1925

« Cette brochure est écrite sur un ton violent, car Kautsky ne mérite pas de ménagements. Néanmoins, elle met en lumière tous les arguments fondamentaux, et même la plupart des arguments secondaires de Kautsky. Elle est destinée en premier lieu aux prolétaires étrangers qui ne sont pas encore décidés à rompre avec des chefs comme Kautsky. Mais, comme elle touche et éclaire théoriquement les questions essentielles de notre vie courante, elle peut être utile également aux masses ouvrières de notre Union. Elle leur montrera toute la déchéance du théoricien de la IIe Internationale.. »

N.I. Boukharine

La bourgeoisie internationale et son apôtre Kautsky

Le Prolétariat, l’État, le Parti

Les bolcheviks - prétend Kautsky - ne firent dès le début aucun effort pour que le prolétariat se libérât lui-même. Le prolétariat, selon eux, est incapable de réaliser son émancipation. Il est tout au plus bon pour servir d’instrument à ses chefs envoyés du ciel, les bolchéviks, qui le conduiront au paradis.
Les bolchéviks ont renoncé à cette dernière perspective, mais non à leur sous-estimation du prolétariat, simple chair à canon pour le pouvoir soviétiste.

Examinons tout d’abord cette « thèse » de Kautsky, qui, dans sa pitoyable vieillesse, a le courage de dévoiler sa décrépitude devant le monde entier.

« Sous-estimation du prolétariat ». « Les bolchéviks ne firent dès le début aucun effort pour que le prolétariat se libérât lui-même. » Quelle « couche » il faut avoir pour prononcer de telles paroles !

L’auteur des arguments « scientifiques » doit pourtant savoir que ce sont précisément les bolchéviks qui ont défendu jusqu’au bout dans notre révolution l’hégémonie du prolétariat. Ce sont eux qui ont soulevé cette idée et qui l’ont affirmée dans des combats incessants et opiniâtres contre les socialistes « girondins », « économistes », menchéviks, narodniki de toutes sortes, y compris les S.-R.

Sur quoi pivotaient les discussions entre bolchéviks et opportunistes ? Kautsky ferait bien de s’en souvenir ; en effet il a écrit autrefois, sur « les forces motrices de la révolution russe », une brochure dans laquelle il se rapprochait beaucoup du point de vue bolchéviste contre les menchéviks. Kautsky se souvient-il de ce dont il s’agissait alors ?

Nous lui rafraîchirons volontiers la mémoire : il s’agissait d’une différence d’attitude envers la bourgeoisie libérale et, en même temps, d’une différence d’appréciation du rôle du prolétariat.

Quel était l’essentiel de cette différence ? Que les menchéviks considéraient le prolétariat comme une force « stimulant » son allié libéral, alors que les bolchéviks, considérant la bourgeoisie libérale comme une force contre-révolutionnaire, estimaient que le prolétariat ne devait pas la stimuler, mais la combattre, la démasquer, la frapper, en s’appuyant sur la paysannerie révolutionnaire et en la dirigeant.

Il est inutile de parler des narodniki, qui n’ont jamais compris et n’ont cessé de railler la « mission historique du prolétariat ».

Qui donc, ô savantissime Kautsky, a sous-estimé le prolétariat ? Ne sont-ce pas vos collègues actuels, qui considèrent encore le prolétariat comme la « chair à canon » de la bourgeoisie libérale ?

Mais ce n’est pas encore tout. Kautsky n’a pas seulement écrit une brochure sur les forces motrices de la révolution russe. Il a remplacé la thèse de Marx sur la dictature du prolétariat par la thèse du gouvernement de coalition avec la bourgeoisie.

Or cette déformation du marxisme, déformation qui a eu des conséquences pratiques considérables, Kautsky l’accomplit au grand jour, avec un cynisme véritablement stupéfiant. Voici ce qu’il écrit :

Dans son célèbre article intitulé : Critique du programme du parti social-démocrate, Marx dit :
Entre les sociétés capitaliste et communiste se trouve la période de transformation révolutionnaire de la première en la seconde. A cette période correspond une période politique transitoire dans laquelle l’État ne peut prendre d’autre forme que celle de la dictature révolutionnaire du prolétariat.
Aujourd’hui, nous basant sur l’expérience de ces dernières années sur la question gouvernementale, nous pouvons transformer ainsi cette phrase :

Entre l’État démocratique purement bourgeois et l'Etat démocratique purement prolétarien, il existe une période de transformation de l’un en l’autre. Il s'ensuit une période politique de transition, pendant laquelle le gouvernement ne peut être, en règle générale, qu’un gouvernement de coalition.

Voilà ce qu’écrit Kautsky, commentant le nouveau programme de la social-démocratie où l’on voit les anciens marxistes capituler devant le révisionnisme avéré et insolent qui domine dans les rangs de la social-démocratie.

Il n’est pas inutile de rappeler ici ce qu’a écrit Plékhanov à propos du programme de la social-démocratie russe :

Qu’y a-t-il de changé depuis que l’étendard du progrès social est passé des mains blanches de la bourgeoisie aux mains rugueuses du prolétariat ? Pourquoi la dictature, qui a été utile dans les mains d’une classe, est-elle devenue inutile dans les mains d’une autre ? Le seul changement consiste dans l’attitude de la bourgeoisie vis-à-vis du progrès social. Autrefois, la bourgeoisie, pénétrée de tendances révolutionnaires, luttait pour ce progrès ; aujourd’hui, elle s’y oppose et craint comme le feu tout ce qui y a trait. C’est pourquoi ses idéologues qui, jadis, prononçaient de si belles phrases sur la guerre de classe et l’utilisation révolutionnaire du pouvoir, parlent aujourd’hui en termes enthousiastes de la paix sociale et de l’inutilité d’une dictature de classe pour résoudre la question sociale...
Si les défenseurs de l’ordre social actuel et les critiques petit-bourgeois de Marx, sous leur influence, combattent l’idée de la dictature du prolétariat, c'est précisément parce que cette dictature constitue une condition politique indispensable de la révolution sociale.

Le « critique de Marx », Karl Kautsky, veut remplacer la dictature du prolétariat par le mariage du prolétariat et de la bourgeoisie.

Lorsque les bolchéviks réclamaient dès le début, l’hégémonie du prolétariat, ils « sous-estimaient » la classe ouvrière ; mais lorsque les menchéviks mettent au cou du prolétariat le collier de la bourgeoisie libérale, ils montrent par là qu’ils apprécient hautement les forces prolétariennes !

Lorsque les bolchéviks luttaient pour la dictature prolétarienne, ils « sous-estimaient » la classe ouvrière ; mais lorsque les menchéviks se prononçaient pour la coalition, ils manifestaient ainsi une foi profonde en la puissance du prolétariat !

Lorsque les bolchéviks, en réponse à la guerre impérialiste, appelaient les ouvriers à la guerre civile, ils sous-estimaient l’indépendance du prolétariat, ils ne considéraient les ouvriers que comme une « chair à canon » pour la guerre civile ; mais lorsque les social-démocrates ont demandé aux prolétaires de se diviser d’après leurs nationalités, de pourrir dans les tranchées pour la gloire des gouvernements bourgeois, de s’entre-tuer par patriotisme, ils ont mené la lutte pour l’émancipation du prolétariat !

On pourrait continuer sans fin la comparaison.

Le parti de Kautsky a transformé, transforme et transformera le prolétariat en « chair à canon » pour la bourgeoisie ; c’est pourquoi il se dresse contre ceux qui veulent soustraire les ouvriers à l’influence néfaste des social-démocrates. Les chefs social-démocrates poursuivent un but déterminé : la soumission complète du prolétariat à la bourgeoisie. C’est ce qu’a prouvé l’expérience de ces dernières années, depuis le début de la guerre mondiale jusqu’à la terreur de Tsankov contre les communistes.

Et Kautsky a le front de parler de la « sous- estimation du rôle du prolétariat » ! Quelle déchéance morale  !

C’est précisément le bolchévisme qui apprécie au plus haut degré le prolétariat, qui croit à sa puissance, à sa faculté créatrice, à son rôle dirigeant, à sa dictature. Et ce sont les menchéviks de tout genre qui ravalent le prolétariat, qui l’obligent à servir la bourgeoisie, qui l’imprègnent de l’influence bourgeoise.

Mais la bourgeoisie et sa police, ses espions et ses publicistes emploient depuis longtemps un procédé démagogique, qui souvent produit son effet. S’ils voient se créer un parti, si petit soit-il, qui menace leur domination, ils disent aux ouvriers :

« Les chefs de ce parti veulent faire de vous de la chair à canon. »

Ainsi procède Karl Kautsky, le gardien vigilant des bases du capitalisme, le barde de la Société des Nations, le Pindare de la démocratie anglaise, le grand adversaire des bolchéviks.

Kautsky écrit que les bolchéviks ne firent, « dès le début, aucun effort pour que le prolétariat se libérât lui-même ».

Que veut dire cette phrase, assez anodine, semble- t-il, au premier abord ?

Le prolétariat doit-il s’émanciper lui-même, tandis que son parti reste à l’écart et applaudit à ses succès ou pleure sur ses échecs ?

Une telle opinion serait absurde. L’erreur théorique consiste ici à opposer le parti à la classe. Le parti est représenté comme une force qui reste quelque part à l’écart, en dehors des rangs de sa classe. Cependant, le parti est l’avant-garde de la classe, la fraction qui transforme le prolétariat, de « classe en soi », en « classe pour soi ». C’est pourquoi, poser ainsi la question, en supposant l’émancipation de la classe ouvrière réalisée par elle-même et en excluant tout rôle actif du parti dans cette émancipation, est inepte, contradictoire, antimarxiste.

Mais si le parti n’est pas exclu du processus d’émancipation, s’il n’est pas opposé à la classe ouvrière, s’il est considéré comme une fraction du prolétariat, alors quel est son rôle ?

Si l’on ne veut pas abandonner le marxisme, la seule réponse que l’on puisse faire à cette question est la suivante : le rôle du parti est le rôle dirigeant, le rôle de chef.

Cela, semble-t-il, est clair comme le jour. Dans son Commentaire au projet de programme du parti social-démocrate russe, Plékhanov écrivait :

Pour être orthodoxe, nous avons souligné avec soin, dans notre projet, le rôle de la social-démocratie comme avant-garde et chef. C’est d’une logique simple, du point de vue du marxisme bien compris. Mais le confusionnisme « critique » a voilé également cette question d’un brouillard opaque et les social-démocrates russes qui appartiennent à la tendance des économistes se sont imaginés que le devoir de la social-démocratie n’est pas de développer le plus vite possible la conscience de classe du prolétariat, mais uniquement d’exprimer ce que le prolétariat a déjà réalisé sans être aidé en rien par le « ferment révolutionnaire ». Si la social-démocratie ne veut pas se suicider, elle ne doit jamais se limiter à ce rôle ridicule et honteux de « cinquième roue d’un char »1.

Le critique de Marx, Karl Kautsky, cherche maintenant, par un « brouillard opaque », ou plutôt par des gaz toxiques, à voiler, à embrouiller la question si claire des relations entre parti et classe. Comment opère-t-il ? Très simplement !

Si le parti dirige la classe, il se trouve, dans une certaine mesure, au-dessus du reste du prolétariat. D’autre part, tout le monde sait que les exploiteurs aussi se trouvent au-dessus du prolétariat. Il suffit alors de mettre le signe d’égalité entre ces deux « au-dessus » et le tour est joué ! Le résultat, le voici : Parti = Exploiteurs.

Il est vrai qu’on pourrait appliquer ce raisonnement à tout parti en général. Mais on se garde de le faire, car il s’agit de saper l’influence des bolchéviks et non de tous les partis existants.

La solution de la question, dans sa partie essentielle, ne présente aucune difficulté. L’erreur provient de ce que l’on prend dans le même sens le mot « au-dessus » employé dans deux acceptions différentes.

Devant la tombe de Marx, Engels disait que la mort de ce chef génial avait diminué d’une tête la taille de l’humanité. Sous le rapport de la supériorité intellectuelle, Marx était au-dessus du reste des hommes, le prolétariat y compris. C’est pourquoi il en était le chef. Mais personne ne prétendra que le mot « au-dessus » exprime ici le même rapport que celui qui existe entre capitaliste et ouvrier. Les capitalistes forment une autre classe que le prolétariat. Le parti du prolétariat est une fraction de la classe ouvrière, et son rôle « supérieur » (dirigeant) n’exprime point un rapport d’exploitation, mais un rapport de direction.

Il est compréhensible que les ennemis de la classe ouvrière veuillent atteindre la tête du prolétariat, son avant-garde dirigeante. Détruire l’avant-garde, c’est décapiter la classe. La classe sera incapable de lutter réellement tant qu’elle n’aura pas une nouvelle tête, c’est-à-dire une nouvelle avant-garde révolutionnaire, un parti capable de la diriger.

La question devient d’une limpidité cristalline si l’on considère, non plus les chefs du prolétariat, mais ceux de la bourgeoisie. Par exemple, personne n’aurait l’idée de soutenir que Lloyd George et Chamberlain oppriment la bourgeoisie. Personne n’écrirait qu’ils réalisent la dictature d’un parti et non d’une classe, la dictature de Chamberlain et non de la bourgeoisie.

Or, c’est précisément ce raisonnement absurde que Kautsky et consorts tiennent à l’égard de notre parti. Pourquoi le font-ils ? Parce que cela rend de grands services à la bourgeoisie.

La classe du prolétariat, dans son ensemble, n’est pas identique à son organisation étatique. L’organisation étatique (la dictature) n’est pas identique à l’organisation du parti. Mais le parti dirige l’appareil d’Etat, qui constitue l’organisation la plus large de la classe. Sans direction du parti, la dictature du prolétariat ne pourrait exister. Sans direction du parti, l’émancipation de la classe est impossible.

Naturellement, le parti du prolétariat au pouvoir est dans une situation telle qu’il risque constamment de se détacher de la classe, de se bureaucratiser, de dégénérer, de se pétrifier. Notre littérature a traité largement cette question. Nous avons toujours considéré comme une de nos tâches pratiques essentielles la nécessité de lutter contre le bureaucratisme. Théoriquement, la dégénérescence d’une fraction du parti, sa fusion avec la Nep bourgeoise et les « spécialistes », la formation d’une nouvelle classe capitaliste sont toujours possibles, et c’est là que nous poussent les menchéviks, les Kautsky et consorts qui exigent le retour au « capitalisme sain ». Mais notre parti n’y consentira jamais ; seul parti révolutionnaire prolétarien de notre pays, il ne cesse de consolider ses positions.

Dans aucun domaine de notre vie sociale Kautsky ne s’est donné la peine, ni n’a exprimé le désir de vérifier les renseignements qui lui étaient fournis, car c’est là chose parfaitement inutile pour un serviteur de la bourgeoisie. Par contre, il déverse sur nous des flots de calomnies.

Le régime bolchéviste est de plus en plus en contradiction avec les intérêts des masses populaires. Il est de plus en plus obligé de s’appuyer sur les baïonnettes et les bourreaux.Une infime minorité, qui plonge le pays dans une misère toujours croissante, ne peut gouverner autrement (p. 14).
...Aujourd’hui, ce régime n’est plus seulement l’ennemi de tous les partis non-bolchévistes, il est devenu l’ennemi le plus dangereux du prolétariat. Le prolétariat russe est condamné à une impuissance et une ignorance croissantes (p. 6).
...Les bolchéviks, au lieu d’éclairer le prolétariat, cherchent à en faire leur instrument aveugle (p. 7).
...La classe ouvrière de Russie, déçue et aigrie, tombe dans la plus profonde apathie (p. 8)2 .

Nous avons cueilli ces quelques fleurs dans le jardin de notre critique pour que les travailleurs de notre pays voient ce qu’est devenu Kautsky.

Mais pour éclairer nos camarades de classe de l’étranger, même ceux qui suivent encore la social- démocratie, nous opposons aux affirmations gratuites de Kautsky une série de chiffres et de faits précis.

Kautsky prétend que l’influence des communistes diminue sans cesse.

Les faits prouvent au contraire qu’elle ne fait qu’augmenter. Kautsky, par exemple, ne dit pas un seul mot du recrutement qui a suivi la mort de Lénine. Cependant, dans la semaine d’enrôlement, 200 000 ouvriers, et, peu après, 50 000 autres sont entrés au parti. Cet afflux a modifié fortement la proportion des ouvriers industriels dans notre parti en la portant à 40 %.

Le nombre des membres du parti augmente sans cesse aussi en 1925. Selon les statistiques des commissions du parti, le nombre d’adhérents, pendant les trois premiers mois de 1925, a été de 64 233, et le nombre des candidats, de 41 815. Le chiffre total des membres du parti et des candidats est passé ainsi à 850 000, avec une augmentation continue du pourcentage des ouvriers.

N’est-ce pas que cela ressemble aux contes fantastiques de Karl Kautsky ? N’est-ce pas que ces chiffres montrent la haine croissante des ouvriers contre les bolchéviks, l’apathie des masses, et autres choses semblables  ?

Considérons la Jeunesse communiste, liée organiquement au parti. Voici les chiffres :



Membres

1922

(octobre)

206 000

1923

(janvier)

303 944

1924

(janvier)

500 000

1925

(janvier)

1 140 706

1925

(avril)

1 432 608

Aujourd’hui, le nombre des membres dépasse déjà 1 500 000. Comme on le voit, l’apathie est générale ! Nous assistons à une croissance organique extraordinaire, telle que nous, n’en avions jamais encore connue de semblable. Mais le sorcier furieux de la social-démocratie contre-révolutionnaire pousse les hauts cris sur l’apathie des masses. Les faits démentent Kautsky, tant pis pour les faits !

Examinons maintenant le mouvement des enfants, le mouvement des jeunes pionniers (12 à 16 ans) et des pupilles (« Enfants de la révolution d’Octobre ») (au-dessous de 12 ans) qui sont complètement sous l’influence de la direction des communistes. Ce mouvement n’a commencé à se développer vraiment qu’en 1924 (première année d’essor économique rapide). En janvier 1924, le nombre des pionniers s’élevait à 161 349. Au cours de 1924, ce chiffre - veuillez le noter, Monsieur Kautsky - a été multiplié par 6. Le mouvement commença aussi à gagner de l’influence à la campagne. Il pénétra dans les villages les plus reculés, dans les régions qui, sous le régime bourgeois, n’avaient connu aucune espèce d’organisation. Voyons les chiffres. :


Groupes d’enfants

Pionniers « Enfants d’Octobre »
Janvier 1924

3 000

161 349 --
Juillet 1924

3 704

200 000 --
Octobre 1924

12 000

760 000 50 000
Janvier 1925

19 814

1 000 032 100 325
Avril 1925

25 866

1 299 519 --

Les pionniers ont à peu près 15 000 journaux-affiches, c’est-à-dire que 74 % des groupes éditent des journaux. La proportion des analphabètes n’est que de 3,2 %, et cela dans un pays où, il y a 8 ans, régnait encore le tsarisme.

Voilà des chiffres, sans doute, qui montrent bien l’apathie des masses et la lutte féroce des bolchéviks contre toute émancipation intellectuelle des ouvriers.

Quelle est, maintenant, la situation des syndicats ouvriers ? II y a déjà quelque temps que nous sommes passés du groupement automatique des ouvriers dans les syndicats (ce qui fut le cas pendant le communisme de guerre) à l’adhésion individuelle et volontaire. Et pourtant, loin d’amener la diminution des effectifs syndicaux, cette mesure a provoqué leur augmentation.

Le 1er janvier 1924, la proportion des prolétaires syndiqués s’élevait à 95.09 p. 100.

Au moment du cinquième Congrès syndical, les syndicats groupaient quatre millions et demi de membres. Au sixième Congrès, on constatait une augmentation de 30 p. 100. Le chiffre des membres dépassait alors six millions.

Mais qu’importe au savant Karl Kautsky ?

Il s’est constitué chez nous un immense réseau d’organisations autonomes extrêmement vivantes, groupant ce qu’on appelle la « société soviétiste » et englobant les paysans et les ouvriers. La création de ces organisations maintenant encore se poursuit avec énergie et rapidité.

Et Kautsky... Mais comprendra-t-il jamais quelque chose ?

Considérons, par exemple, l’organisation des correspondants ouvriers et des correspondants de villages. Leur nombre s’accroît également avec une étonnante rapidité :


Corr. ouvr. Corr. pays. Total
Mars 1923 32 570 24 800 57 370
Août 1924 43 200 57 500 100 700
Décembre1924 62 280 79 780 142 060

Parallèlement augmente l’édition des journaux, affiches, dans les usines, les ateliers, les mines et les cercles de lecture paysans. Il y a un an, on en comptait 3 000 ; aujourd’hui, il y en a plusieurs s dizaines de milliers.

Kautsky sait-il que le tirage de nos journaux périodiques s’élève à sept millions et demi d’exemplaires, et celui de nos quotidiens, à cinq millions (deux millions et demi avant la guerre) ? Naturellement, il ignore tout cela  !

Les « sociétés d’ouvriers pour l’élévation du niveau culturel dans les villages » (cet exemple type et entièrement nouveau de l’union culturelle de la ville et de la campagne) comptent aujourd’hui plus d’un million de membres. Dans quel pays la classe ouvrière a-t-elle pris conscience, dans une telle mesure, de son rôle culturel à l’égard de la paysannerie ?

Quatre millions et demi de membres du Secours Rouge, deux millions et demi de membres de l’Association des amis de la flotte aérienne, un million et demi de membres de la Société du progrès chimique, ensuite la masse des membres des « Amis de la T.S.F. », des sociétés d’athéisme, de la Société Ne touchez pas à la Chine, de la Société des Amis de l’Enfance (plus d’un million de membres) et d’une infinité d’autres organisations, cercles et clubs, tout cela est évidemment le signe d’une apathie profonde, n’est-il pas vrai ?

Les sociétés paysannes de secours mutuel, la coopération croissante, les soviets et leurs commissions, les conférences des sans-parti, le rôle immense de l’armée rouge, comme école et foyer de propagande, le travail des sections féminines et des organisations qui leur sont rattachées, de tout cela Karl Kautsky sait-il quelque chose ?

Des milliers d’enfants ouvriers et paysans fréquentent, pour la première fois, les Universités. Qu’importe à Karl Kautsky, ce renégat du socialisme ?

La période actuelle du développement de notre pays est caractérisée par un travail d’organisation intensif. D’en bas montent lentement à la surface des masses innombrables, qui s’éveillent à la vie et qui, assoiffées d’instruction, cherchent à se développer par tous les moyens. Evidemment le tsarisme avait maintenu notre peuple dans une telle ignorance ; la guerre, le blocus, les interventions l’ont tellement épuisé qu’il est impossible du premier coup de créer un monde nouveau. Et notre progression même ne s’effectue pas sans ébranlements intérieurs, sans déviations, sans conflits partiels. Nous nous développons par les contradictions mêmes. Notre classe, qui dirige la société entière, croît. Des organisations innombrables se groupent autour des coopératives, des syndicats, de la Jeunesse, des Soviets, du Parti. Dans des combinaisons diverses, dans des liaisons variées, elles forment la société nouvelle et remplacent peu à peu les vieilles organisations dans le domaine politique, culturel, scientifique, dans la vie quotidienne.

Et toutes ces organisations sont liées par la volonté unique de l’avant-garde de la classe ouvrière, de notre grand Parti.

Jamais encore il n’y a eu une forme d’État qui ait élargi au même point que les soviets les cadres de la démocratie réelle, c’est-à-dire qui ait fait participer à un tel point les travailleurs à l’organisation sociale.

Jamais encore il n’y a eu une force comme notre Parti pour éveiller et pousser en avant les larges masses.

Nous n’ignorons pas nos imperfections. Mais nous voyons que, en dépit de tout, la masse immense de l’humanité progresse. Et nous savons que notre parti contribue considérablement à ce processus historique.

Notes

1 Plékhanov, ouvrage cité, p. 228.

2 Kautsky, L'Internationale et la Russie des Soviets.

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