1921 |
Un travail de Boukharine récapitulant les acquis du marxisme. Il servira de manuel de formation de base aux militants communistes durant les années de construction des sections de l'Internationale Communiste. |
La théorie du matérialisme historique
Avant-propos
Ce livre a été composé sur le même modèle que l'A B C du Communisme. Il va de soi qu'il doit être lu après l'A B C; son sujet même est beaucoup plus ardu et, par suite, son exposé plus difficile à comprendre, bien que l'auteur se soit efforcé de le traiter d'une façon aussi populaire que possible. Ceci dit, cet ouvrage est écrit avant tout pour les ouvriers désireux de s'initier aux théories marxistes.
L'auteur a choisi le thème du matérialisme historique, parce qu'un exposé systématique de cette base fondamentale de la théorie marxiste faisait jusqu'ici défaut. L'unique essai en ce genre - le petit livre de H. Gorter - est trop simpliste et laisse de côté un trop grand nombre de problèmes compliqués qui se posent infailliblement à l'esprit de tout homme qui pense. Quant aux meilleurs écrits touchant la théorie du matérialisme historique, ils se trouvent, soit dispersés dans les périodiques, soit partiellement esquissés et difficilement compréhensibles (Les problèmes fondamentaux du marxisme, de Plékhanov), soit vieillis dans leur forme et devenus aujourd'hui illisibles (comme, par exemple, la Contribution au développement de la conception moniste de l'histoire, de Plékhanov); d'autres encore ne traitent qu'un côté de la question (purement philosophique), ou bien sont disséminés sous forme d'articles dans des recueils aujourd'hui introuvables.
D'autre part, le besoin d'un exposé systématique du matérialisme historique se fait fortement sentir. Dans la phase actuelle de la Révolution, de multiples problèmes se trouvent posés qui, auparavant, aux moments de crise aiguë, n'étaient pas d'actualité. Un nombre important de ceux-ci concernent la « conception générale du monde ».
Pour beaucoup d'entre nous, ces questions se posent pour la première fois, car il ne faut pas oublier que la moyenne des membres de notre Parti n'appartient plus à la génération qui a eu le loisir de se plonger dans les livres : ce sont des camarades dont la vie consciente a été complètement absorbée par la nécessité d'un travail pratique et étroit dans le Parti, travail qui, comme de juste, primait tout le reste.
Sur certains points, même très importants, l'auteur s'éloigne de la manière habituelle de traiter ce sujet ; sur d'autres, il ne considère pas comme possible de se limiter à quelques propositions déjà connues, et il cherche à les développer. Il serait étrange que la théorie marxiste piétinât toujours sur place. Mais, partout et toujours, l'auteur continue les traditions de la conception marxiste la plus orthodoxe, matérialiste et révolutionnaire.
Ce livre est né des discussions engagées dans les conférences de travaux pratiques que l'auteur dirigeait avec J. P. Deniké ; les camarades qui y participèrent venaient de terminer leurs études à l'Université Sverdlov; ils sont devenus par la suite les collaborateurs scientifiques de cette Université. C'est ainsi que s'est réalisé un nouveau type d'hommes qui, tout en étudiant la philosophie, sont de garde la nuit, un fusil à la main, qui discutent les problèmes les plus abstraits et, une heure après, coupent du bois ; qui travaillent dans les bibliothèques et passent ensuite de longues heures à travailler dans les usines. Ces camarades peuvent être considérés comme étant véritablement les auteurs du présent ouvrage. À tous ces amis qui me sont les plus proches, ainsi qu'à J. P. Deniké, j'exprime ici ma cordiale reconnaissance.
Moscou, septembre 1921.