1918 |
« Le programme du parti communiste n'est pas seulement le programme de la libération du prolétariat d'un pays. C'est le programme de la libération du prolétariat du monde entier. Car c'est le programme de la révolution internationale. » |
Le programme des Communistes (Bolcheviks)
VI. Pouvoir des soviets ou république bourgeoise?
La conclusion inévitable de notre opinion sur la nécessité de la Dictature, est notre lutte contre la forme vieillie de la République parlementaire bourgeoise (on l'appelle aussi quelquefois « démocratie »), à laquelle nous opposons une nouvelle forme d’État : le pouvoir des Conseils de députés ouvriers, paysans et soldats.
Les mencheviki et les socialistes-révolutionnaires de droite défendent de toutes leurs forces la Constituante et la République parlementaire. Ils injurient à tous les carrefours, le pouvoir des Conseils. Pourquoi ? D'abord parce qu’ils craignent le pouvoir des ouvriers et veulent garder le pouvoir de la bourgeoisie. Les communistes qui veulent réaliser la société communiste (socialiste) non sur le papier, mais en fait, doivent nécessairement lutter pour la dictature du prolétariat et pour la chute finale de la bourgeoisie. C’est là que gît toute la différence. C’est pourquoi les partis des mencheviki et des socialistes-révolutionnaires marchent de pair avec les partis de la grosse bourgeoisie.
En quoi consiste la principale différence entre une république parlementaire et une république des soviets ? Dans le fait que les classes qui ne travaillent pas n’ont aucun droit de vote et ne prennent aucune part à l'administration de l’État dans la République des conseils. Les soviets dominent le pays. Ces conseils sont élus par le peuple travailleur dans les endroits où il travaille : fabriques, usines, ateliers, mines, dans les villages grands et petits. La bourgeoisie, les anciens propriétaires fonciers, les banquiers, les commerçants-spéculateurs, les marchands, les boutiquiers, les spéculateurs, les intellectuels bourgeois, prêtres, évêques, en un mot toute la bande noire, n’a pas le droit de vote, n’a aucun droit politique fondamental. La base de la République parlementaire est la Constituante. L’organe supérieur de la République des soviets est le Congrès des soviets.
En quoi le Congrès des soviets se distingue-t-il de la Constituante ? Il n’est difficile à personne de répondre.
Messieurs les mencheviki et les socialistes révolutionnaires de droite s’efforcent, il est vrai, d'envelopper la chose de nuages, inventant pour la Constituante des dénominations solennelles, comme : « Le seigneur de l’empire russe », etc. Mais la vérité ne se laisse pas cacher. La constituante se distingue du congrès des soviets par le fait qu’elle n’est pas élue par les travailleurs seulement, mais aussi par la bourgeoisie et tous ses agents. Elle s'en distingue parce que peuvent y siéger non seulement les ouvriers et les paysans, mais aussi les banquiers, les propriétaires et les capitalistes, non seulement le parti des ouvriers, les communistes, non seulement les socialistes révolutionnaires de gauche, non seulement les socialistes traîtres, genre socialistes révolutionnaires de droite et menchéviki, mais encore les cadets (le parti de la trahison du peuple), les octobristes, les ultra réactionnaires. Les dignes faiseurs de compromis s'efforcent d’avoir leurs voix. Lorsqu’ils crient la nécessité de la constituante « nationale et générale » , ils tiennent les soviets pour non nationaux parce qu’il y manque la bourgeoisie russe, les divers exploiteurs et sangsues. Adjoindre aux travailleurs toute la horde des parasites, donner à ces ennemis du peuple tous les droits, s'asseoir à côté d'eux au Parlement, faire du gouvernement de classe des ouvriers et paysans un gouvernement de la bourgeoisie sous le masque national, telle est la tâche des socialistes révolutionnaires de droite, des mencheviki, des cadets, en un mot du gros capitalisme et de ses agents petits bourgeois.
L'expérience de tous les pays montre que la bourgeoisie dupe toujours la classe ouvrière et les pauvres où elle jouit de tous les droits.
Quand la bourgeoisie tient en mains la presse et les journaux, quelle possède de grosses richesses, qu'elle nomme les fonctionnaires, qu'elle emploie les services de centaine de mille agents, qu'elle menace et effraie ses esclaves intimidés, elle obtient que le pouvoir ne lui échappe jamais des mains.
Le peuple presque entier vote selon l'apparence. Mais en réalité cette couverture cache la domination du gros capital qui s’installe d’une excellente manière et se vante de permettre au « peuple » de voter et de sauvegarder les différentes libertés « démocratiques », C'est pourquoi dans tous les pays qui sont en république bourgeoise (France, Suisse, États-Unis), malgré le suffrage universel, le pouvoir est complètement dans les mains des banquiers, C'est naturellement ce que les mencheviki et les socialistes révolutionnaires de droite désirent atteindre quand ils veulent renverser le pouvoir des soviets et convoquer la Constituante. En donnant le droit de vote à la bourgeoisie ils veulent préparer le passage à cet état social qui règne en France et en Amérique. Ils pensent, en effet, que les ouvriers russes « ne sont pas assez mûrs » pour tenir en mains le pouvoir. Le parti des communistes-bolchéviques pense au contraire, qu'une dictature des ouvriers est précisément nécessaire parce qu'il ne peut être question de l'abandon du pouvoir. On doit enlever à la bourgeoisie toute possibilité de duper le peuple. On doit la tenir absolument éloignée du gouvernement parce que nous sommes dans un temps de lutte vive, On doit fortifier et étendre la dictature des ouvriers et des paysans pauvres. C’est pourquoi le pouvoir d’État des soviets est nécessaire. Il n’y a pas de bourgeoisie là, pas de propriétaires fonciers Les organisations des ouvriers et des paysans règnent seules sur l’empire, elles ont grandi avec la révolution et portent sur leurs épaules tout le poids de la grande lutte.
Ce n’est pas tout. La simple république ne signifie pas seulement le pouvoir de la bourgeoisie. Toute son organisation interne l’empêche d'être pénétrée par l’esprit des travailleurs. Dans une république parlementaire chaque citoyen dépose un bulletin de vote tous les 4 ou 5 ans. Son rôle est ainsi terminé ; le champ est laissé libre aux députés, aux ministres, aux présidents, qui disposent de tout. Ils n’ont aucun lien avec les masses. Les masses du peuple travailleur sont seulement maniées et opprimées par les fonctionnaires de l’État bourgeois, elles ne prennent aucune part active au gouvernement.
La République des soviets, qui incarne la dictature ouvrière, est tout autre. Tout le gouvernement est organisé d'une façon spéciale. Le pouvoir des soviets n'est pas une organisation de fonctionnaires qui sont indépendants de la masse et dépendants de la bourgeoisie. Le pouvoir des soviets et ses organes reposent sur les plus grandes organisations de la classe ouvrière et des campagnards. Syndicats, comités de fabriques, conseils provinciaux des organisations des ouvriers, paysans, soldats et matelots, tous soutiennent le pouvoir central des soviets. Du pouvoir central des soviets partent dans toutes les directions des milliers et des millions de fils. Ces fils vont d’abord aux soviets provinciaux et régionaux, puis à ceux des villes ; de là ils vont au rayon urbain, atteignent les fabriques et les usines et unissent des centaines de mille ouvriers. Ainsi sont aussi organisées toutes les plus hautes organisations du pouvoir des soviets, par exemple le Conseil supérieur de l'économie populaire. Il est formé des représentants des comités des syndicats, des fabriques et des autres organisations. Les syndicats, de leur côté, réunissent des entreprises entières, ont des subdivisions dans les différentes villes et reposent sur la masse organisée des fabriques et des usines, 11 y a dans chaque fabrique un comité de fabrique nommé par les ouvriers de la fabrique ; ces comités de fabrique sont unis. Ils envoient leurs représentants au Conseil supérieur de l'économie populaire qui doit préparer les plans et diriger la production. Ici aussi l'organe central de l'administration industrielle est formé de représentants des ouvriers et repose sur les organisations de masses des ouvriers et des paysans les plus pauvres. Nous avons donc une tout autre organisation que les Républiques bourgeoises. Les droits ne sont pas seulement supprimés, à la bourgeoisie, il n'est pas seulement juste que les représentants des ouvriers et des paysans gouvernent le pays, il est encore plus juste que les Conseils soient en rapports constants avec les organisations de niasses des ouvriers et paysans et que. de cette manière, la grande masse prenne part au gouvernement de l’État ouvrier et paysan. C'est pourquoi chaque ouvrier organisé peut faire valoir son influence. Il ne prend pas part a l'administration de l’État par le seul fait qu’il nomme une fois par mois, ou tous les deux mois, ses hommes de confiance. Les syndicats préparent par exemple des plans pour l'organisation de la production. Ces plans sont alors étudiés dans les soviets ou les Conseils d'économie populaire, plus tard, s'ils sont acceptables, ils prennent force de loi quand le Comité central exécutif des soviets les ratifie. N'importe quel syndicat, n'importe quel comité d'usine peut» de cette manière, prendre part au travail commun de la création de la vie nouvelle.
Dans la République bourgeoise l’État se sent d'autant mieux que la masse déploie moins d'activité. Parce que l’intérêt des masses s’oppose à l'intérêt de l’État capitaliste. Si, par exemple, la masse commençait à parler dans la République nord-américaine, cela signifierait que la fin de la bourgeoisie et de son État approche. L’État bourgeois repose sur la tromperie des masses, sur leur sommeil, sur le fait que les masses sont écartées de toute participation au travail quotidien de l’État. qu'elles ne sont appelées à voter que de sept en quatorze et qu'elles se dupent elles-mêmes par leurs votes. Il en est tout autrement dans la République des soviets. La République des soviets, parce qu’elle incarne la dictature du prolétariat, ne peut vivre un instant si elle se sépare des masses ; elle est d’autant plus forte que les masses sont plus agissantes, qu'elles dépensent plus d énergie, qu'elles travaillent davantage en tout lieu, dans les fabriques et les usines, dans les villes et les villages grands et petits. C’est pourquoi ce ne fut pas une circonstance fortuite que le gouvernement des soviets, à la proclamation de ses décrets, se soit adressé aux masses, demandant aux ouvriers et aux paysans pauvres de les appliquer eux-mêmes. Ainsi s'est transformée, depuis la révolution d octobre, la signification des différentes organisations ouvrières et paysannes. Auparavant, elles étaient des organes de lutte de classe contre la bourgeoisie au pouvoir. Prenons, par exemple, les syndicats et les petits conseils de paysans. Auparavant, ils devaient lutter contre le capital pour des augmentations de salaires et des diminutions d’heures de travail : dans les villages ils devaient lutter contre les propriétaires fonciers pour leur prendre la terre et le sol. Maintenant que le pouvoir est aux mains des ouvriers et paysans, ces organisations deviennent des rouages du pouvoir de l’État. Les syndicats ne luttent pas seulement contre les capitalistes, mais comme organe du pouvoir ouvrier, comme partie du gouvernement des soviets, ils prennent part à l’organisation de la production, à l'administration de l'industrie ; de même, les conseils de village et de paysans, ne luttent pas seulement contre les vampires, la bourgeoisie et les propriétaires fonciers, ils s’occupent aussi d'établir le nouveau régime sur le terrain agraire, ils administrent les affaires agricoles comme organes du gouvernement ouvrier ; ils travaillent comme les hélices de la machine colossale de l'administration d’État, où le pouvoir est aux mains des ouvriers et paysans.
Ainsi, insensiblement, par les organisations ouvrières et par les organisations de paysans, des couches toujours plus profondes du peuple travailleur sont intéressées à l’administration du pays. Il n’existe rien de semblable dans un autre pays parce qu’aucun autre pays n’a vu la victoire de la classe ouvrière, parce qu’il n'y existe ni pouvoir ouvrier, ni dictature du prolétariat, ni République des soviets, ni État des soviets.
On comprend que le pouvoir des soviets qui incarne la dictature du prolétariat ne satisfasse pas tous les groupes de la population qui sont intéressés à un retour à l’esclavage capitaliste et non à une marche en avant vers la société communiste. On comprend aussi qu’ils ne peuvent dire ouvertement : « Nous souhaitons pour les ouvriers le fouet et le gourdin. » La duperie est nécessaire. Cette duperie est celle des mencheviki et des socialistes-révolutionnaires de droite, qui battent la grosse caisse pour « la lutte pour la République démocratique », pour « la Constituante, qui finalement doit sauver de tous les maux ». En réalité il n'est question que de remettre le pouvoir à la bourgeoisie. Sur cette question capitale aucune union n'est possible entre nous communistes et les différents groupes menchéviki, socialistes-révolutionnaires de droite, Novaia Jizn et autres messieurs. Ils sont pour le capitalisme, nous sommes pour l'effort en avant vers le communisme. Ils sont pour le pouvoir de la bourgeoisie, nous sommes pour la dictature du prolétariat. Ils sont pour la République parlementaire bourgeoise, dominée par le capital, nous sommes pour la République des soviets socialistes où tout le pouvoir appartient aux ouvriers et paysans pauvres.
Jusqu'à maintenant, jusqu'à la révolution russe de 1917, on n'a fait qu'écrire sur la dictature du prolétariat. Personne ne savait bien comment cette dictature serait réalisée. La révolution russe esquissa la forme de cette dictature : c’est la République des soviets. C’est pourquoi la meilleure avant-garde du prolétariat international inscrit maintenant sur sa bannière le mot d'ordre de la République des soviets et du pouvoir des conseils. C’est pourquoi notre devoir consiste à fortifier de tous . côtés le pouvoir des soviets, à le purifier de tous les éléments déshonorants, à attirer une immense quantité de camarades capables d'éduquer les masses ouvrières et paysannes pour l’œuvre de la Révolution. Les ouvriers et paysans ne peuvent et ne doivent défendre qu'un tel pouvoir, le pouvoir des soviets, le pouvoir des ouvriers et paysans.
Si les ouvriers et paysans avaient subi une défaite chez nous, si la Constituante avait été convoquée, si à la place de la République des soviets il s'était créé une vulgaire République bourgeoise à la façon de la France et des États-Unis, la classe ouvrière aurait été obligée de mettre à l’ordre du jour le renversement de cette République et elle n’aurait pas eu le devoir de la défendre. Son devoir est de défendre le pouvoir des ouvriers, non le pouvoir de la bourgeoisie. Envers le pouvoir de la bourgeoisie elle n'a qu'un devoir : le renverser !