1918

« Le programme du parti communiste n'est pas seulement le programme de la libération du prolétariat d'un pays. C'est le programme de la libération du prolétariat du monde entier. Car c'est le programme de la révolution internationale. »

N.I. Boukharine

Le programme des Communistes (Bolcheviks)

XI.  L’administration de l'industrie par les ouvriers

Comme à la campagne, l’administration de la terre passe insensiblement dans les mains des organisations de paysans pauvres, dans les mains des différents soviets de paysans et de leurs sections, de même l'administration de l’industrie doit passer dans les mains des organisations d ouvriers et des organes du pouvoir ouvrier et paysan ; cela se produit partout, comme notre parti l'a réclamé.

Jusqu’à la révolution d’octobre et dans les premiers temps qui l’ont suivie, la classe ouvrière et notre parti ont posé la revendication du contrôle ouvrier, c'est-à-dire la surveillance de la production par les ouvriers, afin que les capitalistes ne cachent pas dans les fabriques et les usines des réserves de combustible ou de matière première, ne commettent aucune escroquerie, ne spéculent point, ne nuisent pas à la production, et ne jettent pas les ouvriers sur le pavé comme cela arrivait auparavant. La production, l’achat et la vente des produits et des matières premières, leur garde, les moyens financiers des entreprises, tout cela fut soumis à la surveillance des ouvriers. Une simple surveillance s’est montrée insuffisante. Elle s’est montrée insuffisante surtout après la nationalisation de la production, quand tous les droits de messieurs les capitalistes ont été détruits et que des entreprises ou des branches entières de la production passèrent dans les mains de l’État ouvrier et paysan. Il est clair qu'avec une surveillance on ne va pas loin V et qu il n est pas seulement nécessaire d'avoir un contrôle ouvrier, mais une administration de l’industrie par les ouvriers. Les organisations qui non seulement surveillent mais administrent sont les organisations ouvrières, comités des fabriques, syndicats, sections économiques des soviets, enfin les organes du pouvoir ouvrier et paysan, spécialement les différents comités, les conseils d’économie populaire, etc. On doit remarquer ce qui suit a ce sujet :

Dans certaines couches d'ouvriers inconscients règne la conception suivante des choses : Nous prenons notre fabrique en mains... et c’est tout ! Par exemple : la fabrique appartenait auparavant au fabricant X., elle est maintenant la propriété des ouvriers de cette fabrique. Un tel point de vue est naturellement faux ; il rappelle le partage. En fait, si on arrivait à cette situation que chaque fabrique appartienne seulement aux ouvriers de cette fabrique, les fabriques commenceraient à se faire concurrence : une fabrique s'efforcerait de gagner plus que les autres, elles se disputeraient les acheteurs, les ouvriers d'une fabrique seraient ruinés, ceux d'une autre deviendraient riches, les ouvriers ruinés seraient employés ; en un mot, c'est une histoire semblable à celle du partage, le capitalisme refleurirait bientôt de plus belle.

Comment lutter contre cette tendance ? Il est clair qu'on doit créer une administration des entreprises qui inculque aux ouvriers l'idée que chaque fabrique n’est pas la propriété des ouvriers de cette fabrique, mais celle de tout le peuple travailleur. On peut l'atteindre de la manière suivante : Il doit exister dans chaque usine et dans chaque fabrique une administration formée d’ouvriers, mais on doit la former de manière que la majorité ne soit pas constituée par des ouvriers de cette fabrique, mais d'ouvriers délégués par les syndicats de cette branche d'industrie, par le soviet des députés ouvriers et par le conseil départemental de l'économie populaire. Si l'administration formée d'employés et d’ouvriers (la majorité doit être assurée aux ouvriers parce qu'ils sont des adeptes plus sûrs du communisme) n'a pas une majorité de représentants de la fabrique elle-même, cette dernière sera administrée selon les intérêts de l'ensemble de la classe ouvrière.

Tout ouvrier comprend que les fabriques et les usines ne peuvent prospérer sans comptables, sans techniciens et sans ingénieurs, La tâche de la classe ouvrière consiste donc à faire entrer ces classes à son service. Jusqu'à ce que la classe ouvrière puisse sortir de son sein de tels spécialistes (elle le pourra dès qu'on arrivera à réaliser les plans d'éducation générale et la possibilité pour chacun de prendre part à l'éducation supérieure spéciale), elle doit payer un salaire aux intellectuels. Ils peuvent servir la classe ouvrière comme ils servaient auparavant la bourgeoisie. Autrefois, ils étaient sous son contrôle et sa surveillance, ils seront maintenant sous le contrôle et la surveillance des ouvriers et des employés.

Pour que la production marche facilement, un plan général unifié est nécessaire, comme nous l’avons déjà dit, ce serait insuffisant que chaque grande fabrique ait son administration ouvrière. Il y a beaucoup de fabriques, différentes branches d’industries, elles sont liées et toutes mutuellement dépendantes : Si les mines livrent peu de charbon, les fabriques et les chemins de fer s’arrêtent ; s'il n'y a pas de naphte, les bateaux à vapeur ne peuvent naviguer ; s'il n'y a pas de coton, les industries textiles n'ont rien à faire. On doit donc créer une organisation qui embrasse toute la production, qui travaille d’après un plan général, qui soit liée aux administrations ouvrières des fabriques et des usines isolées, qui tienne un compte exact de toutes les réserves et de tous les besoins, non d'une ville ou d’une fabrique seulement, mais de tout le pays. On peut voir la nécessité d un tel plan général spécialement dans l’exemple des chemins de fer. Tout enfant comprend que le dérangement du trafic des chemins de fer a pour résultat une incroyable misère : il y a surabondance de blé en Sibérie et la famine menace Petrograd, Pourquoi ? Parce que le blé qu'on pourrait avoir n'est pas à la portée des habitants de Petrograd ; on ne peut le transporter comme il le faudrait. Pour qu'un trafic régulier s’organise, tout doit être organisé et réparti. Cela n'est possible que par un plan. Imaginons qu'on administre d'une certaine façon un tronçon de chemin de fer, d'une autre façon ailleurs, d'une troisième façon un troisième tronçon, sans tenir compte les uns des autres, Il ne peut en sortir qu'une effroyable confusion. On ne peut y remédier que par une administration unique et centralisée. C’est pourquoi des organisations ouvrières qui réunissent toute une branche d'industrie, qui unissent ces branches d’industries, et qui finalement lient en un tout l’activité des différentes régions du pays, Sibérie, Oural, gouvernements du Nord, etc., sont nécessaires. De tels organes sont créés, ce sont les conseils régionaux et provinciaux d'économie populaire, sans compter les comités spéciaux unissant une branche d'industrie ou des branches commerciales (par exemple, Centro-textile, Centro-métal). A la tête, comme organisation centrale, est le Conseil supérieur de l’Économie populaire. Toutes ces organisations se tiennent en rapport avec les soviets d’ouvriers et travaillent la main dans la main avec le gouvernement des soviets. Elles se composent principalement de représentants des organisations ouvrières et reposent sur les syndicats, les comités de fabriques, les unions d'employés, etc.

Ainsi, de plus en plus et du haut en bas, l'administration de la production est créée par les ouvriers. Chacun a sa place, depuis le comité de fabrique et l’administration ouvrière, pour monter aux comités et aux conseils d’économie populaire régionaux et provinciaux et atteindre, au sommet de l’organisation, le Conseil supérieur de l'économie populaire,

Le devoir de la classe ouvrière est maintenant de développer l’administration de la production par les ouvriers et de la fortifier en éduquant les grandes masses dans ce but. L'effort du prolétariat qui prend en mains la production, non comme propriété de personnes ou de groupes, mais comme propriété de toute la classe ouvrière, consiste à soutenir par des milliers de petites organisations locales, par les administrations d’ouvriers dans les fabriques et les usines, les organisations ouvrières centrales et régionales. Si les organes supérieurs d'administration ne s’appuient pas sur les organes locaux, ils restent suspendus en l’air, ils se transforment en institutions officielles, bureaucratiques, d’où disparaît l'esprit révolutionnaire vivant. Ils sont, au contraire, capables de surmonter l’effroyable chaos s'ils sont soutenus de tous côtés par les forces vivantes de la classe ouvrière et si chaque ordre des organisations ouvrières centrales trouve un écho et est exécuté dans chaque endroit par les organisations et les masses ouvrières, non par crainte, mais par conscience. Plus les masses discutent elles-mêmes leurs affaires, plus elles prennent part avec ardeur et intérêt à l'élection de leur administration et au travail des fabriques et des usines, et plus elles punissent tout désordre et toute escroquerie, plus vite aussi la classe ouvrière se rendra maîtresse en réalité et non en paroles de toute l’activité industrielle. Ainsi se réalisera, non seulement la dictature politique, mais aussi la dictature économique, sociale, du prolétariat. La classe ouvrière sera maîtresse non seulement de l'administration de l’armée, de la justice, des écoles et des autres affaires, mais aussi de l'administration de la production. La puissance du capital sera ainsi atteinte dans ses racines et la possibilité désormais écartée de voir le capital exploiter à nouveau la classe ouvrière.

Archives Boukharine
Sommaire Sommaire Haut Sommaire Suite Fin
Archives Internet des marxistes