1948 |
Manifeste du II° congrès de la IV° Internationale aux exploités du monde entier |
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Si l'ébranlement des vieilles puissances impérialistes favorise l'éclatement des mouvements émancipateurs dans les colonies, le développement des révolutions coloniales accélère à son tour la décomposition des systèmes impérialistes et de la "démocratie" bourgeoise qui s'appuie sur eux. Les immenses bouleversements provoqués par la deuxième guerre mondiale, l'industrialisation accélérée de la Mandchourie, des Indes et du Moyen‑Orient, l'effondrement irréparable du prestige des "races maîtresses", l'angoisse, la faim et la haine exaspérée de millions de coolies font voler en éclats l'édifice d'exploitation colonialiste qui, pendant quatre siècles, a assis la richesse et le progrès capitaliste de l'Europe sur l'exploitation forcenée des trois‑quarts de l'humanité.
Secouées dans les fondements de leur propre société métropolitaine par le début de la révolution coloniale, les vieilles puissances impérialistes tendent à transformer la forme de leur domination pour maintenir l'essentiel de son contenu, c'est‑à‑dire les surprofits et le contrôle stratégique. Le "trusteeship ", "l'égalité dans le cadre de l'Union française ou néerlandaise", l'octroi du statut de dominion ou même la proclamation d'indépendance de l'Irak ou de la Birmanie, le partage de la Palestine et des Indes sont seulement des lignes successives de retranchement de la réaction colonialiste. Elle continue à tenir les peuples indirectement sous sa coupe par mille liens de servitude économique ou militaire. Afin de démontrer dans les faits combien leur mission civilisatrice se maintient sous sa nouvelle forme "libérale", les exploiteurs impérialistes s'engagent dans la répression brutale (Viet‑Nam) ou dans les provocations cyniques ("actions du police" en Indonésie, lutte judéo‑arabe, etc.). La voie de l'abandon de la domination directe du colonialisme est tout autant jalonnée de meurtres, de famines et de chaos sanglant q ue Ia voie de sa pénétration.
Dans une période de désagrégation des systèmes coloniaux la bourgeoisie indigène, marquée dès sa naissance par tous les stigmates de dégénérescence de son système, s'efforce à une association favorable avec l'impérialisme. Exerçant aujourd'hui la fonction de fondé de pouvoir de ses maîtres impérialistes, elle entre en collision permanente avec la lutte des masses coloniales pour la défense de leurs intérêts quotidiens. Elle se trouve déchirée entre l'envie de s'emparer de nouveaux privilèges et la peur de perdre les anciens. C'est ce qui donne à ses actions un caractère à la fois particulièrement rapace et abject. Rampant devant la clique royale corrompue et monnayant périodiquement son pays à la City, la bourgeoisie égyptienne n'en rêve pas de se soumettre le Soudan, la Libye et même l'Érythrée. Ayant misérablement capitulé devant les princes et les propriétaires fonciers musulmans, la bourgeoisie indienne n'en songe pas moins à la conquête des marchés de l'Extrême‑Orient.
Au milieu des secousses qui ont ébranlé les Empires coloniaux, seul l'impérialisme américain a pu réaliser des profits sans perdre de gages. Les bourgeoisies coloniales ne relâchent leurs liens avec les métropoles que pour tomber sous la coupe de I'impérialisme yankee. Mais en même temps Washington craint, à juste titre, les catastrophes sociales inévitables que déclencherait dans les pays métropolitains l'effondrement final des empires coloniaux. La bourgeoisie américaine se sait incapable de fournir en un minimun de temps les cadres matériels et humains pour remplacer l'appareil colonial, en même temps que pour maintenir debout les Etats de la vieille Europe. Utilisant, tour à tour, le chantage économique, la pression militaire ou les organes de l'O.N.U., elle s’efforce d'accentuer la pénétration de ses capitaux en même temps qu'elle utilise la bourgeoisie indigène pour briser l'élan des masses et qu'elle appuie les tentatives colonialistes pour maintenir les cadres des anciens empires. Dans le cas de l'Indonésie et dans celui du Soudan, l'impérialisme américain a consciemment joué le rôle de défenseur du colonialisme. Mieux que quiconque, il comprend que la domination impérialiste sur le monde d'aujourd'hui est indivisible et que tout effondrement local risque de devenir le point de départ de l'effondrement de tout le système.
D'autant plus indignes sont les arguments de tous les philistins qui refusent leur soutien aux mouvements d'émancipation des colonies sous prétexte que l'indépendance de celles‑cl signifierait leur soumission à l'impérialisme américain ou à la bureaucratie soviétique. Le devoir le plus sacré du prolétariat de tous les pays métropolitains est de soutenir totalement et inconditionnellement tous les mouvements de révolte aux colonies. Il faut utiliser toutes les occasions de dénoncer à l'opinion publique les crimes que les "démocrates" commettent journellement dans les pays en révolte, d'appeler les travailleurs à boycotter les expéditions et les guerres de conquête, de désagréger l'armée impérialiste par une propagande intelligente, la fraternisation avec les masses coloniales, d'arracher à la bourgeoisie l'arrêt des hostilités et des représailles. L'abandon complet par l'impérialisme de toutes ses positions coloniales ne pourra être que le résultat d'une lutte révolutionnaire simultanée dans les métropoles et aux colonies. La IV° Internationale peut affirmer aujourd'hui que plusieurs de ses sections (France, Hollande, Grande‑Bretagne) ont été les seules organisations ouvrières à mener une agitation pareille. En même temps, elle a montré que les révolutionnaires métropolitains sont prêts à aider, sans réserve ni paternalisme aucun, les ouvriers et étudiants avancés des pays coloniaux à construire eux-mêmes des organisations bolcheviques dans leur propre pays.
Les partis staliniens enterraient hier pendant la "guerre antifasciste " la lutte pour l'indépendance des colonies. A l'étape actuelle, le renversement de la politique les amène à une capitulation totale devant le nationalisme petit‑bourgeois. Les sections de la IV° Internationale par contre ont poursuivi toujours et partout dans les pays coloniaux, une lutte intransigeante contre l'oppression colonialiste tout en maintenant une indépendance d'organisation, de politique et d'idéologie totale du prolétariat colonial par rapport à sa propre bourgeoisie. Aux Indes, au Viet‑Nam, en Egypte, on les retrouve partout dans les premières lignes des actions anti‑impérialistes des masses. Pour la même raison, ils sont les seuls défenseurs conséquents des intérêts des travailleurs coloniaux. Leur politique s'inspire de la théorie de la Révolution Permanente, vérifiée par quatre décades de luttes révolutionnaires. Faisant hardiment siennes les revendications de la révolution nationale bourgeoise, le prolétariat se place à la tête de toutes les masses exploitées et les conduit au combat pour résoudre la question agraire, chasser les impérialistes, exproprier le capital étranger et conquérir la démocratie politique révolutionnaire. Il ne pourra mener à bien cette lutte qu'à condition d'éliminer également ses propres sangsues nationales , d'exproprier le capital indigène et de passer à la planification socialiste en se basant sur le pouvoir ouvrier.
La conquête révolutionnaire du pouvoir par le prolétariat constitue donc le seul but stratégique de la IV° Internationale, dans les pays coloniaux comme dans les pays métropolitains. A défaut de cette conquête ou de l'extension internationale de la révolution qu'elle implique, les diverses cliques bourgeoises (Indes), petites bourgeoises (Indonésie), ou staliniennes (Viet‑Nam) qui s'emparent de la direction du mouvement et qui sont forcées de briser l'énergie révolutionnaire des masses, ne peuvent que conduire les révolutions coloniales dans l'impasse des guérillas impuissantes, alternant avec des compromis pourris avec l'impérialisme.
L'essor du mouvement ouvrier dans la période ascendante du capitalisme se limita presque exclusivement à l'Europe. Lénine le premier comprit l'importance vitale des pays coloniaux dans le cadre d'une ‑stratégie mondiale de la révolution prolétarienne. Mais avant même que la tâche de construire des partis révolutionnaires dans les colonies ait pu être résolue par la III° Internationale, la dégénérescence de sa direction stalinienne les transforma en appareils bureaucratiques et en obstacle sérieux à la maturation communiste des ouvriers coloniaux.
C'est à la IV° Internationale qu'incombe la tâche de construire les premiers véritables partis ouvriers révolutionnaires dans les pays coloniaux. Cette tâche, pareille à celle que le manifeste communiste proclama pour l'Europe, elle peut la remplir en s'appuyant sur l'ensemble de l'expérience passée du mouvement révolutionnaire. Sa, mission est d'épargner au prolétariat colonial les défaites douloureuses que n'ont pu éviter les ouvriers d'Europe. C'est pourquoi elle est la première organisation qui a proclamé hardiment la primauté des pays coloniaux dans la lutte révolutionnaire mondiale. C'est pourquoi elle est la première Internationale qui a effectivement uni dans sa direction les représentants les plus qualifiés du jeune prolétariat colonial. Pour la même raison ses idées se répandent aujourd'hui avec une rapidité étonnante, par‑dessus les rideaux de fer, les jungles et les océans, de l'Afrique noire au Japon et de la Corée à l'Egypte. Enregistrant ses premiers succès parmi ces trois‑quarts de l'humanité ‑ sa partie la plus exploitée ‑ la IV° Internationale prépare sur cette terre, vierge de défaites ouvrières, les bouleversements les plus radicaux que l'histoire ait connus jusqu'à nos jours.
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