1945

Georges Orwell

La ferme des animaux

1945

Chapitre V

L’hiver durait, et, de plus en plus, Lubie faisait des siennes. Chaque matin elle était en retard au travail, donnant pour excuse qu’elle ne s’était pas réveillée et se plaignant de douleurs singuliè­res, en dépit d’un appétit robuste. Au moindre prétexte, elle quit­tait sa tâche et filait à l’abreuvoir, pour s’y mirer comme une sotte. Mais d’autres rumeurs plus alarmantes circulaient sur son compte. Un jour, comme elle s’avançait dans la cour, légère et trottant menu, minaudant de la queue et mâchonnant du foin, Douce la prit à part.

« Lubie, dit-elle, j’ai à te parler tout à fait sérieusement. Ce matin, je t’ai vue regarder par-dessus la haie qui sépare de Fox- wood, la Ferme des Animaux. L’un des hommes de Mr. Pilkington se tenait de l’autre côté. Et... j’étais loin de là... j’en conviens... mais j’en suis à peu près certaine, j’ai vu qu’il te causait et te ca­ressait le museau. Qu’est-ce que ça veut dire, ces façons, Lubie ? »

Lubie se prit à piaffer et à caracoler, et elle dit :

Pas du tout ! Je lui causais pas ! Il m’a pas caressée ! C’est des mensonges !

Lubie ! Regarde-moi bien en face. Donne-moi ta parole d’honneur qu’il ne te caressait pas le museau.

Des mensonges ! », répéta Lubie, mais elle ne put soutenir le regard de Douce, et l’instant d’après fit volte-face et fila au ga­lop dans les champs.

Soudain Douce eut une idée. Sans s’en ouvrir aux autres, elle se rendit au box de Lubie et à coups de sabots retourna la paille sous la litière, elle avait dissimulé une petite provision de mor

-ceaux de sucre, ainsi qu’abondance de rubans de différentes cou­leurs.

Trois jours plus tard, Lubie avait disparu. Et trois semaines durant on ne sut rien de ses pérégrinations. Puis les pigeons rap­portèrent l’avoir vue de l’autre côté de Willingdon, dans les bran­cards d’une charrette anglaise peinte en rouge et noir, à l’arrêt devant une taverne. Un gros homme au teint rubicond, portant guêtres et culotte de cheval, et ayant tout l’air d’un cabaretier, lui caressait le museau et lui donnait des sucres. Sa robe était tondue de frais et elle portait une mèche enrubannée d’écarlate. Elle avait l’air bien contente, à ce que dirent les pigeons. Par la suite, et à jamais, les animaux ignorèrent tout de ses faits et gestes.

En janvier, ce fut vraiment la mauvaise saison. Le froid vous glaçait les sangs, le sol était dur comme du fer, le travail aux champs hors de question. De nombreuses réunions se tenaient dans la grange, et les cochons étaient occupés à établir le plan de la saison prochaine. On en était venu à admettre que les cochons, étant manifestement les plus intelligents des animaux, décide­raient à l’avenir de toutes questions touchant la politique de la ferme, sous réserve de ratification à la majorité des voix. Cette méthode aurait assez bien fait l’affaire sans les discussions entre Boule de Neige et Napoléon, mais tout sujet prêtant à contesta­tion les opposait. L’un proposait-il un ensemencement d’orge sur une plus grande superficie : l’autre, immanquablement, plaidait pour l’avoine. Ou si l’un estimait tel champ juste ce qui convient aux choux : l’autre rétorquait betteraves. Chacun d’eux avait ses partisans, d’où la violence des débats. Lors des assemblées, Boule de Neige l’emportait souvent grâce à des discours brillants, mais entre-temps Napoléon était le plus apte à rallier le soutien des uns et des autres. C’est auprès des moutons qu’il réussissait le mieux. Récemment, ceux-ci s’étaient pris à bêler avec grand inté­rêt le slogan révolutionnaire : Quatrepattes, oui ! Deuxpattes, non ! à tout propos et hors de propos, et souvent ils interrom­paient les débats de cette façon. On remarqua leur penchant à entonner leur refrain aux moments cruciaux des discours de Boule de Neige. Celui-ci avait étudié de près de vieux numéros d’un hebdomadaire consacré au fermage et à l’élevage, qu’il avait dénichés dans le corps du bâtiment principal, et il débordait de projets : innovations et perfectionnements. C’est en érudit qu’il parlait ensilage, drainage des champs, ou même scories mécani­ques. Il avait élaboré un schéma compliqué : désormais les ani­maux déposeraient leurs fientes à même les champs, en un point différent chaque jour, afin d’épargner le transport. Napoléon ne soumit aucun projet, s’en tenant à dire que les plans de Boule de Neige tomberaient en quenouille. Il paraissait attendre son heure. Cependant, aucune de leurs controverses n’atteignit en âpreté celle du moulin à vent.

Dominant la ferme, un monticule se dressait dans un grand pâturage proche des dépendances. Après avoir reconnu les lieux, Boule de Neige affirma y voir l’emplacement idéal d’un moulin à vent. Celui-ci, grâce à une génératrice, alimenterait la ferme en électricité. Ainsi éclairerait-on écurie, étable et porcherie, et les chaufferait-on en hiver. Le moulin actionnerait encore un hache- paille, une machine à couper la betterave, une scie circulaire, et il permettrait la traite mécanique. Les animaux n’avaient jamais entendu parler de rien de pareil (car cette ferme vieillotte n’était pourvue que de l’outillage le plus primitif). Aussi écoutaient-ils avec stupeur Boule de Neige évoquant toutes ces machines miri­fiques qui feraient l’ouvrage à leur place tandis qu’ils paîtraient à loisir ou se cultiveraient l’esprit par la lecture et la conversation.

En quelques semaines, Boule de Neige mit définitivement au point ses plans. La plupart des détails techniques étaient emprun­tés à trois livres ayant appartenu à Mr. Jones : un manuel du bri­coleur, un autre du maçon, un cours d’électricité pour débutants.

Il avait établi son cabinet de travail dans une couveuse artificielle aménagée en appentis. Le parquet lisse de l’endroit étant propice à qui veut dresser des plans, il s’enfermait là des heures durant : une pierre posée sur les livres pour les tenir ouverts, un morceau de craie fixé à la patte, allant et venant, traçant des lignes, et de temps à autre poussant de petits grognements enthousiastes. Les plans se compliquèrent au point de bientôt n’être qu’un amas de manivelles et pignons, couvrant plus de la moitié du parquet. Les autres animaux, absolument dépassés, étaient transportés d’admiration. Une fois par jour au moins, tous venaient voir ce qu’il était en train de dessiner, et même les poules et canards, qui prenaient grand soin de contourner les lignes tracées à la craie. Seul Napoléon se tenait à l’écart. Dès qu’il en avait été question, il s’était déclaré hostile au moulin à vent. Un jour, néanmoins, il se présenta à l’improviste, pour examiner les plans. De sa démarche lourde, il arpenta la pièce, braquant un regard attentif sur chaque détail, et il renifla de dédain une fois ou deux. Un instant, il s’arrêta à lorgner le travail du coin de l’œil, et soudain il leva la patte et incontinent compissa le tout. Ensuite, il sortit sans dire mot.

Toute la ferme était profondément divisée sur la question du moulin à vent. Boule de Neige ne niait pas que la construction en serait malaisée. Il faudrait extraire la pierre de la carrière pour en bâtir les murs, puis fabriquer les ailes, ensuite il faudrait encore se procurer les dynamos et les câbles. (Comment ? Il se taisait là- dessus.) Pourtant, il ne cessait d’affirmer que le tout serait achevé en un an. Dans la suite, il déclara que l’économie en main d’œuvre permettrait aux animaux de ne plus travailler que trois jours par semaine. Napoléon, quant à lui, arguait que l’heure était à l’accroissement de la production alimentaire. « Perdez votre temps, disait-il, à construire un moulin à vent, et tout le monde crèvera de faim. » Les animaux se constituèrent en factions riva­les, avec chacune son mot d’ordre, pour l’une : « Votez pour Boule de Neige et la semaine de trois jours ! », pour l’autre « Votez pour Napoléon et la mangeoire pleine ! » Seul Benjamin ne s’enrôla sous aucune bannière. Il se refusait à croire à l’abondance de nourriture comme à l’extension des loisirs. Moulin à vent ou pas, disait-il, la vie continuera pareil, mal, par conséquent.

Outre les controverses sur le moulin à vent, se posait le pro­blème de la défense de la ferme. On se rendait pleinement compte que les humains, bien qu’ils eussent été défaits à la bataille de l’Étable, pourraient bien revenir à l’assaut, avec plus de détermi­nation cette fois, pour rétablir Mr. Jones à la tête du domaine. Ils y auraient été incités d’autant plus que la nouvelle de leur débâcle avait gagné les campagnes, rendant plus récalcitrants que jamais les animaux des fermes.

Comme à l’accoutumée, Boule de Neige et Napoléon s’opposaient. Suivant Napoléon, les animaux de la ferme devaient se procurer des armes et s’entraîner à s’en servir. Suivant Boule de Neige, ils devaient dépêcher vers les terres voisines un nombre de pigeons toujours accru afin de fomenter la révolte chez les animaux des autres exploitations. Le premier soutenait que, faute d’être à même de se défendre, les animaux de la ferme couraient au désastre ; le second, que des soulèvements en chaîne auraient pour effet de détourner l’ennemi de toute tentative de reconquête. Les animaux écoutaient Napoléon, puis Boule de Neige, mais ils ne savaient pas à qui donner raison. De fait, ils étaient toujours de l’avis de qui parlait le dernier.

Le jour vint où les plans de Boule de Neige furent achevés. À l’assemblée tenue le dimanche suivant, la question fut mise aux voix : fallait-il ou non commencer la construction du moulin à vent ? Une fois les animaux réunis dans la grange, Boule de Neige se leva et, quoique interrompu de temps à autre par les bêlements des moutons, exposa les raisons qui plaidaient en faveur du mou­lin à vent. Puis Napoléon se leva à son tour. Le moulin à vent, dé­clara-t-il avec beaucoup de calme, est une insanité. Il déconseil­lait à tout le monde de voter le projet. Et, ayant tranché, il se ras­sit n’ayant pas parlé trente secondes, et semblant ne guère se sou­cier de l’effet produit. Sur quoi Boule de Neige bondit. Ayant fait taire les moutons qui s’étaient repris à bêler, il se lança dans un plaidoyer d’une grande passion en faveur du moulin à vent. Jus­que-là, l’opinion flottait, partagée en deux. Mais bientôt les ani­maux furent transportés par l’éloquence de Boule de Neige qui, en termes flamboyants, brossa un tableau du futur à la Ferme des Animaux. Plus de travail sordide, plus d’échines ployées sous le fardeau ! Et l’imagination aidant, Boule de Neige, loin désormais des hache-paille et des coupe-betteraves, loua hautement l’électricité. Celle-ci, proclamait-il, actionnera batteuse et char­rues, herses et moissonneuses-lieuses. En outre, elle permettra d’installer dans les étables la lumière, le chauffage, l’eau courante

 chaude et froide. Quand il se rassit, nul doute ne subsistait sur l’issue du vote. À ce moment, toutefois, Napoléon se leva, jeta sur Boule de Neige un regard oblique et singulier, et poussa un gé­missement dans l’aigu que personne ne lui avait encore entendu pousser.

Sur quoi, ce sont dehors des aboiements affreux, et bientôt se ruent à l’intérieur de la grange neuf molosses portant des col­liers incrustés de cuivre. Ils se jettent sur Boule de Neige, qui, de justesse échappe à leurs crocs. L’instant d’après, il avait passé la porte, les chiens à ses trousses. Alors, trop abasourdis et épou­vantés pour élever la voix, les animaux se pressèrent en cohue vers la sortie, pour voir la poursuite. Boule de Neige détalait par le grand pâturage qui mène à la route. Il courait comme seul un cochon peut courir, les chiens sur ses talons. Mais tout à coup voici qu’il glisse, et l’on croit que les chiens sont sur lui. Alors il se redresse, et file d’un train encore plus vif. Les chiens regagnent du terrain, et l’un d’eux, tous crocs dehors, est sur le point de lui mordre la queue quand, de justesse, il l’esquive. Puis, dans un élan suprême, Boule de Neige se faufile par un trou dans la haie, et on ne le revit plus.

En silence, terrifiés, les animaux regagnaient la grange. Bientôt les chiens revenaient, et toujours au pas accéléré. Tout d’abord, personne ne soupçonna d’où ces créatures pouvaient bien venir, mais on fut vite fixé : car c’étaient là les neuf chiots que Napoléon avait ravis à leurs mères et élevés en secret. Pas encore tout à fait adultes, déjà c’étaient des bêtes énormes, avec l’air féroce des loups. Ces molosses se tenaient aux côtés de Napo­léon, et l’on remarqua qu’ils frétillaient de la queue à son inten­tion, comme ils avaient l’habitude de faire avec Jones.

Napoléon, suivi de ses molosses, escaladait maintenant l’aire surélevée du plancher d’où Sage l’Ancien, naguère, avait pronon­cé son discours. Il annonça que dorénavant il ne se tiendrait plus d’assemblées du dimanche matin.. Elles ne servaient à rien, dé­clara-t-il pure, perte de temps. À l’avenir, toutes questions relati­ves à la gestion de la ferme seraient tranchées par un comité de cochons, sous sa propre présidence. Le comité se réunirait en séances privées, après quoi les décisions seraient communiquées aux autres animaux. On continuerait de se rassembler le diman­che matin pour le salut au drapeau, chanter Bêtes d’Angleterre et recevoir les consignes de la semaine. Mais les débats publics étaient abolis.

Encore sous le choc de l’expulsion de Boule de Neige, enten­dant ces décisions les animaux furent consternés. Plusieurs d’entre eux auraient protesté si des raisons probantes leur étaient venues à l’esprit. Même Malabar était désemparé, à sa façon confuse. Les oreilles rabattues-et sa mèche lui fouettant le visage, il essayait bien de rassembler ses pensées, mais rien ne lui venait. Toutefois, il se produisit des remous dans le clan même des co­chons, chez ceux d’esprit délié. Au premier rang, quatre jeunes gorets piaillèrent leurs protestations, et, dressés sur leurs pattes de derrière, incontinent ils se donnèrent la parole. Soudain, me­naçants et sinistres, les chiens assis autour de Napoléon se pri­rent à grogner, et les porcelets se turent et se rassirent. Puis ce fut le bêlement formidable du chœur des moutons : Quatrepattes, oui ! Deuxpattes, non ! qui se prolongea presque un quart d’heure, ruinant toute chance de discussion.

Par la suite, Brille-Babil fut chargé d’expliquer aux animaux, les dispositions nouvelles.

« Camarades, disait-il, je suis sûr que chaque animal appré­cie à sa juste valeur le sacrifice consenti par le camarade Napo­léon à qui va incomber une tâche supplémentaire. N’allez pas imaginer, camarades, que gouverner est une partie de plaisir ! Au contraire, c’est une lourde, une écrasante responsabilité. De l’égalité de tous les animaux, nul n’est plus fermement convaincu que le camarade Napoléon. Il ne serait que trop heureux de s’en remettre à vous de toutes décisions. Mais il pourrait vous arriver de prendre des décisions erronées, et où cela mènerait-il alors ? Supposons qu’après avoir écouté les billevesées du moulin à vent, vous ayez pris le parti de suivre Boule de Neige qui, nous le sa­vons aujourd’hui, n’était pas plus qu’un criminel ?

Il s’est conduit en brave à la bataille de l’Étable, dit quel­qu’un.

La bravoure ne suffit pas, reprit Brille-Babil. La loyauté et l’obéissance passent avant. Et, pour la bataille de l’Étable, le temps viendra, je le crois, où l’on s’apercevra que le rôle de Boule de Neige a été très exagéré. De la discipline, camarades, une dis­cipline de fer ! Tel est aujourd’hui le mot d’ordre. Un seul faux pas, et nos ennemis nous prennent à la gorge. À coup sûr, cama­rades, vous ne désirez pas le retour de Jones ? »

Une fois de plus, l’argument était sans réplique. Les ani­maux, certes, ne voulaient pas du retour de Jones. Si les débats du dimanche matin étaient susceptibles de le ramener, alors, qu’on y mette un terme. Malabar, qui maintenant pouvait méditer à loisir, exprima le sentiment général : « Si c’est le camarade Na­poléon qui l’a dit, ce doit être vrai. » Et, de ce moment, en plus de sa devise propre : « Je vais travailler plus dur », il prit pour maxime « Napoléon ne se trompe jamais. »

Le temps se radoucissait, on avait commencé les labours de printemps. L’appentis où Boule de Neige avait dressé ses plans du moulin avait été condamné. Quant aux plans mêmes, on se disait que le parquet n’en gardait pas trace. Et chaque dimanche matin, à dix heures, les animaux se réunissaient dans la grange pour re­cevoir les instructions hebdomadaires On avait déterré du verger le crâne de Sage l’Ancien, désormais dépouillé de toute chair, afin de l’exposer sur une souche au pied du mât, à côté du fusil. Après le salut au drapeau, et avant d’entrer dans la grange, les animaux étaient requis de défiler devant le crâne, en signe de vénération. Une fois dans la grange, désormais ils ne s’asseyaient plus, comme dans le passé, tous ensemble. Napoléon prenait place sur le devant de l’estrade, en compagnie de Brille et de Minimus (un autre cochon, fort noué, lui, pour composer chansons et poèmes). Les neuf molosses se tenaient autour d’eux en demi-cercle, et le reste des cochons s’asseyaient derrière eux, les autres animaux leur faisant face. Napoléon donnait lecture des consignes de la semaine sur un ton bourru et militaire. On entonnait Bêtes d’Angleterre, une seule fois, et c’était la dispersion.

Le troisième dimanche après l’expulsion de Boule de Neige, les animaux furent bien étonnés d’entendre, de la bouche de Na­poléon qu’on allait construire le moulin, après tout. Napoléon ne donna aucune raison à l’appui de ce retournement, se contentant d’avertir les animaux qu’ils auraient à travailler très dur. Et peut-être serait-il même nécessaire de réduire les rations. En tout état de cause, le plan avait été minutieusement préparé dans les moindres détails. Un comité de cochons constitué à cet effet, lui avait consacré les trois dernières semaines. Jointe à différentes autres améliorations, la construction du moulin devrait prendre deux ans.

Ce soir-là, Brille-Babil prit à part les autres animaux, leur expliquant que Napoléon n’avait jamais été vraiment hostile au moulin. Tout au contraire, il l’avait préconisé le tout premier. Et, pour les plans dessinés par Boule de Neige sur le plancher de l’ancienne couveuse, ils avaient été dérobés dans les papiers de Napoléon. Bel et bien, le moulin à vent était en propre, l’œuvre de Napoléon Pourquoi donc, s’enquit alors quelqu’un, Napoléon s’est-il élevé aussi violemment contre la construction de ce mou­lin ? A ce point, Brille-Babil prit son air le plus matois, disant combien c’était astucieux de Napoléon d’avoir paru hostile au moulin - un simple artifice pour se défaire de Boule de Neige, un individu pernicieux, d’influence funeste. Celui-ci évincé, le projet pourrait se matérialiser sans entrave puisqu’il ne s’en mêlerait plus. Cela, dit Brille-Babil, c’est ce qu’on appelle la tactique. À plusieurs reprises, sautillant et battant l’air de sa queue et se pâ­mant de rire, il déclara : « De la tactique, camarades, de la tacti­que ! » Ce mot laissait les animaux perplexes ; mais ils acceptè­rent les explications, sans plus insister, tant Brille-Babil s’exprimait de façon persuasive, et tant grognaient d’un air mena­çant les trois molosses qui se trouvaient être de sa compagnie.

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