1921 |
Un travail de Boukharine récapitulant les acquis du marxisme. Il servira de manuel de formation de base aux militants communistes durant les années de construction des sections de l'Internationale Communiste. |
La théorie du matérialisme historique
L'équilibre entre les éléments de la société
Nous avons déjà prouvé précédemment que pour étudier les phénomènes sociaux, il faut partir de l'examen des forces productives matérielles et sociales, de la technique sociale, du système des instruments de travail. Il faut que nous ajoutions maintenant quelques explications à ce qui a été dit plus haut. Lorsque nous parlons de technique sociale, il faut comprendre par là, non pas un instrument quelconque ni un amas de divers instruments, mais un système de ces instruments, leur ensemble, au sein de la société. Il est nécessaire de se représenter que, dans une société donnée, se trouvent dispersés en différents endroits, mais dans un ordre déterminé, des métiers et des moteurs, des instruments et des appareils, des outils simples et compliqués. Dans certains endroits, ils sont concentrés en grandes masses (par exemple dans les centres de la grande industrie), en d'autres endroits, d'autres instruments sont dispersés. Mais, à chaque moment donné, les hommes étant unis par un lien de travail, ayant formé une société, tous les instruments de travail, grands et petits, simples et compliqués, manuels et mécaniques, en un mot, tous ceux qui existent dans une société donnée et à un moment donné, sont en réalité liés entre eux. (Il y a certes toujours un type d'instrument qui domine, des machines et des appareils compliqués, à l'heure actuelle ; auparavant des outils à main ; avec le temps l'importance des appareils et des machines travaillant automatiquement, augmente encore plus). Autrement dit, nous pouvons considérer la technique sociale comme un tout, dont chaque partie, à un moment donné, est socialement nécessaire. En quoi consiste ce fait ? Pourquoi pouvons-nous considérer la technique sociale comme un tout ? Comment s'exprime cette unité de toutes les parties du système technique de la société ?
Afin de nous représenter ce fait aussi clairement que possible, supposons qu'un beau matin, dans l'Allemagne contemporaine, par exemple, on ait enlevé miraculeusement toutes les machines qui servent à extraire le charbon. Qu'est-ce qui se produirait ? Tout le monde le comprendra : l'industrie presque tout entière serait arrêtée du jour au lendemain. Il n'y aurait pas de combustible pour les fabriques et les usines ; toutes les machines et tous les instruments dans ces usines seraient arrêtés, c'est-à-dire seraient éliminés du processus de production. La technique dans un domaine aura influé ainsi que la technique dans presque tous les autres domaines. Et cela signifie que toutes les « techniques » des branches de production particulières forment objectivement, en réalité, et non pas seulement dans notre pensée, un tout, une technique sociale unique. La technique sociale, comme nous l'avons déjà dit, ne présente pas un amas d'instruments de travail particuliers, mais leur système uni. Cela veut dire que toutes les parties de ce système dépendent de chacune d'elles. Cela veut dire aussi que, à chaque moment donné, les différentes parties de cette technique sont unies dans une certaine proportion, dans un rapport défini. Si, dans une fabrique, il faut avoir un certain nombre de broches pour un certain nombre de métiers, un nombre déterminé d'ouvriers, etc., dans la société tout entière, lorsque la reproduction sociale marche normalement, à une certaine quantité de fours correspond un nombre déterminé de machines et d'outils mécaniques, une quantité définie de moyens de production, aussi bien dans l'industrie métallurgique que dans l'industrie textile, chimique ou autre. Certes, les rapports ne sont pas ici aussi précis que dans une fabrique prise isolément ; néanmoins, entre le « système technique » des différentes branches de production, il existe un certain rapport nécessaire, qui s'établit dans une société inorganisée d'une façon élémentaire et consciemment dans la société organisée, mais qui existe quand même. Il n'est pas possible, par exemple, qu'il y ait dans une fabrique, dix fois plus de broches qu'il n'en faut. Mais il est aussi impossible que la production de charbon soit dix fois plus grande qu'il ne faut, et qu'il y ait dix fois plus de machines et d'installations servant à extraire le charbon qu'il n'en faut pour approvisionner les autres branches d'industrie. De même qu'il existe un lien déterminé, un rapport défini entre diverses branches de la production, de même il y a un lien déterminé et un rapport défini entre les différentes parties de la technique sociale. C'est ce fait qui transforme la simple somme des machines, des outils et des instruments en système de technique sociale.
Ceci étant compris, on comprendra également que chaque système donné de technique sociale détermine aussi le système des rapports de travail entre les hommes.
En effet, est-il possible que le système technique de la société, la structure de son outillage, soient d'une espèce et les rapports entre les hommes d'une autre ? Est-il possible, par exemple, que le système technique social soit la technique mécanique et que les rapports de travail et de production soient ceux d'artisans travaillant à la main ? Il est évident que c'est impossible. Si la société existe, il faut qu'il y ait un équilibre défini entre sa technique et son économie, c'est-à-dire entre l'ensemble de ses instruments de travail et son organisation de travail, entre son appareil matériel de production et son appareil productif humain.
Prenons un exemple applicatif. Comparons la soi-disant « société antique » avec la société capitaliste moderne. Commençons par la technique. A. Neuburger (Die Technik des AItertums (La technique de l'antiquité. Voiglanders Verlag. Leipzig, 1919), qui est plutôt enclin à exagérer qu'à diminuer l'importance de la technique ancienne, écrit : « Aristote, dans ses Problèmes de la mécanique, nous donne toute une liste d'instruments auxiliaires (techniques) employés par les anciens. Parmi ces instruments, il cite le levier avec contrepoids applicable aux puits, les balances aux bras égaux, la bascule, les tenailles, le coin, la hache, le treuil, la roue, la poulie, la fronde, le gouvernail, ainsi que les tours en cuivre et en fer avec différents plans de rotation et qui n'étaient probablement que des roues dentées » (p. 206).
Ce sont les moyens techniques les plus élémentaires qu'on appelle « machines simples » (le levier, plan incliné, le coin, etc.). Il est clair que ces instruments ne nous mèneront pas loin. Il en est de même pour le travail des métaux. Il est clair que c'est seulement l'ossature métallique des forces productives qui crée d'abord une base solide pour leur développement. Cependant, c'est l'or qui est travaillé en premier lieu ; la plus grande partie du métal sert en général à façonner des objets ne servant pas à la production. Seul, l'art du forgeron présente une exception en produisant des instruments assez primitifs, grâce à l'emploi du marteau, de l'enclume, des pinces, des tenailles, de la lime et d'autres instruments peu compliqués (on fabriquait surtout des haches, des marteaux, des pioches, des fers à cheval, des clous, des chaînes, des fourches, des pelles, des cuillers, etc.). La fonte servait surtout à faire des statues et autres objets improductifs. Ce n'est pas sans raison que Vitruve définissait, comme nous l'avons vu : « la machine »; « un appareil en bois ».
« Pendant des siècles entiers, la technique resta figée au même niveau », dit Salvioli (Der Kapitalismus im Altertum (Le capitalisme dans l'antiquité), en comprenant certes par ces mots, non pas une stagnation absolue, mais un développement relativement lent de la technique ancienne.
La technique de ce genre déterminait d'elle-même le type de l'ouvrier, ses qualités de travail, ainsi que les rapports de travail, les rapports de production.
Le type de l'ouvrier, en présence d'une nouvelle technique, ne pouvait être que celui de l'artisan. Les forgerons, les charpentiers, les tailleurs de pierre, les tisserands, les orfèvres, les mineurs, les charrons, les bourreliers, les bourreliers-selliers, les tourneurs, les potiers, les teinturiers, les tanneurs, les vitriers, les serruriers, etc. tel est le type de l'ouvrier producteur (Gustave Glotz - Le Travail dans la Grèce ancienne. Félix Alcan 1920, pp. 265-276 ; Paul Louis : Le Travail dans le monde romain, 1912, p. 234-244). Ainsi la technique sociale déterminait la qualité de la machine de travail vivante, c'est-à-dire le type ouvrier, ses « qualités » de travail. Mais la même technique déterminait aussi les rapports entre les travailleurs. En effet, du fait même que nous voyons ici des espèces déterminées de travailleurs, il apparaît clairement que nous sommes en présence d'une division de la production en une série de branches et dans chacune de ces branches il n'est exécuté qu'un seul genre de travail. C'est la division du travail.
Par quoi était déterminée cette division du travail ? Évidemment par l'existence d'instruments du travail appropriés. Mais la forme de cette division du travail était également déterminée. « La division du travail, dit en substance Glotz, ne permet pas d'arriver ici aux mêmes résultats que dans les sociétés modernes, car elle n'est pas ici fonction du machinisme. Elle n'indique pas ici le régime des grandes usines, mais une industrie petite et moyenne... ». « La grande production était inconnue dans le monde antique ; il n'est jamais sorti des limites du métier » (Salvioli). Voici encore une forme des rapports de travail et de production, qui s'appuie aussi sur la technique. Même lorsqu'il s'agit d'un travail gigantesque, il est souvent exécuté avec des moyens de métier. Aussi, lors de la construction d'un aqueduc à Rome, le Gouvernement avait conclu un contrat avec trois mille maîtres-maçons; ils ont travaillé eux-mêmes avec leurs esclaves (ib., p. 139). Par contre là où la production était relativement grande, elle n'a pu exister en présence d'une pareille technique que grâce à l'emploi d'une force extra-économique: c'était le cas du travail des esclaves, dont des armées entières amenées après chaque guerre victorieuse, vendues au marché, remplissaient les domaines et les ateliers « ergastula ». Avec une autre technique, le travail des esclaves serait impossible ; les esclaves abîment les machines compliquées et leur travail ne présente aucun avantage. Ainsi, même un phénomène tel que le travail des esclaves importés s'explique, dans des conditions historiques données, par la présence de certains instruments de travail social. Examinons encore un autre problème. Comme on sait, malgré le développement assez considérable des rapports commerciaux capitalistes, l'économie du monde antique était en général une économie naturelle. Les hommes ne se trouvaient pas en rapports économiques étroits : les échanges étaient beaucoup moins développés qu'aujourd'hui; un grand nombre de produits étaient fabriqués dans les grands domaines (latifundia), dans leurs ateliers publics et pour leur propre usage. Tout cela représente également un régime de travail déterminé, un genre particulier de rapports de production. Et encore cela s'explique par le faible développement des forces productives, par la faiblesse de la technique. La production, avec une technique pareille, ne pouvait jeter sur le marché un grand excédent de produits. En un mot, nous voyons que les rapports entre les hommes dans le processus du travail sont déterminés par le niveau du développement technique: l'économie antique est pour ainsi dire adaptée à la technique ancienne.
Comparons maintenant avec elle la société capitaliste, et d'abord sa technique. Pour en avoir un aperçu général, il suffit de jeter un coup d'œil sur la liste de certaines branches de la production. Nous n'envisageons que deux groupes : la construction de machines, d'instruments et d'appareils d'un côté et l'industrie électrotechnique de l'autre. Voici le tableau que nous obtenons :
(Rudolph Meerwarth Einleitung in die Wirtschaftstatistik. Introduction à la statistique économique. lena Gustav Fischer 1920. pp. 43-44).
Il suffit de comparer cette liste avec les « machines » dont parlent Aristote et Vitruve, pour comprendre l'énorme différence qui existe entre la technique de la société ancienne et celle de la société capitaliste. Et de même que la technique ancienne déterminait l'économie du monde antique, de même la technique capitaliste détermine l'économie moderne, l'économie du régime capitaliste. Si l'on pouvait faire le recensement de la population de la Rome ancienne et de celle de Berlin ou de Londres de nos jours et diviser cette population d'après les professions, les métiers, nous verrions nettement l'abîme profond qui nous sépare de l' « antiquité ». Nous avons aujourd'hui des ouvriers qui dépendent de la technique mécanique et qui n'existaient pas alors. Au lieu d'artisans (de fabri ferrarii : quelconques), nous trouvons parmi nous des électrotechniciens, des monteurs, des mécaniciens, des chaudronniers, des tourneurs en métaux, des fraiseurs, des opticiens, des typos, des lithos, des cheminots, des chauffeurs, des conducteurs de marteaux-pilons, de moissonneuses, de faucheuses, de lieuses, de charrues à vapeur, des ingénieurs électrotechniciens, des chimistes, des linotypistes, etc.... etc... De tels ouvriers n'existaient même pas de nom, car il n'y avait ni branches d'industrie, ni instruments de travail correspondants. Mais, même si nous passons aux ouvriers qui ont le même nom et travaillent dans une spécialité existant déjà auparavant, ce ne seront pas les mêmes ouvriers. En effet, qu'y a-t-il de commun entre un tisserand moderne qui travaille dans une grande usine textile et un artisan ou un esclave de la Grèce ou de la Rome antiques ? C'était un tout autre homme qui se serait senti dans une usine textile moderne comme Jules César dans un wagon de chemin de fer souterrain de New-York. Nous avons d'autres forces ouvrières pour un autre genre de travail. Nos forces de travail constituent des produits d'une autre technique, à laquelle elles sont adaptées.
Nous avons observé plus haut qu'il existe actuellement une quantité considérable de branches d'industrie qui autrefois étaient inconnues. Cela signifie avant tout qu'il y a dans la société capitaliste une division différente du travail social. Or, la division du travail social représente une des conditions essentielles de la production, Quelle est la base de la division du travail moderne ? On voit tout de suite qu'elle repose sur les instruments modernes du travail, sur le caractère, l'aspect, la réunion des machines et des instruments, c'est-à-dire sur le système technique de la société capitaliste. Voyons un peu la forme que prend une entreprise moderne. Ce n'est pas une petite unité de production, ce n'est pas un métier d'artisan, pas même l'atelier domestique d'un grand propriétaire terrien. C'est une organisation puissante, dans laquelle entrent des milliers d'hommes placés dans un certain ordre, à des points déterminés et exécutant un travail strictement déterminé. Prenons par exemple une entreprise capitaliste modèle comme la fabrique d'automobiles Ford à Détroit (États-Unis) ; son aspect spécifique nous sautera immédiatement aux yeux : une exacte division du travail, son caractère mécanique, l'automatisme des machines et le contrôle exercé par les ouvriers, une suite logique des opérations, etc... Sur des plates-formes en mouvement sont placées des pièces du produit. Les ouvriers de différents genres et différemment qualifiés debout près de leurs machines et de leurs outils « opèrent » sur les produits demi-œuvrés qui se trouvent sur la plate-forme. Toute la marche du travail est calculée à une seconde près. Chaque changement de l'ouvrier est prévu ainsi que chaque mouvement de son pied ou de sa main, ou chaque inclinaison de son corps. Le « personnel » suit la marche générale dit travail, tout est basé sur l'horloge, sur le chronomètre. Cette division du travail et son a organisation scientifique » sont faites d'après le système Taylor. Une telle usine, si nous examinons sa structure humaine, c'est-à-dire les rapports entre les hommes, constitue elle aussi un rapport de production. Comment l'emplacement des hommes est-il déterminé ? Par quoi sont déterminées leurs relations mutuelles ? par la technique, par le système de machines, par leurs combinaisons, par l'organisation de l'appareil matériel de l'usine.
« On doit considérer le développement de la technique moderne comme le facteur le plus décisif de l'organisation du travail... Il n'y a pas qu'une machine à l'usine. Les machines sont divisées en groupes. Elles se rattachent l'une à l'autre, soit par leur type, soit par les opérations à exécuter. Le passage du travail d'un métier à un autre, les transports à l'intérieur de l'usine... se présentent aux yeux des directeurs techniques comme une grandeur qu'il faut calculer et délimiter. Le plan de travail, la distribution des places occupées par les ouvriers, le transport, sont ainsi réglementés, automatisés, normalisés... se transformant peu à peu en une machine de précision assurant le contrôle du travail de l'entreprise... Dans le système général de ce mouvement de choses, le mouvement des hommes et l'action qu'ils exercent sur d'autres hommes, sont apparus souvent comme facteurs déterminants... Le système de l'organisation scientifique est né » (A. Gastef : Nos tâches. Organisation du travail. Revue de l'institut de Travail, n° 1, 1921). Pour nous rendre compte des différents genres d'usines métallurgiques, nous allons énumérer quelques industries russes, industries mécaniques et électriques, forges, fonderies, fabriques de chaudières, laminoirs, fours Martin, fours Siemens, usines de produits chimiques, usines de construction, fabriques de creusets, fabriques d'affûts, etc... Dans les usines Poutilov, en 1914-1916, on trouvait les catégories d'ouvriers suivantes : serruriers, ajusteurs, fraiseurs, tourneurs sur bois, tourneurs sur métaux, fondeurs, perceurs, forgerons, chauffeurs, lamineurs, mécaniciens, menuisiers, charpentiers, tapissiers, peintres en bâtiments, manuvres femmes, manuvres hommes, etc... La Revue du Métallurgiste, 1917). Plusieurs noms montrent déjà que certaines spécialités sont liées à des instruments, machines, outils donnés. Aux combinaisons déterminées de ces instruments de travail, à leur répartition dans l'entreprise, correspond aussi l'emplacement déterminé des hommes. Ce dernier est déterminé par les premières.
Ainsi, dans la grande industrie les rapports de production sont déterminés par la technique. Et de même que de la technique de la Grèce et de la Rome antiques découlaient des rapports de production correspondant à la petite et moyenne production, de même les rapports de la grande production découlent de la technique moderne. Entre la technique sociale et l'économie sociale, il existe, ici aussi, un équilibre relatif.
Enfin, nous avons vu que la faiblesse de la technique de la société antique entraînait la faiblesse des échanges : elle donnait à l'économie un caractère naturel : les liens entre les différentes économies étaient très lâches. Ceci détermine aussi des rapports de production bien déterminés. Par contre, la technique capitaliste moderne permet de jeter sur le marché des masses énormes de produits. D'ailleurs, la division du travail a comme conséquence le fait que toute la production se fait pour le marché : le fabricant ne porte pas lui-même les millions de bretelles que son usine fabrique ! Ainsi, les rapports de production, en ce qui concerne la circulation des marchandises, sont aussi une conséquence de la technique correspondante.
Nous
avons examiné la question de divers côtés :
1° au point de vue des forces de travail;
2° au point de vue de la
production, c'est-à-dire que nous avons vu dans quelle mesure
et dans quelle proportion les hommes sont organisés dans les
différentes entreprises ;
3° nous avons recherché les
rapports existant entre ces entreprises.
Et partout, en nous basant
sur l'exemple de deux économies différentes (antique et
moderne), nous sommes arrivés à cette conclusion
partout que les combinaisons des instruments de travail, la technique
sociale déterminent les combinaisons et les rapports des
hommes, c'est-à-dire l'économie sociale. Toutefois,
ceci ne constitue encore qu'un aspect, qu'une partie des rapports
existant dans la production. Il faut maintenant que nous étudiions
un autre problème très vaste et tout à fait
essentiel : celui des classes sociales. Nous en parlerons plus loin
en détail, mais nous allons l'examiner ici au point de vue des
conditions de la production.
Quand nous examinons les rapports entre les hommes dans un processus de production, nous découvrons presque partout (à l'exception du soi-disant communisme primitif) que les hommes se groupent de façon à ce qu'un groupement ne soit pas à côté, mais au-dessus de l'autre. Voyons les rapports qui existent dans le régime du « servage » ; au-dessus il y a les propriétaires, au-dessous les intendants, gérants, les employés, plus bas encore les paysans. Prenons les rapports qui existent dans la production capitaliste. Ici aussi, nous voyons que dans le processus du travail, les hommes ne se divisent pas seulement en fondeurs, monteurs, cheminots, etc... qui, malgré la variété de leurs occupations, travaillent cependant de la même manière et sont placés au même niveau dans la production, mais qu'ici aussi, un groupe d'hommes se trouve dans le processus du travail au-dessus d'un autre : les employés au-dessus des ouvriers (le personnel technique moyen : contremaîtres, ingénieurs, agronomes, techniciens) ; au-dessus des employés moyens, il y a des employés supérieurs (administrateurs, directeurs) ; plus haut encore les soi-disant propriétaires des entreprises, les capitalistes, les grands chefs et les grands maîtres du processus de la production. Prenons enfin un grand domaine d'un riche propriétaire romain : il y a ici toute une hiérarchie ; tout en bas les esclaves, les « instruments parlants », instrumenta vocalia, comme les appelaient les Romains, pour les distinguer des «instruments mi-parlants », c'est-à-dire du bétail et des « instruments muets », c'est-à-dire des choses ; après les esclaves viennent les surveillants, etc... ensuite les intendants, enfin le propriétaire du domaine lui-même et son honorable famille (la femme était d'habitude à la tête de certains travaux domestiques). Il faut être aveugle pour ne pas voir que nous sommes ici en présence de types différents de rapports entre les hommes qui travaillent. Toutes les personnes indiquées plus haut, participent d'une manière ou d'une autre au processus du travail et se trouvent ainsi en rapports déterminés les unes avec les autres. Il faut les diviser en groupements différents : soit d'après leur spécialité et leur profession, soit d'après leur classe. Lorsque nous les divisons selon leur profession ou spécialité, nous avons des forgerons, des serruriers, des tourneurs, etc... ensuite, des ingénieurs chimistes, des ingénieurs mécaniciens, des ingénieurs spécialistes des chaudières, du tissage ou des locomobiles, etc... Cependant il est clair qu'un serrurier, un tourneur, un mécanicien, un débardeur constituent une certaine catégorie, tandis qu'un ingénieur, un agronome, etc... sont autre chose, et le capitaliste qui dispose de tout est tout à fait autre chose. On ne peut pas mettre tous ces hommes sur le même rang. Tout le monde se rend compte que, malgré toutes les différences qui séparent le travail d'un serrurier, d'un tourneur ou d'un typo, les rapports entre eux dans le processus général du travail sont d'un même genre, tandis que les rapports entre un serrurier et un ingénieur sont d'un autre genre et que ceux existant entre un serrurier et un capitaliste sont d'un genre absolument différent. Il y a une chose encore plus évidente : un serrurier, un tourneur, un typo, tous ensemble et chacun séparément, ont les mêmes rapports avec tous les ingénieurs et les mêmes, bien qu'encore plus éloignés, avec tous les gérants supérieurs, maîtres de la production « capitaines d'industrie » capitalistes.
C'est ici que nous voyons les plus grandes différences entre les rôles, l'importance, les types, le caractère des rapports entre les hommes : le capitaliste place les ouvriers dans l'usine de la même façon qu'il y place les outils ; les ouvriers ne « placent » nullement le capitaliste (tant qu'il s'agit du régime capitaliste, s'entend) : ce sont eux qui sont « placés » par les capitalistes. Nous voyons ici les rapports de domination à soumission « Herrschafts- und Knechtschaftsverhältniss », comme dit Marx, « le commandant du capital », ( Kommando des Kapitals ). C'est ce rôle tout à fait différent que les hommes jouent dans le processus de production qui constitue la base de la division des hommes en diverses classes sociales. Il convient d'attirer l'attention sur un fait extrêmement important. Nous savons déjà par tout ce qui précède que le processus de répartition fait également partie du processus de reproduction sociale. Le processus de répartition constitue, pour ainsi dire, le revers du processus de production sociale. Qu'est ce que le processus de répartition, considéré de plus près ? Et de quelle façon est-il lié au processus de production ?
Marx écrit à ce sujet (Introduction à une Critique de l'Économie politique) : « La répartition, au sens vulgaire, se présente comme répartition des produits ; plus encore, comme quelque chose d'éloigné de la production et d'indépendant par rapport à elle. Mais avant de devenir la répartition des produits, elle est d'abord une répartition d'instruments de production et un second lieu, - ce qui constitue la définition suivante du même rapport, - elle constitue la répartition des membres de la société entre les différentes branches de la production (soumission collective des individus aux rapports donnés qui existent dans la production). La répartition des produits est évidemment le résultat de la répartition qui fait partie elle-même du processus de production et qui détermine la composition de la production. Étudier la production sans prendre en considération la répartition qui en fait partie, n'est qu'un travail abstrait ; par contre, en même temps qu'est donnée cette répartition qui constitue un élément de la production, est donnée aussi la répartition des produits ». Il faut analyser cette proposition de Marx.
Nous voyons avant tout que le processus de production détermine lui-même le processus de répartition des produits. Si, par exemple, la production se fait dans des exploitations particulières et indépendantes (par des entreprises capitalistes particulières ou par des artisans isolés), alors, dans chaque exploitation, on ne produit plus du tout ce dont celle-ci a besoin, mais un article spécial (dans une, des montres, dans d'autres du pain, dans d'autres encore des serrures, des marteaux, des pinces, etc ... ) ; il est clair que la répartition des produits se fera par la voie de l'échange. Les hommes qui fabriquent des serrures ne peuvent pas s'en vêtir, ou les manger. Les hommes qui font le pain ne peuvent pas fermer avec leur pain leurs magasins de farine ; ils ont besoin de serrures et de clefs. Forcément, ils échangeront leurs produits, ils feront du commerce. Ainsi, la distribution des produits fabriqués par les hommes qui vivent en société aura lieu par voie d'échange. De la manière dont on produit découle la façon dont on répartit les produits. La répartition des produits n'est pas quelque chose d'indépendant du produit lui-même. Au contraire, elle est déterminée par lui et constitue avec lui une partie de. la reproduction matérielle sociale.
Cependant, la production elle-même implique deux autres sortes de répartition : en premier lieu, la répartition des hommes, leur emplacement dans le processus de production, conformément aux rôles variés qu'ils jouent dans le processus de production (c'est de cela surtout que nous avons parlé dans le paragraphe précédent) ; en second lieu, la répartition des instruments de production entre ces hommes. Ces deux sortes de répartition font partie de la production. En effet, prenons nos exemples précédents, les exemples concernant la société capitaliste. Nous y voyons une « répartition des hommes ». Ces hommes « répartis », c'est-à-dire placés dans la production d'une façon déterminée, se divisent, comme nous l'avons vu, en classes, et la base de cette division est déterminée par le rôle qu'ils jouent dans le processus de production. Voyons cela de plus près. À cette « répartition des hommes », aux rôles différents que ces hommes jouent dans la production est liée également la répartition des moyens de travail. Le capitaliste, le grand propriétaire foncier ont à leur disposition les moyens de travail (la fabrique et les machines, le domaine et les ateliers de travail, la terre, les bâtiments), tandis qu'un ouvrier ne possède aucun moyen de production, sauf sa force de travail; l'esclave, ne peut même pas disposer de son propre corps, et le serf ne se distingue pas beaucoup de l'esclave. Nous voyons ainsi que les rôles différents des classes dans la production sont basés sur la répartition entre eux des moyens de production. Dans le journal londonien Le Peuple (numéros du 6 au 20 août 1859), rendant compte du livre de Marx : « Contribution à la critique de l'économie politique », Engels écrivait : « L'économie politique ne parle pas de choses, mais de rapports entre les hommes, et en dernier lieu, de rapports entre les classes et ces rapports sont toujours liés aux choses et se présentent comme des choses ». Qu'est-ce que cela signifie ? Nous allons l'expliquer par quelques exemples : prenons les rapports habituels entre les classes d'une société capitaliste, rapports entre les capitalistes et les ouvriers. À quelle « chose » sont-ils liés ? À celle qui se trouve entre les mains des capitalistes, à ces moyens de production dont disposent les capitalistes et que les ouvriers ne possèdent point. Ces moyens de production servent aux capitalistes d'instrument pour tirer les bénéfices, d'instrument d'exploitation de la classe ouvrière. Ce ne sont pas du tout simplement des choses, mais des choses prises dans leur sens social particulier. Dans quel sens ? Dans ce sens qu'ils sont non seulement un moyen de production, mais encore un moyen d'exploitation des ouvriers salariés. En d'autres termes. cette « chose » exprime les rapports entre les classes ou, comme dit Engels, les rapports entre les classes sont liés aux choses. Dans notre exemple, cette « chose » c'est le capital.
Ainsi, la forme particulière des rapports de production, forme qui consiste en rapports entre les classes, est déterminée par les rôles différents que ces groupes d'hommes jouent dans le processus de production et par la répartition entre eux des produits de production. La répartition des produits est donnée par là en entier.
Pourquoi le capitaliste reçoit-il un bénéfice ? Parce qu'il possède les moyens de production, parce qu'il est capitaliste.
Les rapports de production entre les classes, c'est-à-dire les rapports liés aux différents modes de répartition des moyens de production ont une importance capitale pour la société. Ce sont eux qui déterminent avant tout l'aspect de cette société, sa structure ou, comme disait Marx, sa structure économique.
Les rapports de production, comme tout le monde le voit maintenant, sont extrêmement variés et compliqués. Si nous nous rappelons encore que nous considérons la répartition des produits comme une partie de la reproduction, nous comprenons aisément que les rapports entre les hommes dans le processus de la répartition font partie des rapports de production. Les rapports entre les hommes dans notre société complexe sont extrêmement nombreux. Les rapports entre les commerçants, les banquiers, les employés, les changeurs, les détaillants, les ouvriers, les consommateurs, les vendeurs, les voyageurs de commerce, les vendeurs ambulants, les fabricants, les armateurs, les marins, les ingénieurs, les contremaîtres, etc... tout cela, ce sont des rapports de production. Dans la vie réelle, ils s'entremêlent dans les combinaisons les plus variées et les plus étranges ; ils forment des dessins très compliqués. Parmi tous ces dessins il y en a un essentiel qui a une importance particulière, à savoir le rapport existant entre les grands groupements d'hommes, groupements qui portent le nom de classes sociales. Du genre de classes existantes, des rapports entre ces classes, du rôle qu'elles jouent dans le rôle de la production, de la façon dont sont distribués les instruments de travail, - de tout cela dépend aussi le caractère de la société que nous avons devant nous : les capitalistes en haut, l'ouvrier salarié en bas, - voilà la société capitaliste ; le grand propriétaire terrien en haut, disposant de toutes les choses et de tous les hommes, intégralement, - tel est le régime de l'esclavage ; en haut les ouvriers dirigeant tout, - tel est le régime de la dictature prolétarienne, etc... Lorsque les classes n'existent point cela ne veut pas dire que la société a disparu. Cela signifie seulement que la société de classe n'existe plus. Telle a été par exemple, la société communiste primitive; telle sera aussi la société communiste dans l'avenir.
Nous avons maintenant un autre problème à résoudre. Nous avons vu auparavant que les rapports de production changent avec la technique sociale. Cette proposition est-elle applicable aux rapports de production qui sont en même temps ceux des classes ? Il suffit de jeter un coup dœil sur la marche effective de l'évolution de n'importe quelle société pour se convaincre immédiatement que cette proposition est juste. Ainsi, des changements énormes parmi les classes se sont produits, sous les yeux de la génération actuelle. Il y a à peine quelques dizaines d'années, la classe des artisans indépendants était encore très nombreuse. Elle s'est mise à fondre très rapidement. Pourquoi ? La technique mécanique s'est développée et, avec elle, la grande industrie, le système des fabriques. Et, en même temps, le prolétariat a grandi, à son tour ; c'est ainsi que la grande bourgeoisie industrielle s'est développée et que les métiers ont disparu peu à peu. Le groupement des classes est devenu autre. Et il n'en peut être autrement. En effet, lorsque la technique change, la répartition du travail dans la société change à son tour, certaines fonctions dans la production disparaissent ou deviennent moins importantes, d'autres apparaissent et ainsi de suite. En même temps, le groupement des classes change aussi. Lorsque les forces productives de la Société sont faiblement développées, l'industrie est tout à fait faible dans une telle société, et l'économie sociale a un caractère agraire, rural. Rien d'étonnant que, dans une pareille société, ce soient les campagnes qui dominent, et qu'à la tête de la société, se trouve la classe des grands propriétaires fonciers. Au contraire, quand les forces de production constituent dans la société une grandeur déjà hautement développée, nous y voyons alors une industrie puissante, des villes, des bourgades industrielles, etc... Mais par là même ce sont les classes urbaines qui acquièrent une influence prépondérante. Les hobereaux passent à l'arrière-plan, en cédant la place à la bourgeoisie industrielle ou à d'autres parties de la bourgeoisie. Le prolétariat devient une puissance. Il va de soi que le regroupement continuel des classes peut changer complètement la forme de la société. Cela arrive lorsque la classe qui était en bas, monte en haut. De quelle façon cela se produit-il ? Nous en parlerons dans le chapitre suivant. Pour l'instant il suffit de dire que les rapports entre les classes, qui constituent la partie la plus importante des rapports de production, changent eux aussi relativement au changement des forces productives. « Selon le caractère des moyens de production changent également les rapports sociaux entre les producteurs, les conditions de leur collaboration, ainsi que leur participation à la marche de la production. L'invention d'un instrument de guerre nouveau, de l'arme à feu par exemple, change forcément toute l'organisation intérieure de l'armée, ainsi que les rapports mutuels qui lient les personnes faisant partie de l'armée et grâce auxquels elle représente un ensemble organisé ; enfin, les rapports mutuels entre les armées ont changé aussi à leur tour. Les rapports sociaux entre les producteurs, les rapports sociaux de la production changent par conséquent avec la transformation et le développement des moyens matériels de la production, c'est-à-dire avec le développement des forces productives » (K. Marx, Capital et Salariat). En d'autre termes : « L'organisation de chaque société donnée est déterminée par l'état de ses forces productives. Avec le changement de cet état se transforme forcément aussi, tôt ou tard, l'organisation sociale. Par conséquent, elle se trouve dans un état d'équilibre instable partout, où montent (ou baissent, N.B.) les forces productives sociales. » (G. Plékhanov : La conception matérialiste de l'histoire. Critique de nos critiques).
L'ensemble des rapports de production constitue la structure économique de la Société, autrement dit ses moyens de production. C'est l'appareil du travail humain de la société, sa « base réelle ».
Si nous examinons les rapports de production, nous les ramenons à la répartition des hommes dans l'espace. Comment s'exprime ce rapport ? Du fait que chaque homme, comme nous l'avons déjà vu, a sa place déterminée comme une vis dans un mécanisme d'horlogerie. C'est précisément cette situation déterminée dans l'espace, « sur le champ de travail », qui fait de cette « répartition », de cet « emplacement », un rapport de travail social. Chaque chose, évidemment, se trouve dans l'espace et s'y meut. Mais les hommes sont liés ici précisément, pour ainsi dire, par les positions de travail déterminées qu'ils occupent. C'est un rapport d'ordre matériel, semblable à celui de parcelles d'un mécanisme d'horlogerie. Il ne faut pas oublier que les critiques du matérialisme historique confondent constamment ces notions, en profitant de ce que le mot « matériel » a plusieurs significations. Ainsi, par exemple, ils « ramènent » le processus historique aux « besoins » ou aux « intérêts » matériels et triomphent ensuite facilement du matérialisme historique, en prouvant avec justesse que l' « intérêt » n'est nullement quelque chose de matériel, au sens philosophique du mot, mais apparemment quelque chose de psychique. Et, en effet, l'intérêt n'est nullement la matière. Mais ce qui est malheureux, c'est que certains « partisans » du matérialisme historique (qui assimilent surtout Marx à un philosophe bourgeois quelconque et qui ne sont pas d'accord avec le matérialisme philosophique) confondent aussi facilement les choses. Ainsi, par exemple, Max Adler, qui concilie Marx avec Kant, voit dans la société un ensemble d'actions mutuelles psychiques : tout est psychique chez lui (on voit la même chose chez A. A. Bogdanov : Contribution à la psychologie de la société). Voici un spécimen de raisonnement de ce genre : « Mais le rapport n'est nullement une chose matérielle dans le sens philosophique du matérialisme qui met sur le même rang la matière et la substance inanimée. En général il est difficile de mettre « la structure économique », « base matérielle » du matérialisme historique, en rapport quelconque avec la « matière » du matérialisme philosophique, quel que soit le sens que nous lui donnons... Et ceci concerne non seulement ce qui exerce l'action, mais aussi ce qui est créé par cette action. Les moyens de production... sont plutôt des produits de l'esprit humain... » (Max Zetterbaum : Contribution à la conception matérialiste de l'histoire, dans le recueil intitulé : le Matérialisme historique. Édition du Soviet de Moscou, 1919). M. Zetterbaum est dérouté par le fait que les machines ne sont pas faites par des hommes sans âme. Mais comme les hommes eux-mêmes ne sont pas faits non plus par des morts, il s'ensuit que tout dans la société est le produit de l'esprit privé de corps, d'un esprit bienfaisant. Par conséquent, la machine est quelque chose de psychique ; par conséquent la société ne dispose d'aucune « matière ». Et pourtant il va de soi qu'il n'en est pas tout à fait ainsi. En effet, même l'esprit le plus pur n'aurait créé ni les hommes ni les machines sans la chair coupable. Et plus encore, sans cette chair coupable, il n'aurait pas brûlé du désir de faire des choses pareilles. Mais que faire du « rapport » ? Nous l'expliquerons encore une fois à M. Zetterbaum. Nous espérons que M. Zetterbaum ne protestera pas si nous parlons du système solaire comme d'un système matériel. Mais qu'est-ce que ce système et pourquoi est-ce un système ? Pour u ne raison très simple, à savoir que ses parties intégrantes (le soleil, la terre et toutes les autres planètes) se trouvent en rapports définis les unes avec les autres, car elles occupent à chaque moment donné une place déterminée dans l'espace. Et de même que l'ensemble des planètes qui se trouvent en rapports définis entre elles, forme le système solaire, de même l'ensemble des hommes liés par les rapports de production forme la structure économique de la société, sa base matérielle, son appareil humain. Nous trouvons également chez Kautsky, qui confond sans rime ni raison la technique et l'économie, des passages très douteux (par exemple à la page 104 du recueil mentionné plus haut). À ces affirmations nous pouvons opposer le passage suivant de l'écrivain archi-bourgeois W. Sombart. Voici ce que dit ce savant très peu matérialiste : « Si l'on se sert d'images, on peut parler de la vie économique comme d'un organisme et émettre la proposition d'après laquelle ce dernier est composé d'un corps et d'une âme. Le corps détermine la forme extérieure, dans laquelle se déroule la vie économique : les formes économiques et productives, les organisations multiples, au milieu 'desquelles et à l'occasion desquelles se dirige la « vie économique », etc... Il est clair qu'il faut d'abord placer dans la rubrique de la forme et de l'organisation économique toute la structure économique de la société. C'est elle qui constitue, si nous nous exprimons clans une forme imagée, le corps de cette société. (Werner Sombart : Der Bourgeois. Édition Duncker und Humblot, Munich et Leipzig, 1913, p. 2).