1947 |
PRIX : 3 francs – 27 AOÛT 1947 |
La Voix des Travailleurs Renault nº 16
27 août 1947
L'angoisse des salariés et des gagne-petit devant les difficultés de la vie trouve tous les jours de quoi s'alimenter. A la hausse des prix s'ajoute la diminution de la ration de pain, et, à la veille de la mauvaise saison, s'annonce la dévaluation.
D'où viendra une lueur d'espoir ? Les responsables officiels des grandes organisations ouvrières, avant tout ceux de la C.G.T., avaient claironné qu'une ère nouvelle s'ouvrirait par l'entente C.G.T.-C.N.P.F.
Mais aussitôt il se trouva un empêchement. Le gouvernement se refusait soi-disant de reconnaître aux travailleurs ce que de grand coeur le patronat leur avait accordé !
Aujourd'hui, après avoir, comme nous l'avions démontré dans notre article "Les 3 larrons" (V.d.T. n° 14), fait semblant de s'opposer à l'augmentation des salaires prévue par l'accord, le gouvernement s'est rallié à une solution que les ouvriers avaient rendue INEVITABLE par le grand mouvement gréviste du début de l'été.
Il vient d'accorder, à quelques différences près, l'augmentation des salaires prévue par l'accord du Palais-Royal.
Cela ira donc mieux ? Non, explique tous les jours L'Humanité au nom des dirigeants de la C.G.T. Les accords C.G.T.-C.N.P.F. forment un tout, ils prévoient seulement un "aménagement des prix", tandis que le gouvernement procède à une "hausse généralisée" !
Par conséquent, comme l'indiquait notre article, le désaccord n'était qu'un moyen pour le gouvernement de sauver sa face "dirigiste", un prétexte pour se rejeter plus tard réciproquement les responsabilités "quand la nouvelle expérience finirait comme toutes les autres par une misère accrue des travailleurs", disait La Voix, n° 14.
Car en quoi "l'aménagement des prix" se distingue pratiquement des hausses décrétées par le gouvernement, ces sages dédaignent d'en renseigner le bas peuple.
Mais le "bas peuple" a son bon sens. Et dans notre cas, le bon sens suffit amplement pour remettre les choses au point. Nul besoin de grands spécialistes, de conférences internationales et de techniciens sortis de Centrale pour réfléchir un peu et se demander :
"Vous, dirigeants de la C.G.T., parlez tous les jours du respect de votre signature que vous avez mise au bas des accords avec le patronat. Au nom de cette signature, vous nous demandez un effort accru de travail, tant en durée qu'en intensité. Si le patronat est de bonne foi lui aussi, comme le proclame l'accord, (ce qui serait la seule justification de cet accord), c'est le moment ou jamais qu'il le prouve. Les augmentations gouvernementales ne sont, en effet, pas une OBLIGATION pour le patronat, mais une AUTORISATION. Si les accords de la C.G.T. avec le patronat prévoient que "l'aménagement des prix" n'est pas une "hausse généralisée", mais dans certains cas même une baisse, QU'EST-CE QUI EMPECHE LE PATRONAT DE S'EN TENIR AUX ACCORDS SIGNES AVEC VOUS ET NE PAS AUGMENTER LES PRIX ?
Si vous, au nom des accords signés, nous engagez tous les jours à trimer dur pour respecter votre signature, et que le patronat lui, se prévaut des autorisations gouvernementales pour augmenter les prix, c'est que, comme le patronat et comme le gouvernement, VOUS NOUS TROMPEZ ! Vous vous comportez tous comme "larrons en foire". Voilà ce que se dit le peuple avec son bon sens...
Et quand le peuple en arrive à réfléchir juste, c'est qu'il n'est pas loin de chercher DANS SA PROPRE ACTION la solution des maux dont l'accablent les capitalistes et leurs serviteurs.
La Voix des Travailleurs
par PIERRE BOIS
Il y a dix jours, le S.D.R. démasquait les responsabilités de la direction dans l'augmentation du prix de la cantine. En réponse, la direction a utilisé la provocation. Le vendredi 22 août une dizaine de camarades du département 6, membres du S.D.R., ont été convoqués devant le chef du personnel qui, dans le but de les mettre à la porte, a invoqué contre eux des prétextes aussi mensongers les uns que les autres (voir compte rendu sur l'adjudant Dutène, en deuxième page). L'attitude solidaire des camarades a démasqué la machination patronale, et la provocation a dû se borner à un essai d'intimidation.
Si ce que le S.D.R. a révélé sur la cantine avait été faux, sans nul doute la direction aurait mis les choses au point et donné des explications aux ouvriers. Mais comme elle a été prise la main dans le sac, il ne lui reste d'autre moyen que d'essayer de se débarrasser ou tout au moins d'intimider les ouvriers qui ont dévoilé le scandale.
Comme on voit, on est loin aujourd'hui des essais privés de "conversations amicales" de M. Lefaucheux avec les dirigeants de la grève.
Par sa lutte, le S.D.R. s'est avéré l'ennemi numéro 1 de la direction. Et au moment où l'augmentation des prix dépasse de loin la dérisoire augmentation des salaires, la direction, qui sent grandir le mécontentement, prélude de nouveaux conflits, voudrait se débarrasser des éléments les plus combatifs en multipliant les provocations.
Il faut que les militants qui dévoilent les scandales des cantines, qui démasquent la duperie des nationalisations, qui préconisent à l'ensemble des ouvriers d'aller mettre leur nez dans les livres de compte des capitalistes, il faut que ces gêneurs quittent l'usine.
Mais ceux-ci ne sont pas décidés à se laisser intimider et les ouvriers ne sont pas décidés à laisser mettre à la porte les camarades qui se placent à l'avant-garde de leur lutte.
Le patronat s'imagine que les ouvriers ayant soutenu une grève qui ne leur a pas donné entière satisfaction, et qui subissent des privations, sont découragés, fatigués, croit le moment venu de passer à l'attaque. Mais c'est justement parce que les ouvriers subissent des privations et doivent tous les jours lutter pour leur pain qu'ils ne sont pas disposés à se laisser faire ; ils n'accepteront en aucun cas que la direction frappe les meilleurs d'entre eux. Et si elle s'avise de vouloir s'en débarrasser, c'est l'ensemble des ouvriers qui lui donnera la réplique. Les ouvriers de notre usine restent prêts à faire pour eux-mêmes au moins une partie des sacrifices que le patronat, tous les jours, leur impose à son profit.
En route pour la troisième guerre mondiale
Pour préparer une nouvelle guerre de rapines, en vue de s'assurer la domination mondiale, il ne suffit pas aux capitalistes américains de fabriquer des bombes atomiques et d'avoir le plus abominable budget de guerre du monde entier. Il leur faut également s'assurer qu'ils ne rencontreront pas d'opposition intérieure à leurs plans impérialistes.
Cette opposition est constituée par le mouvement ouvrier. Car, bien que les travailleurs américains ne mènent pas consciemment une lutte de classe, opposant, aux buts de guerre de la bourgeoisie, une politique extérieure basée sur l'égalité et le respect absolu des droits de tous les peuples, leur mouvement actuel, syndicaliste-revendicatif, qui groupe environ 15 millions d'adhérents, constitue néanmoins un premier pas dans cette voie.
Le Congrès et le président Truman, agent des milliardaires américains, ne s'y trompent pas. C'est ce qui explique la manière BRUTALE ET TOTALITAIRE dont ils ont entamé la lutte contre le syndicalisme américain.
De son côté, le Congrès vient de voter la loi Taft-Hartley, qui pose des conditions annulant en fait le droit de grève. Mais cette loi peut devenir aussi impuissante devant un mouvement de grande envergure, que le "droit de réquisition" de Ramadier s'est montré inopérant contre la grève des cheminots. C'est pourquoi, par ailleurs, le gouvernement Truman vient de décider de nouvelles mesures dont le but est de briser le syndicalisme de l'intérieur, par le contrôle sur ses 500.000 responsables : il vient en effet de décider que tous les employés et délégués de syndicats doivent signer une déclaration par laquelle "ils renoncent au communisme". S'ils refusent de signer cette déclaration, ils "risquent de perdre la protection que le gouvernement accorde aux employés des syndicats". Autrement dit, ils deviendront des hors-la-loi.
En France aussi, à la suite des grèves de mai-juin dernier, la bourgeoisie essaie de faire voter des lois permettant l'immixtion de l'Etat dans la vie intérieure des syndicats. Mais chez nous on préfère utiliser, à la place de l'anticommunisme, la "sauvegarde de la démocratie". D'après les partisans de ce projet de loi, c'est le contrôle de l'Etat-cagoule qui assurerait, soi-disant, la démocratie intérieure dans les syndicats français !
Evidemment, la tâche du gouvernement américain est facilitée par le fait que la majorité des travailleurs aux Etats-Unis, comme dans la plupart des pays, entendent par communisme les partis communistes affiliés à Moscou. Or, ceux-ci, par leurs méthodes bureaucratiques, ont compromis aux yeux, non seulement d'une large partie de l'opinion publique, mais aussi de beaucoup de travailleurs, le mot communisme.
Mais le communisme n'est pas tel ou tel parti déterminé. D'autres partis que ceux affiliés à Moscou, et qui n'ont rien de commun avec leurs méthodes, se réclament aussi du communisme. Le communisme est une idéologie ouvrière, et c'est contre le communisme en tant qu'idéologie ouvrière que luttent les milliardaires américains. Ainsi, ni plus ni moins, les chefs syndicalistes américains devraient en réalité s'engager à ne jamais acquérir de convictions ouvrières et rester toujours esclaves des idéologies qui ont l'approbation des milliardaires américains !
Il n'y a pas de doute que cette nouvelle attaque totalitaire contre les syndicats américains ne soit dictée par le souci de la préparation de la troisième guerre mondiale. Car de telles brutalités comportent le grand risque de voir se dresser non seulement les couches ouvrières, mais une large partie de ce qu'on appelle "l'opinion publique" contre le gouvernement, et renforcer ainsi le mouvement ouvrier plutôt que de l'affaiblir. Seule, la nécessité de faire vite, en raison des plans de guerre, explique de telles mesures. Sans quoi les dirigeants capitalistes américains n'auraient pas heurté de front les dirigeants syndicalistes par des exigences qui les atteignent dans leur dignité. Ils auraient essayé d'utiliser la tactique souple de la collaboration de classes "à l'anglaise" : bien domestiqués, les dirigeants syndicalistes anglais ne viennent-ils pas, par exemple, de s'engager d'eux-mêmes à ne pas défendre les travailleurs mineurs anglais qui ne se soumettent pas aux ordres du gouvernement ?
Les syndicalistes américains, qui ont déjà riposté à la loi Taft-Hartley par une violation ouverte, soit en déclenchant des grèves non conformes à la loi (mineurs), soit en violant le paragraphe interdisant la participation à la vie politique, ne manqueront pas de relever le gant à cette nouvelle provocation totalitaire.
Et la lutte ouvrière contre ces provocations répétées peut effectivement donner un résultat tout opposé à celui escompté par le gouvernement totalitaire de Washington, en brisant non seulement les entraves que celui-ci veut apporter au syndicalisme américain ; mais en amenant également les ouvriers à s'opposer à lui sur tous les terrains, et avant tout sur le terrain de la politique extérieure américaine, en mettant obstacle à la préparation de la troisième guerre mondiale.
A. MATHIEU
Malgré les augmentations de salaires successives, le patronat a jusqu'à présent constamment fait baisser le niveau de vie des ouvriers et diminué toujours davantage la part des salaires dans le revenu national, alors qu'augmentaient ses bénéfices.
C'est que le patronat a jusqu'à présent toujours eu le dernier mot dans la question des salaires, les organisations dites ouvrières n'ayant pas mis en avant la revendication de la reconnaissance d'un salaire minimum vital garanti par l'échelle mobile.
Il ne suffit plus maintenant à la classe ouvrière de se battre pour une quelconque augmentation de salaire, mais pour la garantie de notre salaire, c'est-à-dire la reconnaissance juridique d'un niveau au-dessous duquel le patronat n'aurait pas le droit de descendre.
Est-ce la première fois que la classe ouvrière arrache de semblables garanties au patronat ? En réalité, toute la législation sociale et celle du travail ne sont que le sanctionnement juridique de certaines garanties que les ouvriers, par leurs luttes, ont imposées au patronat et au gouvernement.
Au lieu d'avoir à renouveler une même revendication à mille occasions différentes et à se mesurer, chaque fois, avec le patronat pour l'obtenir, les ouvriers lui arrachent à un moment donné la reconnaissance d'un droit acquis en faveur de cette revendication.
Ainsi le patronat reconnaît aujourd'hui les délégués du personnel (revendication reconnue par les conventions collectives de 1936). Autrefois, chaque fois que les ouvriers avaient une revendication à poser à la direction, si bénigne soit-elle, il leur fallait, après avoir désigné leurs délégués, imposer d'abord ceux-ci à la direction. En pratique, à chaque revendication, les ouvriers étaient obligés d'entrer en lutte non seulement pour la revendication, mais même pour son simple dépôt. Aujourd'hui, avec la reconnaissance juridique des délégués, le patron, malgré les limitations imposées par les lois, est obligé de les recevoir sans que pour cela les ouvriers soient contraints de se mettre en grève et d'aller en masse à la direction.
Mais prenons l'exemple du salaire lui-même. Le patron n'a pas le droit de descendre au-dessous de 37 francs. S'il prend envie à un patron isolé de le faire, il suffit à son personnel d'un recours légal pour l'en empêcher. Cela a été et est encore une question de rapport de forces que d'avoir ce minimum. Mais une fois sa reconnaissance arrachée par la lutte de la classe ouvrière, le capitalisme ne peut pas la contester comme bon lui semble. Il en est de même pour les lois qui concernent les congés payés, certaines mesures de sécurité, etc.
Toute revendication légalement reconnue consacre un rapport de forces en faveur de la classe ouvrière ; et le patronat est obligé d'éprouver de nouveau ce rapport de forces, c'est-à-dire la capacité de résistance de toute la classe ouvrière, s'il veut essayer de détruire un droit acquis.
Si d'avoir obligé le patronat à reconnaître juridiquement un salaire au-dessous duquel il ne peut pas descendre, cela représente une certaine garantie pour les ouvriers, l'échelle mobile, elle, qui est la reconnaissance juridique du maintien du salaire au niveau des prix, n'est qu'une garantie supérieure ; au lieu d'avoir à poser à chaque montée des prix, provoquée par l'inflation gouvernementale et la politique patronale, une nouvelle revendication de salaires, les ouvriers exigeraient l'application du coefficient des salaires à celui des prix, selon l'indice calculé par les organisations syndicales. Et le patron qui refuserait de le faire entrerait en conflit non pas avec son personnel, mais avec un droit juridique de la classe ouvrière, c'est-à-dire qu'il entrerait en conflit non pas avec 1.500 ou 10.000 ouvriers qu'il exploite, mais avec l'ensemble de la classe ouvrière.
L'échelle mobile donc, quoi qu'on en dise, représente quelque chose de concret pour les ouvriers dans la situation actuelle, où ils ont besoin avant tout de se défendre contre la politique du patronat (et de ses complices) qui nous impose aujourd'hui un sous-salaire au profit de ses bénéfices.
Une petite note dans Le Monde du 19 août nous informe tout simplement que pour maintenir les bénéfices des grandes firmes d'aviation, en Amérique, l'armée devrait augmenter ses commandes.
Cette année, sur huit sociétés qui ont publié des bilans, six annoncent des pertes. Les cercles militaires et industriels estiment qu'on devrait annuellement produire au moins 5.000 avions militaires pour que l'industrie soit capable, en cas de besoin, d'une rapide expansion, car on n'a fabriqué l'année passée que 1.440 appareils.
Comment s'étonner, après cela, que chaque semaine nous apporte une nouvelle catastrophe, qu'après Texas-City, Brest, Melbourne, Cadix soit venue s'ajouter à la liste ?
Cadix, comme Texas-City, n'était qu'un immense arsenal de guerre : usines d'explosifs, fabriques de torpilles, de canons, de V2 et d'autres engins terrifiants tournaient à plein rendement. Actuellement, toute ville importante du globe, tout centre industriel est un arsenal de guerre.
Alors que, partout les tâches de la reconstruction se posent avec tant d'acuité pour l'humanité plongée dans la barbarie, on persiste à fabriquer des armements à un rythme accéléré.
Après cette guerre, les Anglais et les Américains ont détruit, sous forme de "surplus" et pour des centaines de milliards, des dépôts d'explosifs, de tanks, d'armes de toutes sortes, des avions et des navires de tous tonnages. Ces destructions étaient indispensables, en réalité, aux capitalistes pour qu'ils puissent continuer à soutenir une production d'armements aussi intense et à accumuler des stocks, comme à Texas-City, Cadix et ailleurs. Mais on sait, d'autre part, que la plupart des armes qu'ils fabriquent maintenant, à plein rendement, seront dans le prochain conflit dépassées par les progrès techniques et qu'il faudra les détruire pour en fabriquer de plus modernes.
Et ce gaspillage effréné est "justifié" par le maintien de l'équilibre budgétaire des fabriques d'armements.
Les capitalistes qui dans l'anarchie de leur régime manquent de débouchés à l'intérieur comme à l'extérieur pour les produits de consommation à cause de la pauvreté inouïe des masses, continuent à puiser leurs bénéfices dans la production d'armements comme seul marché sûr. La reconversion ou le passage de la production de guerre à la production de paix signifierait le chômage et la ruine pour toutes les industries de guerre dont le fonctionnement et les bénéfices dépendent uniquement de la fabrication d'armements.
La guerre elle-même devient nécessaire, à un moment donné, comme unique débouché à tous ces stocks de munitions.
Et voilà pourquoi l'horrible spectacle périodique du monde entier à feu et à sang dont Texas-City (déjà si semblable à Hiroshima) et Cadix répètent l'image : des monceaux de ruines, des milliers de morts, d'estropiés, d'aveugles, de fous : véritable vision de l'Apocalypse !
Aujourd'hui, renverser le capitalisme s'impose donc aux masses comme une nécessité vitale. Ce n'est plus la condition pour un avenir meilleur, plus ou moins proche. C'est une question de vie ou de mort.
L'ADJUDANT DUTEN EXERCE SES TALENTS SUR LES DIRIGEANTS DU S.D.R.
Vendredi 22 août, une dizaine de camarades du département 6, membres du S.D.R., ont été convoqués par M. Duten. Celui-ci ayant appelé quatre d'entre nous, nous ne voulûmes pas nous laisser diviser et entrâmes tous les dix dans son bureau. C'est alors que la voix de l'adjudant Duten s'éleva, impérative :
- J'ai dit quatre ; les autres, sortez !
- C'est tout ou rien ! Vous nous avez convoqués tous ensemble. A moins que ce ne soit pour des affaires différentes.
- Ca ne vous regarde pas ! Vous refusez de discuter ?
- Parfaitement.
- Eh bien ! je vous f... tous à la porte.
- C'est ce que nous verrons !
Mais M. Bonin, le chef du département 6, comprenant que si nous sortions l'affaire n'en resterait pas là, "rattrape" l'erreur tactique de Duten en précisant qu'il y a deux affaires à régler dont une seule concerne les dix ouvriers convoqués. Aussi fins diplomates que M. Bonin, les ouvriers comprenant que la direction se dérobe à la responsabilité d'une rupture, acceptent de rester quatre dans le bureau, montrant cependant, par une boutade, qu'ils ne sont pas dupes :
- M. Bonin tout seul a compris qu'il y avait deux affaires, ce que nous n'avons pu comprendre à dix. Les ouvriers sont vraiment bêtes !
Première affaire : les quatre convoqués ne font pas leur production.
- Je suis saisi d'une plainte de vos chefs que vous ne foutez rien ! lance Duten.
Le camarade Bois est le premier accusé. C'est vrai qu'il ne fait pas sa production. Mais pour la bonne raison que sa machine est en mauvais état. La preuve c'est qu'on va la remplacer et qu'aucun ouvrier, jusque-là, n'a pu faire sa production sur cette machine. Tous ont demandé à être mutés ou ont pris leur compte. Et, malgré des demandes réitérées du camarade Bois, on a toujours refusé de le muter, bien que plusieurs places fussent disponibles dans le même atelier. En réalité, la direction cherche un prétexte pour se débarrasser d'un élément qui la gêne.
Deux autres camarades sont accusés également de ne pas faire leur production. Pour tous les deux il s'avère que l'accusation est injustifiée. En effet, le camarade Bourget réalise le plus haut coefficient de son équipe ! Et le camarade Adèle, accusé de ne faire que 48' dans l'heure, réalise en réalité 48 fr. de l'heure, c'est-à-dire 80' dans l'heure !
Ce n'est donc pas le contremaître qui a pu porter plainte. C'est la direction qui fait espionner ces camarades et la provocation est flagrante.
Deuxième affaire : toujours sur son ton d'adjudant, M. Duten accuse les dix "coupables" de s'être "baladés" dans l'usine. C'est à la suite de leur 'balade' à la commission des cantines que ces camarades ont révélé la responsabilité de la direction dans l'augmentation du prix de la cantine, dans un tract du S.D.R. et dans La Voix n° 15. Les heures perdues ont d'ailleurs été défalquées de leur carton de pointage. Mais ce "procédé" n'a pas plu à la direction. C'est pourquoi elle utilise la provocation contre les membres du S.D.R. Des membres de la C.G.T. se sont également "baladés" et occupés de la cantine. Mais leur organisation n'a rien révélé publiquement.
LE RESPECT DE LA DIGNITE OUVRIERE
N'ayant pas eu satisfaction à une revendication qu'il avait formulée, un ouvrier du département 18 raconte dans le métro comment il est allé trouver le chef de département et comment il a mis les pieds dans le plat. L'ouvrier avec qui il discute et qui est de l'artillerie s'étonne : "il cause avec vous le chef de département ?"
Heureusement, ce n'est pas le bon Dieu. Chez nous au 18, s'il ne voulait pas causer avec nous, il n'y aurait pas pour longtemps à arrêter les moulins...
De même, un ouvrier de BB nous raconte comment dans son secteur de nombreux ouvriers lorsqu'ils ont à parler à leur contremaître y vont très respectueusement, la casquette à la main, comme dans l'ancien temps.
Mais pour les ouvriers conscients, il ne s'agit pas de se moquer du niveau arriéré de ces camarades, mais de les aider à s'émanciper de leurs préjugés en leur montrant comment des ouvriers avancés, en restant polis et en gardant leur dignité, se font d'autant plus respecter.
C'est ainsi qu'un camarade appelé au bureau de M. Duten et traité avec mépris par celui-ci lui a répondu : "Je vous vends mon travail, et non ma personne ni ma dignité et j'entends que vous les respectiez ; professionnellement, je ne suis qu'un simple O.S. mais en tant qu'homme j'ai la prétention de vous valoir."
AVARICE PATRONALE
Les ouvriers de l'affûtage du département 88 avaient demandé une prime d'insalubrité de 3,80 pour hâter l'installation d'hypothétiques aspirateurs.
Il leur a été accordé d'abord une prime de... 1 fr. 30. Mais des précisions vinrent : trois ouvriers avaient droit à la prime complète, 1 fr. 30, parce que travaillant sans arrêt sur leurs machines. Un autre aux deux tiers, soit 0 fr. 86, parce que l'une des meules sur lesquelles il travaille est à eau ; un autre enfin, à la moitié, soit 0 fr. 65, parce que plusieurs fois par jour il sort dix minutes de l'atelier ramasser les outils. Et puis, deux... à rien du tout, leur nez étant sans doute réfractaire à la poussière. Quant au chef d'équipe qui, comme tous, séjourne dix heures par jour dans le réduit obscur et non aéré qui leur sert d'atelier, pas un instant il n'a été question de lui.
On ne peut s'empêcher de songer aux aides et autres subventions que ces messieurs exigent dès qu'ils se croient lésés dans la moindre parcelle de leurs "biens".
OU VA NOTRE POUVOIR D'ACHAT ?
Allons-nous retirer le bandeau de nos yeux et enfin voir clair ? Où en sommes-nous après onze ans de machinisme forcé depuis nos revendications de 36 ?
Voici, chiffres à l'appui, notre pouvoir d'achat actuel comparé à ce qu'il était dans la même usine et pour le même rendement, en 35.
En 1935, aux usines Renault :
Taux de base : 5,40 frs. x coeff. 1,30 = 7,02 de l'heure ou 70,20 frs. pour 10 heures de travail.
Pouvoir d'achat en 1935 pour ces 70 francs par jour :
Pommes de terre de 0,55 fr. à 0,70 fr. le kg ; 70 : 0,70 = 100 kg.
Vin, de 1,60 frs. à 2 frs. le litre ; 70 : 2 = 35 litres.
Viande, de 5 frs. à 15 frs. le kilo ; 70 : 15 = 4,66 kilos.
En 1947, pour les mêmes quantités de produits, il faudrait un salaire journalier de :
Pour 100 kg de patates à 12 frs. = 1.200 frs. ou 120 frs. de l'heure.
35 litres de vin à 70 frs. = 2.450 francs ou 245 frs. de l'heure (en 1935, on buvait 2 à 3 litres par jour).
4 kg 66 de viande à 450 francs = 2.097 frs. ou 209,70 frs. de l'heure.
Quand on connaît les capacités de ceux qui ont si bien su finir juin 36 et qui sont encore dans leurs fauteuils, on peut leur jeter des fleurs.
Les écoeurés de l'Atelier 5
Dans notre dernier numéro, dans l'article intitulé : "Pourquoi le S.D.R. lutte-t-il pour le contrôle ouvrier ?" nous demandions au comité d'entreprise, qui affirme connaître bien d'autres choses encore (outre la responsabilité de la direction dans l'augmentation du prix de la cantine), qu'il les rende publiques et les fasse connaître aux ouvriers de l'usine. Nous attendons toujours la réponse. |
LE SALAIRE N'EST PAS UN REVENU
Parmi les décrets-lois impopulaires de Laval en 1935 figurait l'institution de la contribution nationale. Les gouvernements ont passé ; mais du Front populaire à Ramadier, ce prélèvement direct sur nos salaires a subsisté, changeant de nom : contribution d'armement sous Reynaud, impôt cédulaire sous Vichy comme aujourd'hui, indépendamment de ce que nous soutire, chaque année, directement, le percepteur.
L'impôt cédulaire est par définition un impôt sur le revenu. Qu'est-ce qu'un revenu ? C'est, nous répond le dictionnaire, la somme que rapporte un capital.
Ainsi, l'Etat assimile nos salaires aux revenus des capitalistes, c'est-à-dire aux sommes que ces derniers volent sur le travail de l'ouvrier, en vertu de leur droit divin de possesseurs de "capital".
Grâce à leurs "revenus", les capitalistes peuvent drainer à leur profit la plus grande partie du patrimoine national et en jouir.
Avec leurs salaires, les ouvriers ont tout juste la possibilité de se procurer de quoi vivre.
Grâce à leurs revenus, les capitalistes utilisent au maximum l'édifice social, construit et entretenu par la classe productrice seule. Et c'est pour financer l'entretien de cet édifice social, dont les possesseurs de "capital" sont les seuls à jouir pleinement, pour financer les guerres nécessaires à ces messieurs pour conserver leurs privilèges, que l'Etat soutire aux travailleurs une partie toujours plus forte de leur maigre salaire. Le système est conçu de telle manière que plus l'ouvrier travaille, plus l'impôt est lourd. Par exemple, un ouvrier qui travaille tous les samedis travaille un samedi sur deux pour le percepteur.
Le salaire n'est pas un revenu. Il faut que l'Etat cesse de nous voler. S'il lui faut de l'argent pour l'entretien de sa machine, qu'il le prenne à ceux qui en profitent : les riches.
Jean BOIS
LES BENEFICES QU'ILS AVOUENT ET CEUX QU'ILS ENCAISSENT...
Dans notre usine, chaque appel à la production est inévitablement accompagné de considérations sur "les difficultés de la Régie". Ces arguments sur "les nationalisations en péril", c'est là le langage d'un chef d'entreprise exigeant le maximum de ses ouvriers en faisant appel à leurs sentiments.
Mais comme la classe des riches est divisée en partisans et détracteurs des "nationalisations", suivant leurs intérêts immédiats, il faut bien que de temps à autre les tenants du fromage que sont les "nationalisations" s'agitent pour prouver, "chiffres en main", que leur affaire est prospère. C'est pour cela que, dernièrement, la Régie donnait à la presse un communiqué où elle parlait de 67 millions de bénéfices pour l'exercice 1946. Ce communiqué provoqua l'indignation parmi les ouvriers qui s'étaient vu refuser il y a quelques mois, sous prétexte de difficultés, la participation promise.
Pouvons-nous baser nos revendications de salaires sur ce soi-disant bilan de 67 millions de bénéfices ? Si cela était, quand il y aurait publication de déficit, il faudrait accepter une réduction de ce que nous gagnons.
Pour les capitalistes qui achètent plus facilement une conscience qu'un ouvrier son pain quotidien, il est aisé de truquer les bilans pour les besoins de la cause. Ce chiffre de 67 millions de bénéfices est aussi fantaisiste que le nombre x de millions que l'on aurait pu avancer comme déficit, si besoin en était.
En réalité, ces gens se moquent du bilan légal. Pour se convaincre à quel point ce chiffre est au-dessous de la réalité, il suffit de le comparer au train de vie d'un capitaliste. Pour nous, 67 millions, cela représente le salaire annuel de 550 ouvriers.
Mais pour nos exploiteurs qui paient un million un manteau de fourrure, peuvent-ils se contenter, en exploitant 30.000 ouvriers, de 67 manteaux de fourrure par an pour eux tous ?
Ces messieurs disposent d'une grande variété de moyens pour encaisser la plus-value que donne notre travail sous d'autres formes que celle de bénéfices déclarés. Il y a les traitements des directeurs et administrateurs, les jetons de présence des membres du conseil d'administration, la jungle des frais généraux, les indemnités de toutes sortes, les spéculations et les fonds versés à l'étranger. En un mot, les multiples écluses par où s'écoule la sueur des ouvriers.
Ils jettent des chiffres en pâture à l'opinion, mais un coup d'oeil indiscret de la classe ouvrière sur les livres de comptes aurait tôt fait de renseigner la population d'une façon plus exacte sur la mesure dans laquelle l'économie est pillée.
H. DURIEUX
DIVISER POUR REGNER
Diviser pour régner, c'est la formule de la bourgeoisie, c'est-à-dire dresser ceux qu'elle exploite les uns contre les autres : les petits commerçants contre les ouvriers, les ouvriers contre les paysans, etc.
Ainsi, par exemple, grâce à tous les moyens de propagande dont elle dispose, a-t-elle réussi à accréditer, auprès des classes moyennes en particulier, l'idée que ce qui fait monter les prix, ce sont les augmentations de salaires. Ce qui est absolument faux. Il suffit de s'en donner la peine pour prendre ces messieurs en flagrant délit de mensonge aussi souvent qu'on le veut. Ainsi, dans Le Monde, journal des deux cents familles, on pouvait lire, le 20 juillet dernier : "En réalité, même si les charges du personnel de la S.N.C.F. n'avaient pas dû être augmentées, une saine gestion aurait exigé une majoration des tarifs pour éliminer un déficit qui paraissait, dès le début de l'année, inévitable". Ce qui n'a pas empêché que, la grève des cheminots à peine terminée, les tarifs ont été majorés pour que la propagande officielle justifie cette augmentation des tarifs par celle des salaires que venaient d'arracher les cheminots.
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