1948

Manifeste du II° congrès de la IV° Internationale aux exploités du monde entier
Source : brochure IV° Internationale, 1948.

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Contre Wall Street et le Kremlin.

IV° Internationale

Pour le programme du « manifeste communiste ». Pour la révolution socialiste mondiale.


Les Etats-Unis Socialistes d’Europe

Depuis quarante ans, l'histoire de l'Europe est l'histoire de la révolte des forces productives contre les frontières de l'Etat national. Les deux guerres mondiales n'ont été qu'un effort désespéré des puissances impérialistes pour "organi­ser' cette révolte à leur profit.

L'impérialisme français ne possédait, en 1918, ni le potentiel industriel ni le dynamisme politique nécessaires pour prendre cette organisation en ses mains. Son système de Versailles "organisait" l'Europe avec les matériaux de la diplomatie traditionnelle : traités de paix, alliances militaires et crédits financiers. Dès la première catastrophe économique, ce système s'effondra sans laisser de trace.

Puis l'impérialisme allemand, s'appuyant sur une technique et un potentiel productif supérieurs, déclencha la deuxième guerre impérialiste dans le but d'organiser non seulement politiquement mais aussi militairement et économiquement le vieux continent en fonction de ses propres besoins. Malgré des succès militaires foudroyants, le "Nouvel Ordre Européen" s'effondra même plus rapidement que l'ancien système de Versailles. Son organisation n'a été qu'une gigantesque entreprise de pillage et de destruction, suçant toute la substance économique des peuples européens au profit de son insatiable machine de guerre.

Aujourd'hui, l'impérialisme américain, mû par l'implacable logique de sa position dominante, s'efforce à sa manière de résoudre ce vieux problème. L'organisation politique et économique qu'elle poursuit (Plan Marshall et Union Occidentale) semble pourtant d'une nature différente de celle des dominateurs précédents. Au lieu de prendre, l'impérialisme yankee semble donner. A la place d'une société de satellites écrasés, c'est une corporation de créditeurs reconnaissants qu'il semble vouloir construire. C'est ce qui permet de rassembler sous le signe des "Etats‑Unis d'Europe " made in U.S.A., des aventuriers retors à la Churchill et des petits bourgeois à la Guy Mollet espérant que la manne américaine leur permettra de conserver un peu plus longtemps le souvenir de la vieille Europe.

En réalité, l'organisation de l'Europe sous l'égide de Washington ne correspond pas à des visées fondamentalement différentes de celles des impérialismes français et allemand, et elle s'effondrera inévitablement pour des raisons analogues. L'impérialisme yankee désire effectivement abattre des barrières douanières, mettre de l'ordre dans les finances et stabiliser les monnaies. Mais il tend à cela uniquement pour " organiser " le pouvoir d'achat de ses clients et la solvabilité de ses créanciers. Simultanément, il est forcé d'organiser le rétrécissement de leurs marchés et l'alourdissement de leurs dettes. Aucune conférence ne le sauvera des contradictions de cette politique. L'Europe du Plan Marshall, comme l'Europe de Versailles et l'Europe d'Hitler, ne sera autre chose qu'une Europe paupérisée et impuissante, surplombée d'une dalle de dollars. Menacée d'asphyxie quand on lui coupe les crédits, la bourgeoisie européenne accepte aujourd'hui toutes les conditions américaines, comme elle acceptait en 1940 les ridicules proclamations d'’Hitler appuyées par la Wehrmacht, Mais du premier jour où les dollars manqueront ou quand la crise américaine éclatera, chaque bourgeoisie cherchera désespérément son propre salut et les "unions" se dissoudront plus vite encore qu'elles ne se sont constituées.

Tout comme l'unité de la nation moderne s'est réalisée sous le souffle victorieux d'une classe révolutionnaire, l'unité du continent, placée aujourd'hui à l'ordre du jour par le niveau que la technique humaine a atteint, ne pourra être que le fruit d'une nouvelle révolution sociale triomphante. Tout comme il a fallu balayer l'absolutisme et tous les vestiges semi‑féodaux pour faire la France bourgeoise une et indivisible, il faudra balayer l'État bourgeois et son économie basée sur le profit pour créer l'Europe socialiste unie.

Il s'agit de dresser un seul plan de reconstruction du vieux continent qui unisse rationnellement le charbon siIésien, le minerai lorrain, l'étain catalan et le pétrole roumain. Il s'agit de réunir les aciéries de la Ruhr à la construction mécanique tchèque et à l'industrie de précision suisse, dans un seul et même effort pour doter l'ensemble de l'Europe de la technique la plus moderne. Il s'agit d'électrifier la campagne polonaise, d'irriguer le midi italien et de rationaliser l'agriculture française pour que le pain ne manque plus à Vienne, à Berlin ou à Madrid. Il faut dresser ce plan en vue de la satisfaction des besoins des masses, et non pour la construction d'une nouvelle machine de guerre. Il faut non seulement supprimer le profit capitaliste, mais encore le parasitisme des bureaucraties et le fardeau écrasant des Etats hypertrophiés. Il faut s'appuyer sur la puissance créatrice des masses et non les violenter par la faim ou les terroriser par la mitraillette. C'est pourquoi la seule planification européenne véritable qui organisera la production et le bien‑être au lieu d'organiser la misère, le pillage ou l'endettement, sera la planification élaborée, exécutée et vérifiée par les masses organisées dans des milliers de conseils ouvriers qui couvriront tout le continent. C'est pourquoi l'unité de l'Europe est inconcevable sans l'exercice effectif du pouvoir par les ouvriers et les paysans pauvres.

L'Europe ainsi unifiée par l'action révolutionnaire du prolétariat permettra à toutes les nationalités le libre essor de leur indivi­dualité culturelle. Elle libèrera d'un seul coup tous les peuples coloniaux et ouvrira ainsi dans l'histoire l'époque de la libre colla­boration entre les continents. Elle accélèrera l'utilisation constructive de l'énergie atomique et montrera aux masses laborieuses de l'Union Soviétique et des Etats‑Unis une alternative positive à la politique d'armement conduisant à la guerre. Elle offrira au prolétariat de ces deux pays un plan concret de développement harmonieux de l'économie mondiale et minera par sa seule expérience le pouvoir de la bourgeoisie impérialiste aussi bien que celui de la bureaucratie stalinienne. C'est pourquoi l'explication et l’agitation concrètes, patientes et acharnées du programme des Etats-Unis socialistes d'Europe sont opposées aujourd'hui par la IV° Interna­tionale au Plan Marshall, comme à la "défense de l'industrie natio­nale", à toutes les panacées et à toutes les formules charlatanes­ques avec lesquelles la bourgeoisie aux abois, la petite bourgeoisie démoralisée et la bureaucratie stalinienne corrompue s'efforcent un vain de guérir les plaies purulentes de l'économie et de la poliitique européennes.


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