1848-49

Marx et Engels journalistes au coeur de la révolution...

Une publication effectuée en collaboration avec la bibliothèque de sciences sociales de l'Université de Québec.


La Nouvelle Gazette Rhénane

K. Marx

Les hauts faits de la maison Hohenzollern

n°294, 10 mai 1849


Cologne, le 9 mai.

Dans les derniers jours de son existence et de celle de l'État prussien, le gouvernement du sire de Hohenzollern semble vouloir encore une fois soutenir pleinement l'ancienne réputation du nom prussien et du nom de Hohenzollern.

Qui n'en connaît les caractéristiques selon le poème de Heine ?

Un enfant à grosse tête de citrouille,
À la longue moustache, à la perruque de vieillard,
Aux bras longs, mais forts, d'araignée,
À l'estomac géant, mais aux boyaux courts, Un enfant d'incube, un monstre [1] .

Qui ne connaît pas les parjures, les perfidies, les captations d'héritage auxquels cette famille de caporaux qui porte le nom de Hohenzollern doit son essor ?

On sait comment le soi-disant « grand prince électeur » (comme si un « prince électeur » pouvait jamais être « grand ») commit sa première trahison envers la Pologne, en passant brusquement aux Suédois, lui, l'allié de la Pologne contre la Suède, et ce, pour pouvoir d'autant mieux piller la Pologne à la paix d'Oliva [2] .

On connaît l'insipide personnage que fut Frédéric I°, la brutale grossièreté de Frédéric-Guillaume I°.

On sait comment Frédéric II [3] , l'inventeur du despotisme paternaliste, l'ami à coups de bâton des philosophes du siècle des lumières vendit son pays aux enchères à des entrepreneurs ; on sait comment il s'allia à la Russie et à l'Autriche pour se livrer sur le dos de la Pologne à un brigandage qui actuellement encore, après la révolution de 1848, marque l'histoire allemande d'une flétrissure ineffacée.

On sait comment Frédéric-Guillaume II aida à parfaire le brigandage contre la Pologne, comment il dilapida les biens volés en distribuant à ses courtisans les biens nationaux et les biens de l'Église en Pologne.

On sait comment, en 1792, il se coalisa avec l'Autriche et l'Angleterre pour écraser la glorieuse Révolution française et comment il envahit la France, on sait comment sa « splendide armée de guerre », couverte de honte et d'opprobre, fut chassée de France.

On sait comment il laissa ensuite ses alliés en plan et se hâta de conclure la paix avec la république française [4] .

On sait comment lui, qui se prétendait un fervent partisan du roi légitime de France et de Navarre, racheta pour trois fois rien à la république française les diamants de la couronne de ce même roi et s'enrichit ainsi en pratiquant l'usure avec le malheur de « messire son bon frère ».

On sait comment lui dont toute la vie était un mélange, typique des Hohenzollern, fait de faste et de mysticisme, de lubricité sénile et de superstition infantile, comment il foula aux pieds la liberté d'expression par les Édits de Bischoffwerder [5] .

On sait comment son successeur, Frédéric-Guillaume Ill, le « Juste », trahit au profit de Napoléon ses anciens alliés, pour le Hanovre qu'on lui avait jeté en appât.

On sait comment, aussitôt après, il trahit Napoléon au profit de ces mêmes anciens alliés, en se mettant à la solde de l'Angleterre et de la Russie et comment il attaqua la Révolution française incarnée en la personne de Napoléon.

On sait quel fut le succès de cette attaque : la défaite inouïe de la « splendide armée de guerre » à Iéna [6] , l'irruption soudaine d'une phtiriase morale rongeant tout le corps politique de l'État prussien, une série de félonies, de bassesses, de flagorneries de la part des fonctionnaires prussiens dont Napoléon et ses généraux se détournèrent avec dégoût.

On sait comment, en 1813, Frédéric-Guillaume III enjôla si bien le peuple prussien avec de belles paroles et de magnifiques promesses, que celui-ci crut partir pour une « guerre de libération » contre les Français bien qu'il ne s'agît que d'écraser la révolution française et de rétablir l'ancien système de droit divin [7] .

On sait comment les belles promesses furent oubliées dès que la Sainte-Alliance eut fait son entrée à Paris le 30 mars 1814.

On sait comment, au retour de Napoléon de l'île d'Elbe, l'enthousiasme du peuple était déjà si refroidi que Hohenzollern dut raviver le zèle éteint, par la promesse d'une Constitution (édit du 22 mai 1815 [8] ), quatre semaines avant la bataille de Waterloo.

On se rappelle les promesses des actes confirmant la confédération germanique et l'acte final du Congrès de Vienne [9] : liberté de la presse, Constitution, etc.

On sait comment Hohenzollern le « Juste » a tenu parole : Sainte-Alliance et congrès pour opprimer les peuples, décrets de Carlsbad [10] , censure, despotisme policier, suprématie de la noblesse, arbitraire de la bureaucratie, justice de cabinet, persécutions démagogiques, condamnations en masse, gaspillage financier et ... aucune Constitution.

On sait comment, en 1820, le peuple reçut la garantie que les impôts et les dettes publiques ne seraient pas augmentés et comment Hohenzollern tint parole : ce fut la transformation de la Seehandlung en institut privé de crédit pour l'État.

On sait comment Hohenzollern répondit à l'appel du peuple français pendant la révolution de Juillet; en massant des troupes à la frontière, en maintenant sous le joug son propre peuple, en réprimant le mouvement dans les États allemands plus petits et en asservissant finalement ces États sous le knout de la Sainte-Alliance.

On sait comment le même Hohenzollern manqua aux lois de la neutralité au cours de la guerre russo-polonaise en permettant aux Russes de passer par son territoire et de prendre les Polonais à revers, en mettant à leur disposition les arsenaux et les entrepôts prussiens et en offrant à tous les corps d'armée russes vaincus un asile sûr en Prusse.

On sait comment tous les efforts du « sous-kniaz » de Hohenzollern, en accord avec les buts de la Sainte-Alliance, visaient à renforcer la suprématie de la noblesse, de la bureaucratie et des militaires, à réprimer par la violence et la brutalité toute liberté d'expression, toute influence sur le gouvernement de « sujets à l'intelligence bornée [11] » et ce non seulement en Prusse, mais dans tout le reste de l'Allemagne.

On sait qu'il s'est écoulé peu de règnes au cours desquels des intentions aussi louables ont été réalisées avec des mesures arbitraires plus brutales que sous celui de Frédéric-Guillaume III, tout particulièrement de 1815 à 1840. Jamais et nulle part on n'a autant arrêté et condamné, jamais les forteresses n'ont été aussi pleines de prisonniers politiques, jamais plus que sous ce « juste » souverain. Et encore, quand on pense quels lourdauds innocents étaient ces démagogues !

Faut-il revenir encore sur cet Hohenzollern qui, selon le moine de Lehnin [12] , « sera le dernier de sa lignée » ? Faut-il parler de la renaissance de la grandeur chrétienne-germanique et de la réapparition du spectre de la crise financière, de l'Ordre du cygne [13] , du tribunal suprême de la censure, de la Diète unifiée et du synode général, du « chiffon de papier » et des vaines tentatives d'emprunter de l'argent et de toutes les autres conquêtes de la glorieuse époque de 1840 à 1848 ? Devons-nous démontrer, en nous appuyant sur Hegel, pourquoi il aura fallu justement un personnage comique pour clore la lignée des Hohenzollern ?

Ce ne sera pas nécessaire. Les faits cités suffisent pour caractériser pleinement le nom qui unit Prusse et Hohenzollern. Il est vrai que l'éclat de ce nom fut un instant affaibli mais depuis que les sept étoiles de la constellation Man­teuffel et consorts [14] entourent la couronne, l'ancienne grandeur est revenue. La Prusse est de nouveau comme autrefois un vice-royaume sous la suzeraineté russe. Hohenzollern est de nouveau un « sous-kniaz » de l'autocrate de toutes les Russies et un « super-kniaz » de tous les petits boyards de Saxe, de Bavière, de Hesse-Hombourg [15] , de Waldeck [16] , etc.; les sujets « à l'intelligence bornée » ont été rétablis dans leur ancien droit d'obéir à la consigne. Tant que le tzar orthodoxe ne l'utilise pas lui-même, « Ma splendide armée de guerre » peut en Saxe, dans le Bade, la Hesse et le Palatinat rétablir l'ordre qui règne depuis dix-huit ans à Varsovie, elle peut dans son propre pays et en Autriche recoller avec le sang des sujets les couronnes volées en éclats. La parole donnée autrefois, la peur et la détresse au cœur, ne comptent pas plus pour nous que nos aïeux reposant dans la paix du Seigneur; et lorsque nous en aurons fini chez nous, nous marcherons, musique en tête et bannières déployées, contre la France et nous conquerrons le pays des vins de Champagne et nous détruirons la grande Babel, mère de tous les vices !

Voilà les plans de nos grands dirigeants; voilà le hâvre sûr vers lequel vogue notre noble Hohenzollern. De là les actes octroyés et les coups d'État accumulés, de là les coups de pied répétés à la lâche Assemblée de Francfort, de là les états de siège, les arrestations et les persécutions, de là l'intervention de la soldatesque prussienne à Dresde et au sud de l'Allemagne.

Mais il y a encore une puissance dont ces Messieurs de Sans-souci font évidemment peu de cas, mais dont la voix cependant retentira comme un coup de tonnerre. Le peuple - le peuple qui, à Paris, comme sur les bords du Rhin, en Silésie comme en Autriche, attend en grinçant des dents de rage le moment de s'insurger et qui traitera peut-être bientôt comme ils le méritent tous les Hohenzollern et tous les sous et super-kniaz.


Notes

Texte surligné : en français dans le texte.

[1] Cf. « Der Wechiselbalg », dans les Zeitgedichte (Poèmes d'actualité) de Heinrich HEINE.

[2] La paix d'OIiva fut conclue le 3 mai 1660 entre la Suède d'une part, la Pologne, l'Autriche et le Brandebourg d'autre part. La paix d'Oliva confirmait le traité polono-brandebourgeois de Wehlau (19 septembre 1657) par lequel la Pologne dut renoncer à la suzeraineté sur la Prusse orientale qui appartenait au prince électeur de Brandebourg.

[3] Frédéric l°, électeur de Brandenbourg de 1415 à 1440. D'abord burgrave de Nuremberg et comte de Hohenzollern, il reçut de l'empereur Sigismond la marche de Brandebourg et agrandit ses États aux dépens de la Poméranie et du Mecklembourg.
Frédéric II, électeur du Brandebourg de 1440 à 1470, fils du précédent. Il acheta à l'Ordre teutonique la Nouvelle Marche et jeta les fondements de Berlin.
Frédéric-Guillaume I°, électeur de Brandebourg dit le Grand électeur; il naquit au château de Cœlin sur les bords de la Spree en 1620 et mourut à Potsdam en 1688. Il succéda à son père Georges-Guillaume en 1640. La guerre de Trente ans avait dévasté ses États. Une trêve avec la Suède, une alliance avec la Pologne et surtout la paix de Westphalie qui lui concéda les évêchés sécularisés de Cammin, de Halberstadt, de Minden, l'archevêché de Magdebourg et la Poméranie orientale, lui permirent de réparer les ravages de la guerre. Quand éclata la guerre entre la Suède et la Pologne, il s'allia d'abord avec la première de ces puissances (traité de Marienbourg 1656) puis il se retourna vers la seconde et, par les traités de Wehlau et de Bromberg (1657), il s'assura la souveraineté dans son duché de Prusse, précédemment vassal de la Pologne, souveraineté confirmée au traité d'Oliva (1660). Tantôt allié, tantôt adversaire de la France, sans scrupules, il fut forcé en 1673, de signer la paix de Vossem avec Louis XIV, puis il reprit les armes, fit battre ses troupes par Turenne en Alsace, mais remporta sur les Suédois sa première grande victoire qui fit le prestige de l'armée brandebourgeoise, à Fehrbellin, en 1675. Il dut cependant abandonner toutes ses conquêtes sur la Suède en 1679 au traité de Saint-Germain. Réconcilié avec la France, il participa cependant à la guerre de la Ligue d'Augsbourg et à la coalition européenne. À l'intérieur, il développa les finances, réforma l'administration, développa l'agriculture, l'industrie, le commerce extérieur. Il accueillit les protestants français avant et après la révocation de l'Édit de Nantes. Il travailla à la concentration de ses états pauvres en population. Il fit des efforts considérables pour organiser une armée.
Frédéric I°, premier roi de Prusse, second fils du précédent, né à Kœnigsberg en 1657, mort à Berlin en 1713. Contrairement aux testaments de son père qui avait assuré ses apanages à ses cinq frères, Frédéric, dès son avènement, se proclama seul et unique héritier et devint électeur sous le nom de Frédéric III en 1688. Dès ce moment également, l'érection de ses domaines en royaume fut la grande affaire de son règne. C'est pour cela qu'il entra en 1691 dans une coalition contre la France et qu'il négocia avec la plupart des puissances européennes et principalement avec l'Autriche. Par le traité de 1700, moyennant certains avantages assurés aux Habsbourg, l'empereur d'Allemagne reconnut Frédéric comme roi de la Prusse, territoire situé en dehors de l'empire et affranchi de toute vassalité. Le couronnement eut lieu le 18 janvier 1701 à Kœnigsberg. Frédéric participa à la guerre de succession d'Espagne. Il réalisa quelques acquisitions extérieures comme Neuchâtel en Suisse, continua la politique de ses prédécesseurs en matière de colonisation, créa l'Université de Halle et la Société des sciences et voulut s'entourer d'une cour à l'imitation de celle de Louis XIV.
Frédéric-Guillaume I°, roi de Prusse, fils de Frédéric I°, né en 1688 mort en 1740. Dès son avènement (1713) il opéra de larges réformes économiques à la cour et saisit toutes les occasions d'agrandir ses États. Lors de la paix d'Utrecht (1713), il fit confirmer sa souveraineté sur Neuchâtel et Valengin, acquit une partie de la Gueldre. Pendant la guerre du Nord, il protégea d'abord la Poméranie suédoise contre les Russes et les Saxons, pour s'unir ensuite à eux contre la Suède. La paix de Stockholm (1720) lui donna toute la Poméranie extérieure avec Stettin moyennant deux millions de thalers qu'il paya aux Suédois. Le reste de son règne fut pacifique. Autoritaire et brutal, Frédéric-Guillaume prépara, par la constitution d'une solide armée, la grandeur de la Prusse. Par son application aux détails, il justifia le surnom de Roi sergent. Il continua l'œuvre de centralisation de ses prédécesseurs, réorganisa la justice et la police, eut une politique financière d'économie. Grossier et violent, il s'entendit mal avec son fils, le futur Frédéric II. Il modifia peu l'état social. Il fonda à Berlin des hospices et l'Académie de médecine.
Frédéric II dit Frédéric le Grand, roi de Prusse, fils du précédent, né à Berlin 1712, mort à Potsdam en 1786. Il fut élevé brutalement par son père qui lui reprochait son goût pour la littérature. Maltraité, Frédéric songea à s'enfuir de la cour paternelle. Le projet fut découvert, le prince enfermé à Kustrin et son complice Katt exécuté devant ses fenêtres en 1730. Sorti de prison, Frédéric dut demeurer comme auditeur à la Chambre des domaines de Kustrin. Il s'initia bon gré, malgré, à l'administration et aux questions militaires. En 1732, son père le maria contre son gré à la princesse Élisabeth-Christine de Brunswick-Bevern. Il fit ses premières armes à l'armée du prince Eugène (1733) puis se retira au château de Rheinsberg où il vécut de 1734 à 1740, entouré de savants et de gens de lettres. Il entra en correspondance active avec Voltaire qui corrigeait ses vers français et composa l'Anti-Machiavel, réfutation du « Prince ». Il se préparait ainsi à devenir un despote éclairé et à gagner sa popularité dans le monde des philosophes. Dès son avènement, en 1740, il profita des embarras de Marie-Thérèse d'Autriche pour faire valoir ses prétentions sur la Silésie et pratiquer une politique extérieure cynique, conforme aux mœurs du temps; il s'empara de la Silésie par la bataille de Mollwitz (1741), conclut une alliance avec la France, battit encore Charles de Lorraine en Bohême (1742) et obtint, après cette victoire, la cession de la Silésie par Marie-Thérèse (traité de Breslau). En 1744, il reprit les armes, s'empara de Prague, mais dut se replier sur la Silésie, répara ses pertes par les brillantes victoires de Friedberg (1745), de Sorr et de Kesseldorf. Un autre traité (Dresde, 1746), lui assura de nouveau sa conquête. De 1748 à 1755, des réformes nombreuses amenèrent un développement extraordinaire de la prospérité de la Prusse agrandie. Il poursuivit la colonisation systématique entreprise par ses prédécesseurs, compila le « Code fédéricien », surveilla de près l'administration, eut une politique d'économie, entreprit l'achèvement de l'État prussien, appuyé sur l'administration et la noblesse militaire. Il réorganisa l'Académie de Berlin (ancienne Académie des sciences) et attira dans ses États un grand nombre de savants étrangers, surtout des Français, parmi lesquels il faut citer Voltaire avec qui sa rupture eut l'éclat d'un événement public.
Au moment où éclata la guerre de Sept ans, le roi de Prusse, allié à l'Angleterre par le traité de Whitehall (1756), vit se coaliser contre lui la France, l'Autriche, la Saxe et la Russie. C'est alors que se manifesta son génie militaire. La rapidité de ses manœuvres et de ses décisions, l'organisation technique de son armée, parfaitement disciplinée et pourvue d'une bonne artillerie, étaient remarquables. Il entra à Dresde en 1756, battit les Autrichiens à Lovosice, et les Saxons à Pirna. La défaite de Kollin (1756) lui fit lever de siège de Prague. Peu après son armée était battue par les Russes à Jagendorf. Il prit sa revanche sur Soubise à Rossbach et sur les Autrichiens à Leuthen (1757). Il se rejeta alors sur les Russes et les battit à Zorndorf, mais il fut vaincu à Hohenkirch. Malgré une nouvelle victoire sur les Autrichiens à Leignitz (1760) sa situation était presque désespérée, lorsque la mort d'Élisabeth de Russie, remplacée par Pierre III, affaiblit la coalition.
En 1763, la paix d'Hubertsbourg laissait définitivement la Silésie à la Prusse. Mais la Prusse était complètement épuisée par la guerre. Par des moyens autoritaires il releva l'agriculture, ordonnant des défrichements, créant des villages; il créa aussi des usines de toutes sortes : tissages, filatures, verreries, raffineries de sucre ... ; il réorganisa la justice et les finances; il alla jusqu'à accueillir dans ses États les Jésuites expulsés des pays catholiques. En moins de dix ans tout était réparé. En 1772, il prit part au premier partage de la Pologne, un partage qu'il avait longuement préparé. Il obtint la province occidentale de la Pologne, moins Dantzig et Thorn. Il lutta contre l'Autriche, et sut assurer à l'électeur palatin la succession de Bavière par le traité de Teschen en 1779. En 1785 il intervint contre Joseph II et constitua contre l'Autriche la Ligue des princes.
Sa politique, toute de duplicité, tendait à l'extension de la Prusse, en Pologne en particulier. Il a laissé de nombreux écrits. Sa correspondance a été publiée, par l'Académie des sciences de Berlin (1778-1786). Les Mémoires et Histoires de Frédéric II écrits en français se composent de divers travaux historiques, tous relatifs aux Annales de la Prusse ou au règne de Frédéric.
Ce fut un homme d'État puissant, sans scrupules, uniquement préoccupé de la grandeur de la Prusse et de sa propre grandeur.
Frédéric-Guillaume II, roi de Prusse, neveu et héritier du grand Frédéric, né et mort à Berlin (1744-1797). Il était le fils d'Auguste-Guillaume, second fils du Roi sergent. Prince royal par la mort de son père, il succéda à Frédéric II en 1796. Il s'occupa des arts mais sa politique intérieure fut médiocre et incohérente. En relation avec les Roses-Croix, le roi était mystique et peu travailleur. Il vécut dans l'horreur de la Révolution française. Il réprima la révolution de Hollande (1787-1788). Infatué de ce succès, après avoir signé la déclaration de Pilnitz (1791), il envahit la France en 1792 et fut vaincu à Valmy. En 1795, il fut contraint de signer la paix de Bâle, abandonnant à la République française la rive gauche du Rhin. Sa politique orientale fut tortueuse. Il prit part aux deux derniers partages de la Pologne, et réprima, en 1794, l'insurrection de Kosciusko. Le troisième partage de la Pologne valut à la Prusse une augmentation de 2 200 000 habitants. Ce chiffre s'accrut de 85 000 par l'annexion des principautés d'Anspach et de Bayreuth, achetées en 1791. Sous son règne la liberté de pensée fut atteinte par l'Édit de religion (1788) et l'établissement de la censure.

[4] En 1795 la Prusse conclut avec la France une paix séparée à Bâle. Elle reconnut l'occupation par la France des territoires prussiens de la rive gauche du Rhin.

[5] Das Edikt, die Religion. Vertassung in den Preussischen Staaten betreffend (l'Édit concernant la religion dans les États prussiens) du 9 juillet 1788 et das Censur-Edict (l'Édit concernant la censure) du 19 décembre 1788 furent promulgués par Frédéric-Guillaume II à l'instigation de son conseiller Bischoffwerder. Ces édits restreignaient la liberté de la presse et la liberté du culte.

[6] Le roi de Prusse et son général en chef, le duc de Brunswick s'étaient établis au nord de la forêt de Thuringe pour surprendre Napoléon et le tourner en franchissant les montagnes à la hauteur de Gotha. Ce fut Napoléon qui les surprit et les tourna.
Le 8 octobre, l'armée française en trois colonnes franchit le défilé de la forêt franconienne, se jeta sur la rive droite de la Saale et la descendit à vive allure. Le 13 octobre, elle atteignit Iéna : elle se trouvait sur le flanc et jusqu'en arrière des positions prussiennes, Le jour même, le roi de Prusse et son état-major, craignant l'enveloppement, avaient décidé la retraite sur l'Elbe, en deux colonnes, l'une sous le commandement du roi et du duc de Brunswick; l'autre sous le commandement du prince de Hohenlohe.
Napoléon, croyant toute l'armée prussienne en face de lui, décida de l'enfoncer de front avec le gros de ses troupes, tandis que Davout, avec un corps d'armée, irait la tourner par Auerstaedt. Il fit occuper dans la nuit du 13 au 14 le plateau qui dominait la vallée et la ville, et le lendemain, 14 octobre 1806, il écrasait à Iéna l'armée de Hohenlohe dont les débris s'enfuirent en cohue par la route de Weimar.
L'autre colonne, beaucoup plus avancée dans son mouvement de retraite que ne le supposait Napoléon, était arrivée le 13 au soir à Auerstædt, à vingt kilomètres au nord d'Iéna. C'est cette armée qui vint buter le 14 au matin contre Davout marchant en sens inverse. Pendant toute la matinée, les trois divisions françaises soutinrent sans faiblir les charges furieuses d'un ennemi d'une supériorité numérique écrasante; puis, vers trois heures, bien qu'ayant perdu un tiers de ses effectifs, Davout passa à l'offensive, refoula les Prussiens qui s'enfuirent en désordre vers Weimar. Les Français avaient enlevé 115 canons alors qu'ils n'en avaient eux-mêmes seulement 44. Les deux batailles coûtaient à l'ennemi environ 45 000 hommes, tués, blessés ou prisonniers.
Les vaincus d'Iéna et les vaincus d'Auerstædt se rejoignirent à Weimar. Ce fut alors la débâcle, les soldats n'écoutant plus ou ne recevant plus aucun ordre, jetant leurs armes, culbutant les convois. La cavalerie française, lancée en chasse, ramassa les prisonniers par milliers; elle en prit 14 000 le lendemain d'Iéna, à Erfurt. Deux corps péniblement reformés, poursuivis sans trêve, furent finalement bloqués et pris, celui de Hohenlohe à Prenzlau le 28 octobre, celui de Blucher à Lubeck, le 7 novembre. Le 8 novembre, il ne restait plus rien de l'armée prussienne. Toutes les places fortes, Magdebourg, Spandau, Stettin, Custrin étaient prises, livrées à la première sommation. Il n'y eut nulle part une tentative de résistance nationale. À Berlin, Napoléon fit une entrée triomphale le 27 octobre. Le roi se réfugia avec la reine dans la province de Prusse, la seule qui lui restât.

[7] Marx et Engels font ressortir ici le caractère équivoque des guerres de libération de 1813-1815. La lutte nationale de libération des masses populaires contre la politique de conquête de Napoléon I° fut utilisée par les princes et les nobles pour rétablir dans toute la mesure du possible la féodalité en Europe. Marx et Engels insistent sur leur aspect négatif : haine de la Révolution française, manque d'initiative dans la lutte contre les oppresseurs en Allemagne même, chauvinisme, etc. et combattent l'attitude des historiens prussiens réactionnaires qui, surtout après l'aggravation des relations entre la France et la Prusse en 1840, falsifiaient et utilisaient à leurs fins le contenu et la signification des guerres de libération dans l'intérêt du chauvinisme prussien. ENGELS traite de l'aspect positif des guerres de libération dans son ouvrage : Ernst Moritz Arndt, de 1841, et dans des articles écrits en 1870 où il établit nettement que c'est la victoire contre la tyrannie étrangère de Napoléon qui a frayé la voie menant à la solution de la question nationale et à la libération du joug des princes allemands.

[8] Le 22 mai 1815 parut « l'ordonnance sur la représentation du peuple » dans laquelle le roi de Prusse promettait la création d'assemblées corporatives provisoires, la convocation d'une assemblée représentative de toute la Prusse et l'introduction d'une Constitution. Mais la loi du 5 juin 1825 n'institua que des assemblées corporatives dans les provinces (Diètes provinciales), aux fonctions consultatives et limitées.

[9] Pendant le Congrès de Vienne, le 8 juin 1815, on signa les Bundesakte (actes de fédération). Ils furent ratifiés dans le texte signé par les grandes puissances sous le nom d'Acte final du Congrès de Vienne (9 juin 1815). La Confédération germanique était confirmée; elle comptait 39 États au lieu de 360 en 1792. La Confédération, présidée par l'empereur d'Autriche, n'était qu'une association de souverains indépendants et non pas une union véritable des peuples en un peuple. L'Autriche en faisait partie pour ses possessions de langue allemande et la Bohême; la Prusse pour la majeure partie de son territoire. La Bavière agrandie d'une fraction du Palatinat, le Wurtemberg, la Saxe, conservaient la dignité royale que leur avait conférée Napoléon. On ne restaura qu'un petit nombre des États supprimés, notamment le Hanovre, érigé en royaume au profit de la famille régnante d'Angleterre, et quatre villes libres, Hambourg, Brême, Lubeck et Francfort-sur-le-Main. Les États ecclésiastiques demeurèrent tous supprimés.

[10] Sur la convocation de l'Autriche les princes allemands se réunirent à Carlsbad en août 1819, puis à Vienne de novembre 1819 à mai 1820. Metternich se proposait de mater d'abord l'agitation universitaire, puis de restaurer partout l'absolutisme, le but final étant de renforcer la tutelle autrichienne sur l'Allemagne.
Il réussit à Carlsbad. La Conférence vota une série de mesures visant les universités : interdiction de la Burschenschaft, institution dans chaque université d'un curateur chargé de surveiller les étudiants et les professeurs, de les exclure ou de les destituer à l'occasion; obligation pour tout gouvernement de soumettre la presse à la censure. Un certain nombre d'étudiants furent mis en prison. Elle institua également une Commission centrale d'enquête chargée de poursuivre les personnes suspectes d'opposition, ceux que l'on appelait les « démagogues ».

[11] Expression connue, employée par le ministre prussien de l'Intérieur, von Rochow.

[12] Cette prédiction (Vaticinum Lehninense) fut attribuée à un moine, Hermann, qui, à ce que l'on raconte, vécut vers 1300 au couvent de Lehnin près de Potsdam. Le poème dont l'auteur et la date de composition ne sont pas garantis se lamente sur l'ascension des Hohenzollern et prédit leur fin à la onzième génération. Cet écrit fut très répandu au moment du déclin de la Prusse.

[13] L'« Ordre de Notre-Dame au cygne » : cet ordre de chevalerie religieux et médiéval fut créé en 1443 par le prince électeur de Brandebourg, Frédéric II, et disparut sous la Réforme. Frédéric-Guillaume IV qui aspirait à une renaissance du romantisme réactionnaire tenta vainement en 1843 de le rénover.

[14] Appartenaient à cette constellation, à côté du ministre de l'Intérieur, le baron Otto Theodor von Manteuffel, le président du Conseil, le comte Friedrich Wilhelm von Brandenburg, le ministre de la justice, Ludwig Simons, le ministre des Finances, Arnold von Rabe, le ministre de la Guerre, le général de brigade Karl Adolf von Strotha, le ministre du Commerce, le baron August von der Heydt et le ministre des Cultes, de l'Instruction et de la Santé publiques, Adalbert von Ladenberg.

[15] La Hesse-Hombourg était autrefois un Landgraviat de 275 km2 s'étendant sur les deux rives du Rhin. Indépendant de 1622 à 1866, à l'exception de la période de 1806 à 1815 où ce territoire fut incorporé à la Hesse-Darmstadt. La lignée Hombourg s'éteignit avec le Landgrave Ferdinand (1846-1866). Le pays revint alors à la Hesse-Darmstadt, mais après la guerre de 1866, il échut à la Prusse et fut incorporé à la Hesse-Nassau.

[16] Le Waldeck était un État indépendant, rattaché à l'empire allemand. Sa superficie était de 1 055 km2 . Il était situé près de la Thuringe. Par le traité du 18 juillet 1857, l'administration intérieure passa à la Prusse le 1° janvier 1868.
Les princes de Waldeck descendaient des comtes de Schwalenberg. En 1526, sous le comte Philippe IV, la Réforme y fut introduite. Georg Friedrich devint prince d'empire en 1682. Une Constitution fut accordée par Georg-Viktor, alors sous la tutelle de sa mère; cette Constitution fut ensuite modifiée dans un sens monarchique en 1852. Cette principauté subsista jusqu'au 13 novembre 1918, date à laquelle Friedrich, fils de Georg-Viktor, renonça au trône.


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