1946 |
Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! – LA LUTTE de CLASSES – Organe de l'Union Communiste (Trotskyste) n° 72 – 4ème année – Hebdomadaire (B.I.) le n° 3 francs |
LA LUTTE DE CLASSES nº 72
25 octobre 1946
A la veille d'élections dont le résultat décidera de leurs places pendant une période théoriquement de 5 ans, tous les partis ont pris pour principal moyen d'agitation la lutte contre le tripartisme.
Dans ce chœur de gens avides, les tenants même du tripartisme – rejeté par tout le monde parce qu'odieux à l'écrasante majorité de la population – occupent la première place.
Mais que proposent-ils ?
Le M.R.P. fait campagne pour un gouvernement BIDAULT SANS THOREZ;. Mais gouverner sans Thorez, actuellement, ce n'est pas une question de voix électorales. Il faudrait pouvoir opposer aux revendications des masses travailleuses et principalement de la classe ouvrière, à la place du "IL FAUT SAVOIR CESSER UNE GREVE" de Thorez, la force brutale de la police et des bandes fascistes, c'est-à-dire utiliser non pas les jaunes qui trompent la classe ouvrière, mais les jaunes armés qui l'écrasent. Mais, cela, c'est le programme de De Gaulle duquel le M.R.P. s'est séparé (temporairement il est vrai) "pour ne pas diviser le pays en deux blocs", avec le risque d'être battu, en réveillant la classe ouvrière avant d'être certains de pouvoir la démolir à coup sûr. Et ce qui était vrai il y a deux semaines, le reste encore aujourd'hui, tant que la classe ouvrière, en dépit de la trahison de ses chefs, n'est pas entièrement démoralisée et divisée.
Quelles que soient les formules envisagées, un gouvernement de coalition "sans Thorez" est impossible. La formule "Gouvernement Bidault sans Thorez" est donc un simple slogan électoral.
Le P.S. revendique à lui tout seul le pouvoir. Mais tout le monde sait que les chefs débiles du Parti socialiste sont tout juste bons à servir de tampons entre des gens qui, eux, savent ce qu'ils veulent. Là aussi, simple formule électorale.
En face de cette campagne contre le tripartisme, les réalistes du P.C.F., renonçant au "neuf et au raisonnable", déterrent les morts et ressortent des reliques. Les morts, ce sont les Radicaux qui possèderaient "D'AUTRES NOMS QUE CEUX DE DALADIER", c'est-à-dire DES DALADIER DE FRONT POPULAIRE ; les reliques, c'est le programme du C.N.R. qu'on promène chaque fois qu'il faut masquer les trahisons et l'absence, dans l'activité des chefs du P.C.F., de tout programme autre que la conservation de leurs privilèges et le soutien de la diplomatie soviétique.
Ainsi, le pays ne veut pas du tripartisme : ni les "oui" qui croyaient voter contre la réaction, ni les "non", ni les abstentionnistes. Les partis qui en sont responsables le rejettent aussi en paroles. Personne n'en veut, et cependant c'est toujours le tripartisme qui est à l'ordre du jour et reste la seule formule gouvernementale possible après les élections. Car la formule gouvernementale actuelle n'est pas due au nombre de voix respectives (le P.S. est beaucoup moins fort que ses deux partenaires), mais à l'impuissance de chacun des actuels grands Partis à avoir UN PROGRAMME POLITIQUE VERITABLEMENT CONSTRUCTIF. Au service de la bourgeoisie, ils doivent se plier à ses exigences et accomplir sa besogne quotidienne.
Ses intérêts ne pouvant pas être défendus actuellement par une politique de force, la bourgeoisie fait du tripartisme une arme contre les travailleurs. En collaborant avec les chefs du P.C.F. au gouvernement, le M.R.P. pousse cependant à la roue dans le sens de De Gaulle. L'impuissance du M.R.P. n'est donc pas une impuissance contre les ouvriers, mais L'IMPUISSANCE PROVISOIRE DE DE GAULLE A IMPOSER UNE SOLUTION DE FORCE.
Le P.C., qui se dit le défenseur des travailleurs et prétend lutter contre le fascisme en déterrant (bien que pour la forme) une formule (Front populaire) QUI AVAIT DEJA FAIT FAILLITE AVANT GUERRE, montre qu'il n'a aucun programme politique sérieux, c'est-à-dire qu'il n'est pas capable d'indiquer une force qui permette de lutter réellement contre les dangers qui menacent la classe ouvrière, et qu'il sera comme par le passé impuissant à nous éviter le pire.
Impuissant à assurer le ravitaillement normal de la population, malgré l'existence de moyens de subsistance normaux ; impuissant à mettre de l'ordre dans les finances de l'Etat qui, en pratiquant l'inflation, ruine tous les jours davantage les petites gens, sape le pouvoir d'achat des travailleurs et aggrave à l'extrême l'anarchie économique ; impuissant à mettre hors d'état de nuire les spéculateurs et toute la pègre qui vit légalement de rapines sur le dos des travailleurs ; impuissant à arrêter la hausse des prix organisée et poursuivie suivant un plan délibéré par les forbans, maîtres des usines et des banques ; impuissant à accorder aux travailleurs satisfaction pour leurs salaires devant la hausse constante des prix ; impuissant à arrêter le fascisme qui complote contre la liberté des travailleurs, complot qui ne se limite pas à quelques associations secrètes d'anciens S.S. français, mais s'étend à des personnages qui, comme De Gaulle (affaire Passy D.G.E.R.), s'en font un appui pour leur pouvoir personnel.
Cette impuissance, c'est la source même de la force de De Gaulle, dont l'action serait vouée à un échec certain, comme celle de son prédécesseur sénile Doumergue en 1934, par un mouvement ouvrier allant de l'avant et entraînant derrière lui, vers une issue réelle, toutes les masses travailleuses. Car la situation de plus en plus tendue exige une solution.
De Gaulle, écrivions nous le 11 février 46, veut un pouvoir fort au service de la bourgeoi-sie, POUR REJETER TOUT LE FARDEAU DE LA CRISE SUR LE DOS DU PROLETARIAT en empêchant ses moindres revendications et protestations.
La classe ouvrière, elle, doit construire un pouvoir fort contre la minorité exploiteuse, pour mettre fin à la crise.
Il faut un gouvernement fort pour faire enfin payer les riches, pour confisquer les CENTAINES DE MILLIARDS de bénéfices et superbénéfices de guerre réalisés depuis 1938, des profits et surprofits des trafiquants et spéculateurs ; pour éliminer les parasites et les "intermédiaires", pour procéder à l'organisation rationnelle de l'économie par l'expropriation SIMULTANEE et SANS INDEMNITE de toutes les grosses banques et industries-clé avec le concours et sous le contrôle des ouvriers et employés. Il faut un gouvernement fort pour mettre à la raison les généraux et les Cagoulards, les 6-févriéristes (regroupés dans le "Parti Républicain de la Liberté") et toute la racaille réactionnaire, rétro-grade et anti-ouvrière.
Un gouvernement fort s'appuyant sur les milices ouvrières armées d'usines et de quartiers;, pour être capable de battre les fascistes et les cliques paramilitaires : car l'appareil étatique actuel, sa police, sa justice, est lui-même complice de la réaction et du fascisme.
Un gouvernement fort, capable d'endiguer la débâcle économique et d'assurer le relèvement à travers le contrôle exercé par les Comités ouvriers d'entreprise.
Un Etat bon marché, parce qu'appuyé sur le peuple et non pas sur la police et les Cagoulards contre le peuple.
Un pouvoir appuyé sur l'activité et le contrôle direct des millions de travailleurs organisés dans leurs Partis, leurs Syndicats, leurs Associations, leurs Comités, serait le seul pouvoir à la fois centralisé et pleinement démocratique.
Travailleurs, forcez les Partis parlant en votre nom à rompre avec la bourgeoisie et à ouvrir une véritable lutte pour ce pouvoir, pour la constitution d'un gouvernement appuyé sur les organisations et les milices ouvrières.
MOBILISEZ-VOUS POUR LA CONSTITUTION DU GOUVERNEMENT OUVRIER ET PAYSAN !
Avec tous les ouvriers conscients, les révolutionnaires œuvreront dans ce sens.
Pendant que M. Schuman, le Ministre des Finances, n'attend que la fin des élections pour annoncer ses nouvelles "mesures courageuses", M. Bidault, lui, nous trace un tableau optimiste. Dans l'exemple de l'Italie il ne voit pas, comme nous, le sort qui nous menace si les choses continuent à aller du même train, il y trouve une consolation : "nous n'en sommes pas encore là" !
Mais après cette consolation, M. Bidault affirme qu'il n'y aura plus d'augmentation des salaires, cependant qu'il ne dit mot pourquoi les prix des produits les plus indispensables ne cessent d'augmenter.
M. Farge découvre tout à coup que "le ravitaillement est un problème de gouvernement". Mais il le découvre maintenant, quand tout le monde s'en aperçoit, et parce qu'on ne peut plus prétexter de la pénurie ; il y a souvent plus de produits de consommation qu'avant guerre, mais ils n'arrivent pas sur la table des ménagères.
Si ce n'était pas, en effet, un "problème de gouvernement", c'est-à-dire de direction et d'orientation de la production, mais seulement une question d'"augmenter la production", comme nous ont chanté la bourgeoisie et surtout ses laquais, verrions-nous, même aux Etats-Unis, où les richesses de toute sorte, y compris les biens de consommation, sont produits en quantité presque illimitée, les ménagères manquer de viande, les grandes villes vivre dans l'insécurité du ravitaillement, des conflits innombrables provoqués par la hausse des prix ?
"Produire", n'est-ce pas ce que font les travailleurs leur vie durant ? Pourquoi alors le leur avoir crié avec tant d'acharnement, si ce n'était pour détourner leur attention des véritables causes de leurs souffrances : un gouvernement au service des riches ? Mais après deux ans de cette propagande au service de la bourgeoisie, et parce que la situation va en empirant, ces messieurs se réveillent et tentent de nous expliquer, afin de rejeter chacun la faute sur l'autre et en tirer un bénéfice électoral, que tout est un problème de gouvernement, qui doit "tenir les prix d'une main de fer", combattre la spéculation, réduire les marges bénéficiaires du grand patronat, lutter efficacement contre la vie chère, etc...
Mais tous les gouvernements se sont avérés impuissants dans ces questions : le gouvernement De Gaulle qui disposait de tous les pouvoirs, celui de Gouin qui avait promis de "renverser la vapeur", celui de Bidault "l'optimiste", et ont tous fait le même travail.
Ils ont fait tous la même chose, parce que l'appareil gouvernemental qu'ils dirigent est la création des riches, et fait pour les servir. Tout travailleur, tout homme du peuple sait, quand il a la moindre petite affaire à résoudre, à quelles difficultés il doit se heurter ; tandis que les riches passent devant tout le monde, agissent par des intermédiaires à leur dévotion, corrompent et tiennent en laisse toute la hiérarchie des fonctionnaires, magistrats, politiciens, journalistes, policiers. Ils nous soumettent à des privations, nous incitent à produire, ils nous expliquent que le rationnement c'est pour assurer à chacun sa juste part, et on découvre que ce n'est qu'une pépinière à scandales, un moyen pour les gros capitalistes et spéculateurs d'empocher des milliards dans une totale impunité.
Devant la coalition de l'Etat et de la bourgeoisie dans la vie quotidienne, la C.G.T., à la tête de laquelle se trouvent actuellement des gens qui aiment mieux conserver leurs postes que de lutter pour les travailleurs, a organisé des soi-disant commissions de contrôle, des "Comités d'assainissement des prix", etc. Mais dans la pratique ces Comités, faits seulement pour dire qu'on a fait quelque chose, se sont avérés inefficaces et ne peuvent atteindre, au plus, que les petits commerçants.
Or, ce qu'il faut, ce n'est pas le contrôle sur les petits, mais sur les gros, sur les véritables spéculateurs, c'est contre ceux-là que le gouvernement est impuissant, parce que les organismes étatiques de contrôle sont leurs alliés et leurs obligés, et qu'ils se tiennent réciproquement, "contrôleurs" et spéculateurs, par leurs manigances communes.
Il faut que ce soit les véritables intéressés qui s'occupent seuls de leurs affaires et ne laissent pas ce soin à leurs ennemis ; les ouvriers et les employés sont les vrais alliés des masses populaires, les seuls qui peuvent orienter la production et la répartition vers le grand public, vers le consommateur pauvre, c'est-à-dire aussi vers eux-mêmes, et non pas vers les riches parasites qui vivent de dividendes et de spéculation.
Pour sévir contre les gros trafiquants de textiles, au Bon Marché, aux Galeries Lafayette, etc., ce sont les employés qui doivent élire eux-mêmes sur place des Comités de contrôle. Pour sévir contre les minoteries trafiquant de farine, les raffineries trafiquant de sucre, les banques trafiquant d'or et de devises, les industries manœuvrant à la hausse (aciéries, métallurgie, etc...), les ouvriers et les employés doivent élire sur place des Comités de contrôle. Et ce sont ceux-là qui peuvent se mettre, eux, à réprimer la hausse des prix, à exiger l'ouverture des livres de compte et la vérification non seulement des profits, mais des escroqueries et des manigances de spéculation. Les ouvriers et les employés, mal payés, sous-alimentés, ont seuls intérêt à connaître la vérité et à la faire connaître.
Mais déjà la colère populaire grandit contre l'accumulation des scandales et la dureté de la vie. Au moment de la révélation du scandale du vin, des mouvements de grève se sont esquissés dans certaines usines, où les ouvriers, malgré leur dur travail, avaient été frustrés de leurs rations de vin au bénéfice de la spéculation, et où la C.G.T. leur avait jusqu'alors recommandé comme seul moyen de protestation les pétitions au Ministère ! Ces mouvements peuvent éclater, et montrer à nos gouvernants dont la devise est : "Après nous le déluge", qu'ils ne peuvent pas jouer indéfiniment avec la patience du peuple. Tant va la cruche à l'eau qu'à la fin elle se casse.
En février 1917, l'empire des tsars de Russie, qui avait été le bastion de la réaction en Europe pendant tout le XIXe siècle, s'écroule en l'espace de quelques jours sous la poussée des masses ouvrières.
A l'occasion d'une manifestation comme il y en avait eu tant d'autres, les travailleurs sortent des faubourgs où les avaient entassés une poignée de maîtres vivant de leur travail, et se dirigent vers les centres dorés de la bureaucratie du tsarisme et du capitalisme.
Comme d'habitude, les forces de répression, après des échauffourées, les refoulent vers leurs tanières. Mais les ouvriers recommencent pendant plusieurs jours de suite. Leur pression se fait de plus en plus irrésistible. Ils s'arment et ripostent à la police du tsar ; les cosaques[*], envoyés contre eux, fraternisent finalement avec les femmes travailleuses et les ouvriers manifestant. Le tsar est obligé d'abdiquer.
Comment cela fut-il possible ?
Cela fut possible parce que les travailleurs de Pétrograd étaient l'avant-garde de toutes les autres classes qui souffraient du tsarisme et accomplissaient ainsi, par leur lutte, le désir le plus ardent et le plus profond de l'immense majorité de la population ; les soldats qui, depuis plus de trois ans, pourrissaient dans les tranchées et mouraient, la plupart du temps victimes de l'incurie et de l'incapacité de leurs généraux, pour défendre l'esclavage et l'exploitation capitaliste que représentait le régime tsariste, et non pas leur liberté, leur vie et leur bien-être ; les paysans, soumis à toutes les vexations, qui voulaient la terre ne servant qu'à l'entretien des grands propriétaires parasites, tandis que les familles paysannes mouraient de faim ; les petites gens des villes et des campagnes et, enfin, les nationalités opprimées qui, par dizaines, gémissaient sous l'oppression de la bureaucratie du tsar.
C'est cette union dans la lutte des masses travailleuses qui explique que personne ne vint au secours du tsar. Il ne trouva pas un brin de paille pour s'y accrocher quand les travailleurs, sous la conduite des ouvriers conscients éduqués par un long passé de lutte révolutionnaire, montèrent à l'assaut de la vieille Russie croupissante et ignare.
Mais une fois les représentants de leur ancien esclavage abattus, les masses opprimées, qui avaient pris leur sort en leurs propres mains, ne surent pas immédiatement ce qu'elles avaient à faire. La victoire acquise, elles trouvèrent pour les diriger toutes sortes d'hommes politiques qui avaient plus ou moins fait de l'opposition au tsarisme et l'avaient parfois combattu, non pas pour en finir pour toujours avec l'exploitation des travailleurs par les parasites capitalistes, mais seulement pour "moderniser" la régime d'exploitation à l'instar de "l'Occident". Ces gens leur expliquèrent que, le tsar renversé, ils n'avaient plus qu'à se retirer dans leur misère ; car maintenant ils avaient la "démocratie", c'est-à-dire le droit, pour ces messieurs, d'occuper des places, de parader, de s'entendre avec les anciens bureaucrates du tsar avec lesquels ils ne firent qu'une seule et grande famille.
Quant aux masses, elles devaient continuer à verser leur sang sur le front et dans les usines ; au nom de la démocratie, continuer la guerre pour les mêmes buts qu'auparavant : participer à la guerre impérialiste pour obtenir Constantinople et autres lieux aux capitalistes russes. En un mot, tout devait continuer comme par le passé.
Les travailleurs ne trouvèrent pas tout de suite la voie à suivre et furent obligés de croire ces messieurs sur parole. Mais leur dure et amère expérience de tout un passé de lutte leur fit maintenir, en face des "démocrates" qui recouvraient l'Etat tsariste de leur personne trompeuse, leurs propres organisations de lutte : les Conseils d'ouvriers, de soldats et de paysans, formés de délégués élus directement par eux, par usines, par régiments, par quartiers, par villes, par villages, par districts, etc..., appelés en russe "Soviets".
De février à octobre, en l'espace de huit mois, les masses travailleuses s'aperçoivent du rôle réel joué par les faux démocrates alliés à la bureaucratie du tsar. La situation ne cesse d'empirer. Les ouvriers de Pétrograd et de Moscou sont toujours à l'avant-garde et apprennent à se regrouper derrière d'autres chefs qui, eux, leur sont restés fidèles et leur montrent la véritable voie : ce sont les Bolcheviks à la tête desquels se trouvent Lénine et Trotsky.
Ces hommes ne s'étaient jamais éloignés de la classe ouvrière, des masses laborieuses. Ils avaient toujours vécu avec elles, parmi elles, pour elles. Ils ne s'étaient jamais abaissés devant les représentants du tsar, démocratiques ou non. Ils n'avaient jamais fréquenté les capitalistes, les salons. Ils n'étaient en aucune façon liés aux cercles privilégiés, mais ils leur étaient résolument hostiles. Ils étaient peuple jusqu'au fond de leur âme. Ce sont ces hommes, sélectionnés dans vingt années de combat révolutionnaire, qui conduisirent les masses de la révolution inachevée de février 1917 à leur triomphe d'octobre 1917.
Cette victoire fut possible parce que les Bolcheviks n'étaient pas des gens à promesses : "Nous vous donnerons ceci, nous vous donnerons cela..." Ils guidèrent les masses dans leur propre combat. Ils dirent aux paysans : le gouvernement provisoire ne veut pas vous donner la terre... Prenez-la ou vous ne l'aurez jamais.
Ils dirent aux ouvriers : les capitalistes qui vous exploitent vous trompent et vous affament, sabotent la production... Luttez pour établir votre contrôle sur eux.
Maîtres de l'ancienne Russie des tsars, ils reconnurent aux nationalités opprimées le droit de décider de leur propre sort jusques et y compris la séparation. Mais en face d'un gouvernement qui se comportait véritablement en démocrate, les nationalités ne firent que se souder étroitement au nouveau pouvoir.
Les masses travailleuses prenant leur propre sort en mains, éclairées et guidées par un groupe d'hommes révolutionnaires qui s'étaient assemblées pour former devant l'Etat-Major de la bourgeoisie un Etat-Major au service des classes laborieuses, voilà le secret de la première révolution prolétarienne victorieuse ! Car aucune lutte victorieuse n'est possible sans la coordination de tous les mouvements d'opposition révolutionnaire que suscite l'exploitation capitaliste.
Cette première victoire reste le gage de la victoire définitive des travailleurs, en dépit de l'obstacle à la révolution mondiale qu'est l'Etat qui s'intitule actuellement "soviétique", mais qui, sous le domination de gens étrangers à la révolution d'octobre 1917 (Staline ne leur sert que de paravent), se comporte en ennemi des masses travailleuses. Mais ce ne sont pas eux qui empêcheront la révolution mondiale de s'accomplir et les classes laborieuses de se libérer ; au contraire, c'est la révolution mondiale qui les balaiera, eux aussi, en même temps que les capitalistes de tous les pays.
M. Gauthier
[*] Régiment sûr de répression composé de petits propriétaires paysans
Après les nombreux discours qu'ont tenu les hommes d'Etat pendant la "Conférence des 21", de nouveaux discours accompagnent maintenant l'ouverture de la réunion de l'O.N.U. à New-York. Tant ont-ils besoin de se rassurer l'un l'autre, et de camoufler les actes et les faits par des protestations répétées de paix.
Mais ce qu'on peut déduire avec certitude de toutes ces déclarations c'est qu'elles commencent toutes par montrer que, sans une solution des problèmes litigieux, sans un arrangement, la guerre est inévitable.
"Le développement de la compréhension et de la sympathie entre l'U.R.S.S. et les Etats-Unis, dit Byrnes dans son dernier discours, est une épreuve très difficile pour les hommes d'Etat. Deux nations peuvent arriver à une entente si l'une d'elles accepte de céder à toutes les exigences de l'autre. Les Etats-Unis n'acceptent pas cette méthode..." Il faut s'arranger, il faut arriver à des compromis.
Seulement, chacun des arrangements proposés par l'un ne convient nullement à l'autre, car c'est pour chacun une question de vie et de mort d'imposer son propre système.
Byrnes se défend contre les accusations de l'U.R.S.S., concernant la politique américaine de domination de la vie économique de l'Europe ; mais en même temps Eisenhower inspecte des troupes en Italie et déclare qu'"il est nécessaire que l'armée américaine reste en Europe, car sa tâche consiste à mettre de l'ordre dans le chaos qui a succédé à la fin de la guerre". Elle poursuit ces mêmes "tâches" en Chine, en Corée, au Japon, aux Philippines, etc..., et n'entend pas les abandonner.
Molotov présente la politique de l'U.R.S.S. comme une politique de défense contre l'encerclement. Mais Byrnes n'oublie pas de lui reprocher, dans son discours, "le contrôle qu'ont les Soviets sur les Etats baltes, la modification des frontières polonaise et finlandaise en faveur de l'U.R.S.S., Kœnigsberg, la Bessarabie, la Bukovine et la Ruthénie qui lui ont été donnés, les îles Kouriles, Port-Arthur et l'île Sakhaline qui lui ont été attribués dans le Pacifique".
De leur côté, Smuts et Churchill parlent de "Confédération européenne", de "bloc occidental", autant de plans destinés à les renforcer contre l'U.R.S.S. aussi bien que contre l'Amérique.
"Il est difficile de traiter un monde convalescent avant que le patient ait quitté la table d'opération", explique Byrnes, c'est-à-dire, précise-t-il, qu'il n'est même pas possible de penser de façon réaliste à édifier la paix tant qu'ils n'auront pas pu liquider la guerre.
Pour liquider la guerre, il faudrait désarmer, retirer les troupes d'occupation des territoires étrangers, cesser de poursuivre la domination économique sur d'autres pays, toutes choses impossibles aux cercles militaires, aux marchands de canons et aux banquiers, dirigeants actuels des destinées des pays.
Les hommes d'Etat ont aujourd'hui la mission d'entretenir les peuples dans les illusions, de se "tendre la main" de temps en temps, de tenir des discours sur le thème "entendons-nous, faisons-nous des concessions réciproques et tout ira pour le mieux".
Mais cette politique est celle qui a déjà été pratiquée avant la guerre de 1939. "Tendre la main", c'est ce qu'a fait Hitler lui-même de 33 à 36 aussi longtemps qu'il n'était pas prêt à une politique de guerre. Même en 1938, après son coup de force, il continuait à être pacifiste, à expliquer que c'était sa dernière conquête, qu'on pouvait s'entendre, qu'il n'avait voulu que récupérer les nationaux allemands des autres territoires. Il en est résulté Munich, bien que les capitalistes anglo-américains sussent qu'il voulait la guerre, qu'après les Sudètes viendrait une autre revendication ; mais n'étant pas encore prêts pour la guerre, ils ont fait Munich pour la détourner contre l'U.R.S.S. Et contraints temporairement de faire un compromis (sur le dos d'un tiers), ils l'ont utilisé pour berner les peuples, pour expliquer qu'ils ne voulaient pas la guerre, que l'entente était possible, et pour mieux se débarrasser de leurs propres responsabilités au moment où la guerre devait éclater.
Contrairement à la propagande stalinienne, qui explique Munich comme un abandon dû à de mauvais hommes d'Etat, toute entente impérialiste, quels que soient ses auteurs, quelles que soient les raisons qui la dictent, intérieures ou autres, ne peut être qu'un Munich, un compromis temporaire.
Vandenberg, un des représentants les plus en vue des capitalistes américains à la conférence de l'O.N.U., déclare qu'à son avis "il faut adopter une attitude de fermeté amicale, car un abandon perpétuel de nos droits et de nos idéaux ne peut mener et ne mènera jamais à la paix... Munich n'a pas obtenu la paix. Ce ne fut qu'un marchandage qui eut pour résultat la guerre". Mais si on relisait les journaux de l'époque, on trouverait que ce sont ces mêmes hommes d'Etat qui présentaient Munich en son temps comme une accord de paix, l'opposant à des compromis précédents de marchandage. Aujourd'hui ils doivent rejeter Munich lui-même comme un marchandage ayant mené à la guerre, pour faire croire que leurs conférences et marchandages actuels sont œuvre d'entente et de paix. Ainsi rien ne les empêchera d'ici quelque temps de découvrir que les conférences actuelles n'étaient que des marchandages et... qu'il faut faire la guerre pour arriver à une "vraie paix définitive".
La paix définitive des capitalistes, c'est la paix des tombeaux pour l'humanité entière et pour l'éviter, les travailleurs lutteront pour les Etats-Unis Socialistes du Monde.
A la régie nationale des Usines Renault (R.N.U.R.), le Président-Directeur, M. Lefaucheux, se flatte d'avoir su faire "collaborer" les ouvriers à la bonne marche de l'entreprise.
Dans son rapport de l'exercice 45, il indique : "Je me suis efforcé d'associer l'ensemble du personnel à la marche des usines en donnant à chacun l'impression (sic) qu'il n'est pas une unité sur un rôle de paye, mais un élément agissant d'un organisme. A cet effet, j'ai établi un compte rendu complet des réunions tenues mensuellement par le Président-Directeur général avec les délégués ingénieurs et collaborateurs et les délégués ouvriers régulièrement élus à la suite d'accords passés avec les délégations syndicales.
M. Lefaucheux veut donner "l'impression" (car ce n'est qu'une impression) que les ouvriers sont quelque chose de plus que des salariés, puisqu'il discute avec les représentants ouvriers de la marche de l'entreprise.
Il poursuit ; "Le Comité d'entreprise a certainement exercé une influence très favorable sur l'état d'esprit général du personnel de la régie en contribuant à l'éclairer sur les difficultés traversées par l'entreprise."
Ainsi le Syndicat, au lieu de défendre les intérêts des travailleurs, s'est transformé en un organisme destiné à démontrer aux ouvriers les difficultés du patron. Voilà comment, après avoir expliqué que la régie pouvait payer les 25% en prélevant sur la part des concessionnaires, des responsables syndicaux expliquaient ensuite en Assemblée générale que l'on ne pouvait pas actuellement diminuer la part de ceux-ci parce qu'ils avaient un rôle déterminant dans la recherche des débouchés.
Mais s'il associe les dirigeants ouvriers à la gestion de l'entreprise, M. Lefaucheux les félicite également d'avoir "scrupuleusement respecté l'obligation du secret professionnel".
Voici donc nos "dirigeants" admis dans le Conseil d'administration dans le but de démontrer aux ouvriers les difficultés de la Direction et qui sont tenus de par le secret professionnel de ne rien dévoiler à ceux qu'ils représentent.
Dans ces conditions, les chefs ouvriers feraient mieux d'aller réclamer les cotisations syndicales à M. Lefaucheux. Mais ils ont une excuse : la Régie n'est pas une usine comme les autres ; nous travaillons pour nous et non pour le patron. Là encore c'est M. Lefaucheux qui donne la réponse : "Je crois nécessaire de marquer tout d'abord que la R.N.U.R. n'appartient pas à son personnel, mais à la Nation."
A quelle Nation ? Celle des ouvriers ou celle des actionnaires ?
CHEZ RENAULT
Pour une protestation efficace
Nous avons relaté, dans notre dernier numéro, qu'un groupe d'ouvriers de chez Renault avait diffusé un tract contre les scandales du ravitaillement.
Ce tract a été accueilli avec beaucoup de sympathie par la majorité des ouvriers et a suscité des discussions sérieuses.
Convaincus de la nécessité d'une action ouvrière contre ces scandales, ils se sont demandé quel serait le moyen de lutte le plus efficace.
Certains ont proposé la grève. Dans divers ateliers, les ouvriers de plusieurs chaînes étaient décidés à débrayer. Mais n'ayant pu rallier l'ensemble des travailleurs à leur proposition, ils ont dû y renoncer.
Il n'est pas étonnant que de tels crimes contre la santé et la vie de larges couches de la population aient provoqué l'indignation des travailleurs, car la question du ravitaillement est une question de vie ou de mort pour l'immense majorité du peuple.
Il est certain qu'un vaste mouvement gréviste de protestation, partant des usines et s'étendant à toute la région, aurait bien plus d'efficacité que tous les bavardages. On verrait alors si le gouvernement ne saurait trouver un moyen de réprimer les menées de ceux qui vivent de la misère du peuple.
La classe ouvrière doit réagir énergiquement : c'est le seul moyen d'obliger nos maîtres à nous assurer un minimum vital décent.
BEHEL
CHEZ CARNAUD
Voici plus de trois mois que la section syndicale n'a pas réuni les ouvriers.
On sait vaguement qu'une délégation est montée à la direction pour réclamer de l'augmentation, mais personne ne connaît le résultat de ces démarches.
Les responsables syndicaux agissent comme si les ouvriers n'existaient pas. La V.O., Le Métallo et tous les autres journaux syndicaux ont pourtant rappelé, il y a peu de temps, qu'une Assemblée générale devait avoir lieu au moins une fois par mois.
Lorsqu'il s'agit de présenter des revendications à la direction, les ouvriers ont le droit d'être consultés. Ils entendent également que leurs délégués leur fassent le compte rendu de leurs démarches.
Ces gens qui agissent par-dessus la tête des ouvriers ont-ils le droit de parler de démocratie ?
M. Croizat, Ministre du Travail, a fait adopter un arrêté qui supprime l'abattement de 10% pour les femmes. Notre usine emploie une grosse majorité de femmes. Le Métallo, tout en se félicitant de ce "succès", constate que beaucoup de patrons sont récalcitrants. Il écrit : "Le récent arrêté met une arme légale à notre disposition."
Pendant des mois et des mois, on nous a appelés au calme. "Inutile de faire grève, nos ministres luttent ; quand ils auront fait voter le décret, les patrons seront bien obligés de plier." Mais l'arrêté est paru depuis le 1er juillet et chez nous les 10% subsistent.
Nous avons des lois, mais le moyen de les faire appliquer ? Toujours l'action directe ! Voilà ce qu'indique l'expérience de tous les jours, et non plus des "agitateurs" turbulents.
Femmes ! A l'action, pour obtenir : "A travail égal, salaire égal !"