Jacques Droz
L’Internationale Ouvrière de 1864 à 1920
XI. Les conséquences du révisionnisme
pour l’histoire internationale du socialisme
1965
LES CONSEQUENCES DU REVISIONNISME POUR L’HISTOIRE INTERNATIONALE DU SOCIALISME
L’affaire Millerand pose le problème du ministérialisme, c’est-à-dire de la participation des socialistes à des cabinets bourgeois, tandis que les débats du congrès socialiste de Hanovre posent celui du révisionnisme, - deux problèmes qui sont dorénavant profondément imbriqués l’un dans l’autre. Il n’est pas étonnant, par conséquent, au lendemain de cette double crise, que le congrès de l’Internationale, qui se tint à Paris en septembre 1900, ait mis à l’ordre du jour la question suivante : la conquête du pouvoir politique et les alliances avec les partis bourgeois.
Car ce ne sont pas seulement les Français et les Allemands qui apparaissent comme divisés sur ces problèmes. C’est le cas également, à la même époque, du parti socialiste italien. Celui-ci a été fondé en 1895 par une personnalité qui avait depuis longtemps milité dans les organisations ouvrières de l’Italie du Nord, Filippo Turati. Turati dirigeait un journal, La Critique Sociale, avec sa femme, Anna Kuliscioff, une émigrée russe qui s’était réfugiée en Italie. Or Turati dirigeait et orientait le nouveau parti socialiste italien dans un sens réformiste. Il était favorable à une alliance avec les partis républicains bourgeois. Et c’est grâce à cette prise de position que le cabinet Crispi avait été renversé en 1900. Il y avait à ce moment-là 23 députés socia-listes au Parlement italien. Mais cette tendance très proche du révisionnisme était critiquée au sein du parti par Enrico Ferri, professeur de droit, élève de Lombroso, le grand criminaliste italien. Ferri écrivait dans un journal qui avait une grande divulgation à cette époque, l’Avanti.
Ce fut Enrico Ferri qui, avec le français Guesde, prit, au congrès de Paris en 1900, la défense du marxisme orthodoxe. La résolution Ferri-Guesde prit une position très nette d’hostilité contre toute espèce de participation des socialistes à des gouvernements bourgeois. Cette position radicale des Italiens et des Français a été combattue par deux socialistes qui avaient très grande autorité : Vanderveelde pour la Belgique et Kautsky pour l’Allemagne. Vanderveelde et Kautsky adoptèrent à l’égard de la participation une position plus modérée que celle de Guesde et de Ferri, car ils étaient soucieux de ne pas provoquer, en condamnant Millerand et Jaurès (ce dernier avait défendu au congrès de Paris avec beaucoup d’éloquence la cause de la participation), une rupture définitive au sein du parti socialiste français. Ils proposèrent une résolution de caractère infiniment plus modéré, plus élastique (on lui a donné le nom de " motion caoutchouc "), et se contentèrent de déclarer que " dans un Etat démocratique moderne, la conquête du pouvoir politique par le prolétariat ne pouvait être le résultat d’un coup de main, mais bien d’un long et pénible travail d’organisation prolétarienne sur le terrain économique et politique ". Ceci souligne que l’entrée d’un socialiste dans un gouvernement bourgeois ne pouvait être envisagée que sous un angle tactique et, à ce titre, pouvait apparaître comme une nécessité provisoire et exceptionnelle : " L’entrée d’un socialiste isolé dans un gouvernement bourgeois ne peut être considérée comme le commencement normal de la conquête politique, mais seulement comme un expédient forcé, transitoire et exceptionnel ". On voit que la position Vanderveeld-Kautsky, tout en condamnant d’une façon théorique le révisionnisme et le participationnisme, était infiniment plus subtile. Ce fut cette résolution Kautsky qui fut votée finalement par 29 voix contre 9 (1). Il est évident que cette subtile résolution de Kautsky ne résolvait pas le problème de la tendance révisionniste. Au contraire, le congrès de Paris, par son imprécision n’a fait qu’accentuer la lutte entre les tendances diverses, lutte qui sera enfin règlée au cours du congrès d’Amsterdam en 1904.
Les guesdistes ont demandé dès 1903 l’inscription de la question du révisionnisme, lors du congrès socialiste qui s’est tenu à Lille. Mais surtout la question du révisionnisme a été l’objet d’un débat extrêmement important de la sociale-démocratie allemande : en effet, aux élections de 1903 au Reichstag, les socialistes avaient eu trois millions de voix, soit un quart du corps électoral, et 55 députés élus. Au congrès de Dresde, l’aide droite réformiste du parti, soutenue par les syndicats, déclara que le parti devait abandonner dorénavant une attitude d’opposition à l’égard de l’Etat, et, pour marquer son intérêt pour la vie parlementaire, réclamer un poste de vice-président au Reichstag, ce à quoi lui donnait droit le nombre de députés qu’il possédait dans cette assemblée. Bien entendu, cette dernière suggestion provoqua dans le parti de très violents remous. Bebel estima nécessaire de réfuter catégoriquement les positions révisionnistes. Certes, déclara-t-il, le parti combattait pour obtenir des réformes, mais il ne devait pas oublier que sa vocation était essentiellement révolutionnaire. L’attitude de Bebel fut appuyée par la majorité, puisque, par 288 voix contre 11, le congrès de Dresde repoussa de la façon la plus énergique les tentatives révisionnistes " tendant à changer notre tactique éprouvée et glorieuse, basée sur la lutte des classes, et à remplacer la conquête du pouvoir politique de haute lutte contre la bourgeoisie, par une politique de concessions à l’ordre établi. La conséquence d’une telle tactique révisionniste serait de faire d’un parti, qui poursuit la transformation la plus rapide possible de la société bourgeoise en société socialiste, un parti qui se contenterait de réformer la société bourgeoise ". L’opposition de classe, déclarait également le congrès de Dresde dans sa résolution finale, devait non pas dans l’avenir s’atténuer, mais au contraire s’accentuer. Et la sociale-démocratie refusait de soutenir toute action tendant à garder au pouvoir la classe dirigeante actuelle, pour la raison qu’elle ne pourrait exercer le pouvoir suprême dans une société telle qu’elle était actuellement constituée.
Or, c’est de cette résolution de Dresde que les guesdistes, qui disposent de la majorité des mandats français au congrès d’Amsterdam, vont essayer de faire leur cheval de bataille pour condamner d’une façon formelle les tendances ministérialistes et révisionnistes. Au congrès d’Amsterdam ils vont présenter la résolution de Dresde comme devant être valable pour l’ensemble des partis socialistes européens. Très vite, cette résolution, si elle n’est pas discutée dans son principe, est attaquée par ses adversaires en tant que manifestation d’une prise de position universelle valable pour tous les pays. A cet égard, l’attaque menée en particulier par le belge Vanderveelde et de l’autrichien Adler, que l’on nommait déjà les " frères siamois " de l’Internationale à cause de leur étroite amitié et de la similitude de leurs points de vue. Pour ce qui est de la délégation française, le problème en 1903 à Amsterdam ne se posait déjà plus comme en 1899 ou en 1900. Car le cabinet Waldeck-Rousseau dans lequel Millerand était ministre, avait disparu en 1902, et dans le cabinet Combe qui lui avait succédé, il n’y avait pas de socialistes. Mais se posait la question du soutien au cabinet Combe. Or, Jaurès, qui venait de fonder L’Humanité, était tout à fait favorable à un appui effectif par les socialistes du parti radical qui constituait le principal soutien du cabinet Combe. Cette position de Jaurès fut immédiatement l’objet d’une discussion à laquelle participèrent, entre autres, l’espagnol Pablo Iglesias, Kautsky et surtout Bebel qui depuis la mort de Liebknecht survenue en 1900, était de loin la personnalité la plus considérable de la sociale-démocratie allemande. Le moment le plus mémorable du congrès d’Amsterdam a donc été le duel qui a opposé Jaurès et Bebel. La thèse défendue par Jaurès était que l’on pouvait beaucoup obtenir par une politique strictement réformiste. " Le prolétariat, déclara-t-il, devait être organisé dans l’indépendance afin de pouvoir profiter de toutes les formes d’action, alors qu’un attachement exclusif à la lutte des classes ne pouvait conduire qu’à la stérilité politique ". Mais soudainement survinrent, dans le discours de Jaurès, des accusations violentes contre la sociale-démocratie allemande. " En ce moment, déclara Jaurès, ce qui pèse sur l’Europe et sur le monde, c’est l’impuissance politique de la sociale-démocratie allemande ". Ces paroles provoquèrent d’abord un mouvement d’étonnement, puis de protestation dans l’ensemble de l’assemblée. Jaurès s’expliqua. Il reprocha aux Allemands de s’être, à Dresde, réfugiés dans l’intransigeance des formules théoriques : " Leur révolutionnarisme est un révolutionnarisme de mots et non d’action. L’adoption de la résolution de Dresde signifierait que le socialisme international, dans tous ses pays, dans tous ses éléments, dans toutes ses phases, s’associerait à l’impuissance momentanée, mais formidable, à l’inaction provisoire, mais forcée, de la démocratie allemande ". Car, malgré le nombre impressionnant de ses députés au Reichstag, malgré l’importance des voix qui se portent sur elle en Allemagne, la sociale-démocratie allemande ne constitue pas une force parlementaire réelle. Même si elle atteignait la majorité au Parlement, ce Parlement serait impuissant, car la Constitution de l’empire allemand ne lui donne pas le pouvoir législatif. " Votre Parlement (déclara Jaurès en se tournant vers Bebel) n’est qu’un demi-Parlement quand il n’a pas en main le moyen de faire respecter sa force exécutive, quand ses décisions ne sont que des voeux arbitrairement cassés par les autorités d’empire ". Et il montrait que, par opposition à ce qui se passe en Allemagne où le Parlement n’a pas de pouvoir réel, le Parlement français, en vertu même de la Constitution républicaine, avait un moyen d’action sur l’Etat, que c’était lui qui avait fait reculer, au moment du boulangisme et de l’affaire Dreyfus, les tentatives de pouvoir personnel, c’était lui qui faisait reculer aujourd’hui le cléricalisme et le nationalisme. Jaurès soulignait enfin que la sociale-démocratie allemande n’avait pas de tradition révolutionnaire, ce n’était pas elle qui avait conquis le suffrage universel sur les barricades ; les institutions parlementaires dont bénéficiait l’Allemagne lui avaient toujours été octroyées d’en haut.
Après ce réquisitoire violent, on entendit la réponse de Bebel. Celui-ci porta l’argumentation sur les deux points suivants. Il déclara tout d’abord que si l’Allemagne était en effet un Etat réactionnaire et féodal, " l’un des pays les plus mal gouverné d’Europe ", la république française était, elle aussi, une république bourgeoise " qui ne valait pas la peine de nous faire casser la tête ", elle était d’ailleurs plus en retard même que l’Allemagne sur le plan de la législation sociale, et son système fiscal était infiniment plus réactionnaire que le système allemand. Au fond, la république française comme l’empire allemand étaient des Etats de classes. Et Bebel reprocha en particulier au gouvernement Waldeck-Rousseau d’avoir fait marcher récemment la force militaire contre les grévistes. Il lui reprocha, sur le plan de la politique extérieure, son alliance avec le régime tsariste. Le deuxième point sur lequel Bebel fit porter son argumentation, était que la sociale-démocratie allemande était la seule en Europe à pouvoir espérer un jour ou l’autre conquérir le pouvoir par la majorité électorale ; l’impuissance que l’on reprochait à sa direction, était en fait un acte de prudence : la sociale-démocratie allemande n’allait pas par des actions inconsidérées et violentes compromettre un résultat qu’elle pouvait atteindre par la progression constante du nombre des électeurs socialistes, par l’imprégnation de la pensée et de la politique allemandes par le socialisme.
Le conflit entre les deux orateurs, qui resta d’ailleurs dans les limites de la grande courtoisie, se termina par la victoire des Allemands. La résolution Adler-Vanderveelde qui, tout en maintenant dans la théorie les principes fixés par la résolution de Dresde, marquait une certaine répulsion à condamner le révisionnisme, fut écartée par 21 voix contre 5 et 12 abstentions. Parmi les adversaires de la résolution de Dresde, il y avait une voix anglaise et une voix française. Le vote par le congrès d’Amsterdam de cette résolution constituait une condamnation définitive du révisionnisme, et Guesde estimait que désormais Jaurès et ses amis du Parti socialiste de France seraient obligés de quitter l’Internationale.
Cependant (et ici l’on entre dans les subtilités de la politique des congrès de l’Internationale et de l’histoire du socialisme de cette période), ce serait une erreur de s’imaginer que par le vote d’Amsterdam la doctrine révisionniste était définitivement écartée. D’ailleurs ce n’était nullement l’intention de Bebel et de Kautsky d’exclure les révisionnistes du parti. Les révisionnistes, au contraire, ont continué à y vivre et même à y progresser. Bien plus, la pensée profonde de Bebel et de Kautsky était d’obtenir, avec l’appui d’un certain nombre de délégués, que fût rétablie le plus tôt possible l’unité dans les partis socialistes encore divisés. La motion déposée par eux en vue de la réunification des partis divisés, visait tout particulièrement les partis socialistes français. Lors même de la dernière séance du congrès d’Amsterdam, après les débats pathétiques qui viennent d’être retracés, Vanderveelde déclara : " Camarade Guesde, camarade Jaurès, je vous adjure, dans une pensée de paix sociale internationale, de vous tendre la main ". Et l’un des événements émouvants de ce congrès a été la réconciliation, tout au moins apparente, des deux hommes. La réunification des deux branches du socialisme français fut annoncée d’un côté par Renaudel, ami de Jaurès, et de l’autre par Vaillant.
De fait, en avril 1905, donc quelques mois après le congrès, les deux tendances fusionnèrent au sein du Parti socialiste qui, à la demande d’un de ses membres, Alexandre Bracke, prit dorénavant le nom de Section Française de l’Internationale Ouvrière (S.F.I.O.), nom qui lui est resté dans l’histoire. Cette réunion des deux tendances en une seule, selon le voeu exprimé par Bebel et Kautsky, permettait la coexistence dans ce parti de la tendance guesdiste d’une part, et de la tendance réformiste de l’autre. Si bien que l’on a pu dire que, battu dans le congrès par la force de la tradition, le révisionnisme l’emporte victorieusement dans la pratique. La croissance du réformisme s’explique d’ailleurs par la pratique même des partis socialistes européens qui sont devenus essentiellement des partis nationaux, " contaminés " par l’esprit de la démocratie représentative ou parlementaire. En luttant souvent aux côtés de la gauche bourgeoise pour obtenir des réformes immédiates, ils se sont peu à peu intégrés dans le système, reléguant à l’arrière plan le programme socialiste d’une conquête du pouvoir qui apparaît comme de plus en plus lointaine. On se trouve maintenant très loin de la génération romantique des dernières décades du 19ème siècle. Les partis socialistes deviennent de plus en plus des mécanismes compliqués qui nécessitent une bureaucratie nombreuse. De ce fait, la gestion du parti, indépendamment de ses fonctions révolutionnaires, devient en quelque sorte une fin en soi. Il faut ajouter à cela que beaucoup de socialistes sont devenus des maires, des conseillers municipaux, des administrateurs, qui font passer les préoccupations technocratiques avant les préoccupations politiques ; cela est vrai tout particulièrement en Allemagne où de très nombreuses villes, en ces premières années du 20ème siècle, sont déjà des administrations socialistes. Cela est vrai encore d’un très grand nombre d’Etats où, peu à peu, le révisionnisme, sans d’ailleurs adopter des positions combatives, par la seule évolution des faits, prend dans la vie du socialisme une part de plus en plus grande. C’est le cas des pays anglo-saxons et scandinaves, et même des sociales-démocraties de certains pays non européens comme l’Australie et la Nouvelle-Zélande.
Cette évolution vers le réformisme est l’objet de très violentes résistances au sein de la sociale-démocratie. Le centre essentiel de la résistance est en Allemagne dans un groupe de sociaux-démocrates rassemblés autour de Rosa Luxembourg, qui dénonce le péril révisionniste dans son livre Réforme Sociale ou Révolution. La thèse que le révisionnisme est un danger fatal pour la sociale-démocratie anime tout un groupe d’écrivains qui collaborent à la Leipziger Volkseitung (La Gazette Populaire de Leipzig). On trouve autour de Rosa Luxembourg le socialiste Parvus et l’historien de la sociale-démocratie allemande Mehring. C’est la thèse également de ceux que l’on appelle en Hollande le groupe des " tribunistes " parce qu’ils collaborent à un journal intitulé La Tribune, autour de Pannekoeck. Mais surtout cette hostilité au révisionnisme va apparaître dans l’oeuvre de Lénine. En 1898, s’est constitué en Russie un parti social-démocrate dont le principal théoricien est Plekhanov (dont on se rappelle qu’il représentait la Russie aux congrès de l’Internationale). Or, dans ce parti social-démocrate russe, est très vite apparue ce que l’on appelle la tendance des " économistes ". Les " économistes " sont des socialistes qui estiment que la classe ouvrière devrait être organisée sur une base purement économique et professionnelle, donc que les ouvriers ne doivent être appelés qu’à défendre leurs intérêts matériels ; à la révolution politique, d’après eux, elle s’accomplira nécessairement en vertu d’une évolution normale, et d’abord au profit de la bourgeoisie ; c’est par conséquent à la bourgeoisie qu’il faut laisser la direction du mouvement politique, ce sont des bourgeois qui doivent constituer les cadres de cette première révolution. Les thèses des économistes ont été développées dans des revues parues clandestinement en Russie, telles La Cause ouvrière ou La pensée Ouvrière, qui insistent sur la nécessité de laisser aux libéraux la direction de la vie politique. Parmi ces économistes, certains, autour de Struve, vont plus loin encore ; on les appelle les " marxistes légaux " : ils vont jusqu’à faire l’apologie du capitalisme qui peut être considéré comme un bien puisqu’il doit amener une transformation des institutions politiques.
Or c’est pour lutter contre cette tendance des " économistes " que Lénine a fondé en 1900, à l’étranger, le journal Iskra (L’Etincelle), et qu’il a fait paraître sa première grande publication politique, Que Faire ? Dans cette brochure il est démontré, contre les " économistes ", la nécessité de constituer un parti fort et discipliné, ayant à sa tête des hommes rompus à l’activité révolutionnaire, et devant entraîner les ouvriers, non pas seulement à la défense de leurs intérêts matériels, mais à la lutte politique, à la lutte contre le tsarisme. Lénine obtiendra la victoire de son point de vue sur les économistes lors du second congrès du Parti Social-Démocrate qui se tint à Londres en 1903. Certes, la position de Lénine, à ce congrès sur l’organisation du Parti, s’est heurtée à une forte résistance, les mencheviks s’opposant aux bolcheviks, ceux-ci insistant sur la nécessité d’un parti fortement structuré, ceux-là au contraire sur la nécessité de maintenir dans le Parti, sans qu’ils adhèrent forcément à des organisations locales, le plus grand nombre possible de participants. Il n’en reste pas moins que la tendance des " économistes ", qui était au fond une déformation du révisionnisme, a été condamnée lors du congrès de Londres de 1903. Ces tendances défendues par Lénine, on les retrouve dans un parti socialiste qui dépend très étroitement de lui, le parti socialiste bulgare, où s’est constitué ce que l’on appelle le " groupe des Etroits " avec deux personnages dont l’importance a été considérable dans l’histoire du socialisme balkanique, Blagoev et Dimitrov, pour ne signaler que les plus importants. Ces " Etroits " s’érigent en gardiens rigoureux de l’orthodoxie révolutionnaire et insistent sur la nécessité de constituer un parti dont le but est avant tout la révolution.
En conclusion, au cours de la période du congrès d’Amsterdam (1904-1905), on peut distinguer dans la sociale-démocratie internationale, au sujet du révisionnisme, trois tendances dominantes :
1) La tendance de la droite révisionniste qui se rallie à la pensée de Bernstein ; elle estime que le socialisme doit dorénavant sortir de son isolement pour mener le combat avec la gauche des partis bourgeois en vue d’obtenir des réformes immédiates.
2) La tendance centriste, représentée essentiellement par Kautsky, qui critique Bernstein au nom du marxisme ; elle ne voit dans le révisionnisme au fond que le reflet d’une crise de croissance au sein du socialisme, et dans tous les cas elle est hostile à l’exclusion de Bernstein et des révisionnistes du parti social-démocrate.
3) La tendance de gauche, celle qu’on appelle déjà luxembourgiste, qui oppose à Bernstein une pensée essentiellement révolutionnaire (" Tout est dans le but final, écrit Rosa Luxembourg, rien dans le mouvement "), et prétend par conséquent éliminer toute espèce de tendances réformistes.
Note
(1) Chaque nation, quelle que soit son importance, avait droit à deux voix.