1948 |
Manifeste du II° congrès de la IV° Internationale aux exploités du monde entier |
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La crise terrible par laquelle l'humanité paie depuis trente ans le retard des révolutions communistes ‑ les guerres, les contre‑révolutions, les dictatures totalitaires, des nations exterminées, la civilisation entraînée vers la décadence ‑ toute cette époque tragique ne reflète nullement une incapacité organique du prolétariat à prendre conscience de sa mission historique. Au contraire, depuis la guerre civile en Russie jusqu'à la guerre civile en Espagne, de l'insurrection de Canton à celle d'Athènes, des millions de prolétaires ont prouvé dans l'action un élan, une combativité et un dévouement révolutionnaire sans égal dans l'histoire. Toutes les qualités qui résultent de la fonction spécifique du prolétariat dans la société capitaliste ‑ sa capacité de libérer brusquement une énorme énergie créatrice, son sens aigu de la discipline librement consentie, son profond désintéressement qui exprime le plus nettement ses intérêts historiques les plus profonds se sont d'ores et déjà inscrites dans les pages les plus émouvantes de l'histoire du XX° siècle. Les analyses et les prévisions du manifeste communiste à ce sujet n'ont pas seulement été confirmées ; elle sont devenues la réalité dominante de notre temps.
Mais en face de la poussée spontanément révolutionnaire du prolétariat se dresse aujourd'hui une société bourgeoise dont chaque pas vers le déclin déclenche un nouveau réflexe de défense des classes condamnées à disparaître. Face à l'armée, la police, les espions, les jaunes, la presse, la radio, l'école et l'Eglise, qui constituent autant de remparts autour des citadelles menacées du capital, les attaques spontanées menées en ordre dispersé par le prolétariat sont inévitablement condamnées à un échec sanglant. Contre la direction centralisée et scientifiquement rationalisée de la contre‑révolution qui, depuis des décades, dirige tous les pays capitalistes, quel que soit leur régime politique, le prolétariat ne peut vaincre que s'il sélectionne à son tour une direction plus qualifiée encore : celle de son parti de classe. La crise de l'humanité est aujourd'hui la crise de la direction révolutionnaire, parce qu'au mouvement instinctivement révolutionnaire du prolétariat correspond encore le caractère ouvertement contre‑révolutionnaire de sa direction.
Que le prolétariat n'ait pas réussi en trois décades à sélectionner une direction mondiale adéquate, tâche que la jeune bourgeoisie européenne, infiniment plus instruite et mieux préparée, n'avait résolue en son temps qu'après deux siècles de tâtonnements, ne peut frapper de stupeur que ceux qui ont perdu toute proportion dans leur jugement de l'histoire. Disposant d'une richesse et d'une expérience incomparables, la bourgeoisie a réussi, mieux que les précédentes classes dominantes, à faire de sa propre idéologie et de sa propre morale l'idéologie et la morale dominantes. Dans la période ascendante du capitalisme, les directions successives conquirent graduellement de maigres réformes pour le prolétariat et de substantiels privilèges pour elles-mêmes ; les unes après les autres, elles s'élevèrent au‑dessus de leur propre classe et devinrent ainsi les principaux agents de transmission de la bourgeoise dans le mouvement ouvrier, C'est seulement quand le déclin du régime précipita les premières puissantes vagues révolutionnaires, en Europe et en Asie, que les conditions matérielles de sélection d'une véritable direction révolutionnaire, libre de l'influence idéologique de la classe dominante, commencèrent à être données. Mais, par suite de l'inexistence d'une direction adéquate, ces premières vagues furent inévitablement condamnées à la défaite. La sélection de la direction révolutionnaire s'est effectuée depuis lors sous le poids de ces défaites. Le parti bolchevik russe, le seul qui avait réussi à conduire les travailleurs à la conquête du pouvoir, est lui-même devenu la première victime de l'absence d'une véritable internationale bolchevique. Construire une telle organisation dans les conditions éminemment difficiles d'une période de déclin, telle est la mission historique de la IV° Internationale.
L'état‑major mondial du prolétariat doit assimiler dans sa totalité le programme de la révolution communiste. Il doit le féconder par une expérience révolutionnaire mûrie qui le rend capable de faire face à tous les tournants brusques de la situation. Il doit le faire pénétrer dans les masses ouvrières les plus Iarges, au moyen d'une organisation effectivement liée à la classe. Ces trois tâches ne se résolvent que très difficilement dans une période comme celle qui a vu naître la IV° Internationale. Le programme de la révolution ne s 'assimile définitivement qu’à travers les luttes des masses. L'expérience politique ne s'acquiert qu'au cours de toute une période historique d'activités multiformes. L'organisation ouvrière ne peut se construire que par un travail moléculaire ininterrompu dans les usines et les quartiers ouvriers. Or, les conditions du capitalisme décadent brisent chaque fois à nouveau, avec une brutalité inconnue la continuité des Idées, des générations, et des organisations révolutionnaires. C'est pourquoi la sélection d'une véritable direction mondiale s'avère une tâche si longue et si ardue ; c'est pourquoi elle doit être entreprise consciemment, et consciemment planifiée et exécutée.
Telle est la dialectique de l'histoire que les mêmes conditions objectives qui rendent si difficile la construction d'un parti mondial de la révolution socialiste, sont en même temps les seules conditions qui rendent sa construction possible. Grâce à l’époque dans laquelle elle s'est formée, la IV° Internationale est libre d’illusions réformistes, du crétinisme parlementaire, du fatalisme, de l'aventurisme, de la foi naïve se transformant en pessimisme désenchanté, de tant de ces sentiments et idées qui ont formé et brisé les générations précédentes de révolutionnaires. La IV° Internationale a surmonté les contradictions entre l'origine nationale des militants ouvriers et la mission mondiale du mouvement proIétarien elle est la première organisation qui a commencé à produire une véritable direction internationale. La IV° Internationale est la première organisation mondiale du prolétariat qui combine un programme révolutionnaire complet avec des expériences vécues des mouvements révolutionnaires passés. C'est pourquoi les défaites prolétariennes du passé apparaîtront, à l'échelle historique, comme les conditions inévitables de la formation d'une technique scientifique de la révolution, tout comme les épidémies ont été les conditions nécessaires du développement d'une technique scientifique de guérison. C'est pourquoi la période tragique que nous vivons s'avérera avec le recul du temps, n'être qu'un détour de l'histoire forger l'instrument adéquat de l'émancipation de l'humanité.
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