1918

« Le programme du parti communiste n'est pas seulement le programme de la libération du prolétariat d'un pays. C'est le programme de la libération du prolétariat du monde entier. Car c'est le programme de la révolution internationale. »

N.I. Boukharine

Le programme des Communistes (Bolcheviks)

II.  La guerre criminelle, l'oppression de la classe ouvrière et le début de la chute du capital

Dans ces tout derniers temps, le petit capital a presque complètement disparu dans tous les pays capitalistes. Il a été englouti par les gros requins. Autrefois les capitalistes isolés se faisaient la guerre pour avoir les acheteurs. Maintenant qu’il ne reste pas beaucoup de capitalistes (parce que tous les petits ont été ruinés), ceux qui restent se sont unis, organisés et disposent à volonté de chaque pays, comme autrefois le propriétaire de son domaine. Quelques banquiers américains dominent toute l’Amérique, comme autrefois un simple capitaliste dominait sa fabrique. Quelques spéculateurs français ont assujetti tout le peuple français ; cinq grandes banques déterminent le sort de tout le peuple allemand. Il en est de même dans les autres États capitalistes. On peut donc dire que les États capitalistes actuels, les soi-disant « patries », se sont transformées en d’énormes fabriques qu’une association de capitalistes domine comme autrefois chaque capitaliste régnait dans sa propre fabrique.

Il n’y a rien d’étonnant que ces associations, ces associations étatistes, des différentes bourgeoisies, luttent actuellement entre elles comme les capitalistes séparés luttaient entre eux. L’empire bourgeois anglais lutte contre l'empire bourgeois allemand, comme auparavant, en Angleterre ou en Allemagne, un fabricant luttait contre les autres. Maintenant, le jeu est seulement mille fois plus haut et la lutte pour l'augmentation du profit est faite de la vie et du sang des hommes.

Dans cette lutte, qui englobe le monde entier, les États petits et faibles sont d’abord anéantis. Premièrement succombent les petits peuples coloniaux, tribus faibles, quelquefois sauvages, chassées en partie par les gros États brigands. Une lutte s'élève ensuite entre ces derniers pour le partage des territoires « libres », c’est-à-dire des pays qui n’ont pas encore été volés par les États « civilisés ». Ensuite commence la lutte pour la nouvelle répartition de ceux qui ont déjà été volés. — Il est clair que cette lutte pour un nouveau partage du monde doit être plus sanglante et plus exaspérée que jamais.

Ce sont d'énormes colosses, les plus grands empires du monde, armés des machines meurtrières les plus parfaites, qui conduisent cette lutte.

La guerre mondiale qui éclata en été 1914 et qui a duré jusqu'à ce jour est la première guerre pour un nouveau partage décisif du monde entre les monstres du pillage « civilisé ». Elle a entraîné dans son remous les quatre rivales gigantesques principales : l’Angleterre, l’Allemagne, l'Amérique et le Japon. La lutte est menée pour savoir laquelle de ces associations de brigands réussira à écraser le monde sous ses sanglantes bottes de fer.

Cette guerre, partout, empira incroyablement la situation déjà difficile de la classe ouvrière. Des fardeaux impossibles à porter lui sont imposés. Des millions parmi les meilleurs ouvriers sont assassinés sur les champs de batailles, la famine est le lot des autres. Les peines les plus sévères menacent ceux qui osent protester. Toutes les geôles débordent, les magistrats tiennent prêtes les mitrailleuses contre la classe ouvrière. Les droits des ouvriers ont disparu même dans les pays « les plus libres ». Il n’est plus permis de faire grève. Les grèves sont punies comme une trahison à la pairie. La presse ouvrière est étouffée. Les meilleurs ouvriers, les lutteurs dévoués de la Révolution sont obligés de se cacher et de fonder des organisations secrètes comme nous le faisions pendant la domination tsariste pour nous garder de l'essaim des espions et des policiers. Rien d’étonnant que les ouvriers ne se contentent pas seulement de gémir sous de tels résultats de la guerre, mais commencent aussi de s'élever contre leurs oppresseurs.

Mais les empires bourgeois eux-mêmes, qui ont déclenché ce grand carnage, commencent à se pourrir à la racine et à se décomposer. Ils sont tombés dans le bourbier sanglant que leur chasse au profit a créé et il n’y a pour eux aucune issue. Reculer, retourner les mains vides, après une telle dépense d’argent, de matière et de butin, on ne le peut pas ! Avancer, sur un nouveau péril effroyable, c’est presque aussi impossible. La politique de guerre conduit à une impasse où il n’y a point d’issue ; c’est pourquoi la guerre dure sans fin et sans aucun résultat décisif. Pour ces motifs l’ordre capitaliste d’État commence à tomber en pourriture, et tôt ou tard, il sera obligé de céder sa place à un autre ordre où la folie d'une guerre mondiale pour le profit ne trouvera plus de place.

Plus la guerre dure, plus les pays en guerre s’affaiblissent. La fleur du peuple travailleur est anéantie ou vit dans les tranchées, dévorée des poux, s’occupant de travaux de destruction. Tout est détruit pour la guerre, jusqu'aux poignées de laiton des portes qui sont confisquées comme matériel de guerre. Les choses les plus nécessaires manquent parce que la guerre a tout englouti, comme un insatiable essaim de sauterelles. Personne ne fabrique des objets utiles, on les consomme seulement. Depuis quatre ans, les fabriques qui produisaient des objets utiles ne créent que des grenades et des shrapnells. Sans hommes, sans production de ce qui est absolument nécessaire, tous les pays arrivent à une telle déchéance que les hommes commencent à hurler comme des loups, de froid, de faim, de misère, de détresse et d’oppression. Dans les villages allemands où l'on avait autrefois l'électricité, on brûle maintenant des copeaux de sapin parce qu'il n’y a plus de charbon. La vie expire dans la masse à mesure que grandit la misère générale du peuple. Dans des villes bien organisées comme Berlin et Vienne on ne peut passer de nuit dans la rue, partout on vole. Les journaux bourgeois allemands se lamentent sur le nombre insuffisant de policiers. Ils ne veulent pas voir que l'augmentation des crimes prouve l'augmentation de la misère, du désespoir et de la colère. Les éclopés reviennent du front et trouvent chez eux la famine générale. Le nombre des sans-abri et des affamés grandit malgré l'organisation extraordinaire, parce qu’il n’y a rien à manger ; et la guerre dure, dure, réclamant toujours de nouvelles victimes.

Plus la situation des empires en guerre devient pénible, plus les frottements, les querelles et les divisions se manifestent dans les différentes couches de la bourgeoisie qui, auparavant, marchaient la main dans la main pour les buts de rapine communs. En Autriche-Hongrie, les Tchèques, les Ukrainiens, les Allemands, les Polonais et les autres se prennent aux cheveux. En Allemagne, par la conquête de nouvelles provinces, la bourgeoisie (estonienne, lettone, ukrainienne, polonaise) qui appela à l'aide les troupes allemandes, est maintenant obligée de se quereller violemment avec ses libérateurs. En Angleterre, la bourgeoisie anglaise est en lutte à mort avec la bourgeoisie irlandaise qu’elle a opprimée.

Au milieu de chaos, devant la banqueroute générale, la classe ouvrière élève toujours plus clairement sa voix, la classe ouvrière qui, par tout le développement de l'histoire, est placée devant ce devoir : Étouffer la guerre et briser le joug du capitalisme !

Ainsi approche le temps de la décomposition du capitalisme, le temps de la Révolution communiste de la classe ouvrière.

La Révolution russe d'octobre a ouvert la première brèche. Le capitalisme s’est décomposé plus vite en Russie que dans les autres pays parce que le fardeau de la guerre mondiale a pesé plus lourdement sur le jeune État capitaliste de notre pays, Il n’y avait pas chez nous une formidable organisation de la classe bourgeoise comme en Angleterre, en Allemagne et en Amérique. Elle ne pouvait, par conséquent, ni remplir les obligations que lui imposait la guerre, ni résister au formidable assaut de la classe ouvrière russe et des paysans les plus pauvres qui, dans les journées d’octobre, ont désarçonné la bourgeoisie et ont remis le pouvoir aux mains du parti de la classe ouvrière, des communistes —- Bolcheviki —

Le même sort attend tôt ou tard la bourgeoisie de l'Europe occidentale. La classe ouvrière de l’Europe occidentale entre toujours plus nombreuse dans les rangs des communistes. Partout naissent des organisations « bolcheviques ». En Autriche et en Amérique, en Allemagne et en Norvège, en France et en Italie, Le programme du parti communiste devient le programme de la Révolution prolétarienne mondiale.

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