui en résulterait, la fuite des capitaux en raison des circonstances économiques et politiques, l'accentuation du déséquilibre des balances commerciales et des comptes, conduiront inéluctablement à une crise économique et financière profonde et grave.
Actuellement, les contradictions du mode de production capitaliste ont atteint un point de tension extrême. Une crise économique et financière rampante sévit de façon endémique. Un événement contingent peut libérer et faire exploser ces contradictions. Or, la venue au pouvoir d'un gouvernement de l'union de la gauche-front populaire résulterait d'une exacerbation extrême de la lutte des classes. Il viendrait au pouvoir afin de défendre l'ordre, le pouvoir, l'Etat bourgeois. Les concessions qu'éventuellement il devrait faire aux masses pour les contenir exacerberaient encore toutes les tensions économiques, sociales et politiques. Il tenterait d'interdire à la classe ouvrière d'utiliser les moyens, la méthode, la ligne politique qui seuls peuvent résoudre les contradictions économiques : détruire l'Etat bourgeois, constituer un Etat et le pouvoir ouvriers, porter au pouvoir un gouvernement ouvrier, exproprier le capital, planifier sous contrôle ouvrier l'économie. et la faire fonctionner en fonction des besoins des masses et non plus de la production et de la réalisation de la plus-value, le tout impulsant un processus révolutionnaire qui s'étend à l'Europe et dont l'un des principaux objectifs doit être la constitution des Etats-Unis socialistes d'Europe. Un gouvernement de l'union de la gauche-front populaire précipiterait la crise économique et sociale sans être capable de la résoudre, ni du point de vue de la classe ouvrière, ni du point de vue du capital.
L'union de la gauche-front populaire ne vise pas d'ailleurs en tant que telle à accéder au pouvoir. Son objectif est d'empêcher que la crise du système politique de domination de classe en place en France, la V° République, ne débouche sur l'ouverture d'une crise révolutionnaire. C'est en relation - et en réaction - avec la nouvelle période de la révolution prolétarienne ouverte en 1968 qui trouve son expression la plus concentrée en Europe, que l'union de la gauche-front populaire a été constituée. Pour le comprendre, il suffit de saisir dans son unité et sa diversité le développement dans le temps et l'espace de la révolution prolétarienne mondiale.
Comme nous l'avons vu au chapitre 1 les dirigeants de la révolution russe Lénine et Trotsky espéraient que la révolution allemande relaierait la révolution russe rapidement, qu'elle s'étendrait dans des délais relativement courts à l'Europe. Lénine et Trotsky avaient raison de s'orienter sur cette perspective : entre 1917 et 1938, les situations révolutionnaires, les crises révolutionnaires, les révolutions n'ont cessé de se produire en Europe, et pas seulement en Europe, de la révolution allemande de 1918-1919 à la révolution espagnole de 1936-1937. Mais le vieux monde était armé pour résister aux assauts révolutionnaires, tandis que la classe ouvrière ne l'était pas ou mal pour vaincre. Les vieilles organisations ouvrières sociales-démocrates défendaient efficacement l'ordre bourgeois. Les partis communistes n'existaient pas ou étaient des partis manquant d'expérience et de maturité politique, y compris le plus puissant d'entre eux, le parti communiste allemand. Le mort a fini par saisir le vif : les défaites du prolétariat européen ont isolé la révolution russe, entraîné sa dégénérescence, la formation d'une bureaucratie parasitaire et contre-révolutionnaire en U.R.S.S., la dégénérescence du parti bolchevique, la subordination de la III° Internationale à cette bureaucratie. La III° Internationale, les P.C., devenaient les agents contre-révolutionnaires du Kremlin et les organisateurs des plus tragiques défaites que le prolétariat ait jamais subies. Telle a été la dialectique de l'histoire.
Mais, en 1943, la marche de la lutte des classes s'inversait. La force des rapports de production nés de la révolution d'Octobre et rattachement des masses d'U.R.R.S. à ces rapports de production, conjugués aux contradictions impérialistes, ont brisé la machine de guerre de l'Allemagne nazie, de l'Italie et du Japon. Tout le système impérialiste en a été ébranlé et disloqué. L'« ordre européen » reposait, depuis l'occupation de la plupart des pays d'Europe par l'impérialisme allemand, sur les épaules de ce dernier : il s'effondrait avec lui. La révolution prolétarienne était à nouveau à l'ordre du jour. La conjonction de l'action de l'impérialisme U.S., de la bureaucratie du Kremlin, des P.C., des partis sociaux-démocrates, des appareils syndicaux l'a certes endiguée.
A Yalta et à Potsdam, un nouvel ordre européen a été mis en place, fondé sur la division de l'Europe et de l'Allemagne en deux. L'action politique des P.C. a permis la reconstruction des appareils d'Etat bourgeois en Italie, en France, etc. La bureaucratie du Kremlin bénéficiait aux yeux des masses européennes du prestige usurpé de la victoire remportée sur l'impérialisme allemand. Le prolétariat de l'U.R.S.S. était une fois encore épuisé. La bureaucratie du Kremlin avait les mains libres en U.R.S.S. et en Europe de l'Est ; elle était au sommet de sa puissance politique.
Mais la portée des mouvements de masse qui, à Partir de 1943, se sont développés en Europe et dans le monde, ne s'est vraiment révélée qu'en 1953. En juin 1953, le prolétariat de l'Allemagne de l'Est se dressait contre la bureaucratie du Kremlin. Il ouvrait la voie au mouvement révolutionnaire d'octobre 1956 en Pologne, à la Révolution des conseils ouvriers en Hongrie en novembre 1956. C'était là le mouvement qui dresse les masses contre les bureaucraties parasitaires et tend à les renverser, le mouvement de la révolution prolétarienne qui reprend vie et s'attaque à la réaction thermidorienne. Il va vers la restauration ou l'instauration de la démocratie soviétique en chassant du pouvoir la caste bureaucratique qui l'usurpe.
La révolution politique commençait. C'était un tournant historique. D'autant qu'en août 1953, en France, se produisait une grève générale spontanée, que d'autres mouvements avaient lieu en 1953 et en 1957, que l'impérialisme français subissait l'historique défaite de Dien Bien Phu. Ces événements n'étaient pas indépendants les uns des autres. Des liens internes profonds les unissaient. Les uns et les autres participaient de la crise conjointe du système impérialiste et des bureaucraties parasitaires dont, au premier chef, celle de la bureaucratie du Kremlin. La véritable disposition des forces de classe à l'échelle mondiale commençait à apparaître au grand jour. Les véritables rapports entre l'impérialisme, les bureaucraties, leurs agences, d'un côté, et le prolétariat mondial de l'autre, commençaient à s'éclairer.
Les rapports entre les classes et à l'intérieur des classes qui se dégageaient alors annonçaient ce que cristallisera l'année 1968. Cependant, le cours de la lutte des classes n'est pas uniforme et rectiligne.
Le prolétariat, les masses exploitées, ont subi, à la fin des années 50 et au début des années 60, d'importantes défaites. La bureaucratie du Kremlin a écrasé militairement la révolution hongroise, de Gaulle a accédé au pouvoir en France : l'impérialisme reprenait, dans une certaine mesure, l'initiative. Les bourgeoisies européennes espéraient infliger aux prolétariats, de leurs pays des défaites décisives. De son côté, l'impérialisme américain s'orientait vers une politique agressive en Asie. Il en mettait en place les éléments. Il concourait à la préparation du coup d'Etat militaire qui devait renverser Sukarno et à la suite duquel des dizaines de milliers de militants du parti communiste indonésien, des centaines de milliers d'ouvrier, et de paysans, ont été massacrés. Il est intervenu de plus en plus massivement au Vietnam. Le dispositif militaire qu'il mettait en place en Indochine complétait l'encerclement militaire de la Chine, et la menaçait d'une intervention militaire directe. La bureaucratie du Kremlin entreprenait tout ce qui était en son pouvoir pour isoler politiquement et économiquement la Chine. L'impérialisme américain a soutenu les cliques militaires qui ont organisé des coups d'Etat en Amérique latine, en Asie, en Afrique. L'Europe était aussi un de ses champs d'action contre-révolutionnaire. Franco et Salazar bénéficiaient toujours de son soutien. En Grèce, après quelques années de vie politique « plus démocratique », un autre coup d'Etat militaire écrasait à nouveau les masses grecques. Le prolétariat européen et mondial allait-il subir une nouvelle période d'écrasements comparables à ceux des années d'avant la Seconde Guerre mondiale ? Les attaques des bourgeoisies européennes et des autres continents, la politique de l'impérialisme américain, malgré les défaites et les durs coups assenés aux masses, n'ont pu amoindrir la puissance du prolétariat, la force des positions reconquises et conquises depuis 1943. Les faiblesses et contradictions de toutes les bourgeoisies européennes s'aggravaient. La coalition atlantique se fissurait. A l'intérieur de la bourgeoisie américaine, les conflits et oppositions s'accentuaient. Les problèmes de la bureaucratie du Kremlin et des bureaucraties satellites, ainsi que de la bureaucratie chinoise, s'aggravaient. Tout cela sur la toile de fond de la puissance du prolétariat, de la force de ses positions acquises.
Alors que l'impérialisme, à la faveur de l'écrasement de la révolution hongroise sous les coups de la bureaucratie du Kremlin, de la défaite pour la classe ouvrière française que représentait la prise du pouvoir par de Gaulle, s'efforçait d'utiliser ces avantages, la classe ouvrière, les masses, résistaient. De puissants mouvements se déclenchaient. Pour ce qui est de l'Europe de l'Ouest : grève générale belge de la fin 1960 au début 1961 ; redressement et nouvel élan du prolétariat grec qui créait en 1964-1965 une situation prérévolutionnaire que le coup d'Etat préventif empêcha de se transformer en crise révolutionnaire ouverte ; grève générale des mineurs français de mars-avril 1963, qui portait un coup fatal à la politique de destruction du mouvement ouvrier en France ; nouvel éveil du prolétariat espagnol ; combat d'envergure que la classe ouvrière allemande engageait afin d'arracher la satisfaction d'importantes revendications ; grèves des marins britanniques en 1965, etc. Au Vietnam, les masses s'engageaient dans une nouvelle guerre révolutionnaire et résistaient héroïquement à l'agression de l'impérialisme U.S. La révolution cubaine éclatait et expropriait l'impérialisme et la bourgeoisie compradore. Sur ce fond de l'activité du prolétariat international, un phénomène particulier se dessinait à partir des luttes que les étudiants engageaient au Japon : la formation et l'intervention d'un mouvement étudiant de masse. La puissance du prolétariat des U.S.A. restait intacte. Quant à l'U.R.S.S. et à l'Europe de l'Est, les convulsions de la bureaucratie du Kremlin, que la liquidation de Khrouchtchev soulignait, se poursuivaient et démontraient que les bureaucraties satellites étaient incapables de maîtriser les rapports sociaux en U.R.S.S. et en Europe de l'Est. Tout juste leur était-il possible de juguler, de contenir sous la dalle de la répression les antagonismes sociaux. Les vicissitudes et l'histoire tourmentée de la bureaucratie chinoise démontraient qu'il en était de même en Chine. En revanche, dans ces pays, un gigantesque prolétariat s'est développé, dont la puissance énorme s'exprime dans une résistance sourde à la bureaucratie, et qui peut se transformer rapidement en énergie révolutionnaire.
Au total, les charges explosives se sont accumulées au sein de la vieille société capitaliste, en U.R.S.S., en Europe de l'Est, en Chine ; les antagonismes se sont accentués entre les classes, mais aussi à l'intérieur de chaque classe dominante et dans les rapports entre les pays capitalistes ; de même, au sein de la bureaucratie du Kremlin et de chacune de ses bureaucraties satellites, comme à l'intérieur de son appareil international. Les puissantes explosions de classe de 1968, la grève générale française, le mouvement révolutionnaire des peuples et des prolétariats de Tchécoslovaquie, ont redonné l'initiative au prolétariat. Toutes les tendances que les grands mouvements de classe des années 1953-1956 ont dégagées ont resurgi, mais beaucoup plus marquées et développées. Une nouvelle période de la lutte des classes mondiale s'est ouverte, qui accentue la crise conjointe de l'impérialisme et de la bureaucratie du Kremlin. Manifestement, une nouvelle période de la révolution prolétarienne mondiale s'est ouverte, dont l'enjeu est le renversement du système capitaliste, de l'impérialisme et, conjointement, des bureaucraties parasitaires dans les pays où le capitalisme a déjà été exproprié. Tous les continents, tous les prolétariats, sont concernés.
Mais, en Europe, elle atteint son plus haut degré de concentration. En Europe, les contradictions économiques, sociales et politiques qui sont à l'origine de la révolution prolétarienne, et qu'elle doit résoudre, atteignent leur plus haut degré de concentration et d'imbrication.
Aux anciennes et classiques contradictions de l'Europe s'ajoutent de nouveaux problèmes. Non seulement la vieille question européenne n'a pas été résolue, mais elle s'est considérablement aggravée. Nulle part plus qu'en Europe la contradiction entre la propriété privée des moyens de production, l'étroitesse des frontières nationales et le développement des forces productives n'est aussi aiguë. L'Europe capitaliste, l'Europe et sa mosaïque de frontières nationales, est inéluctablement vouée à la décadence.
La bourgeoisie a démontré qu'elle était incapable d'unifier l'Europe. Toutes ses tentatives revenaient à imposer l'hégémonie d'une grande puissance sur les autres, que ce soit l'Allemagne, ou, plus médiocrement, à la fin de la Première Guerre mondiale, la France. L'unité de l'Europe sous l'égide d'une grande puissance impérialiste signifiait obligatoirement : oppression nationale sur les autres peuples, pillage, et subordination de leur économie, de leur vie politique et culturelle aux exigences de la puissance dominante. Finalement, les rapports économiques et politiques en Europe et dans le monde vouaient au désastre ces tentatives.
La dernière tentative, l'Europe d'Hitler, fut un tragique et sanglant épisode, qui n'a laissé que deuils et décombres fumants.
Mais depuis ? L'économie européenne ne s'est-elle pas constituée, ainsi qu'une unité cohérente et indépendante, ou n'est-elle pas en voie de l'être ? L'Europe des Six et ensuite l'Europe des Neuf n'est tout au plus qu'une partie de l'Europe. Elle laisse en dehors toute l'Europe de l'Est, dont l'U.R.S.S. La géographie et l'histoire, le développement des rapports économiques et de la division internationale du travail, ont, depuis des centaines d'années, établi la complémentarité de l'Europe de l'Est et de l'Ouest, leur unité organique. La coupure en deux de l'Europe, qui passe au cœur de l'Allemagne, pays déterminant à tous égards en Europe, va à l'encontre du progrès historique. Elle constitue une anomalie historique, produit de la combinaison de l'action contre-révolutionnaire de l'impérialisme et de la bureaucratie du Kremlin, qui pour maîtriser le prolétariat européen l'ont coupé artificiellement en deux.
Sans doute, le prolétariat ne prend pas le pouvoir simultanément dans tous les pays, l'expropriation de la bourgeoisie ne suit pas un cours logique et continu. La sinuosité du cours de la révolution prolétarienne est inévitable. Elle implique des coupures, partielles ou totales, mais provisoires, qui semblent, a priori, aller à contre-courant de l'unification des rapports économiques, et autres, à l'échelle internationale. L'U.R.S.S. a été obligée de se protéger de la pénétration des marchandises et des capitaux des pays capitalistes, d'instituer le monopole d'Etat du commerce extérieur pour être à même de planifier son économie. La nature différente des rapports sociaux de production de l'U.R.S.S. et des pays capitalistes limite obligatoirement les rapports économiques. Mais cette coupure n'est pas un acquis, tout au plus un mal nécessaire afin d'éviter un plus grand mal. C'est une contrainte qui prouve que la révolution prolétarienne est limitée, inachevée, instable, fragile, soumise à des reculs et susceptible de subir de terribles déformations. Etendre les nouveaux rapports de production aux autres pays est l'impératif catégorique de la formation d'une économie qui intègre les acquis de la division internationale du travail débarrassée des contradictions et entraves de la propriété privée des moyens de production et de l'étroitesse des frontières nationales. Alors, les fondements économiques du socialisme existeront, c'est-à-dire d'un monde nouveau, où l'humanité fera des progrès prodigieux. Les bolcheviques estimaient que la situation de l'U.R.S.S., après la révolution d'Octobre, était transitoire, qu'il s'agissait d'un moment du développement de la révolution prolétarienne en Europe et dans le monde.
La coupure de l'Europe en deux systèmes sociaux est d'autant plus insupportable pour les pays de l'Europe de l'Est et l'U.R.S.S., que les rapports de production de ces pays sont ceux nécessaires à l'unification de l'Europe. Ils ont besoin de cette unification. Leur dynamique sociale l'exige. En même temps, de façon générale, les moyens de production y restent considérablement moins développés qu'à l'Ouest. De plus, sous la direction de la bureaucratie du Kremlin et des bureaucraties satellites, la gestion de l'économie aboutit à des distorsions catastrophiques, au pillage et à l'oppression nationale. Le nationalisme économique et politique pousse ainsi que du chiendent sur des rapports sociaux de production qui impliquent la coopération internationale et directement européenne. La bureaucratie du Kremlin et les bureaucraties satellites sont radicalement opposées à la solution conforme aux intérêts du prolétariat, la révolution prolétarienne à l'Ouest. Les nécessités économiques n'en sont que plus brutales. Les bureaucraties parasitaires de l'Europe de l'Est s'efforcent d'y répondre en appelant au secours, à la « coopération », les pays capitalistes.
La coupure de l'Europe en deux semble être moins grave pour les pays capitalistes de l'Ouest que pour les pays de l'Europe de l'Est dont l'économie est planifiée. La « prospérité » de l'Allemagne de l'Ouest, une des premières puissances économiques du monde, tranche sur les retards, les déséquilibres, les faiblesses irrémédiables de l'Allemagne de l'Est. Le phénomène est plus complexe qu'il n'apparaît. La coupure a accentué la dépendance économique de l'Europe de l'Ouest par rapport au marché mondial. Mais, le système capitaliste, le marché mondial, la division internationale, ce sont des rapports concrets. Les U.S.A. y occupent une place déterminante. La décadence historique des impérialismes européens dont l'origine est l'étroitesse des frontières nationales, l'incapacité d'unifier l'Europe, a été accentuée par la division de l'Europe et de l'Allemagne. Les U.S.A. dépendent du reste de l'économie mondiale, mais l'ensemble de l'économie capitaliste ne dépend pas moins des U.S.A., des besoins et exigences du capital américain, de l'impulsion ou au contraire des contradictions qu'il imprime au système capitaliste. Le redémarrage de l'économie, la reconstruction économique du système capitaliste en Europe et au japon a été l'œuvre des U.S.A. Aujourd'hui encore, toute crise aux U.S.A. entraînera une catastrophe en Europe et au Japon, ainsi que pour tout le système (la réciproque est également vraie). La C.E.E., à six ou à neuf, ne constitue pas une zone économique homogène. Dès que l'activité économique internationale marque un fléchissement, de redoutables craquements se font entendre au sein de la C.E.E. qui annoncent sa dislocation. Chaque pays capitaliste de la C.E.E. garde ses structures économiques propres, sa politique économique et financière particulière, ses intérêts spécifiques et antagonistes à ceux des autres pays de la C.E.E. Loin d'amener à un affaiblissement des Etats nationaux, la C.E.E. exige au contraire que chacun d'entre eux se renforce et défende les intérêts de sa bourgeoisie nationale. Les institutions européennes sont : soit des façades qui masquent le vide, tel le Parlement européen de Strasbourg ; soit des organismes trompe-l'œil auxquels les syndicats sont associés pour qu'ils cautionnent la « politique européenne » ; soit des organismes qui préparent les compromis constants entre les Etats nationaux, dont vit la C.E.E.
La libre pénétration des marchandises et des capitaux en Europe de l'Est et en U.R.S.S. est toujours un des objectifs majeurs des pays de la C.E.E. Ils s'efforcent collectivement, et chacun pour son propre compte, de rompre les barrages que dresse le monopole du commerce extérieur que détiennent les Etats de l'U.R.S.S. et de l'Europe de l'Est.
Plus s'accroissent les difficultés économiques et les contradictions sur le marché mondial, plus il devient important pour les pays capitalistes européens de « rouvrir » l'est de l'Europe à leurs marchandises et à leurs capitaux. L'Allemagne de l'Ouest a déjà noué d'importantes relations économiques avec les pays de l'Est. Cela exprime sa position centrale et déterminante en Europe, sa puissance économique. Elle tend à renouer les vieux liens et à en tisser de nouveaux.
Une importante crise économique contraindra l'impérialisme U.S. à peser d'un poids écrasant sur l'Europe. La C.E.E. s'écroulera, ainsi qu'un château de cartes. Un nationalisme économique exacerbé s'emparera de chaque Etat bourgeois d'Europe. La coupure de l'Europe en deux systèmes économiques deviendra intolérable, et au premier chef celle de l'Allemagne. La division économique et politique de l'Europe devra cesser.
Certes, les rapports politiques et toutes les super structures sociales reposent sur les rapports de production. Ils en sont des expressions, des manifestations. Lénine disait que la politique, c'est de l'économie concentrée. Cependant, les rapports politiques, l'action politique, la lutte des classes, les luttes à l'intérieur des classes, sont les facteurs actifs, décisifs, par lesquels se réalisent les bouleversements économiques et sociaux nécessaires. C'est cette dialectique qui en 1968 s'est exprimée au travers de la grève générale française et du processus de révolution politique en Tchécoslovaquie, et qui depuis n'a cessé de se développer. Tout mouvement de masse en Europe est un élément d'une unité plus vaste et complexe, la lutte de classe européenne, elle-même composante de la lutte de classe mondiale. Bien que se développant de façon inégale et particularisée, cette lutte de classe est parvenue à un tel point d'homogénéité en Europe que chaque crise révolutionnaire doit être comprise ainsi qu'un chaînon de la chaîne des révolutions qui constituent la révolution européenne. Dans chaque pays européen, tout mouvement de classe important du prolétariat soulève plus ou moins directement la question du gouvernement et de l'Etat, dans le pays où il se produit, mais aussi celle des rapports entre les classes à l'échelle de toute l'Europe, contre la bourgeoisie et les bureaucraties parasitaires.
Depuis 1968, tous les développements à l'échelle mondiale sont dominés, sinon ordonnés, par la perspective de la révolution européenne. Dans un premier temps, l'impérialisme américain a dû rajuster sa stratégie internationale. A l'orientation de l'encerclement de la Chine, voire de la préparation de la guerre contre celle-ci, il a substitué une politique dont Kissinger et Nixon ont été les initiateurs, qui vise à utiliser à fond contre la révolution menaçante la bureaucratie du Kremlin et la bureaucratie chinoise. Tel est l'axe de la nouvelle sainte-alliance contre-révolutionnaire, qu'il a réussi à constituer et à animer avec Pékin et Moscou. Grâce à elle, il a pu faire ratifier les accords de Paris par le gouvernement de la République démocratique du Vietnam au bout de cinq années de discussion et de poursuite de la guerre. Signés en janvier 1973, ces accords maintenaient la division du Vietnam, laissaient en place l'administration et le gouvernement de Thieu, renforçaient considérablement son armée qui contrôlait toutes les villes. Les rapports à l'intérieur de la sainte-alliance contre-révolutionnaire sont entièrement à l'avantage de l'impérialisme U.S. Minée, menacée, la bureaucratie du Kremlin a une peur panique de la révolution en Europe et défend inconditionnellement l'ordre mondial impérialiste, l'ordre européen que les accords de Yalta et de Potsdam ont institué. La bureaucratie chinoise n'est pas moins instable et déchirée. L'une et l'autre ont un pressant besoin de l'aide de l'impérialisme, ce qui rend d'autant plus efficace la pression que celui-ci accentue sur elles.
La sainte-alliance contre-révolutionnaire n'est pas toute-puissante. Elle a réussi à porter des coups très durs aux prolétariats, notamment en Amérique latine, dont la terrible défaite subie par le prolétariat chilien. Mais elle n'a pu bloquer la marche à la révolution en Europe et les processus de la lutte des classes dans le monde entier. Bien plus, un tournant dans la situation mondiale s'est produit au cours de ces dernières années. Il exprime et impulse une nouvelle maturation révolutionnaire. La crise politique qui a secoué l'impérialisme U.S. et a amené Nixon à démissionner de la présidence des Etats-Unis est une crise politique fondamentale qui résulte des difficultés que l'impérialisme U.S. éprouve à maîtriser les rapports entre les classes aux U.S.A. et dans le monde, les rapports politiques nationaux et internationaux, en dépit du soutien des bureaucraties du Kremlin et chinoise. L'effondrement des accords de Paris, conséquence de la putréfaction du gouvernement, de l'Etat compradore de Thieu de son administration, de son armée, au début de 1975, l'a surabondamment démontré. A l'autre bout du monde, au Portugal, un an plus tôt, le 25 avril 1974, la révolution portugaise éclatait : elle était - elle est encore le prologue de la révolution européenne. Après le Portugal, l'Espagne, la France, l'Italie, sont à la veille de l'ouverture d'une crise révolutionnaire.
Faut-il insister à propos de l'Espagne ? Bien avant la mort de Franco, l'édifice du franquisme était lézardé, ébranlé. Mais les institutions du régime franquiste sont restées en place. Leur effondrement, le renversement de l'héritier du bourreau des masses d'Espagne, le roi Juan Carlos, sont une simple affaire de temps. Sur les décombres du régime franquiste, le prolétariat d'Espagne, les masses exploitées, danseront une nouvelle carmagnole révolutionnaire. Des profondeurs remonteront toutes les traditions révolutionnaires, et surtout celles de 1936 : la révolution prolétarienne déferlera sur l'Espagne.
La chute du franquisme, l'ouverture de la révolution en Espagne, constitueront un irrésistible appel à la révolution pour tous les prolétariats d'Europe. A tous les prolétariats d'Europe, mais plus particulièrement au prolétariat français. Les liens entre les prolétariats français et espagnol sont étroits ; ils sont physiques, faits d'une histoire qui les a unis : à la montée de la révolution espagnole en 1932 et 1936 a correspondu en France un développement de la lutte des classes qui a débouché sur la crise révolutionnaire de juin 1936 ; à juin 36 en France a succédé juillet 36 en Espagne ; et à la défaite du prolétariat français en novembre 1938 est intimement lié l'écrasement du prolétariat espagnol en 1938-1939. Les deux prolétariats payaient plus ou moins durement les tragiques conséquences de la politique des fronts populaires. Pourtant, il n'est pas exclu que ce soit l'inverse qui se produise : que la crise révolutionnaire française appelle les masses espagnoles à abattre en un dernier effort le franquisme et à s'engager sur la voie de la révolution.
Toute l'Europe capitaliste est engagée dans ce processus, qui évidemment diffère en ses formes et n'est pas au même point de maturité dans tous les pays.
En Angleterre, la grève des mineurs de 1974 a scellé l'échec du retour des conservateurs au pouvoir. La présence au pouvoir des travaillistes devenait indispensable à l'équilibre entre les classes. La crise économique et sociale n'a pas pour autant cessé de se développer. Elle ne peut que s'approfondir et déboucher sur une crise politique sans issue prévisible. Le « colosse » du capital européen, le capitalisme allemand, est un colosse aux pieds d'argile. Sur lui pèsent des exigences écrasantes auxquelles il n'a pas les moyens de répondre : servir de locomotive au capitalisme européen. Sa défaite de 1940-1945 le marque de façon indélébile : division de l'Allemagne, ébranlement et destruction des anciennes structures étatiques.
La perte d'immenses débouchés à l'Est l'a rendu encore plus dépendant du reste du marché mondial. Le capitalisme allemand est vorace : or il a une fantastique puissance de production sur une base extrêmement étroite. Son atout majeur a été la division en deux du prolétariat allemand, la peur du stalinisme. Mais de ce côté aussi, les choses changent : il commence à devenir clair que le dilemme n'est pas capitalisme ou stalinisme, mais capitalisme et stalinisme OU socialisme. La revendication de l'unité de l'Allemagne et du prolétariat allemand a un contenu révolutionnaire.
La crise conjointe de l'impérialisme et de la bureaucratie du Kremlin expose au grand jour les liens qui unissent l'impérialisme et la bureaucratie, leur solidarité contre-révolutionnaire. Elle montre que la bureaucratie du Kremlin est le plus efficace soutien de la bourgeoisie en Europe de l'Ouest, précisément parce qu'elle redoute le mouvement des masses qui se dirige contre elle en Europe de l'Est, qui vise à l'abattre. Inversement, l'impérialisme lui apporte son plein appui contre les masses d'Europe de l'Est. Cela ne se dégage pas de leçons au sens scolaire, mais du processus de la révolution politique en Tchécoslovaquie en 1968, des mouvements à caractère révolutionnaire en Pologne, de toute la fermentation politique en Europe de l'Est et en U.R.S.S. qui montrent la véritable nature du stalinisme et de ses rapports avec l'impérialisme.
Les mouvements qui ont eu lieu, ceux qui se préparent contre la bureaucratie du Kremlin et les bureaucraties satellites, sont reliés à ceux qui dressent contre le capitalisme en crise le prolétariat d'Allemagne et tous les prolétariats de l'ouest de l'Europe.
Après la Tchécoslovaquie, la Pologne est au centre des processus révolutionnaires. Depuis 1971-1972, où la grève des travailleurs des chantiers navals de la Baltique a renversé Gomulka, la lutte ne s'apaise que pour reprendre un peu plus tard.
Gierek a utilisé les mêmes méthodes que Gomulka : la répression progressive. Au printemps et au début de l'été 1976, il a tenté d'imposer une réduction du niveau de vie des masses polonaises, une hausse massive des prix. A nouveau, le prolétariat polonais s'est levé. L'épicentre de son combat est situé cette fois à Ursus, mais il avait le même contenu et le même sens. Une fois encore, la bureaucratie polonaise a dû reculer et annuler les mesures prévues. Et, une fois encore, elle a déchaîné la répression politique : emprisonnant et condamnant des dizaines et des centaines de travailleurs qui avaient participé à la grève et aux manifestations. C'est un phénomène d'une grande importance politique que se soit constitué en Pologne un comité pour que cesse la répression contre les travailleurs d'Ursus, comité composé d'intellectuels, rencontrant un large écho dans la classe ouvrière, qui a obligé la bureaucratie polonaise à reculer partiellement en annulant certaines condamnations. La bureaucratie louvoie, bien qu'à leur tour les intellectuels qui ont formé ce comité soient victimes de la répression.
Fait d'une grande signification : alors que les difficultés économiques ne cessent de croître en U.R.S.S., la bureaucratie du Kremlin a ouvert un crédit d'un milliard de roubles à celle de Pologne. Mieux que quiconque, elle apprécie combien la situation est explosive en Pologne. Elle voudrait huiler les rouages sociaux, détendre les antagonismes. Ce n'est pas de la Pologne seulement dont il s'agit. La Pologne est le cas le plus extrême où les tensions sociales arrivent au point de rupture, mais ces tensions existent et s'accroissent dans tous les pays de l'Europe de l'Est et en U.R.S.S. Elles se conjuguent aux problèmes nationaux que l'oppression du Kremlin, les rapports des bureaucraties entre elles, entretiennent et exaspèrent. Les regroupements qui s'organisent en Europe de l'Est et en U.R.S.S., qui luttent contre la répression, pour les libertés, sont quelquefois confus. Ils sont souvent hétérogènes. Mais ils témoignent de la fermentation sociale et politique qui existe en ces pays. L'intervention de la classe ouvrière se prépare derrière l'action de ces intellectuels, de ces groupes, de ces individualités. Alors, la lutte prendra un contenu précis et déterminé : le combat pour expulser la bureaucratie spoliatrice, parasitaire et contre-révolutionnaire ; revenir aux sources de la révolution d'Octobre, à ses normes, à la démocratie soviétique ; la classe ouvrière et les masses reconstruiront l'Etat ouvrier et géreront les rapports collectifs de production en fonction de leurs besoins.
C'est une constatation objective : neuf ans après l'intervention des troupes répressives de la bureaucratie du Kremlin et des bureaucraties satellites en Tchécoslovaquie, la fermentation n'a pas cessé. La bureaucratie ne parvient pas à maîtriser le prolétariat, les masses, les jeunes, les intellectuels tchécoslovaques.
Ils subissent mais ne capitulent pas et continuent à résister. La « Charte 77 » est ce qu'elle est. Elle montre les illusions qui existent quant à la signification des accords d'Helsinki, les illusions par rapport aux gouvernements des pays où, plus ou moins amputée, la démocratie bourgeoise se survit. Il n'empêche que le combat pour les libertés se poursuit. Et il ne peut se poursuivre qu'autant que les masses dans leur ensemble le soutiennent, le nourrissent, y participent plus ou moins activement.
Ce qui se passe en Union soviétique n'a pas l'éclat des mouvements tchécoslovaque et polonais, mais les contradictions n'y sont pas moins explosives. L'action d'hommes comme Grigorenko et tant d'autres a de profondes racines. Elle démontre qu'un processus moléculaire est en cours. La lutte pour les droits civiques, les libertés politiques, en art et en littérature, le Samizdat, sont les prémisses de profonds mouvements de masse. La nature des relations sociales de l'U.R.S.S. fait que la bureaucratie ne peut régner que sous une seule forme politique : la dictature brutale. Lorsque celle-ci est mise en cause, en arrière-plan se dresse le prolétariat. On ne peut exclure que le prochain déferlement des masses en Europe de l'Est, et même en Europe en général, se produise en U.R.S.S. Et il est certain que l'irruption révolutionnaire en Europe s'étendra l'U.R.S.S.
Voilà ce qui s'est affirmé et confirmé ces dernières années. L'évolution de ces rapports entre le classes et à l'intérieur des classes se combine à la crise économique et financière endémique qui, bien qu'encore limitée, ronge le mode de production capitaliste depuis des années. Elle répond aux contradictions inhérentes au mode de production capitaliste, mais à l'époque de l'impérialisme et après plusieurs décennies d'un pourrissement en profondeur de tout le système, que le parasitisme fantastique des Etats bourgeois, les dépenses d'armement massives, indispensables au fonctionnement de l'économie capitaliste à l'époque actuelle, ont entraîné. Une gigantesque inflation mondiale limite encore la crise, qui n'élude la catastrophe que pour la rendre plus terrible et dévastatrice à terme. L'inéluctable aboutissant ne peut être qu'une nouvelle dislocation du marché mondial, facteur révolutionnaire extraordinaire. A moins que la crise économique et financière aiguë ne soit précipitée par la crise révolutionnaire. La dislocation du marché mondial que le capital domine se répercutera brutalement sur l'économie de l'U.R.S.S. et de l'Europe de l'Est, déjà malade et, bien sûr, exacerbera les antagonismes sociaux et politiques dans ces pays, c'est-à-dire la lutte des classes.
Bien entendu, ni l'impérialisme ni les bureaucraties parasitaires n'acceptent passivement que la révolution prolétarienne s'avance, notamment en Europe.
Ils réagissent et combattent. En juillet 1975, une séance solennelle de la conférence sur la sécurité et la coopération en Europe s'est tenue à Helsinki, au cour, de laquelle les accords du même nom ont été signés. Se tenant quelques mois après la dislocation des accords de Paris, alors que la révolution portugaise se développait, que la menace de la révolution à l'échelle de l'Europe s'affirmait, que s'accentuait la crise conjointe de l'impérialisme et des bureaucraties du Kremlin et satellites, la conférence d'Helsinki réaffirmait l'unité de l'impérialisme et des bureaucraties parasitaires et contre-révolutionnaires contre le prolétariat, pour la défense de l'« ordre » européen que les conférences de Yalta et de Potsdam ont consacré, sinon établi.
Mais, aujourd'hui, ce qui marque la nature véritable des rapports, c'est la prédominance des intérêts de l'impérialisme, et de l'impérialisme américain en premier lieu, parmi la somme des intérêts des contre-révolutionnaires associés. C'est ainsi que la bureaucratie du Kremlin et la bureaucratie chinoise ont tenté d'imposer aux ouvriers et paysans vietnamiens la « paix sanglante » qui maintenait la division du Vietnam en deux, le gouvernement Thieu à la solde de Washington. C'est ainsi que la bureaucratie du Kremlin a travaillé sans même obtenir un pourboire au compte de l'impérialisme U.S. au Moyen-Orient. C'est ainsi que les exigences américaines deviennent de plus en plus draconiennes vis-à-vis du Kremlin : pas de crédits importants, pas d'élargissement répondant aux besoins des bureaucraties sans concessions fondamentales qui permettent la libre circulation des hommes, des marchandises, des capitaux, c'est-à-dire ouvrant largement la porte à la pénétration capitaliste en U.R.S.S., en Europe de l'Est et, éventuellement, en Chine.
Les rapports au sein de la nouvelle sainte-alliance contre-révolutionnaire traduisent l'affaiblissememt politique de la bureaucratie du Kremlin, et des bureaucraties satellites, comparée à ce qu'elle fut au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.
La révolution menace immédiatement à l'Est de l'Europe, en U.R.S.S., le pouvoir et l'existence des bureaucraties parasitaires. Tout ébranlement social et politique sous l'action du prolétariat en Europe de l'Ouest, ne peut qu'impulser, et cela directement, les mouvements révolutionnaires en Europe de l'Est, en U.R.S.S. Inconditionnellement, la bureaucratie du Kremlin met en action son appareil international, les P.C., au service de la défense des bourgeoisies menacées.
Là est l'origine de la résurgence de la politique des « fronts populaires ». La révolution menace : la contre-révolution s'organise. L' « union de la gauche » - front populaire et le « programme commun », s'inscrivent dans le cadre que les accords d'Helsinki constituent.
Le parti communiste italien a tiré à sa façon les « enseignements » du désastre auquel l'Unité populaire a conduit les masses et le prolétariat chiliens : le front populaire ne suffit pas ; une majorité de 51 % dans le pays et au Parlement ne suffit pas ; il faut aller plus loin, beaucoup plus loin, a expliqué Berlinguer, jusqu'au « compromis historique » entre le P.C.I. et la démocratie chrétienne en Italie. Est-ce vraiment une nouveauté historique ? Les fronts populaires ont toujours été sans frontière... à droite. Dès 1936, Maurice Thorez proposait de « dépasser » le Front populaire et de constituer un « Front des Français » du P.C.F. à Paul Reynaud. Les circonstances et les motifs invoqués ne sont pas les mêmes, les raisons profondes le sont. L'« union de la gauche » à peine constituée, le P.C.F. proposait d'aller bien au-delà, vers l'« union du peuple de France », englobant non seulement les radicaux, qu'ils soient de gauche ou de droite, mais toutes les forces « antimonopolistiques, démocratiques et nationales », les « démocrates de progrès jusqu'aux gaullistes nationaux », sans oublier les « chrétiens progressistes ». Santiago Carrillo et le parti communiste espagnol ont montré jusqu'où peut s'étendre à droite la politique des P.C. : jusqu'aux franquistes, jusqu'à l'héritier de Franco, le roi Juan Carlos.
Cette politique s'accompagne d'une certaine « critique » de la répression en U.R.S.S. et en Europe de l'Est, et de la renonciation officielle à la « dictature du prolétariat ». Chaque pays aurait sa « voie spécifique » qui le conduirait... ultérieurement... au socialisme : une voie « démocratique » bien sûr. Les positions que le P.C.I., le P.C.F., le P.C.E., ont prises ces dernières années, ainsi que d'autres P.C. d'Europe occidentale et même le parti communiste japonais, représenteraient une nouvelle orientation que d'aucuns ont appelée l'« eurocommunisme ». Elle s'opposerait à la politique du Kremlin et prouverait que ces P.C. sont devenus indépendants par rapport à la bureaucratie de l'U.R.S.S. La preuve en résiderait en ce que la Pravda a attaqué à plusieurs reprises les P.C., et les dirigeants de ces P.C., qui ont abandonné la référence à la « dictature du prolétariat », et qui critiquent la répression en U.R.S.S. et en Europe de l'Est.
Ces prises de position ont une grande importance politique. Encore est-il indispensable de les situer exactement. Elles s'imbriquent aux contradictions qui déchirent la bureaucratie du Kremlin, lesquelles exacerbent son impasse politique. De plus en plus, au sommet de la bureaucratie, s'affirme la tendance à mettre en cause les rapports de production nés de la révolution d'Octobre, à faire droit aux revendications de l'impérialisme, à ouvrir les portes de l'U.R.S.S. et de l'Europe de l'Est et le territoire de ces pays à la libre circulation des marchandises et des capitaux.
Ces tendances, ces courants, utilisent comme couverture idéologique l'aspiration légitime et révolutionnaire aux « droits et libertés ». Mais de quels « droits et libertés » s'agit-il ? Du droit du capital à circuler librement, ou bien de la liberté du prolétariat et des masses de s'organiser pour balayer la bureaucratie et restaurer ou instaurer le pouvoir des soviets ? La bureaucratie comme telle n'est pas mise en cause. L'exigence du retrait des troupes de la bureaucratie du Kremlin de Tchécoslovaquie, d'Allemagne de l'Est, de l'Europe de l'Est, n'est pas soulevée, le droit des peuples d'U.R.S.S. à disposer d'eux-mêmes ne l'est pas davantage. Les accords qui depuis Yalta et Potsdam jusqu'à Helsinki organisent l'ordre contre-révolutionnaire européen, la division de l'Europe et de l'Allemagne en deux, ne sont pas dénoncés. L'utilisation des contradictions qui déchirent la bureaucratie du Kremlin, son appareil international, les bureaucraties satellites, pour arracher de leurs griffes les victimes de la répression, combattre pour les libertés démocratiques, est normale et légitime. Les libertés démocratiques sont indispensables au prolétariat de ces pays pour combattre, vaincre, chasser les bureaucraties parasitaires. Elles sont parties intégrantes du programme de la révolution politique. Il faut d'autant plus se rappeler que le capital et la bureaucratie sont pleinement d'accord pour exercer la répression la plus brutale contre les masses lorsqu'elles se dressent et combattent pour leurs propres objectifs.
Les prises de position des P.C. français, espagnol, italien, et autres, doivent être appréciées dans le contexte de la nouvelle période révolutionnaire ouverte en 1968, du tournant de la situation mondiale, qui met, de façon plus nette encore, conjointement à l'ordre du jour la révolution sociale et la révolution politique en Europe, dans le cadre des contradictions qui déchirent la bureaucratie du Kremlin et les bureaucraties satellites. Ces P.C. ne mettent pas en cause la « légitimité » historique de la bureaucratie du Kremlin, tout au contraire : ils la défendent. Ils sont pour qu'elle se réforme. Qu'est-ce que cela signifie ? Pour le comprendre, il importe de se souvenir que la bureaucratie du Kremlin est une caste parasitaire, de nature sociale petite-bourgeoise, réaction contre la révolution d'Octobre. Trotsky expliquait qu'elle gère les rapports de production nés de la révolution d'Octobre faute de pouvoir les renverser, car c'est d'eux qu'elle tire ses privilèges, mais sa tendance historique est de revenir à l'appropriation privée des moyens de production. En revanche, l'existence du prolétariat d'U.R.S.S. dépend de ces rapports de production. Il a démontré au cours de la guerre qu'il y était physiquement attaché. Il se dresse objectivement contre le retour à l'appropriation privée des moyens de production, contre la liquidation de la planification et le retour plus ou moins progressif au mode de production capitaliste. Pour lui c'est une question de vie ou de mort.
Le cours du développement historique n'obéit pas à la logique formelle. Le prolétariat de l'U.R.S.S. est encore silencieux, mais il a acquis une formidable puissance potentielle. La bureaucratie du Kremlin se sent terriblement menacée, d'autant qu'en Europe de l'Est, la liste des explosions révolutionnaires est déjà longue, et que d autres se préparent manifestement, en relation avec la révolution prolétarienne qui mûrit en Europe occidentale. La bureaucratie du Kremlin et les bureaucraties satellites sont dans l'impasse, sur tous les plans, économique, social, politique. La pression de l'impérialisme, de l'autre côté, ne cesse de s'accentuer. Elles mêmes tendent à poursuivre leur évolution historique. Elles tremblent qu'une nouvelle révolution ne les balaie. Dès lors, de puissantes tendances se dégagent qui vont jusqu'au Kremlin pour, appuyées sur l'impérialisme, remettre progressivement en cause les rapports de production nés de la révolution d'Octobre, multiplier les concessions à l'impérialisme - cela en raison de l'incapacité de la bureaucratie à résoudre quelque problème que ce soit, en réaction et par peur du prolétariat.
Les P.C. français, italien, espagnol et autres restent des P.C. staliniens, car ce sont des partis historiquement et politiquement dépendants de la bureaucratie du Kremlin et de son existence. Mais leur situation politique les amène à traduire plus clairement, et surtout plus ouvertement, les aspirations de ces puissantes tendances à l'œuvre à l'intérieur de la bureaucratie du Kremlin, éventuellement à se faire leur porte-parole. La politique du « compromis historique », celle de soutien au gouvernement Andreotti, celle qui consiste à conclure un accord de gouvernement avec les partis bourgeois de « défense de l'ordre », impliquant l'austérité, que pratique le P.C.I., la politique de soutien à Juan Carlos et à Suarez du P.C.E., qui vient d'adopter le drapeau du franquisme, la politique du P.C.F., sont élaborées et appliquées en total accord avec le Kremlin. Cunhal au Portugal a lui aussi une politique de soutien total au régime en place. Les impératifs de la contre-révolution lient indissolublement les P.C. d'Europe occidentale à la bureaucratie du Kremlin. Mais il est vrai que les P.C. des pays capitalistes d'Europe tendent à s'adapter plus directement et plus étroitement aux besoins et aux exigences de l'impérialisme et de leurs bourgeoisies respectives, et partant, à se faire les porte-parole des tendances qui, en U.R.S.S. et en Europe de l'Est, vont le plus loin dans ce sens. Tel est le contenu du prétendu « eurocommunisme ».
La bureaucratie du Kremlin n'est certes pas unanime. Justement en raison de la formidable puissance du prolétariat. La politique de concessions à l'impérialisme, d'ouverture des frontières à la pénétration capitaliste, l'oblige à s'attaquer aux masses, et elle les redoute. Ce qui provoque en son sein des clivages, des déchirements, des crises : en témoigne le récent limogeage de Podgorny. Une suite d'oscillations fait de la ligne politique du Kremlin une ligne brisée, mais dont la direction est celle des concessions constantes à l'impérialisme, des tentatives pour faire renaître plus ou moins progressivement les rapports bourgeois de production. Les différends au sein de la bureaucratie s'expriment souvent au grand jour au moyen de la critique de la politique des P.C. occidentaux que publie tel ou tel organe de presse.
Cela traduit un phénomène d'une importance décisive : le processus de dislocation de la bureaucratie du Kremlin, de son appareil international, est en cours, leur éclatement est inévitable. D'ores et déjà, se dégagent des possibilités d'utilisation tactique.
Mais la bureaucratie du Kremlin, son appareil international, les bureaucraties satellites, subsistent comme tels. Les P.C. d'Europe occidentale restent des partis staliniens. Ils ne se « social-démocratisent » pas. Il n'y a d'ailleurs pas de place pour des partis staliniens « social-démocratisés ». Répétons-le : la politique de Berlinguer, de Marchais, de Carrillo, de Cunhal, de soutien au régime politique en place dans chacun de leurs pays, quel que soit celui-ci, est parfaitement conforme à celle de toutes les fractions de la bureaucratie du Kremlin sur ce plan.
L'« eurocommunisme » vise à défendre les systèmes politiques en place. Les exemples de l'Espagne et de l'Italie sont probants. Le P.C.E. défend Juan Carlos, héritier de Franco, dont le régime prolonge le régime franquiste. La Pravda vient de décerner à Juan Carlos et à Suarez un brevet de « démocratisme », et d'appuyer chaleureusement la politique, sur ce plan, du P.C.E. Le P.C.I. vient de conclure un pacte d'unité nationale avec les partis bourgeois où sans même participer au gouvernement il s'engage à défendre l'ordre établi, et appelle à une « politique d'austérité » utilisée directement contre les masses. L'Humanité soutient chaleureusement la politique du P.C.I. Mais l'« union de la gauche ».-front populaire, un gouvernement de type front populaire, ne peuvent être identifiés à l'union nationale et à un gouvernement d'unité nationale. La politique de l'« union de la gauche » serait-elle en contradiction avec le soi-disant « eurocommunisme » ? Absolument pas.
Depuis 1972, l'« union de la gauche » a mis en œuvre une politique qui a étayé la V° République, ses institutions, les gouvernements en place. Pour le comprendre, il faut en venir aux particularités de la situation et des rapports politiques en France.
La grève générale de mai-juin 1968 a marqué l'échec du bonapartisme gaulliste, et le référendum d'avril 1969 à la suite duquel de Gaulle, battu, a démissionné, a sanctionné cet échec. L'échec du bonapartisme gaulliste ne peut être assimilé à une crise gouvernementale sous la III° ou la IV° République : un système politique, une forme de domination de classe de la bourgeoisie, une forme d'Etat bourgeois, la tentative d'établir un certain type de relations entre les classes, étaient mis en échec.
Lorsqu'en 1958, de Gaulle est revenu au pouvoir, l'impuissance, le pourrissement de la IV° République, entraînaient l'éclatement de l'Etat. Il fallait un « sauveur ». De Gaulle devenait l'« homme providentiel ». Sa tâche était difficile. Il devait réunifier l"Etat bourgeois. Or, les échéances historiques étaient là inéluctables : le temps de l'« Union française » était révolu, l'indépendance politique des ex-colonies ne pouvait être longtemps différée ; le capital financier français devait se restructurer pour s'intégrer profondément au marché mondial et à la division internationale du travail. Or, de Gaulle accédait au pouvoir à la suite de la révolte des colonialistes qui se refusaient à « brader l'Algérie française ». Ils avaient l'appui de la plus grande partie des généraux et du corps des officiers. Les généraux et le corps des officiers n'acceptaient pas de subir un échec en Algérie après la défaite de 1940 et celle du Vietnam. De Gaulle proclamait « l'unité de la France de Dunkerque à Tamanrasset », et il devait concéder l'indépendance politique à l'Algérie, ainsi, qu'à la plupart des colonies françaises. Quatre longues années lui ont été nécessaires, et il fut contraint de casser à nouveau le corps des officiers, l'unité de l'Etat, pour parvenir à imposer une solution conforme aux intérêts du capital financier français. Ce n'était qu'une partie des tâches que le bonapartisme gaulliste avait à réaliser.
Intégrer le capitalisme français plus profondément au marché européen et mondial exigeait qu'il puisse se restructurer, qu'il devienne capable de s'intégrer à la conjoncture internationale, et de faire face à ses variations, à la concurrence. Imposer une rigoureuse discipline à toutes les classes sociales, et d'abord et avant tout au prolétariat, à la classe ouvrière, devenait indispensable. Pendant quatre ans, de Gaulle dut différer la réalisation de cet objectif. Bien plus, c'est en s'appuyant sur les dirigeants du mouvement ouvrier qu'il put briser la résistance du corps des officiers et de l'aile colonialiste de la bourgeoisie française. La tâche fondamentale du gaullisme n'en était pas moins d'en « finir avec le régime des partis », d'intégrer les syndicats à l'Etat bourgeois, d'instaurer le corporatisme, c'est-à-dire de détruire le mouvement ouvrier organisé. La question de l'Algérie réglée, il s'y attaquait. Il exigeait que le président de la République soit élu au suffrage universel, et que l'Assemblée nationale soit réduite à un théâtre d'ombres. Ce fut l'objectif du référendum d'octobre 1962 qu'il gagna. Restait l'essentiel : briser la classe ouvrière, ses organisations, le mouvement syndical. En février 1963, il estima que l'agitation qui se développait chez les mineurs lui fournissait l'occasion propice de le faire. Le 1er mars, il réquisitionnait les mineurs, qui avaient imposé aux dirigeants la grève générale pour le 3 mars... Il perdit cette bataille décisive... Les mineurs dirent non. Pendant cinq semaines, la grève générale des mineurs fut totale. De Gaulle subissait une défaite politique irrémédiable.
Une situation et des rapports particuliers s'établissaient alors en France. Le Parlement n'était plus qu'une chambre d'enregistrement des décisions du pouvoir exécutif. L'appareil d'Etat - de Gaulle juché au sommet - gouvernait sans contrôle. C'était le chef de l'Etat qui contrôlait, faisait et défaisait l'Assemblée nationale dont la majorité dépendait de l'appareil d'Etat, deux fois disloqué en quelques années, pour fonctionner devait être pénétré par une organisation particulière, sorte de société du 10 Décembre, qui s'est appelée tour à tour U.N.R., U.D.R., et qui s'appelle aujourd'hui le R.P.R. Jusqu'à un certain point, l'U.N.R.-U.D.R. et ses alliés d'alors ont fusionné avec l'appareil d'Etat. La défaite politique que les mineurs ont infligée à de Gaulle n'a pas suffi pour renverser le régime. Elle a suffi pour que le mouvement ouvrier, ses organisations, partis et syndicats, restent debout, et que commence une fermentation politique à l'intérieur de la classe ouvrière qui devait amener à la grève générale de mai-juin 1968 et à la défaite de De Gaulle au référendum d'avril 1969.
Après la grève des mineurs, de Gaulle a poursuivi et ne pouvait pas ne pas poursuivre sa tentative d'intégration des syndicats à l'Etat, d'établir le corporatisme. De, même, il a engagé de multiples réformes réactionnaires destinées à renforcer l'omniprésence de l'appareil d'Etat, du pouvoir exécutif, et à réduire et finalement détruire nombre d'acquis arrachés par la classe ouvrière au lendemain de la guerre : réforme administrative, multiples réformes de l'enseignement, réforme de la Sécurité sociale, réforme hospitalière, etc. - sans pouvoir les mener à terme. La défaite de De Gaulle au référendum d'avril 1969 et sa démission ont sanctionné, l'échec de ce régime bonapartiste bâtard, qui pourtant a survécu. Le long pourrissement de la V° République a commencé, mais le système a continué à fonctionner.
Pompidou, successeur de De Gaulle, renforçait le caractère bonapartiste du régime, il concentrait toujours plus de pouvoir entre ses mains, accentuait l'intervention et l'indépendance de l'appareil d'Etat, poursuivait l'application des réformes que de Gaulle avait engagées, sans être en mesure de les mener à terme. Le gouvernement Pompidou-Chaban-Delmas reprenait les tentatives d'intégration des syndicats à l'Etat sous l'étiquette de la « nouvelle société », dont l'un des premiers actes devait être la conclusion de « contrats de progrès » entre l'Etat, le patronat, les syndicats, subordonnant les salaires à la productivité et à la rentabilité.
Pourquoi en était-il ainsi ? Comment était-ce possible ? La chute du régime bonapartiste, de la V° République, de ses institutions, entraînerait une nouvelle crise, une nouvelle dislocation de l'Etat bourgeois, et risquerait d'ouvrir la vanne au déferlement des masses : en d'autres termes, d'ouvrir une crise révolutionnaire. En outre, quel autre système politique assurant le maintien de la domination de classe de la bourgeoisie peut succéder au bonapartisme bâtard ? Au moment où s'accentue la crise générale de l'impérialisme, où les contradictions économiques mènent inéluctablement à une crise économique majeure, le capital financier doit plus que jamais s'attaquer aux acquis de la classe ouvrière, des masses exploitées, de la jeunesse. Prolonger la V° République ne résout rien, mais gagne du temps. Néanmoins, la complicité plus ou moins ouverte des organisations et partis ouvriers était indispensable. Elle n'a pas manqué. La défaite de de Gaulle au référendum d'avril 1969 devait beaucoup aux appels parallèles des centrales syndicales et partis ouvriers à voter « non ». Mais dès la démission de De Gaulle, la S.F.I.O. et le P.C.F. annonçaient qu'ils présentaient chacun leur candidat au premier tour, Defferre et Duclos, le P.S.U. et la Ligue communiste emboîtaient le pas et présentaient de leur côté Rocard et Krivine. Compte tenu de la loi électorale, les résultats ne faisaient pas de doute : au deuxième tour, les candidats des partis ouvriers étaient éliminés, restaient deux candidats de la bourgeoisie, Pompidou et Poher. Sur le terrain des luttes revendicatives, cette politique trouvait son expression dans la division, les grèves tournantes et disloquées.
Pourtant, bientôt se produisait un phénomène d'une très grande importance politique : la reconstitution d'un parti socialiste sur les bases de la vieille S.F.I.O. Le phénomène de reconstruction d'un parti socialiste alors que la vieille organisation traditionnelle était en voie de liquidation, ou même pratiquement liquidée, n'est pas particulier à la France. Il se produit là où les masses s'ébranlent, s'orientent vers la révolution (Espagne) ou s'y engagent (Portugal). Au-delà des particularités nationales, des épisodes divers, c'est un signe que les processus politiques vont vers de profonds bouleversements, un élément de la crise du régime en place. Ces partis socialistes ne sont pas identiques aux vieux partis socialistes classiques. Ils regroupent des courants extrêmement divers. Pourtant, ils occupent la place et remplissent la fonction des vieux partis sociaux-démocrates, et ce sont des partis ouvriers. Leur apparition avant la chute du régime politique en place modifie rapidement les dispositifs et les rapports politiques. En outre, en France, le nouveau P.S. s'est formellement constitué en réaction aux capitulations antérieures de Guy Mollet et du vieil appareil social-démocrate qui ont amené la quasi-destruction de l'ancien P.S., il s'affirme « unitaire », tout en proclamant son respect des institutions de la V° République.
La formation et l'impact électoral croissant du nouveau P.S. a contraint le P.C.F. à remplacer la politique cynique de division pratiquée notamment aux élections présidentielles de 1969 par une autre politique, celle de l' « union de la gauche ». Le nouveau P.S. y a pleinement adhéré ; la rédaction et la signature du programme commun de gouvernement l'ont consacrée. Dès son origine, l'« union de la gauche » a affirmé être une opposition loyale qui se situe dans le cadre de la V° République. Les masses, le prolétariat, la jeunesse, voulaient, et veulent toujours, l'unité des partis ouvriers et des centrales syndicales pour arracher leurs revendications, mettre à bas les réformes réactionnaires, renverser la V° République, ses institutions, ses gouvernements, son président de la République. Au nom de l'« unité », les dirigeants du P.C.F. et du P.S., flanqués des radicaux de gauche, affirmaient leur respect de la V° République, de ses institutions, de ses gouvernements, de son président de la République. Qui ne se souvient du dialogue public entre Pompidou, Mitterrand, Marchais, à la veille des élections législatives de 1973, où ces derniers affirmaient leur respect du régime politique en place. Ce dialogue a contribué à sauver de la défaite la « majorité parlementaire » du président de la République déjà très menacée.
L'« union de la gauche » a donc bien été, dès son origine, une réponse négative aux aspirations des masses, qui leur impose la survie de la V° République et de ses institutions.
Or, le cadre de la V° République ne permet pas qu'à une majorité parlementaire de droite, à un gouvernement de droite, succèdent une majorité de gauche et un gouvernement de gauche : la V° République n'est pas un régime parlementaire bourgeois. Le simple changement des rapports à l'intérieur des partis prébendiers de la V° République, qui dirigent et occupent l'Etat, ouvre une crise mortelle. Ce régime s'identifie à l'U.D.R. à tel point que l'Etat bourgeois actuel a été dénommé l'« Etat-U.D.R. ». L'agonie de la V° République a commencé à la mort de Pompidou. L'événement contingent débridait la crise politique qui résulte du pourrissement et de l'impuissance du régime. Après s'être divisée entre plusieurs candidats, la bourgeoisie soutenait Giscard d'Estaing contre le candidat de l'U.D.R., Chaban-Delmas. C'était la « trahison », à l'instigation de Jacques Chirac, d'une partie de l'U.D.R. Au deuxième tour, Mitterrand et Giscard d'Estaing se trouvaient face à face. Mitterrand était devenu premier secrétaire du P.S. A son corps défendant, et malgré l'« union de la gauche », sa candidature prenait un caractère de classe - le premier secrétaire du P.S. contre le candidat des partis bourgeois. Giscard l'emportait à quelques centaines de milliers de voix près. L'ambiguïté voulue de la politique du P.C.F., le caractère sans principe de la campagne de Mitterrand l'aidaient considérablement.
L'U.D.R. était désavouée. Candidat du capital financier, Giscard devait trouver une transition de la V° République à un autre régime. Mais laquelle, et lequel ? Elargir la couverture parlementaire jusqu'aux socialistes ? Quitte à casser l'U.D.R. ? En son temps, Pompidou avait essayé : il avait organisé un référendum à propos de l'Europe en espérant que le P.S. appellerait à voter « oui », ou tout au moins se diviserait et se briserait, une partie ralliant la « majorité ». Le P.S. s'était abstenu, et la manœuvre avait échoué. Faire revivre un nouveau parlementarisme ? C'est une opération qui entraînerait la dislocation du régime. Elle exigeait une première mesure : la dissolution de l'Assemblée nationale, de nouvelles élections qui lamineraient tous les partis de la V° République, à commencer par l'U.D.R., mais également le parti de Giscard d'Estaing. La dissolution de l'Assemblée nationale précipiterait l'effondrement de la V° République. Giscard d'Estaing était paralysé.
Elu contre l'U.D.R., il appelait à la direction du gouvernement l'U.D.R. Jacques Chirac, garantissant donc à l'U.D.R. le maintien de sa position dominante à l'intérieur de l'appareil d'Etat. Elu pour faire revivre un minimum de parlementarisme pour contrebalancer l'U.D.R., il devait concentrer le maximum de pouvoir entre ses mains, et réduire plus encore le rôle du Parlement, tout en ne pouvant se passer de la couverture de cette Assemblée nationale désavouée par le suffrage universel. Le gouvernement Giscard-Chirac n'avait d'autre raison que de tenter de comprimer les contradictions irréductibles de la V° République agonisante. Il n'existait qu'en bénéficiant de la politique de l'« union de la gauche ». Le maintien ou la dissolution de cette Assemblée nationale devenait une question politique centrale dont l'enjeu était le prolongement ou la dislocation de la V° République. L'« union de la gauche » respectueuse de la V° République, de sa Constitution, de ses institutions, s'inclinait devant l'élection à la présidence de la République de Giscard d'Estaing. Elle ne mettait pas en cause la légitimité de l'Assemblée nationale que domine l'U.D.R. battue aux élections présidentielles. Elle reportait les échéances à 1978, sinon à 1981.
Bon gré mal gré, le gouvernement Giscard-Chirac devait poursuivre les réformes que de Gaulle et Pompidou avaient entreprises sans les mener à bien. Certaines d'entre elles, toujours reprises, jamais achevées face à la résistance des masses, devenaient sources de désordres, de contradictions ; bien loin de servir les intérêts du capital, elles les mettaient en cause du fait de leur non-achèvement. Il fallait les mener à bien une fois pour toutes - c'était le cas, par exemple, de la réforme de l'enseignement. La crise économique mondiale dont les premiers effets commençaient à se faire sentir exigeait plus impérieusement que les conquêtes de la classe ouvrière, et notamment la Sécurité sociale, les droits et garanties arrachés par les travailleurs, soient remis en cause, que soit imposée la polyvalence et la mobilité de la main-d'œuvre, donc la déqualification. Le gouvernement Giscard-Chirac devait poursuivre ce que ses prédécesseurs avaient commencé.
Situation très difficile. En mai-juin 1968, la classe ouvrière avait montré sa fantastique puissance. Mais la grève générale ne suffit pas : un objectif politique gouvernemental est indispensable pour vaincre. Le résultat des élections présidentielles de 1974 démontrait au prolétariat, à la jeunesse, aux masses exploitées, que la V° République, ses institutions, son gouvernement, pouvaient être balayés, qu'il était possible de porter au pouvoir un gouvernement de leurs partis, le P.S. et le P.C.F. Comment le gouvernement Giscard-Chirac pouvait-il non seulement perpétuer la V° République, mais encore appliquer sa politique réactionnaire ? L'explication est simple : la politique d'« union de la gauche » trouvait sa traduction sur le plan des luttes revendicatives du prolétariat, de la jeunesse, des masses exploitées. Tandis que les dirigeants du P.S. et du P.C.F. se tournaient vers l'horizon 78 ou 81, à la rentrée de septembre 1973, Séguy définissait les objectifs de l'appareil de la C.G.T. :
« Il est absurde ou perfide d'affirmer que par déception électorale ou par dépit, nous céderions à une attitude d'obstruction automatique et de boycott intégral pour ne penser qu'à une revanche au mépris des intérêts des travailleurs [...].
« [...] Nous harcèlerons le gouvernement et le C.N.P.F. de propositions de négociations, ne serait-ce que pour les mettre au pied du mur et ruiner les entreprises démagogiques qu'ils lancent sous le vocable de concertation, de participation ou de libéralisation [...].
« Nous sommes prêts à nous rendre à l'Elysée [...]. Mais ce n'est pas sur la seule question de l'inflation que nous entendons engager des négociations [...].
« [...] Cependant, nous avons conscience des limites de notre action revendicative par rapport aux solutions fondamentales qu'appellent les grands problèmes sociaux actuels [...].
« [...] Le problème ne se réduit pas à la seule conquête du demi pour cent qui manque à la gauche pour devenir majoritaire. Il s'agit de réaliser sur une base claire un vaste rassemblement qui deviendra une force matérielle irrésistible garantissant une éclatante victoire électorale et le succès de l'application d'une nouvelle politique. »
Impossible d'être plus clair. Les luttes revendicatives ne doivent pas se développer de telle sorte qu'elles mettent en cause la V° République, l'Assemblée nationale, le gouvernement Giscard-Chirac. Remettons l'exigence que satisfaction soit donnée aux revendications jusqu'au moment où un rassemblement largement majoritaire, intégrant les partis de la V° République, aura permis une éclatante victoire électorale. Partant de là, la direction de la C.G.T. a tout fait pour disloquer les luttes de la classe ouvrière, de la jeunesse et des masses exploitées. La liste est longue des mouvements littéralement sabotés : dès juillet 1974, les travailleurs de l'O.R.T.F. engageaient la lutte contre la dislocation de l'Office et la liquidation de leur statut ; leur mouvement était disloqué ; le combat des travailleurs du paquebot France contre le désarmement du navire était isolé et saboté ; la grève des P.T.T. d'octobre-novembre 1974 était également disloquée ; le mouvement qui en février-mars 1975 se développait vers la grève générale des travailleurs de chez Renault était liquidé par les grèves tournantes ; la même politique disloquait de nombreux mouvements. Le 10 juillet 1975, la C.G.T. organisait une mascarade au Champ-de-Mars, avec saucissonnades et grandes rasades, qui mettait un point final à une année de sabotage systématique des luttes de la classe ouvrière. Les dirigeants de la C.F.D.T. emboîtaient le pas très naturellement aux dirigeants de la C.G.T. Quant à ceux de la F.E.N. et de F.O., ils s'adaptaient d'autres façons à la politique du gouvernement Giscard-Chirac. Ils signaient systématiquement des contrats salariaux fondés en principe sur la productivité de l'entreprise, et la prospérité économique générale, appliqués il est vrai avec beaucoup d'élasticité. A l'occasion, les dirigeants de la C.G.T. signaient également de semblables contrats, ainsi à E.D.F.-G.D.F. La classe ouvrière subissait des échecs. Surtout, elle se rendait compte des obstacles qui l'empêchaient de vaincre. Au cours des derniers mois de 1975, elle hésitait à engager de nouveaux combats d'envergure.
La force et la profondeur des contradictions à l'œuvre sont néanmoins trop grandes pour qu'elles ne continuent pas à opérer. Dès le début de 1976, des craquements se faisaient entendre : le laborieux édifice giscardien se lézardait. La situation économique et financière s'aggravait, et les échéances électorales approchaient. Le plan de relance de septembre 1975, 30 milliards injectés à l'économie, a surtout relancé l'inflation. Au début de l'année, au cours de son assemblée générale, le C.N.P.F. exigeait que la politique des contrats salariaux soit appliquée strictement, selon les « principes » des « contrats de progrès » que Chaban-Delmas proposait en 1969. C'était tendre dangereusement les rapports sociaux. Les dirigeants traditionnellement signataires des contrats salariaux pouvaient difficilement aller jusque-là. A l'initiative de F.O., le 13 janvier 1976 une grève de 24 heures de la R.A.T.P. rassemblait l'ensemble des travailleurs de cette corporation. Le gouvernement reculait sans pouvoir empêcher qu'une grève de 24 heures lancée à l'initiative de F.O. et de la F.E.N. chez les fonctionnaires ait lieu le 9 mars. Mais l'élasticité avec laquelle les contrats salariaux avaient été conclus et appliqués depuis 1972 n'en était pas moins en cause, le capital financier l'exigeait. Or, à nouveau la classe ouvrière et la jeunesse engageaient des combats : grève de la Solmer à Fos ; grève générale des étudiants contre la réforme du second cycle ; grève à la S.N.C.F. contre la création d'une nouvelle échelle divisant la catégorie des conducteurs, la T.5 ; grève des métallos de La Rochelle qui durait deux mois, en mai et juin, de très nombreux mouvements de moindre ampleur mais significatifs éclataient. Les résultats des élections cantonales de mars 1976 confirmaient et amplifiaient ceux des élections partielles : les élections municipales de 1977 et les législatives, même si elles n'ont lieu qu'en 1978, risquaient de tourner à la déroute pour tous les partis de la majorité. Dès lors, l'éclatement du gouvernement Giscard-Chirac était inscrit dans les faits. Il sera officialisé à la fin du mois d'août. Chirac, contre tous les usages de la V° République, démissionnait : « Je ne dispose pas des moyens que j'estime nécessaires pour assumer efficacement mes fonctions de Premier ministre, et dans ces conditions j'ai décidé d'y mettre fin », affirmait-il.
L'éclatement du gouvernement Giscard-Chirac a ouvert la phase finale de l'agonie de la V° République. L'U.D.R. rapidement devenue le Rassemblement pour la République se dresse ainsi qu'un parti de semi-opposition contre le gouvernement Giscard-Barre. La lutte pour la mairie de Paris a montré combien âpre était cette bataille. Ce sont ses positions à l'intérieur de l'appareil d'Etat que défend le R.P.R., et avec quel acharnement ! Tout semble mis cul par-dessus tête. Le R.P.R., parti par excellence de la V° République, dont l'existence dépend absolument de la forme bonapartiste du régime, utilise l'Assemblée nationale pour combattre Giscard. Giscard d'Estaing est contraint d'accentuer encore le caractère bonapartiste du régime, alors qu'il s'efforce plus que jamais de réaliser une ouverture à gauche, d'intégrer le P.S. à une nouvelle majorité parlementaire, et que pour cela il faudrait redonner au Parlement au moins un certain rôle. Les partis de la pseudo-majorité, minoritaires dans le pays, ont subi aux élections municipales une défaite écrasante dont la conséquence logique aurait dû être la dissolution de l'Assemblée nationale. Mais l'interpénétration de l'appareil d'Etat et des partis de la V° République, de l'U.D.R. principalement, fait que changer de majorité parlementaire entraînerait la crise de l'Etat et amènerait à l'effondrement de la V° République. A la suite des élections municipales, Giscard d'Estaing a formé un nouveau gouvernement que Barre continue à diriger, mais les choses ont changé.
Le premier gouvernement Barre associait encore plus ou moins les partis de la pseudo-majorité : Guichard, U.D.R., Poniatowski, R.I., Lecanuet, centriste, étaient ministres d'Etat ! Le second gouvernement Barre s'est passé de ce trio. De plus en plus, Giscard est contraint de gouverner en dehors et au-dessus des partis de la pseudo-majorité, y compris le sien - voire contre eux - donc d'accentuer le caractère bonapartiste du régime. Situation d'autant plus périlleuse que l'U.D.R. et les autres partis de la V° République contrôlent, dirigent, pénètrent les organes de l'Etat. Les uns et les autres occupent les positions qu'ils occupent pour se combattre réciproquement, et aucun n'obéit aux directives de Giscard et du gouvernement. Giscard en est au point où il doit recourir au chantage pour conserver une couverture parlementaire : il défie l'U.D.R.-R.P.R,. de prendre la responsabilité de la dissolution de l'Assemblée nationale, donc de la déroute de la majorité, en votant contre le gouvernement. prononçant le 9 juillet 1977 un important discours à Carpentras, Giscard d'Estaing avoue la situation désespérée de la V° République, au printemps, immédiatement après les élections municipales : « Et maintenant, parlons de nous. D'abord, de nos problèmes. Le printemps avait mal commencé. La confiance était accordée au gouvernement du bout des lèvres, les spécialistes, ravis de l'aubaine, répandaient des rumeurs de crise. On pouvait se demander si les vieux démons n'allaient pas renaÎtre et si les querelles des partis n'organiseraient pas à nouveau l'impuissance de l'Etat. Pour faire face à cette situation, j'ai fait fonctionner les institutions de la V° République et j'ai utilisé les ressources qu'elles comportent. J'ai prévenu l'Assemblée qu'elle serait dissoute si elle renversait le gouvernement. »
L'évolution de la situation économique n'est pas plus brillante : le plan Barre n'a pas bloqué la hausse des prix, mais il a réduit le pouvoir d'achat de la classe ouvrière et des masses, et il aggrave le chômage. Barre applique ce que le patronat exigeait dès janvier 1976 à tel point qu'aucune organisation syndicale n'a pu signer les contrats salariaux que le gouvernement leur a proposés au printemps 1977. Sur un autre plan, obéissant aux injonctions du capital financier, les mêmes impératifs l'obligent à poursuivre les réformes de la Sécurité sociale, de l'Assistance publique, la nouvelle réforme de l'enseignement, dite réforme Haby.
La bourgeoisie - et plus particulièrement le capital financier - n'a pas pour autant la moindre confiance en ce gouvernement. Elle ne le considère pas comme son gouvernement. Mais elle n'a pas d'autre solution à mettre en avant.
Comment, dans ces conditions, Giscard-Barre, la V° République, ses institutions, son Assemblée nationale, peuvent-ils encore tenir ? Aucun doute n'est possible : grâce à l'« union de la gauche » et à la politique, dont le P.C.F. est l'aile marchante.
Lorsque le gouvernement Giscard-Chirac a éclaté, le P.C.F. s'est efforcé de nier les divisions et antagonismes de la pseudo-majorité. Il lui importait surtout d'affirmer que l'heure n'était pas venue d'engager la bataille pour en finir avec la V° République, ses gouvernements, ses institutions. L« union de la gauche » dans son ensemble était d'accord sur un point fondamental : pas de dissolution de l'Assemblée nationale, donc pas de mobilisation pour l'imposer.
Déjà, au moment de l'éclatement du gouvernement Giscard-Chirac, de la discussion du plan Barre, l'« union de la gauche » utilisait les subtilités du règlement de l'Assemblée nationale et de la Constitution pour aider discrètement le gouvernement Giscard-Barre. Elle déposait une motion de censure qui n'avait aucune chance de passer. Ainsi, le 19 octobre 1976, le plan Barre était « considéré comme adopté » sans que les députés aient eu à se prononcer positivement : la motion de censure avait été rejetée en fonction du règlement de l'Assemblée nationale. Décidément, l'« union de la gauche » jouait le jeu jusque dans les détails. Au cours de la préparation des élections municipales, le P.S. et le P.C.F. étalaient leurs divisions, tout en ouvrant l'« union de la gauche » aux « gaullistes nationaux, démocrates de progrès » comme l'amiral Sanguinetti ou l'ex-ministre, champion de la C.F.T., Charbonnel, et autres Léo Hamon.
Bloquer les développements politiques au niveau de l'Assemblée nationale, des institutions, n'aurait eu aucune utilité si le prolétariat et la jeunesse, partait de leurs revendications, avaient engagé de grandes luttes de classe, qui inéluctablement auraient mis en cause le gouvernement et sa politique, et finalement le régime. Les appareils des centrales syndicales se sont employés à traduire sur ce plan la politique de l'« union de la gauche ». Les grandes manœuvres commençaient dès le 7 octobre 1976 : la C.G.T., la C.F.D.T., la F.E.N., appelaient à une grève générale de vingt-quatre heures, F.O. n'y appelait pas. C'était la grève « soupape de sûreté », sans perspective, sinon celle de permettre à l'Assemblée nationale de discuter ensuite sereinement du plan Barre, sans avoir à se prononcer formellement pour. A partir du mois de novembre, une succession de grèves tournantes commençait. Le 9 novembre, les fédérations C.G.T. et C.F.D.T. appelaient les travailleurs d'E.D.F.-G.D.F. à une grève d'une demi-journée. Le 19, les fédérations C.G.T., C.F.DT. des P.T.T. appelaient les postiers à « des grèves ». Toutes les fédérations d'E.D.F.-G.D.F. appelaient les travailleurs de cette entreprise à une grève de quarante-huit heures les 14 et 15 décembre. Une nouvelle vague de grèves successives de vingt-quatre heures était organisée par toutes les fédérations de toutes les centrales au cours de la dernière semaine de janvier et des premiers jours de février 1977. Toutes ces grèves étaient qualifiées de « grèves de protestation » contre la politique salariale du gouvernement pour 1977 qui applique strictement les « principes » de la politique des contrats salariaux. En réalité, elles empêchaient que s'organise une lutte réelle et visaient à gagner du temps, en évitant une explosion sociale avant et pendant les élections municipales. D'autres mouvements étaient bloqués et disloqués : au Parisien libéré, dans la presse et le labeur, aux Chantiers de Saint-Nazaire, à la Caisse d'épargne de Paris, etc.
Le verdict des élections municipale, oblige le P.C.F., l'« union de la gauche », les appareils des centrales syndicales, à s'engager plus encore dans la défense de la V° République et de ses institutions. Marchais réaffirme que l'Assemblée nationale n'a pas à être dissoute. Mitterrand est plus nuancé, mais n'entend pas provoquer la dissolution de l'Assemblée nationale. Il laisse le soin à Giscard d'Estaing d'en décider. Opportunément, le P.C.F. se rallie au principe de l'élection de l'Assemblée européenne au suffrage universel. La question n'a en elle-même qu'une importance secondaire. Toutefois, ce ralliement permet une démonstration d'unité nationale, conforte le gouvernement et l'Assemblée nationale. D'un commun accord, toutes les centrales syndicales appellent à une grève générale de vingt-quatre heures pour exiger l'« ouverture de négociations » à propos des salaires, mais pour le 24 mai, à proximité du commencement des vacances, grève sans lendemain, grève manifestement destinée à gagner de nouveaux délais jusqu'en septembre-octobre. Après... ils évoqueront la proximité des élections législatives pour ne pas effrayer les électeurs par des conflits sociaux d'envergure.
Le soutien à la V° République, au gouvernement Giscard-Barre, se manifeste dans tous les domaines. Un des premiers actes de la V° République a été la loi Debré qui accorde d'importantes subventions à l'école privée, plus précisément aux écoles confessionnelles. Un des derniers actes de cette Assemblée nationale désavouée sera la loi Guermeur, qui accorde 50 milliards de crédits supplémentaires aux écoles confessionnelles. C'est le moment où la direction du P.S. estime périmée la « querelle scolaire ». Pourtant, une fois encore, le P.C.F. est l'aile marchante d'une politique qui conforte la politique réactionnaire de la V° République. Au cours de son voyage en Alsace, Georges Marchais n'a pas hésité à affirmer : « Nous ne couperons jamais les crédits à l'école confessionnelle, et nous avons mis en garde les municipalités contre une telle attitude. [1] »
Allant plus loin encore, une opération de grand style se dessine : provoquer la rupture entre le P.S. et le P.C.F. à l'occasion de la rediscussion du programme commun de gouvernement. La direction du P.C.F. « gauchit » certaines de ses propositions : elle exige l'extension des nationalisations, que le futur gouvernement d'« union de la gauche » soit un gouvernement collectif, qu'un calendrier d'application du programme commun soit élaboré, elle met en cause certaines des prérogatives du président de la République, tout en restant dans le cadre de la V° République et de ses institutions. Il est possible que la direction du P.C.F. en rajoute toujours et encore. Le programme commun n'est ici qu'un prétexte. Le moment venu, il sera abandonné aux collectionneurs de vieux papiers. Provoquer la rupture entre le P.S. et le P.C.F. relève d'une suprême manœuvre pour sauver la V° République. Et il n'est pas exclu que les dirigeants du P.C.F. la tentent, quel que soit le prix dont leur parti devrait la payer sur le plan électoral. Loin d'être en contradiction avec la politique d' « union de la gauche », cette opération s'inscrit dans la logique de cette politique. II s'agit d'imposer aux masses l'idée que l'unité de front des partis ouvriers est impossible. Dans ce cas, les résultats des élections législatives de mars 1978 pourraient être moins désastreux que ce n'est prévisible aujourd'hui pour les partis de la V° République. Mais c'est loin d'être certain. La pseudo-majorité peut malgré cela être laminée. En tout cas, les processus fondamentaux qui mènent à la crise révolutionnaire se poursuivront.
La rupture n'est encore qu'une possibilité très difficile à concrétiser. Elle est peu probable, mais on ne saurait l'exclure. Mitterrand veut, à n'en pas douter, que le P.S. gagne les élections. Il prépare son parti à devenir un parti de gouvernement dans le cadre de la Va République. Mais la V° République, C'est l'Etat-U.D.R. Les partis de la V° République défaits aux élections législatives, l'effondrement, la mort du bonapartisme bâtard, l'irruption d'une crise révolutionnaire sont inéluctables. A moins que de puissants mouvements de classe ne lui portent le coup mortel auparavant.
La bourgeoisie, les partis de l'« union de la gauche », alliance de type front populaire, redoutent d'avoir à constituer un gouvernement de front populaire. Les alliances de type front populaire se nouent lorsque surgissent des situations révolutionnaires, pour éviter qu'elles ne débouchent sur des crises révolutionnaires, sur la révolution. Les gouvernements de type front populaire deviennent nécessaires lorsque la crise révolutionnaire a éclaté, que la révolution commence, pour l'endiguer et faire refluer les masses. La bourgeoisie, les partis de l'« union de la gauche », et avant tout le P.C.F., veulent éviter la crise révolutionnaire, que la révolution prolétarienne commence en France. Telle est et ainsi va l'« union de la gauche ».
Notes
[1] Quatre mois après que ces pages aient été écrites, la politique des dirigeants du P.C.F. confirme totalement l'analyse que nous faisions.
La polémique du P.C.F. contre le P.S., menée au nom de l'Union de la gauche et du programme commun, a le mérite de la clarté : suivant en cela les directives et la politique des dirigeants de Moscou, le P.C.F. tente de préserver coûte que coûte la V° République, le gouvernement Giscard-Barre. Au nom de l'Union de la gauche, les dirigeants du P.C.F. multiplient leurs efforts pour que les partis de la « majorité » l'emportent aux élections. Les dirigeants du P.C.F. qui bradaient la grève générale de 10 millions de travailleurs en 1968 au nom des élections, dénoncent aujourd'hui « l'électoralisme » ! En clair, Georges Marchais menace de ne pas se désister au second tour pour les candidats du P.S. mieux placés, prenant le risque de permettre la victoire de Giscard. Cette criminelle politique menée au nom d'un « bon programme commun » s'accompagne d'attaques répétées contre le P.S. qui est ainsi présenté comme l'ennemi n° 1.
Cette politique, menée au nom de l'Union de la gauche, est rejetée, vomie par la classe ouvrière et la jeunesse, qui veulent en finir avec les partis bourgeois qui représentent la V° République à l'agonie. En combattant pour la victoire du P.C.F. et du P.S. aux élections législatives, l'O.C.I., fidèle à sa politique de front unique ouvrier, ne pose aucune « condition programmatique ». La victoire électorale du P.C.F. et du P.S., la défaite des partis de la V° République, entraînerait une modification radicale de la situation politique. Quelle que soit la volonté des dirigeants de l'Union de la gauche, une majorité du P.C.F. et du P.S. à l'Assemblée nationale est incompatible avec l'existence de la V° République. C'est d'ailleurs pourquoi les dirigeants du P.C.F. font tout pour éviter cette situation. Mais les masses combattront cette politique, s'y opposeront, et finalement la V° République sera balayée, la crise révolutionnaire s'ouvrira.