1930 |
août 1930 : le combat pour unifier et souder l'Opposition de Gauche Internationale face à la montée de la bureaucratie stalinienne. |
Œuvres - août 1930
1 - J'ai reçu votre lettre du 19 juin signée Pierre. Vous me demandez si votre anglais est compréhensible. Il est tout à fait compréhensible et d'ailleurs bien meilleur que le mien. C'est pourquoi je vous réponds en russe.
2 - Aujourd'hui, j'ai lu trois documents avec attention et crayon en mains: la lettre ouverte au cam. Tchen-Du-Siu du 10 décembre 1929; la lettre ouverte à Li-Ior-Tse de janvier 1930, et enfin la lettre que vous m'avez adressée comportant la critique des erreurs du groupe Li-Ior-Tse. Ma conclusion générale : il n'y a aucune divergence, ni programmatique, ni stratégique. Il y a des nuances d'ordre parfois académique, parfois tactique, dont vous et le camarade Li-Ior-Tse exagérez l'importance. Je ne vois décidément rien justifiant l'existence séparée des trois groupes.
3 - Je ne peux en aucun cas être d'accord avec votre façon de poser le problème organisationnel. Les autres groupes doivent reconnaître leurs erreurs devant vous et vous les accepterez alors dans les rangs de votre organisation; voilà votre conception de l'unification. Chers camarades, vous commencez très tôt à imiter l'appareil stalinien. Politiquement, la question se pose ainsi : êtes-vous partisans des mêmes idées ou adversaires ? Si vous êtes des adversaires, il ne peut pas être question d'unification. Mais dans le cas contraire, il est indigne et inacceptable de tenter d'humilier l'autre groupe avant de faire l'unification. Une telle politique de "prestige" est propre aux mandarins de Moscou. Transférer ces mœurs dans les rangs de l'Opposition de gauche revient à lui inoculer le pire poison dès son enfance.
4 - Vous ne donnez malheureusement aucun élément quant à vos rapports à venir avec le groupe Tchen-Du-Siu. Sa lettre du 10 décembre 1930 est un magnifique document politique. Tchen-Du-Siu a une grande expérience politique qui manque chez la plupart des oppositionnels chinois. On peut objecter que cette expérience comporte de grandes erreurs. C'est indiscutable. Mais les erreurs clairement comprises et ouvertement reconnues constituent une expérience politique précieuse et aident à éviter de nouvelles erreurs.
P.S. Quand je parle de reconnaître ses erreurs, je pense aux erreurs programmatiques et stratégiques commises dans le cours des événements révolutionnaires. De telles erreurs doivent être absolument reconnues et clarifiées. Cela n'a rien de commun avec votre exigence de voir Li-Ior-Tse reconnaître ses erreurs envers votre organisation et s'agenouiller devant la porte de votre rédaction.
5 - Les trois groupes sont de faibles organismes de propagande. Entre 25, 100 ou 300 membres, la différence d'effectifs est bien sûr importante, mais ici la quantité ne passe pas en qualité. Or l'existence de trois groupes contraints à rechercher des divergences pour justifier la séparation, constitue un obstacle considérable au développement de l'Opposition car elle désoriente les ouvriers.
L'unification est indispensable. Elle peut se réaliser par l'élaboration commune d'une courte plate-forme et la convocation d'un congrès d'unification sur la base de critères communs de représentativité. Si contre toute attente, vous rencontrez des difficultés dans l'élaboration de la plate-forme, le Bureau International pourra vous apporter son aide. C'est l'unique moyen sain et juste d'unification. C'est ainsi que le parti bolchevique, qui en 1917 n'était pas un groupe propagandiste mais une force puissante avec un long passé historique, s'est uni aux internationalistes révolutionnaires qui constituaient différentes organisations en divers points du pays. Personne n'exigea aucun repentir ni aucun abaissement de quiconque. Ces mœurs indignes furent introduites par Zinoviev et Staline après 1923.
Il faut hâter l'unification afin que l'Opposition unifiée chinoise puisse participer à la conférence internationale des bolcheviks-léninistes.
6 - Recevez-vous le Biulleten de l'opposition russe? Le prochain numéro sera consacré essentiellement à la question chinoise. J'attends avec une grande impatience la prochaine lettre que vous m'avez promise avec une analyse de la situation dans le pays et le parti.
Il est de la plus grande importance que les oppositionnels de gauche adoptent une position juste par rapport au mouvement paysan ("soviétique") actuel.
Y a-t-il un espoir aujourd'hui que la guerre paysanne fasse jonction avec le mouvement ouvrier ? C'est une question d'une importance gigantesque. Une brusque accélération de la montée révolutionnaire dans les villes sous l'influence de la révolte paysanne n'est théoriquement pas exclue. Dans ce cas, cette dernière prendrait une signification objective tout autre. Notre rôle n'est évidemment pas de nous diluer dans la révolte paysanne en l'idéalisant naïvement, mais de clarifier son sens réel, d'en déduire les perspectives pour les ouvriers et de tenter ainsi d'élever leur pensée. Dans le même temps, nous devons défendre les révoltés, leurs revendications et leur programme dans l'opinion de la classe ouvrière et des pauvres des villes, contre les calomnies et le fiel des propriétaires, des bureaucrates et de la bourgeoisie. C'est sur cette seule base que nous devons dénoncer le charlatanisme de la direction officielle du Komintern, qui parle de l'établissement en Chine du "pouvoir soviétique" sans dictature du prolétariat et même sans participation active des ouvriers au mouvement.
J'espère que le Bureau International publiera sur ce thème une adresse aux communistes chinois.