1965 |
"(...) de toute l'histoire antérieure du mouvement ouvrier, des enseignements de toute cette première période des guerres et des révolutions, de 1914 à 1938, analysés scientifiquement, est né le programme de transition sur lequel fut fondée la IV° Internationale. (...) Il est impossible de reconstruire une Internationale révolutionnaire et ses sections sans adopter le programme de fondation de la IV° Internationale comme base programmatique, au sens que lui conférait Trotsky dans la critique du programme de l'I.C. : définissant la stratégie et la tactique de la révolution prolétarienne." |
Défense du trotskysme (1)
Reconstruire la IV° Internationale
Le pablisme ne peut être apprécié que comme un phénomène international. Le trait commun à ses différentes variétés, c'est la capitulation devant les appareils sous la pression des forces sociales hostiles à la classe ouvrière. Plus précisément, ce sont des variétés de centrisme qui sont nées et se sont développées au sein de la IV° Internationale.
A une certaine étape de son développement, le révisionnisme s'est transformé et est devenu liquidateur. S'il n'avait été qu'une simple déviation, les nouveaux rapports au sein de la classe ouvrière qui se sont révélés brusquement au cours des années 1953-1956, et ont opposé le prolétariat aux appareils, auraient contribué au redressement de la IV° Internationale. Au contraire, ils ont contraint les révisionnistes à se révéler pleinement comme des auxiliaires des appareils et, partant, à manifester ouvertement leur fonction de flanc-gardes de la bourgeoisie. Le pablisme était apparu comme liquidateur en tentant, dès 1951, de détruire la section française par l' « entrisme sui generis » dans le P.C.F.
Si une telle tendance a pu se développer au sein de la IV° Internationale jusquau bout, c'est parce que les germes en existaient dans la pratique politique de l'Internationale et de ses sections.
Les principales sections de la IV° Internationale fonctionnaient comme des organisations nationales ayant des ramifications internationales. Le S.W.P. a vécu toute la guerre sans contact avec les sections européennes, dans un isolement de fait. Plus qu'aucune autre organisation peut-être, vivant dans le bastion de l'impérialisme mondial, le S.W.P. avait besoin de l'Internationale pour résister à la formidable pression pesant sur lui. Seule, une riche vie théorique et organisationnelle internationale pouvait le protéger contre l'envahissant pragmatisme américain. Au lendemain de la guerre, le S.W.P. se déchargea sur le « S.I. » des tâches théoriques, politiques et d'organisation internationales, tandis que l'activité trotskyste aux U.S.A. restait son domaine réservé. L'état de fait de la guerre devenait une pratique constante. Cette pratique se manifesta alors même que le S.W.P. rompait politiquement en 1953 avec le « S.I. » . L'existence du S.W.P. fut mise en cause par la tendance pro-stalinienne de Clark, soutenue en sous-main par le « S.I. » . Rompant avec le « S.I. » , la direction du S.W.P. se garda cependant d'aller jusqu'au bout dans l'analyse théorique et politique du pablisme, des raisons de son développement au sein de la IV° Internationale. Il lui eût fallu rompre avec sa pratique d'auto-isolement politique et d'internationalisme formel. Elle chercha constamment un compromis, paralysant le Comité International ; jusqu'au moment où elle pratiqua une version américaine de pablisme, et rechercha un substitut à la construction du S.W.P. par l'adaptation de sa ligne politique aux cercles « avancés » de la petite-bourgeoisie américaine. Ce fut la révolution cubaine qui révéla que la direction du S.W.P. avait renoncé à construire un parti ouvrier révolutionnaire aux Etats-Unis, et qu'elle se fixait désormais pour tâches de gagner les dirigeants des mouvements petits-bourgeois au programme de la révolution socialiste.
Plus rien ne l'empêchait désormais de se rallier ouvertement aux positions politiques du pablisme. Il apporta un appui politique à la farce du congrès mondial de réunification, où l'on fit table rase d'un passé épineux à évoquer pour les uns comme pour les autres.
Quant au L.S.S.P., ce fut toujours un parti de type social-démocrate dominé par la petite-bourgeoisie radicale en lutte pour l'indépendance politique face à l'impérialisme. L'étude de l'histoire du L.S.S.P. serait d'un grand intérêt. Elle montrerait comment la petite bourgeoisie radicale peut utiliser un trotskysme formel afin de construire sa propre organisation. Pour que cela fût possible, encore fallait-il que l'internationalisme des autres sections, et de l'Internationale comme un tout, fût plus formel que réel. Le L.S.S.P. laissait, tout comme le S.W.P., les mains libres au « S.I. » pourvu qu'il développe dans son domaine réservé sa propre politique. A la veille du « IV° congrès mondial » , la direction du L.S.S.P. opposa une certaine résistance aux thèses et à la pratique pabliste en Europe. Cela se termina par un compromis qui laissa, comme d'habitude, les mains libres au « S.I. » pourvu qu'il respecte l'indépendance de fait de la direction du L.S.S.P.
Le « S.I. » fournissait un alibi internationaliste au S.W.P. et au L.S.S.P., en même temps qu'il était « spécialisé » dans la fabrication des thèses, résolutions, « documents » , déclarations, etc.... de « l'Internationale » . Il chapeautait les organisations trotskystes européennes, sans toutefois participer à leur vie réelle et à leurs luttes.
Quant aux organisations trotskystes sud-américaines, leur participation à la IV° Internationale fut toujours beaucoup plus de principe que véritable.
Au « II° congrès mondial » (1948), le rapport d'activité du « S. I. » , c'est-à-dire le bilan de l'activité des organisations trotskystes et de la IV° Internationale depuis 1938, fut expédié en vingt minutes. Cette façon de procéder revenait à jeter un voile sur les multiples erreurs commises. Elle évitait qu'on en recherche les racines, ce qui aurait abouti à miner les prétentions à l'infaillibilité de la « direction internationale » , mais aurait eu l'avantage de poser les véritables problèmes de la construction de partis révolutionnaires.
Cet internationalisme formel avait pour revers, nous l'avons vu, des statuts d'un centralisme rigoureux. Le « S.I. » et le C.E.I. (qui était l'expression élargie du « S.I. » , plutôt que le « S.I. » l'exécutif du C.E.I.), étaient bardés d'autant plus de pouvoirs statutaires que l'unité de l'Internationale reposait moins sur une vie théorique et politique commune, sur une lutte commune pour la construction de ses sections, et sa propre construction.
Le « S.I. » pouvait ainsi se prendre pour la « direction révolutionnaire mondiale » , alors qu'au contraire la fondation de la IV° Internationale signifiait que la « crise de la direction révolutionnaire » devait être résolue au travers d'une lutte consciente, et nullement qu'elle résolvait du même coup cette crise. Elle donnait une base programmatique, un cadre politique et organisationnel en vue de l'accomplissement de cette tâche, elle ne la considérait pas comme accomplie.
La pratique politique du S.W.P. qui soutenait politiquement le « S.I. » , comme celle du L.S.S.P. et de l'ensemble des organisations composant la IV° Internationale, participait d'une conception nationale de la lutte des classes, où s'exprimait la pression de la société bourgeoise. L'activité du « S.I. » servait de couverture internationaliste, c'est pourquoi elle put se développer de façon autonome. C'est également pourquoi, même si, dans leur crudité, certaines thèses pablistes choquèrent et durent formellement être amendées, l'« objectivisme » du pablisme convenait parfaitement, quant au fond, à toute une série de dirigeants des sections de l'Internationale. Il débouchait sur les voies spécifiques propres à chaque pays, donnant ainsi une justification « théorique » à la pratique politique des sections les plus importantes, et confirmant le « S.I. » dans sa fonction de « brain trust » de la révolution socialiste vivant de façon autonome.
L « objectivisme » n'a jamais existé dans la pratique. Il est toujours la couverture d'une activité réelle, marquant la défense de ce qui est « la réalité dominante » , que les hommes qui « théorisent » ainsi en soient conscients ou non. Dans le cas du pablisme, cette activité était et est la liquidation de l'internationalisme prolétarien - base fondamentale du trotskysme - s'expriment d'abord dans la théorie de la division du monde en blocs, puis perfectionné avec « les voies multiples conduisant à la réalisation du socialisme sous la pression des forces objectives » ; c'est la liquidation de la lutte pour la construction de l'organisation susceptible d'exprimer consciemment, au niveau de la pensée et de l'action, l'internationalisme prolétarien : la IV° Internationale. La décomposition théorique et politique des organisations prolétariennes s'est toujours traduite par leur renonciation à l'internationalisme prolétarien, leur adaptation à la société bourgeoise par l'adoption, puis la défense des cadres historiques dans lesquels cette société s'est développée : le cadre national devenant le bien commun de la bourgeoisie et du prolétariat, même si dans ce cadre ils sont en conflit. L'opération devait nécessairement prendre une forme particulière pour des organisations se réclamant de la IV° Internationale, qui est née en réaction contre le « socialisme dans un seul pays » . Cette forme particulière, ce fut la « réalité objective » , transmutant le plomb en or.
L'adaptation à la société bourgeoise a sa propre logique, précipitée par la crise de cette société. Les beaux jours du pablisme furent assurés par un certain niveau d'adaptation des principales sections de la IV° Internationale. Un nouveau stade, plus élevé, aboutit à sa crise.
Le L.S.S.P. fut obligé de venir au secours de la bourgeoisie ceylanaise en participant au gouvernement de Mme Bandaranaike. Pablo, devenu un instrument politique de la bureaucratie du Kremlin, dut s'adapter plus étroitement aux impératifs de la défense de celle-ci en coopérant à l'idéalisation de son « libéralisme » . Il était devenu en même temps un agent du gouvernement petit-bourgeois de Ben Bella. Hansen et le S.W.P. se sont intégrés plus profondément à la petite-bourgeoisie américaine. Germain et son ami Mandel, au réformisme social-démocrate nourri politiquement par le togliattisme.
Le front unique des liquidateurs est disloqué par les divergences d'intérêts, les problèmes particuliers avec lesquels est confronté chaque groupe de liquidateurs dans son adaptation à sa propre bourgeoisie, et à tel ou tel secteur des appareils bureaucratiques. La crise conjuguée de l'impérialisme et de la bureaucratie du Kremlin se réfracte sur le front unique des liquidateurs. Les uns, pour s'adapter complètement, doivent se libérer d'une dépendance, même formelle, du trotskysme ; les autres ont au contraire, comme « aile gauche » , besoin de conserver le manteau du trotskysme (il n'est plus aujourd'hui de « gauche » fashionable sans un grain de trotskysme).
Le terrain n'est pas déblayé pour autant. La nécessité d'empêcher la reconstruction de la IV° Internationale reste un dénominateur commun à tous les groupes liquidateurs. Ils feront tout ce qui est en leur pouvoir pour maintenir la fiction du « Secrétariat Unifié de la IV° Internationale » .
Il y a d'autres raisons à cela. La crise conjuguée de l'impérialisme et de la bureaucratie du Kremlin dégagera au sein du mouvement ouvrier des courants, des tendances à caractère centriste, qu'il s'agira de gagner à la IV° Internationale et à son programme ; il est trop tôt pour dire par quels processus. Ce que représente politiquement le pablisme réapparaîtra ou se poursuivra alors sous de multiples identités ; son action tendra à cristalliser sur des positions centristes ces courants en évolution. D'ores et déjà, le pablisme est, à l'échelle internationale, la roue de secours des appareils petits-bourgeois et bureaucratiques. Plus s'approfondira la crise des appareils, et plus il bénéficiera d'appuis et de soutiens multiples. Nous sommes loin d'en avoir fini avec lui.
Tous les textes polémiques, pour indispensables qu'ils soient, ne liquideront pas le pablisme. La crise pabliste, après tout prolongement de la crise de la société bourgeoise, comme la crise directe des appareils bureaucratiques, créent des conditions plus favorable à la lutte pour la reconstruction de la IV° Internationale. Elle nous fait une obligation supplémentaire d'accomplir nos tâches actuelles en vue de cette reconstruction. Mais les liquidateurs ne se liquideront pas eux-mêmes (pas plus que n'importe quelle crise de la société bourgeoise ou des appareils bureaucratiques, ne suffit par elle-même pour assurer la victoire de la révolution prolétarienne). Leur liquidation dépend de l'activité consciente du Comité International dans l'accomplissement des tâches politiquement indissolubles de reconstruction de l'Internationale et de ses partis.