1947

PRIX : 3 francs – 12 AOÛT 1947
L'EMANCIPATION DES TRAVAILLEURS SERA L'ŒUVRE DES TRAVAILLEURS EUX-MÊMES
La Voix des Travailleurs Renault


La Voix des Travailleurs Renault nº 14

Barta

12 août 1947


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LES TROIS LARRONS

Le chassé-croisé imprévu auquel se livrent les dirigeants de la C.G.T., le patronat et le gouvernement, serait tout au plus digne de faire la fortune des caricaturistes et autres amuseurs professionnels, s'il ne s'agissait précisément du sort même de la classe ouvrière et du pays.

PREMIERE VARIANTE : les chefs du P.C.F., qui forment en même temps la majorité de la direction de la C.G.T., sont au gouvernement. Ils agissent de concert d'abord avec De Gaulle, ensuite avec Gouin, Bidault et Ramadier. Mais les travailleurs souffrent de faim et de froid, comme sous l'occupation, et leur misère ne cesse de croître, malgré la fin du conflit et la production ramenée à un niveau plus voisin de celui de 1938.

Quelle est l'explication donnée par les dirigeants de la C.G.T. à cette situation ? Tout le mal vient des trusts, des 200 familles. Le patronat ne peut pas pardonner au gouvernement "démocratique" la nationalisation de certaines industries, il sabote la production. La solution c'est d'aider le gouvernement à procéder à la nationalisation des industries-clés. L'éviction progressive du patronat par de soi-disant nationalisations, voilà la consolation que les chefs de la C.G.T. offraient aux travailleurs pour qu'ils se serrent la ceinture.

Au bout de trois ans, s'étant convaincus par une dure expérience que tous les gouvernements qui ont succédé à Pétain agissaient non pas contre les parasites capitalistes, mais contre les masses travailleuses, et que l'Etat actuel entre les mains des capitalistes était un patron aussi dur que les autres, les ouvriers passent à la lutte directe.

La grève Renault, qui a donné le signal de l'ébranlement de toute la classe ouvrière, aurait, semble-t-il, dû encourager un parti vraiment ouvrier et une centrale syndicale véritablement ouvrière, à s'appuyer sur ce mouvement, qui exprimait la volonté de l'écrasante majorité du peuple français, pour en finir, par l'action directe, avec les parasites capitalistes que n'avait pu éliminer l'action gouvernementale.

Mais ayant quitté les fauteuils ministériels, les dirigeants P.C.F. et réformistes de la C.G.T. ont dévoilé leur situation de bureaucrates qui ne vivent que de la confiance des sphères capitalistes et gouvernementales. Ils ont lutté de toutes leurs forces contre le mouvement gréviste, en prétendant pouvoir réaliser les revendications ouvrières par voie de négociations.

C'est pourquoi, n'ayant pas la possibilité immédiate de nouvelles manigances gouvernementales, ils ont exécuté une DEUXIEME FIGURE : ils ont retrouvé leurs places confortables dans les fauteuils du patronat.

Qui osait calomnier ce bon patronat, ce gentil patronat, ce patronat pénétré des intérêts du pays, du relèvement de la production ? Ce sont ces méchants révolutionnaires... Nous, chefs réalistes de la C.G.T., nous allons inaugurer la paix sociale, le paradis sur terre en compagnie des bons vieux patrons de France. (Voir communiqué C.G.T.-C.N.P.F.).

Si la C.G.T. et le patronat se sont entendu, c'est que, économiquement, ils sont tous les deux effrayés par la lutte ouvrière : le patronat est menacé dans ses intérêts matériels et la C.G.T. est menacée d'être débordée par des "rebelles". Politiquement, le patronat retrouve ainsi son "droit divin". Il est officiellement reconnu comme "classe productive" par ceux qui parlent soi-disant au nom des ouvriers. Tandis que les dirigeants de la C.G.T. ont obtenu la promesse du soutien patronal dans les usines contre les ouvriers révolutionnaires.

Les chefs de la C.G.T. n'avaient pas le choix : ne voulant pas lutter avec les ouvriers, ils ont été heureux que le patronat veuille bien s'entendre avec eux et les utilise pour "tranquilliser" les ouvriers.

L'entente C.G.T.-C.N.P.F. n'est qu'une assurance mutuelle contre l'action revendicative indépendante des travailleurs.

Pour la propagande, bien entendu, les dirigeants de la C.G.T. prétendent avoir été une fois de plus à l'œuvre pour préparer "des lendemains qui chantent".

Et tout état déjà accompli... sur le papier. Mais voilà qu'un trublion jaloux empêche que tout cela tourne rond : le gouvernement a fait savoir qu'il se refuse à entériner l'accord C.G.T.-C.N.P.F. tel quel ! Adieu veau, vache, cochon, couvée.

Avant cela ne marchait pas parce que nous avions un mauvais patronat, maintenant on ne peut aller de l'avant parce que nous avons un mauvais gouvernement !

Mais, en somme, le gouvernement reproche à l'entente C.G.T.-C.N.P.F. une politique qu'il pratiquait déjà lui-même sans jamais l'avoir avoué : LA HAUSSE DES PRIX. La seule différence, c'est que maintenant le salaire de l'ouvrier étant tombé à un niveau de famine sous les effets de l'inflation gouvernementale, la C.G.T. et le patronat veulent, A CE NIVEAU, assurer l'ouvrier contre l'inflation. Chaque fois que la hausse des prix met en danger le niveau actuel des salaires, ils veulent obtenir la révision à l'amiable de ceux-ci afin d'empêcher que ne se produisent des explosions ouvrières qui risquent de tout emporter !

Ce n'est que pour la forme que le gouvernement se montre mécontent, pour sauver la face, justifier son existence "dirigiste".

Ils savent cependant tous, C.G.T., gouvernement, patronat, qu'aucune solution n'est possible pour alléger la situation des masses sans toucher aux privilèges des capitalistes, sans démocratisation réelle de l'Etat, sans la suppression des dépenses de guerre. Or, dans ce domaine, pas un n'est disposé à passer aux actes.

Un compromis final permettra donc à toutes les parties à la fois de se vanter de la solution adoptée pour l'immédiat et de se rejeter mutuellement la responsabilité de la nouvelle expérience quand elle finira, comme toutes les autres, par une misère accrue des travailleurs.

Mais les travailleurs ne sont pas dupes de l'attitude de leurs dirigeants de foire. Il y a quelques mois, un pareil arrangement aurait eu une chance de succès, si les patrons avaient pris les devants. Mais depuis la grève Renault et le mouvement de masses qui s'en est suivi, ce sont les travailleurs qui ont pris l'initiative et ce sont eux qui auront le dernier mot. Rira bien qui rira le dernier !

LA VOIX DES TRAVAILLEURS


FAILLITE DES PROMESSES

Les pourparlers engagés par la C.G.T. et le patronat dans "le souci de l'apaisement social, du devenir de la production et de l'intérêt général du pays" ont abouti à des accords dont tout le monde parle, mais qui n'ont, à aucun moment, été démocratiquement soumis, par les organisations syndicales, au jugement et à l'approbation des ouvriers eux-mêmes.

Officiellement, cet accord apporte une augmentation de 11% sur la masse totale des salaires et sur la base d'un minimum vital de 8.000 francs.

Or déjà au mois de décembre 1946, la Commission d'étude des salaires de la C.G.T. avait calculé le salaire minimum, c'est-à-dire ce qu'il faut à l'ouvrier pour travailler sans tomber malade, au taux de 10.300 francs par mois, sur la base des prix de décembre. Mais toujours dans le souci de l'intérêt national, c'est-à-dire patronal, Jouhaux et Frachon avaient allègrement réduit ce minimum vital de 20%. Leur nouvelle revendication de 8.000 francs, qui était donc déjà en dessous du minimum, représentait pour les ouvriers un sous-salaire, c'est-à-dire qu'ils devaient travailler au détriment de leur substance vitale.

Mais, comme on se souvient, devant le refus gouvernemental, cette revendication même a été abandonnée par Jouhaux et Frachon sous prétexte qu'ils luttaient, eux aussi, pour la "baisse", qu'ils savaient être une tromperie.

Cependant, notre grève les a obligés, au mois de mai, à reprendre la revendication de 10 francs d'augmentation (qui correspondait à peu près aux 8.000 francs sur les prix de décembre) sous forme de "prime à la production" !

Nos camarades savent que nos 10 francs étaient revendiqués sur le salaire de base comme acompte sur le minimum vital, calculé sur l'indice des prix et garanti par l'échelle mobile.

Leur revendication de "prime à la production" était une arme de division, à l'aide de laquelle les bureaucrates se sont employés à fractionner le mouvement et à mettre le patronat à l'abri d'une grève générale pour un salaire minimum vital garanti.

Aujourd'hui qu'ils ont réussi à faire rentrer provisoirement les ouvriers dans le rang, ils se posent en négociateurs pour l'augmentation du salaire de base.

Mais quel est ce salaire ? Comme toute la presse le reconnaît, ce qu'ils "obtiennent" du patronat, c'est la consécration, à quelques exceptions près, des résultats arrachés par les ouvriers dans la lutte directe, mais qui a été sabotée en grande partie par eux.

Mais si C.G.T. et patronat se sont entendu pour légaliser ce que la lutte ouvrière de mai à juillet a obtenu, les bureaucrates syndicaux ont reconnu en échange, au patronat, la licence de la "révision des prix" et de l'augmentation de la semaine de travail, c'est-à-dire la surexploitation. Les travailleurs se trouvent, comme avant, sans aucune garantie contre la dernière hausse des prix du pain, du lait, des loyers, des produits pharmaceutiques, etc., et toutes les hausses à venir. Mais le "bon" patronat, qui a bien voulu reconnaître une infime hausse des salaires (que nous avions déjà conquise), et accepter la révision des prix pour laquelle il ne se faisait déjà pas prier, a, en plus, reçu la complicité des chefs cégétistes pour réduire ses prestations aux assurances-vieillesse et accidents de travail. Les patrons payent avec l'argent des ouvriers !

Voilà ce que les Jouhaux et Frachon appellent la "paix sociale" et "l'intérêt général du pays" : maintenir les ouvriers à un sous-salaire et exiger d'eux un effort accru (la prolongation de la semaine de travail). Contre l'inflation, aucune garantie de rajustement des salaires au coût de la vie au détriment des profits capitalistes !

Cependant, dans le grand mouvement gréviste, le patronat avait montré sa faiblesse et la classe ouvrière sa force. Il était possible à la classe ouvrière, sans la trahison cégétiste, d'arracher au patronat, par la grève générale, des garanties comme l'échelle mobile des salaires (calcul d'un minimum vital basé sur l'indice des prix) et le contrôle ouvrier sur les livres de comptes des capitalistes où s'enregistrent leurs formidables bénéfices réalisés sur les commandes de guerre, les spéculations et la surexploitation des travailleurs. Mais, pour les ouvriers qui ne sont plus dupes aujourd'hui de la trahison des chefs cégétistes, cela reste encore possible : la classe ouvrière s'est battue, elle se battra encore.

Dans notre usine, le S.D.R. demande aux ouvriers de s'opposer à toute tentative d'augmentation de la semaine de travail et revendique que la semaine de quarante-cinq heures soit payée au salaire de la semaine de cinquante heures.

Les attaques du patronat contraindront les ouvriers, qu'ils le veuillent ou non, à soutenir de nouvelles luttes. Pour que leurs résultats soient décisifs, il faut dès maintenant s'y préparer, c'est-à-dire assurer la liaison avec les autres entreprises métallurgiques et les autres corporations, orienter tout l'effort des travailleurs de partout vers une lutte unie, c'est-à-dire vers la grève générale.


IL FAUT APPRENDRE A LUTTER

par Pierre BOIS

Il y a longtemps que la volonté de lutte de la classe ouvrière ne s'était manifestée avec autant d'ampleur que ce printemps et cet été. Après le signal de départ qu'a été notre grève en avril, tour à tour toutes les catégories de travailleurs, des métallos aux boulangers, des textiles aux dockers, des gaziers aux mineurs, des employés de banque aux cheminots, etc. ont engagé le combat.

Ce qu'il y avait de commun entre les 30.000 ouvriers de chez Renault et les centaines de milliers d'autres grévistes, c'est qu'ils voulaient tous secouer le fardeau d'une misère croissante. Mais ce n'est pas tout. Dans ce mouvement, les ouvriers de notre usine et les autres ont fait aussi une expérience commune. Si notre mouvement, qui a pris la direction cégétiste à l'improviste, a eu à se heurter à ses matraqueurs, partout également les ouvriers n'ont pu entrer en lutte qu'en brisant l'inertie et le sabotage de cette direction. Et bien que la vague gréviste ait démontré que la force ouvrière dépasse de beaucoup celle de la bourgeoisie, nous n'avons pu aller jusqu'à la victoire parce que le mouvement a succombé au sabotage intérieur de ces valets du patronat. Quel est l'ouvrier qui ne sache aujourd'hui que si nous n'avons pas eu de grève générale, c'est-à-dire un mouvement simultané irrésistible au lieu de mouvements dispersés, la faute en est uniquement à eux ?

Ainsi, si notre grève a été le signal de départ du mouvement ouvrier de cette année, elle a été aussi l'image la plus nette de l'évolution qu'a subie la conscience de tous les travailleurs après trois années d'expérience, vis-à-vis de la direction cégétiste. Dans le feu de la lutte, des centaines d'ouvriers de base, anciennement organisés ou inorganisés, se sont révélés capables d'accomplir les tâches de la lutte ouvrière gréviste, à l'encontre du sabotage de la direction officielle ; seulement, si la lutte gréviste a montré que, dans le feu de l'action, le mouvement trouve, parmi les organisés ou parmi les inorganisés les éléments dont il a besoin pour se développer, elle a montré aussi qu'on ne peut pas arracher une victoire décisive sans une organisation syndicale entièrement au service des travailleurs, c'est-à-dire contrôlée par eux. C'est pourquoi, en vue des prochaines luttes, nous nous sommes mis à la tâche de créer le Syndicat Démocratique Renault, basé entièrement sur ce principe. Appuyé sur la masse des ouvriers les plus actifs dans la grève et sur la sympathie de milliers d'autres ouvriers, le S.D.R. est un syndicat absolument viable, capable, sinon de supplanter l'organisation cégétiste ou la C.F.T.C. tout au moins de les contrebalancer, les obliger à compter avec la volonté des ouvriers ; et ne fût-ce que pour cela, sa création a été entièrement justifiée.

A l'heure actuelle, d'autres tentatives de regroupement syndical sur la base de l'entreprise ou de la "corporation", en dehors des scissionnistes de la C.G.T., ont lieu (métro, P.T.T., cheminots...).

On sait que l'argument de la scission est brandi précisément par les bureaucrates contre ceux qui se détournent d'eux.

Cependant, si on réfléchit bien, on n'a pas de mal à comprendre que ce sont eux qui méritent le nom de scissionnistes. En effet, qui pourrait penser se séparer d'une organisation syndicale qui permettrait à la majorité des ouvriers de se manifester librement, d'élire ses responsables, etc..? Ce sont les responsables du P.C.F. et une certaine catégorie de réformistes ("socialistes", etc..) alliés à eux, qui, ayant tout entre leurs mains et ne respectant pas la démocratie, sont responsables de tout ce qui arrive actuellement de mauvais à la C.G.T., y compris le fait que des militants et des ouvriers soient obligés de créer d'autres organisations.

Pour notre part, c'est un autre genre de critique que nous avons à faire à ces nouvelles organisations (sans nous arrêter aux éléments plus ou moins douteux qui y jouent un rôle, puisque tout mouvement syndical comprend toutes sortes d'éléments). Nous n'avons pas l'impression jusqu'à maintenant qu'elles organisent véritablement la fraction la plus active et la plus avancée dans les professions respectives.

Or toute création artificielle de syndicat ne résoudra absolument rien. Les travailleurs ne seront pas plus avancés, si à la place d'une organisation bureaucratisée de la C.G.T., ils trouvent des organisations "démocratiques", c'est-à-dire où on peut parler librement tant qu'on veut, mais où l'on serait impuissant à lutter effectivement. C'est la raison pour laquelle nous n'avons pas, contrairement aux informations de certains journaux, l'intention de "lancer" une nouvelle fédération des métaux, etc... Nous pensons, appuyés sur notre expérience Renault, que les travailleurs, partout où ils arrivent à s'émanciper de la tutelle patronale en même temps que de celle de la C.G.T. - là où ils constituent une force réelle - n'ont pas à se formaliser des accusations des bureaucrates de la C.G.T. et de leurs alliés qui crient à la scission (car ce sont eux les scissionnistes) et qu'ils ont intérêt à créer un syndicat de base indépendant, indépendant de l'Etat, du patronat et de la bureaucratie P.C.F. ou réformiste.

Pour cela, il est certain que nous avons devant nous pas mal de travail à faire, car chez Renault non plus ce n'est pas en un jour ou en un mois que nous avons réalisé quelque chose. Nous avons mis de longs mois à préparer la grève, par un travail de tous les jours, en éduquant de nouveaux éléments, en publiant notre bulletin La Voix des Travailleurs, qui était l'organe reconnu de centaines d'ouvriers, dès février 47.

Si on veut aboutir à la création d'un véritable mouvement syndical démocratique qui dépasse le cadre de l'usine et des corporations et aboutisse à la reconstitution d'une véritable C.G.T. pour tous les travailleurs, il faut commencer par le commencement. Il faut que partout les ouvriers désireux que ça change se mettent au travail sérieux et patient pour élever leur niveau et celui des autres, défendent pas à pas les travailleurs, fassent en sorte que la création de syndicats de base démocratiques et la création de nouvelles organisations syndicales en général, soit une véritable émancipation des travailleurs par eux-mêmes.

Il faut apprendre à lutter, voilà la tâche la plus urgente de l'heure.


SYNDICALISME ET POLITIQUE

Nous vivons à une époque du mouvement ouvrier où l'extrême complication des faits, jointe à la décadence du mouvement lui-même et de la société, permettent à la démagogie de couler à plein bord.

De nos jours, les travailleurs ne reçoivent, pour toute nourriture idéologique, que la production pâteuse de dirigeants qui, ne voulant ou ne pouvant s'instruire eux-mêmes, inculquent aux travailleurs les pires préjugés au lieu de leur expliquer patiemment et de les aider à comprendre tous les problèmes, aussi bien séparément que reliés entre eux.

C'est ainsi que, l'action des actuels dirigeants de la C.G.T. étant antidémocratique, et ses dirigeants se trouvant être dans leur grande majorité membres d'un parti qui se dit communiste, les spécialistes de nouilles froides pour "l'intelligence ouvrière" n'y vont pas par quatre chemins : c'est de la politique que vient tout le mal. Eblouis par cette découverte, leurs plumes s'en donnent à cœur joie : politique... c'est incompétence, rivalités, désordre, impuissance, et en fin de compte dictature. Voilà ce qu'on peut lire textuellement dans le Postier syndicaliste (n° 6), organe de la Fédération syndicaliste des P.T.T.

Et puisque tout le mal vient du malin, c'est-à-dire de la politique : indépendance ! C'est bien là de la démagogie, c'est-à-dire "des idées simplistes à l'usage de la masse".

On pourrait demander à tous ceux qui détiennent ce secret de la pure activité syndicaliste comment, malgré la possession de ce secret sauveur, ils ont laissé le mouvement ouvrier s'enfoncer toujours plus, si nous n'avions un exemple bien plus concret : M. Jouhaux, l'ami de Frachon, est-il, par hasard, un homme de parti, communiste ou autre ? N'a-t-il pas été éduqué dans le syndicalisme "pur", "révolutionnaire", le plus authentique d'avant 1914 ?

Jouhaux a trahi, c'est un fait. Mais vous êtes-vous demandé, purs chevaliers de l'indépendance, d'où vient la malfaisance des dirigeants actuels de la C.G.T. ? Seraient-ils, par hasard, eux, restés fidèles à l'idéologie dont ils se réclament ? Le communisme politique s'oppose-t-il vraiment au syndicalisme, ou bien, comme Jouhaux, ont-il, eux aussi, renié leur doctrine ?

Le syndicat a pour tâche la défense de tous les jours des ouvriers, de leur salaire, de leur niveau de vie économique. Mais le sort des travailleurs ne se décide pas seulement en usine. Les travailleurs peuvent gagner une victoire revendicative (comme les cheminots dernièrement) par l'action de classe, à l'usine, et la perdre immédiatement au Parlement, grâce aux lois Schuman, par exemple. Les travailleurs d'une usine peuvent faire capituler un patron, mais l'Etat bourgeois peut envoyer, contre eux, la police, l'armée ou les bandes fascistes.

Si la classe ouvrière est vaincue politiquement comme elle l'a été en 1933 en Allemagne ou en 1939 et 1940 par Daladier, Reynaud et Pétain en France, elle est vaincue en MEME TEMPS syndicalement. L'action syndicale seule de 1939 à 1944, sans la politique, aurait-elle pu obtenir pour les travailleurs les quelques libertés qui, bien que minimes et ne les empêchant pas de mourir de faim, leur font cependant aujourd'hui un sort différent de ce qu'il était sous Daladier et Pétain.

En ce moment même aux Etats-Unis, la classe ouvrière américaine est invincible sur le terrain syndical, l'appareil bureaucratique syndical est incapable de s'opposer à la volonté de la masse des ouvriers.

Les capitalistes américains ont pris leur revanche politique en faisant voter des lois anti-grève. C'est en parachevant son action syndicale par une action politique de classe que les travailleurs américains peuvent réussir à maintenir leur organisation syndicale qui défend leurs intérêts immédiats.

Aussi l'action syndicale et l'action politique ne sont pas deux choses opposées du mouvement ouvrier, mais deux aspects complémentaires d'un seul et même mouvement. Il y a seulement une division du travail entre l'action syndicale et l'action politique de la classe ouvrière. Sans action syndicale, la classe ouvrière ne peut pas défendre son existence quotidienne, mais à son tour, sans politique ouvrière, le syndicalisme ne peut pas exister. C'est ainsi que nous arrivons au nœud du problème. Si l'action des dirigeants actuels de la C.G.T. est mauvaise dans le syndicat, ce n'est pas parce qu'ils sont membres d'un parti politique mais parce que leur politique également n'est plus ouvrière. S'ils ne respectent pas la démocratie dans le syndicat, c'est qu'ils ne la respectent pas non plus en politique, dans leur propre parti.. Ils ne sont pas mauvais syndicalistes parce que bons politiques communistes. Ils sont mauvais syndicalistes parce que mauvais politiques, parce que non démocrates en politique.

A. MATHIEU


SYNDICAT DEMOCRATIQUE RENAULT

Les formalités de la légalisation du Syndicat Démocratique Renault ayant été accomplies à la mairie de Boulogne et à la préfecture de la Seine, le bureau du SDR a adressé immédiatement à la direction de l'usine les demandes suivantes :

1° La possibilité d'utiliser les panneaux d'affichage syndicaux

2° La possibilité d'utiliser les cantines pour nos réunions et conférences ;

3° La possibilité d'être associés aux discussions et délibérations concernant tout ce qui a rapport entre le personnel et la direction ;

4° Les dispositions actuellement en vigueur ne nous ayant pas permis d'accréditer des délégués du personnel auprès de la direction, la possibilité de pouvoir déposer à dates fixes nos doléances et nos revendications.

 
 

Le Syndicat démocratique Renault (S.D.R.) est inscrit sur les contrôles de la préfecture de la Seine sous le N. 1.041 B.

 
 

SOLIDARITE

Une collecte faite par les ouvriers du secteur Collas en faveur des ouvriers grévistes de chez Citroën la semaine d'avant les vacances a rapporté la somme de 6.110 francs.

Cette somme a été remise au Comité de grève de chez Citroën.


Le S.D.R. communique :

De nombreux camarades nous ont demandé en quoi consistaient les indemnités de 50 francs par jour pour la nourriture et de 4 francs pour le logement pendant les vacances, dont plusieurs journaux ont parlé.

Nous précisons que ces indemnités sont redevables aux salariés dont le salaire comporte des avantages en nature : commis boucher, valet de ferme, bonnes, etc., qui sont nourris et couchés par leurs employeurs.

D'autres camarades nous ont demandé des précisions légales sur le droit au chômage pour les ouvriers ne bénéficiant pas des congés payés.

Légalement, ceux qui n'ont pas travaillé toute l'année chez Renault et qui ont travaillé ailleurs, doivent toucher leurs vacances en quittant leur dernière boîte (un jour par mois de travail). Ils peuvent le vérifier sur le dernier bulletin de paye du dernier employeur et, au cas où il ne les aurait pas touchées, les réclamer à celui-ci. Ils n'ont donc pas droit au chômage. Ceux qui ne travaillaient pas avant leur entrée chez Renault ont droit au chômage le nombre de jours qu'ils ne sont pas payés moins cinq.

Exemples : Un ouvrier qui vient de rentrer et qui n'a pas du tout de vacances a droit à 12 jours - 5 = 7 jours de chômage.

Un ouvrier qui a 3 jours de congés payés a droit à 12 jours moins 3 jours de congés payés moins 5 jours, ce qui donne 4 jours de chômage.


BREST, NOUVEL AVERTISSEMENT

Il y a quelques mois, par suite de l'explosion d'un navire chargé de nitrate d'ammonium, la ville de Texas City, en Amérique, a été entièrement détruite. Une aussi formidable catastrophe n'a pu se produire que parce que, dans toute la ville, étaient entreposées, exactement comme en plein conflit, des quantités considérables de matériel de guerre.

Il y a quelques semaines à peine, également par suite de l'explosion d'un navire chargé de nitrate d'ammonium, la ville de Brest, en France, a été partiellement détruite, c'est-à-dire que de nouvelles ruines et de nouvelles victimes sont venues s'ajouter à celles de la guerre.

Enfin, il y a quelques jours, les journaux nous apprenaient qu'"après Texas City et Brest... un cargo chargé de nitrate de sodium venait d'exploser à Melbourne, en Australie, faisant six victimes parmi l'équipage".

En Amérique, en France, en Australie, par le monde entier, sont charriés des milliers de tonnes d'explosifs. On manque de moyens de transport, quand il s'agit de ravitailler en blé l'Europe affamée : mais on n'en manque pas, quand il s'agit de transporter les explosifs des trusts chimiques Dupont de Nemours et autres. Après l'explosion de Brest, les dockers new-yorkais, devant le danger que risquaient eux-mêmes et les populations environnantes, ont refusé de continuer à manipuler ce genre de matériel. De telles catastrophes représentent plus qu'un danger physique immédiat. Elles donnent l'avertissement très net que les capitalistes sont en train de préparer en toute diligence la troisième guerre mondiale.

En effet, la guerre n'est pas un coup de foudre dans un ciel serein. Il faut des mois aux capitalistes pour la préparer, fabriquer des tanks, des canons, des bombes, des explosifs, etc., et les répartir à travers le monde entier. Et si les travailleurs ne luttent pas dès maintenant, pied à pied, contre la guerre, il ne faudra pas qu'ils s'étonnent qu'elle finisse, un jour ou l'autre, par éclater.

Texas City, Brest, Melbourne sont autant d'avertissements aux yeux de tous. Mais c'est aux ouvriers, à tout moment, d'alerter la population, en lui dévoilant que telle usine fabrique des engins de guerre, que tel navire en transporte, et c'est à eux de s'y opposer, comme l'ont fait les dockers américains après Brest. Cet exemple des dockers montre que si c'est la main criminelle de la bourgeoisie qui commande, ce sont les ouvriers, victimes désignées de la guerre, qui fabriquent et charrient les engins de mort.

C'est aux ouvriers d'exiger que les usines fabriquent des tracteurs et non des canons, que les navires transportent du blé et non des explosifs.

La classe ouvrière du monde entier, par son action concertée, peut mettre un obstacle à la troisième guerre mondiale.

DURIEUX


DANS L'ARMEE MODERNE ET DEMOCRATIQUE...

>Un camarade de chez Renault, actuellement aux armées, nous avait écrit le 7 juillet :

"Un jour de la semaine dernière, à midi, alors que nous revenions d'une manœuvre en campagne, fatigués et affamés, il n'y avait, pour tout menu, que de la salade, des pommes de terre aux choux et une portion de fromage blanc, agrémentés d'une certaine quantité de vin qui ne remplissait même pas le quart. Grand mécontentement dans le réfectoire où je me trouve. Un brigadier, revenant de la cuisine où il était allé "engueuler" copieusement le maréchal des logis de cuisine (sergent), nous dit, à tous, qu'il ne fallait pas se laisser monter sur les pieds, refuser la "jaff" et ne retourner ni au rassemblement, ni aux manœuvres de l'après-midi. Les copains l'écoutaient tous.

"Le bruit se colportant rapidement, bientôt de tous les réfectoires du bâtiment, s'échappaient un tumulte, des cris. Bref, on ne s'entendait plus. C'est sur ces entrefaites qu'est survenu le lieutenant de la batterie, alerté par le maréchal des logis de cuisine. Le lieutenant  (qui sort d'une famille bourgeoise et gaulliste, comme tous les officiers), remit rapidement la situation en ordre. Après avoir fait cesser le chahut, il commença à menacer et fit comprendre aux soldats qu'il ne tolérerait pas la moindre forme de protestation, collective ou sous quelque forme que ce soit.

"Le gouvernement a assez à faire avec les grèves sans s'occuper des armées. Ici je ne veux ni protestations, ni manifestations. La cellule attend les fortes têtes. Nous saurons les mater. Nous sommes là pour cela." Et, comme s'il eût voulu prévenir un mouvement, il ajouta : "Il se peut que vos revendications, vos doléances soient justifiées. Dans ce cas, adressez-les individuellement et en passant par les voies hiérarchiques. Mais je vous défends de vous monter la tête. Il n'y aura pas de révolution !"

"Le soir même, le repas fut amélioré.

"Pourtant, à mon avis, le mécontentement, caché à présent, existe toujours et ressurgira. Cela dépend de l'ampleur de la lutte que mènent les ouvriers. Je compare la caserne à un baromètre où ne s'enregistrent que les températures très élevées avec un certain temps de retard. Les grèves des cheminots, des gaziers, des électriciens ont été accusées ici et elles n'ont pas peu contribué à créer l'état d'esprit de la semaine passée.[...]


[...]"Le 14 juillet approche. Ici, dans la batterie, nous ne sommes pas près de l'oublier car, en vue du défilé de ce jour-là, on nous fait manœuvrer à longueur de journée. "Garde à vous !", "Présentez arme !" "Arme sur l'épaule !" et les mouvements doivent être exécutés à la perfection. C'est dans ce but que le "margis" vient d'inaugurer un nouvel exercice à l'intention de ceux qui ont la tête dure. Il s'agit de ramper sur le sol, le fusil sur les bras et le menton touchant terre.

"Je voudrais que vous voyiez le jeune copain qui vient de faire dix mètres d'un tel exercice, les poignets et le menton écorchés, essoufflé, fatigué et obligé de reprendre sa place dans le rang pour continuer l'exercice à la même cadence que les autres. Un rien, un pied qui remue, une tête qui bouge, un fusil mal placé, des bras non tendus suffisent pour s'en taper dix mètres et plus, et des corvées, par-dessus le marché[...]


[...]"Chaque jeune soldat, appartenant à une organisation politique quelconque, est prié de le faire savoir au bureau de sa section. C'est ainsi que s'est exprimé un officier au rassemblement du matin. Ils essayent, quoi qu'ils se doutent d'avance du résultat négatif de leur démarche, de dépister les éléments qui peuvent être "dangereux pour l'ordre" à la caserne. Ce sont évidemment les membres du P.C.F. qui sont visés. En attendant de pouvoir les coincer librement, et pour de bon, on se contente de les repérer. Cela fait partie de la création de l'armée moderne et démocratique dont Thorez et Duclos ont la bouche pleine..."


"COLLABORATION" ET "COLLABORATION"

Jeudi 7 août, M. Duten a fait connaître à l'ouvrière Thérèse Mary, atelier 317, la signification de son renvoi de l'usine. Le motif ? Cette ouvrière est accusée d'avoir enfreint le règlement de l'usine qui dit que toute relation avec les prisonniers de guerre allemands est interdite.

Quels sont les faits ? Il y a quelque temps, cette ouvrière fit un échange de lettres "sentimentales" avec un P.G. et fut prise à lui donner du pain. Les lettres furent confisquées et voici que, quelques jours après une discussion avec le gardien des P.G. et sur rapport de celui-ci, elle fut mise à la porte. Ce que cette ouvrière a fait, des milliers de femmes allemandes l'ont fait, risquant beaucoup plus qu'une mise à la porte, et de nombreux P.G. français ont risqué avec elles les pires persécutions. C'est que les lois de l'humanité sont plus fortes que toutes les brimades des gouvernants et on ne peut pas empêcher les exploités de fraterniser dans leur misère.

Les politiciens, eux, fraternisent autour de tables copieusement garnies. Daladier, qui, en 1938, serrait amicalement la main d'Hitler à Munich, n'a pas été renvoyé de sa place de député à plus de 600.000 francs par an. Il est vrai que M. Duten prétend que "ça c'est une question qui le dépasse".

Ce qui veut dire que les ouvriers doivent aimer ou haïr selon le bon vouloir de ces messieurs. Par contre, les personnages "importants", eux, ne subissent pas les règlements, ils les font.

Mais la direction, qui est si vigilante lorsqu'il s'agit de brimer une ouvrière, n'a-t-elle pas conservé une foule de "collaborateurs" ? Il est vrai que ces gens-là n'ont pas échangé de sentiments avec les opprimés du camp adverse. C'est avec les maîtres de l'Allemagne qu'ils ont "fraternisé" pour le plus grand bien de leurs coffres-forts.


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