1925 |
« Cette brochure est écrite sur un ton violent, car Kautsky ne mérite pas de ménagements. Néanmoins, elle met en lumière tous les arguments fondamentaux, et même la plupart des arguments secondaires de Kautsky. Elle est destinée en premier lieu aux prolétaires étrangers qui ne sont pas encore décidés à rompre avec des chefs comme Kautsky. Mais, comme elle touche et éclaire théoriquement les questions essentielles de notre vie courante, elle peut être utile également aux masses ouvrières de notre Union. Elle leur montrera toute la déchéance du théoricien de la IIe Internationale.. » |
La bourgeoisie internationale et son apôtre Kautsky
L’Union soviétique et les gouvernements capitalistes.
Kautsky au service des capitalistes étrangers.
En dépit de tous les racontars des théoriciens social-démocrates, qui déclarent qu’une nouvelle ère s’ouvre pour le capitalisme mondial ; en dépit du nouvel Evangile de Hilferding, qui met au rancart la thèse du marxisme orthodoxe sur l’inéluctabilité des guerres en régime capitaliste ; en dépit de la glorification social-démocrate de la Société des Nations, de la démocratie américaine et de ses richesses, le monde court à des catastrophes formidables, car nous traversons une époque de guerres et de révolutions. Nous ne regrettons nullement de vivre à une période aussi orageuse. Les fondateurs du communisme scientifique, Marx et Engels, attendaient avec joie le moment où la guerre universelle serait suivie du bouleversement révolutionnaire. Combien cette idéologie est loin de celle de Kautsky dont la principale devise est « Tranquillité et stabilité.» (Ruhe und Stetigkeit). Tranquillité pour le capitalisme ! Stabilité des rapports capitalistes (car Kautsky ne désire évidemment pas la stabilité du régime soviétiste, et, dans les autres Etats, la pensée social-démocrate n’a même pas encore découvert le socialisme) ! On chercherait vainement chez Marx ou Engels de tels appels, un tel langage. En effet, un révolutionnaire ne saurait approuver le régime capitaliste existant ; sa tâche est de le renverser et non de lui souhaiter santé, stabilité et tranquillité.
Il est temps enfin de cesser de considérer, ne serait-ce que conventionnellement, les chefs social- démocrates comme des révolutionnaires. Ce sont, au contraire, les types achevés de contre-révolutionnaires, des gardiens fidèles de l’ordre existant. Quand on a compris cela, on comprend toute la logique de leurs arguments. En effet, si leur tâche fondamentale consiste à sauvegarder la « tranquillité » et la « stabilité » du capitalisme, c’est-à-dire à être ses chiens de garde, ils doivent aboyer et se jeter sur tous ceux qui osent s’élever contre ce régime, ou même simplement lui causer des désagréments et des embarras. Du point de vue de la « tranquillité » et de la « stabilité », il faut lutter contre l’Union soviétique, car le fait même de son existence est désagréable au capital, trouble fortement sa tranquillité et compromet sa stabilité. De ce point de vue, il faut combattre résolument le communisme, car c’est la principale force de la révolution. De ce point de vue, il faut combattre le soi-disant « nationalisme asiatique », c’est-à-dire les mouvements révolutionnaires de libération nationale dans les colonies et les demi-colonies. De ce point de vue, il faut soutenir tous les ennemis intérieurs et extérieurs de l’Union soviétique, saper du dedans et du dehors le régime de la dictature prolétarienne, car ce régime est une source de trouble et d’instabilité pour le monde capitaliste. Brièvement parlant, de ce point de vue il faut soutenir par tous les moyens la contre-révolution bourgeoise. C’est ce que fait Kautsky qui a recours aux mêmes arguments « scientifiques » et aux mêmes mots d’ordre que la presse bourgeoise.
Dans le Manifeste Communiste, Marx écrivait :
Un spectre hante l’Europe, le spectre du communisme. Toutes les puissances de la vieille Europe se sont unies en une Sainte-Alliance pour traquer ce spectre : le pape et le tsar, Metternich et Guizot, les radicaux de France et les policiers d’Allemagne.
De cette liste des puissances de la vieille Europe, il faut rayer maintenant quelques noms, et en premier lieu celui du tsar russe. Mais, d’un autre côté, cette liste peut être considérablement allongée. Au pape, aux radicaux et aux policiers, il faut maintenant ajouter les chefs social-démocrates. Combien peu d’originalité ils manifestent dans leurs théories et leurs actes, on pourrait le montrer par une série d’exemples.
Ainsi, le Manchester Guardian Weekly fait part de l’entrevue du pape avec Chamberlain. Les deux interlocuteurs traitent de la question du bolchévisme.
A ce sujet, le pape dit nettement, à la manière de Kautsky :
Nous considérons de notre devoir d’exhorter tous les hommes, particulièrement les détenteurs du pouvoir, qui ont l’amour de la paix, le respect de la famille et de la dignité humaine, à faire tous leurs efforts pour lutter contre les dangers et les injustices considérables qui viennent du socialisme et du communisme.
Kautsky, lui aussi, déclare que le communisme trouble la paix ; il dit également que le communisme ne respecte pas la famille (il a écrit que les bolchéviks « socialisaient » les femmes et a même apporté comme preuve de son affirmation un faux document) ; au sujet de la dignité humaine, des dangers et des injustices du communisme, il a écrit des monceaux d’articles. Cette coïncidence n’est-elle pas significative ?
Dans un ouvrage « philosophique » spécial, le réactionnaire russe avéré, Berdiaev (lui aussi, ancien marxiste), parlant de l’expérience de notre révolution, écrit :
La révolution sociale ne peut pas ne pas rappeler le pillage et le brigandage.
Donner des preuves que toute la presse bourgeoise adopte ce point de vue serait superflu. Et si maintenant la « stabilité » de l’ordre capitaliste est particulièrement menacée par les insurrections asiatiques, Kautsky se hâte de justifier les salves de mitrailleuses que tirent contre les ouvriers chinois les impérialistes anglais épouvantés. Comme on le sait, toute la presse, particulièrement celle des conservateurs, s’efforce de représenter le grand mouvement du peuple chinois comme un simple complot des « agents de Moscou ». Par là, on poursuit deux buts : on cherche à justifier les fusillades en Orient et on prépare l’intervention militaire et financière contre l’U.R.S.S. Que fait Kautsky pendant ce temps ? Dressé sur ses pattes de derrière, il hurle :
Ce n’est là (l’insuccès des emprunts) qu’une raison de plus qui incitera les joueurs aventureux de Moscou à travailler à de nouvelles émeutes dans l’espoir d’obtenir par le pillage ce qu’ils ne peuvent recevoir par les emprunts. Dans tous les États de l’Orient, ils cherchent maintenant à allumer l’incendie pour embraser le monde entier et le dépouiller au moment favorable.
Peut-être, penserez-vous, Kautsky essaye-t-il d’analyser le mouvement d’Orient, de le relier à l’impérialisme des puissances capitalistes, de découvrir ses racines de classes, de l’apprécier en tant que facteur essentiel de l’histoire mondiale ? Pas du tout. Kautsky recourt à de tout autres arguments « scientifiques ». Après avoir montré que la révolution chinoise est le fruit de l’action spoliatrice des « joueurs » de Moscou, il souffle aux puissances impérialistes ce qu’elles doivent faire pour s’affranchir des troubles qui menacent leur stabilité.
Cette politique incendiaire (c’est-à-dire la politique des bolchéviks) n’est pas non plus sans danger pour eux. Elle peut, un beau jour, entraîner la Russie dans la guerre dans les circonstances les plus défavorables.
Il faudrait être un naïf doublé d’un imbécile pour ne pas comprendre que Kautsky excite directement les États impérialistes contre l’Union soviétique. Il déclare, il est vrai, qu’il est contre l’intervention armée. Mais ce n’est là qu’une échappatoire. Qui serait assez sot pour le croire ? Kautsky, en effet, a démontré que nous avions en Russie le régime le plus sanglant et le plus cruel, qu’il fallait le renverser par la violence, que partout notre seule occupation était le pillage, que nous étions les principaux fauteurs des troubles d’Orient et que nous travaillions uniquement pour assouvir nos instincts de spoliation. Et après, il vient nous dire que toutes ces manœuvres ne resteront pas impunies en cas de guerre. Or cela, il le dit précisément au moment où on prépare la guerre contre nous. Et après, il nous déclare hypocritement qu’il est contre l’intervention armée, alors qu’il a développé tous les arguments possibles en faveur de cette intervention et qu’il s’est exprimé comme n’oserait pas le faire un bourgeois.
Non, citoyen, il n’est pas aussi facile maintenant de tromper les ouvriers qu’en 1914.
Kautsky désire ardemment la guerre contre l’U.R.S.S. ; c’est ce que démontre son argumentation.
La défaite militaire peut parfaitement provoquer la combinaison des insurrections locales, urbaines et rurales, en une insurrection générale et susciter une vague formidable qui balaiera le bolchévisme avec tous ses instruments de domination.
Que doivent donc faire, dans ce cas, les socialistes de Russie ?... Il serait horrible que, sous prétexte qu’elle récuse le soulèvement armé préparé contre le bolchévisme, notre Internationale condamnât à l’avance toute insurrection comme un acte contre-révolutionnaire et interdît à ses membres de participer à une telle insurrection. Il ne saurait être question pour les social-démocrates d’essayer de sauver le régime bolchéviste. La neutralité, en cas d’insurrection générale de la masse populaire, serait un suicide politique.
Nous savons évidemment ce que signifie, dans la langue des contre-révolutionnaires, l’expression « insurrection de la masse ». Chaque ouvrier ou paysan russe sait parfaitement que le peuple se battra pour le pouvoir soviétiste. Mais Kautsky nous apprend qu’il ne saurait être question, pour les menchéviks, de venir en aide au pouvoir soviétiste. Bien au contraire, les social-démocrates, selon Kautsky, doivent participer à l’insurrection contre le régime soviétiste.
Nous reviendrons là-dessus. Ce qui nous intéresse maintenant, c’est la stratégie du contre-révolutionnaire Kautsky. D’ailleurs, après les citations que nous venons de donner, il n’est pas difficile de s’en faire une idée.
Kautsky dit à la bourgeoisie internationale : « Profitez de la révolution chinoise et entraînez la Russie dans la guerre. Et alors nous, social-démocrates, nous frapperons le pouvoir soviétiste à l’intérieur de la Russie. »
Pour apprécier toute l’infamie de ces appels, il faut se souvenir de ce que disait Kautsky pendant la guerre impérialiste, sous la domination de Guillaume II, sous la dictature du poing de fer prussien. Lorsqu’on fit appel, à cette époque, à la résistance révolutionnaire, Kautsky répondit que l’Internationale était un instrument de paix ; que, pendant la guerre, elle n’avait rien à faire ; que, par suite, il fallait se tenir tranquille et ne pas broncher. Or maintenant Kautsky spécule sur la guerre à laquelle il lie sa politique insurrectionnelle, oubliant complètement que son Internationale est un instrument de paix.
Qu’est-ce à dire ?
Que, selon Kautsky, on ne doit pas lutter contre la bourgeoisie, mais qu’on peut lutter contre la dictature du prolétariat ; qu’on ne doit pas empêcher la guerre impérialiste de l’Allemagne de Guillaume II, mais qu’il faut tomber sur les derrières du pouvoir soviétiste quand il se défend contre les impérialismes ; qu’on ne doit pas se soulever contre le capital, mais qu’il faut s’insurger contre les Soviets. N’est-ce point là le comble de la perfidie ? N’est-ce pas là une aide armée active aux interventionnistes étrangers ? Et après cela, on viendra nous dire que nous exagérons, que les social-démocrates, eux aussi, sont des socialistes, etc. ! Certes, il y a d’honnêtes ouvriers social- démocrates qui s’égarent de bonne foi. Mais les chefs de l’espèce de Kautsky ne sont que des émissaires et des apôtres de l’impérialisme sanglant. C’est ce qui apparaît maintenant plus clairement que jamais.
Quelle n’était pas la fureur des social-patriotes quand, pendant la guerre impérialiste, les bolchéviks déclaraient que chaque socialiste devait souhaiter la défaite de son propre gouvernement impérialiste. Or, maintenant, Kautsky, non seulement appelle sur nous l’intervention et spécule sur la guerre, mais s’oriente directement sur la défaite militaire de l’Union soviétique ! Est-il possible de pousser plus loin la complaisance envers la bourgeoisie ?
Mais ce qui est le plus intéressant, c’est que Kautsky, dans un passage, reconnaît ouvertement lui-même qu’il est un contre-révolutionnaire. Nous venons de voir que, d’après lui, la révolution mondiale n’est pour les bolchéviks qu’un moyen de piller les États plus riches. Mais voilà que, à la page 24 de sa brochure, Kautsky, analysant la « duplicité » de notre politique (recherche des emprunts, d’une part, et révolution mondiale, de l’autre), écrit ce qui suit sur les rapports pacifiques avec les États capitalistes :
Ce but exclut le travail en vue de la révolution mondiale : néanmoins, dans la politique de la Russie, le dernier but n’est pas relégué au second rang par rapport au premier. Tout d’abord, dans un organisme révolutionnaire aussi jeune que le gouvernement soviétiste, la tradition joue un grand rôle ; ensuite, l’espoir toujours vivace en l’avènement prochain de la révolution mondiale permet d’attirer des quantités considérables d’ouvriers étrangers sous le drapeau du communisme. La Russie soviétiste perdra une grande partie de son influence à l’étranger au moment où, aux yeux du prolétariat international, elle renoncera à la révolution mondiale.
Le renégat Kautsky croit nous porter ainsi un coup. Il ne voit pas qu’il renie son propre passé. En effet, que dit-il ?
Que le gouvernement soviétiste est un organisme révolutionnaire. Notons-le bien, il ne s’agit pas du gouvernement soviétiste de 1917-1920, mais du gouvernement soviétiste qui mène des pourparlers au sujet des emprunts, c’est-à-dire du gouvernement soviétiste actuel. Or, Kautsky laisse échapper l’aveu que ce gouvernement est révolutionnaire.
Continuons. Kautsky, on s’en souvient, a déclaré que les gouvernements les plus contre-révolutionnaires comme ceux de Horthy et de Mussolini valaient beaucoup mieux que la tyrannie de Moscou.
Ainsi donc :
Le gouvernement de Moscou est pire que le gouvernement Horthy.
Le gouvernement Horthy est contre-révolutionnaire.
Le gouvernement de Moscou est un « jeune organisme révolutionnaire ».
Conclusion : la contre-révolution est meilleure que la révolution.
Voilà ce qui découle de l’analyse exacte des propositions de Kautsky.
Kautsky exhorte les impérialistes à faire la guerre au « jeune organisme révolutionnaire ». Il promet de lui plonger le poignard dans le dos dès les premières défaites extérieures. Voilà ce dont il faut bien se souvenir. Voilà ce qu’il ne faut jamais oublier.
La Russie soviétiste, constate Kautsky, perdra son influence parmi les masses ouvrières, si elle renonce à ses aspirations à la révolution mondiale.
Kautsky se démasque une fois de plus. Selon lui, il est extrêmement mauvais que la Russie soviétiste soit, aux yeux des ouvriers de tous les pays, le symbole de la révolution mondiale.
Évidemment, cela trouble la tranquillité et compromet la stabilité du régime capitaliste ! Cela empêche les philistins et leurs savants théoriciens de dormir ! Maintenant, on comprend pourquoi il faut représenter la révolution mondiale comme un pillage mondial. Pour assurer la tranquillité et la stabilité des capitalistes, il faut détourner les ouvriers étrangers de la révolution. Et Kautsky s’y emploie de tout son pouvoir. Mangez le pain de la bourgeoisie, honorable Monsieur Kautsky ! Vous l’avez bien mérité...
Kautsky s’imagine être très spirituel quand il « démasque » nos aspirations à la révolution mondiale, d’une part, et notre désir de relations commerciales normales, de l’autre. Après avoir déclaré que les communistes peuvent toujours se faufiler illégalement par les frontières et « donner aux communistes' étrangers des indications, des mots d’ordre et surtout de l’argent ». Kautsky écrit :
D’autre part, les bolchéviks ont dû remarquer que la cote de la révolution mondiale ne faisait que baisser et qu’ils tombaient toujours plus bas. Ils ont vu que les masses ouvrières de l’étranger étaient de plus en plus unanimes à réprouver leurs méthodes..., que, par contre, les capitalistes étrangers étaient loin de se montrer intraitables si on leur faisait entrevoir la perspective de bonnes petites affaires et de profits sûrs. C’est ainsi que, parallèlement au but de la révolution mondiale, un autre but a surgi : celui de l’instauration de rapports pacifiques avec les puissances capitalistes, de la reconnaissance de jure de l’État soviétiste par ces puissances et du commerce libre avec elles.
Kautsky croit ainsi nous décocher une flèche empoisonnée. Mais si l’on prend la peine d’examiner tant soit peu sa pensée, on voit qu’il n’est tout simplement qu’un charlatan.
En effet, que propose-t-il ? Que nous ne désirions pas l’instauration de rapports pacifiques ? Que nous déclarions la guerre à tout l’univers capitaliste ?
Mais, tout d’abord, il est évident que ce serait de la stupidité pure.
En second lieu, Kautsky, dans ce cas, crierait encore davantage au « pillage mondial ».
Ou peut-être devrions-nous renoncer à nos aspirations à la révolution mondiale ? Aux aspirations qui, selon Kautsky, sont la base de notre autorité ? Faut-il cesser d’être un « jeune organisme révolutionnaire » ? Faut-il trahir même l’idée de la révolution mondiale ? Est-ce là ce que nous conseille le vieux renégat ?
Nous n’y consentirons pas. Mais il serait amusant d’entendre Kautsky nous Faire lui-même ouvertement une telle proposition.
Comme le verra le lecteur, Kautsky, dans ses raisonnements, soutient directement la cause de la bourgeoisie internationale.
La bourgeoisie marchande avec nous et nous demande le maximum. Elle nous dit : Si vous voulez faire du commerce avec nous, laissez là vos aspirations à la révolution.
Nous lui répondons : Nous voulons faire du commerce avec vous, nous ne nous immiscerons pas dans vos affaires, mais nous n’abandonnerons pas nos aspirations mondiales.
Que fait Kautsky ? Dans la discussion qui s’élève entre les capitalistes et nous, il est entièrement du côté du capitalisme contre nous, il soutient en fait les revendications de ces derniers.
Mais peut-être est-il impossible qu’un État prolétarien puisse exister et commercer avec des États capitalistes sans trahir la révolution mondiale ?
Il n’est pas difficile de répondre à cette question. Le développement de la révolution mondiale est extrêmement inégal. On ne saurait supposer que la révolution remporte la victoire du premier coup et simultanément dans tous les pays. C’est pourquoi il y a nécessairement une période transitoire pendant laquelle coexistent des États prolétariens et des États capitalistes. Or, il est évident que cette période historique se distingue fatalement par des contradictions. Fait caractéristique, Kautsky, ici, a complètement oublié les reproches qu’il adressait jadis aux bolcheviks. On se souvient qu’il nous accusait autrefois de ne pas comprendre la nécessité des stades. Et maintenant, voilà que sans s’émouvoir il nous sert des arguments diamétralement opposés. Ah ! dialecticien de malheur !
Mais Kautsky va encore plus loin dans la délation. En ce moment, toute la bourgeoisie identifie l’Internationale Communiste et le gouvernement soviétiste. Elle a besoin de cette assimilation pour lutter contre l’U.R.S.S. et pour représenter les ouvriers communistes comme des agents des « despotes moscovites ». Que fait Kautsky ? Il soutient entièrement cette version.
Les bolchéviks, écrit-il, pensent pouvoir continuer leur politique double en créant des institutions différentes pour sa partie prolétarienne et sa partie capitaliste. L’I.C. travaille à la révolution mondiale et prêche le renversement de tous les gouvernements. La diplomatie soviétiste, au contraire, s’efforce de gagner la confiance de ces mêmes gouvernements...
Mais à présent nul n’ignore que ce sont les mêmes individus qui commandent à la IIIe Internationale et à la diplomatie soviétiste... Maintenant, la conséquence de cet état de choses est que personne ne croit plus au gouvernement russe.
Bravo, Monsieur Kautsky ! Vous vous associez à la revendication des pires impérialistes qui demandent que l’I.C. soit expulsée de l’U.R.S.S., et vous le faites parce que cela est nécessaire à Messieurs les capitalistes. Que l’on ajoute à ces déclarations celles qui concernent la « somme d’argent de l’État », on aura alors une idée complète du dossier policier qui s’appelle le mémorandum de Karl Kautsky à la IIe Internationale.
Il est inutile d’analyser en détail la question du gouvernement soviétiste. Kautsky ne comprend-il pas par exemple que la République des Ebert-Hindenburg peut signer un traité commercial avec l’Italie sans que cela veuille dire qu’elle se solidarise avec le parti fasciste ? Est-il possible que Kautsky ne comprenne pas que le gouvernement anglais est une chose et que, par exemple, la Ligue internationale pour la lutte contre le bolchevisme en est une autre ? Ne comprend-il pas qu’il y a une différence de même genre entre le gouvernement du prolétariat de l’U.R.S.S. et l’organisation internationale des ouvriers communistes ?
Chacun comprend cette différence. Mais quand toute la presse bourgeoise hurle contre nous, Kautsky ne peut pas ne pas faire chorus.
Mais ne croyez pas que Kautsky se borne à spéculer plus ou moins ouvertement sur la guerre. Il a des moyens plus solides pour nous amener à résipiscence. Il envisage une pression financière.
Que l’on veuille bien examiner attentivement ce raisonnement stupéfiant de Kautsky :
La Russie soviétiste ne peut actuellement continuer son œuvre économique sans de forts emprunts à l’étranger...
Fournir à la Russie soviétiste des emprunts sans conditions aucunes, ce serait donner à ses tyrans de nouveaux moyens pour opprimer les masses populaires sur lesquelles ils règnent et qu’ils ne peuvent maintenir sous leur joug que par la violence. D’autre part, refuser absolument tout emprunt à la Russie, c’est laisser échapper un puissant moyen de pression qui permettrait peut-être d’obtenir des maîtres de Moscou des concessions sous le rapport de la démocratie.
Il ne faut pas refuser les emprunts, mais les accorder uniquement à la condition que les bolcheviks adouciront leur joug...
Toute condition de ce genre peut se justifier également par les intérêts des créanciers eux-mêmes, de sorte que les bolchéviks ne pourront repousser ces conditions comme une immixtion suspecte de l’étranger dans leurs affaires intérieures...
L’obtention de concessions démocratiques, quelque étrange que cela puisse paraître, correspond aux intérêts non seulement du prolétariat russe, mais aussi des capitalistes étrangers, qui veulent expédier de l’argent en Russie soit au moyen d’emprunt, soit par l’achat des concessions.
Il y a déjà longtemps que les capitalistes étrangers ont renoncé aux revendications impudentes par lesquelles ils réclamaient une modification de notre régime politique. Pour obtenir cette modification, ils ont lutté l’arme à la main. Mais les ouvriers et les paysans leur ont montré comment ils savaient défendre leur régime contre les agressions du capital étranger et des gardes blancs russes. Les capitalistes étrangers ont essayé ensuite de poser les mêmes revendications comme condition préliminaire des transactions commerciales. Mais ce temps est passé.
Maintenant que l’atmosphère se charge, M. Karl Kautsky ose soulever de nouveau ces revendications.
On se sent des haut-le-cœur devant une telle attitude. Ce sont les capitalistes, et non pas Kautsky, qui disposent des emprunts, c’est-à-dire de l’argent. Ce sont les capitalistes, et non pas Kautsky, qui peuvent exercer sur nous une pression au moyen de l’argent. Croyez-vous que cela émeuve Kautsky ? Nullement ! Il argumente dans « l’intérêt des créanciers ».
Particulièrement cynique est le raisonnement de Kautsky déclarant que la pression qu’il recommande n’est pas une immixtion dans les affaires intérieures de la Russie, parce qu’elle « se justifie également par les intérêts des créanciers eux-mêmes ». Est-ce que, par hasard, l’intervention ne pourrait pas se justifier aussi par les intérêts des interventionnistes ? Ou bien Kautsky aurait-il découvert une nouvelle forme d’intervention platonique ? Quels imbéciles espère-t-il duper ?
Pourtant, il faut dire à son honneur qu’il sent lui-même la faiblesse de sa position. C’est pourquoi il trouve soudain une issue en déclarant que les intérêts des capitalistes étrangers sont identiques à ceux de nos ouvriers dans la question la plus importante, dans la question du pouvoir politique.
Ouvriers, remerciez M. Kautsky de sa merveilleuse découverte.
Ainsi parlaient jadis les généraux Ironside, Youdénitch et Koltchak, qui torturaient notre pays. Ainsi parle maintenant Karl Kautsky, chef de la IIe Internationale.
Propagande odieuse contre l’U.R.S.S., pression financière, guerre, insurrection, voilà le programme de Kautsky, qui accomplit scrupuleusement les ordres de la bourgeoisie internationale. Et si les espions internationaux, et en premier lieu les espions anglais, élisent toujours comme centre de leurs opérations la Géorgie (car là les capitalistes sont plus près du naphte et les Anglais peuvent plus facilement opérer avec leur flotte), Kautsky également a prévu ce détail :
En Géorgie, dit-il, il n’y a jamais eu de danger que l’insurrection contre la domination bolchéviste puisse, en cas de réussite, servir la réaction. Toute insurrection dans ce pays doit servir à la conquête de l’indépendance nationale à l’égard de tout régime russe.
Voilà le dernier conseil que donne à la bourgeoisie internationale son fidèle agent. Au moment où une nouvelle vague contre-révolutionnaire s’élève, où les écrivains bourgeois modérés eux-mêmes suivent avec inquiétude l’organisation de la Sainte-Alliance contre le jeune pays révolutionnaire, Kautsky se fait le conseiller des banquiers, des policiers, des généraux, des comploteurs, des fascistes, des émigrés. Il est véritablement l’apôtre de la bourgeoisie internationale.