1920-1922

Source : numéro 25 du Bulletin communiste (troisième année), 15 juin 1922, sous le titre « Les problèmes économiques de la dictature prolétarienne », avec l’introduction suivante :
« La librairie de l'Humanité met en vente, cette semaine, un nouveau vo­lume de la Bibliothèque Communiste : la Dictature du Prolétariat, par notre camarade Eugène Varga, ancien profes­seur à l'Université de Budapest (ni nous ne disons pas erreur) et ancien commissaire du Peuple de l'éphémère République des Soviets de Hongrie (mars-juillet 1919).
Varga, qui est un économiste particulièrement averti, n'étudie pas la dicta­ture du prolétariat en soi, mais dans ses rapports avec l'économie politique. Il base ses recherches aussi bien sur l'ex­périence (avortée) qui a été faite en Hon­grie de la dictature prolétarienne que sur l'expérience (réussie) qui en est faite en Russie.
Trois préfaces ouvrent ce livre, dont la traduction a été faite par Alzir Hella et O. Bournac. Elles expliquent, avec lucidité, le dessein poursuivi par fau­teur. Nous les publions ici de manière à inculquer à nos amis le désir de lire entièrement l'ouvrage d'Eugène Varga.


La dictature du prolétariat (préfaces)

Jenö Varga


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Préface de la Première Édition

Les Révolutions bourgeoises, comme celles du dix-huitième siècle, se précipitent de succès en succès ; leurs effets dramatiques sont comme des surenchères ; les hommes et les choses semblent saisis d'un tourbillon de feu ; l'extase emporte tous les esprits; mais ces Révolutions, sont de courte durée ; elles ont vite atteint leur point culminant, et un long marasme s'empare de la société avant qu'elle n'ait appris à s'approprier de sang-froid les résultats de sa période de tumultueuse tourmente.
Au contraire, les Révolutions prolétariennes, comme celles du dix-neuvième siècle, font constamment elles-mêmes leur propre critique, interrompent continuellement leur marche, reviennent sur ce qui paraissait définitivement fini, — pour le recommencer & nouveau, — raillent avec un cruel acharnement les insuffisances, les faiblesses et les misères de leurs premières tentatives, ont l'air de ne renverser leur adversaire que pour qu'il prenne au contact du sol de nouvelles forces et pour qu'il se dresse devant elles plus gigantesques encore, enfin reculent sans cesse avec épouvante devant l'immensité de la tâche infinie qu'elles poursuivent, jusqu'à ce que soit créée la situation qui rend impossible tout retour en arrière...
(Karl marx : Le XVIII Brumaire de Louis-Napoléon.)

Minée par ces chefs ouvriers qui « reculaient de peur devant l'immensité de leur propre tâche », abandonnée par les prolétaires des Etats voisins, la République des Soviets de Hongrie, — cette vague triomphante déferlant sur l'Occident, à la pointe extrême de la mer de flammes de la Révolution russe, — succomba dans la lutte contre la soldatesque roumaine et tchèque, appuyée par toutes les puissances impérialistes. Les chefs les plus exposés, prévoyant l'inéluctable réaction his­torique de la Terreur Blanche, quittèrent le pays et trouvèrent en Autriche un piteux asile.

Interné au château de Karlstein, privé de toutes communications avec le monde extérieur, j'ai eu, six mois durant, temps et loisir pour méditer sur les « insuffisances, les faiblesses et les misères du la première tentative ». Cet ouvrage est le fruit de cette méditation. Il porte la marque de son origine : je n'avais à ma disposition que très peu de livres et aucun document statistique. J'ai dû travailler, — et parfois même citer, — de mé­moire. De là de légères inexactitudes...

Poursuivi par les sbires de la Terreur Blanche maîtresse de la Hongrie, inculpé de meurtre, de pillage et de fabrication de fausse monnaie, ca­lomnié par la presse capitaliste de tout l'univers, abandonné par nombre de bons camarades d'autre­fois, — que la dure réalité de la lutte prolétarienne des classes rejetait avec effroi vers l'idylle de la démocratie bourgeoise, — je déclare, en dépit de la défaite, ouvertement et catégoriquement, qu'il n'y a pas d'autre chemin pour parvenir à la société socialiste que la dictature du prolétariat.

Les modalités de cette dictature peuvent être diverses : il y aura, probablement, des pays où ce n'est pas le système russe des Soviets, mais un autre système d'organisation prolétarienne qui sera la base de la dictature. Il y aura peut-être des pays où même le parlementarisme sera conservé dans la période dictatoriale. Et il y aura, — nous osons l'espérer, — des pays où la dictature s'ac­complira sans terrorisme. Il serait insensé de vou­loir prédire les modalités que comportera le de­venir historique d'un ordre social nouveau ; mais sans une dictature du prolétariat, — c'est-à-dire sans un état de transition dans lequel le prolé­tariat constitue la classe dominante et règle la politique du pays, à l'exclusion de toutes les au­tres classes de la société capitaliste1, — le passage du capitalisme au socialisme est impossible.

Cette conviction, que Karl Marx exprimait déjà il y a un demi-siècle, se propage — malgré la chute rapide de la dictature en Finlande, en Ba­vière et en Hongrie — extrêmement vite. En Alle­magne, le parti social-démocratique indépendant a adopté à l'unanimité, lors de son dernier congrès, ce principe d'action. En Italie, le Parti socialiste a remporté avec ce programme, aux élec­tions, une superbe victoire. En Angleterre et en Amérique, le mouvement ouvrier revêt des formes qui sont très proches de l'idée et des méthodes de la dictature. Les énormes succès militaires de la République des Soviets en 1919, la dissolution de toutes les armées contre-révolutionnaires en Rus­sie, montrent que le principe de la souveraineté du prolétariat a pris solidement racine dans l'âme de la majorité de la population russe politique­ment active et qu'il est devenu par là invincible.

Or, il est impossible, à la longue, que capita­lisme et socialisme coexistent l'un à côté de l'au­tre. Il est impossible que le prolétariat allemand anglais et américain, qui constitue dans chacun de ces pays la majorité absolue de la population, supporte éternellement avec placidité le joug du capitalisme si en Russie le régime prolétarien non seulement subsiste, mais encore, comme l'ont montré les derniers événements, se fortifie mili­tairement, économiquement et intellectuellement. Ou la Russie prolétarienne doit périr, ou le prolé­tariat des autres pays capitalistes doit s'emparer également de l'hégémonie politique.

J'ai foi dans le triomphe de la Révolution, parce que le capitalisme, — comme je l'explique dans le premier chapitre de cet ouvrage, — est incapable de procurer au prolétariat celte élévation positive du standard de vie qui seule pourrait en­traver son élan révolutionnaire. C'est cette con­viction que la Révolution prolétarienne est inévi­table qui m'a engagé à publier cet écrit, si incom­plet et si plein de lacunes qu'il puisse être. Peut-être contribuera-t-il, pour sa modeste part, à abré­ger « les douleurs de l'enfantement de la société nouvelle ».

Mon travail n'est rien moins qu'un ouvrage d'a­gitation ou de justification. Je dévoile sans peur toutes les fautes que nous avons commises pen­dant la dictature des Soviets en Hongrie ; j'indique dans chaque cas si les décisions prises furent réel­lement exécutées ou si elles n'existèrent que sur le papier.

Loin de moi aussi l'intention de donner des « re­cette» » aux prolétaires des autres pays. Ce serait là une naïveté réprouvée par l'Histoire. Mon des­sein est celui-ci : exposer les problèmes généraux de la politique économique de toute dictature du prolétariat, envisager les solutions théoriquement possibles, et puis décrire les résultats des tenta­tives que nous avons faites en Hongrie pour ré­soudre ces problèmes. La connaissance de ces réa­lités ne peut être que profitable au prolétariat de tous les pays. A chacun d'eux de voir quel parti il peut tirer de l'expérience acquise en Hongrie...

Quelques mots sur la méthode. C'est celle du marxisme. De mêne que, méthodologiquement, Karl Marx partait de cette hypothèse que le ré­gime de production capitaliste était seul en vi­gueur, et qu'il n'accordait que peu d'attention aux vestiges du système économique féodal, le point principal est ici, naturellement, l'essor des for­mes nouvelles de l'Economie ; ces formes qui, nées au sein du capitalisme, n'ont fait, sous le régime de la dictature, que se développer, tout en se dépouillant de leur caractère d'antagonisme.

La vie économique de la période de dictature est divisée en deux parties. A côté du commu­nisme prolétarien subsistent les traces du système individualiste Ces dernières disparaissent lente­ment et font place au système communiste. C'est là le stade suprême de la dictature du prolétariat. Il n'y a plus alors ni prolétaires, ni bourgeois, il n'y a plus qu'une communauté d'hommes cultivés travaillant librement..

On suppose par là qu'avec la disparition de la propriété privée disparaît aussi l’idéologie cupide et égoïste corrélative à cette forme de propriété. La nécessité de la dictature du prolétariat ne finit pas avec la disparition de la propriété privée des moyens de production, mais seulement avec la disparition de l'idéologie capitaliste, cupidement égoïste. La dictature du prolétariat ne peut être remplacée par le socialisme que quand la trans­formation idéologique est terminée, c'est-à-dire quand la mentalité cupidement égoïste propre au capitalisme a également disparu. Cela demandera bien une génération.

En étudiant sans parti pris le développement de la dictature des Soviets en Hongrie, il apparaît, d'une façon générale que, dans les périodes révo­lutionnaires, il faut accorder à l'idéologie une im­portance bien plus grande que ne le croient un grand nombre de marxistes. Le péril, pour la du­rée du régime prolétarien, est bien moins dans la résistance active que font les classes dirigean­tes qui viennent d'être dépossédées et en qui s'ex­prime une juste compréhension de leurs intérêts de classe, que dans la résistance passive de lar­ges couches du prolétariat lui-même, lequel ne peut se dégager de l'idéologie étrangère que lui a imposée le système d'oppression intellectuelle de l’Etat capitaliste. Cette grande importance de l'idéologie et des agissements politiques qui en dérivent nous a amené, en traitant des problèmes économiques, à y incorporer sans cesse, comme des facteurs décisifs, la politique et l'idéologie. S'en tenir strictement aux faits purement écono­miques eût donné un tableau mieux défini, sans doute, mais plus éloigné du réel...

J'ai eu dans mon travail l'assistance de mes compagnons d'internement. Je dois notamment à Béla Kun et à Jules Lengyel nombre de précieuses indications ; qu'ils reçoivent l'expression de ma plus cordiale gratitude.

Karlstein, le 10 janvier 1920.

Préface de la Deuxième Édition

Habent sua fata libelli... Les livres ont leur des­tinée. La destinée du mien a été d'être utilisé par la presse capitaliste et social-démocratique pour ses campagnes contre le bolchevisme. Des phrases détachées, recousues ensuite sous forme d'articles, ont fait le tour de cette presse-là, depuis le Právo lidu jusqu'au Temps, pour descendre encore jus­qu'aux plus misérables feuilles de choux de la presse allemande qui se sont donné pour objectif professionnel l'anéantissement des communistes.

Comment remédier à cela ? J'y ai longuement réfléchi ; j'ai relu mon ouvrage avec attention et, finalement, j'ai trouvé qu'il serait plus nuisible d'y changer, même une seule phrase, sous pré­texte qu'on pourrait s'en servir comme d'une arme contre le communisme. Ou bien faudrait-il que je dissimule à l'avant-garde du prolétariat le fait que la période initiale de la dictature est une époque de combats les plus durs ? Combat contre la bourgeoisie vaincue, mais qui se défend tou­jours opiniâtrement, et combat contre la mentalité vacillante ou hostile des paysans ; combat contre l'inexpérience du prolétariat dans le maniement de la puissance publique et, ce qui est encore plus grave, combat contre la mentalité bourgeoise, contre la « survivance de l'idéologie » au sein même du prolétariat victorieux ? Faudrait-il donc que je cache toutes les difficultés que nous avons rencontrées, afin de ne point intimider les tra­vailleurs avant la bataille ? Jamais de la vie ! Les ouvriers qui ne se font communistes que dans l'espoir d'une amélioration immédiate de leur si­tuation, laisseront en plan la dictature à la première difficulté venue. Nous l'avons bien vu en Hongrie ! La dictature a besoin d'une garde ou­vrière à l'épreuve des vicissitudes du sort, qui brave tous les obstacles et qui fasse bloc en un Parti Communiste fortement discipliné ! Des gens à qui l'on ne pourrait pas indiquer les difficultés qui viennent parce que cela leur enlèverait le courage de la lutte, ne sauraient être que l'enjeu, mais non les champions de la lutte des classes qu'exige la révolution...

Voici un an que mon livre est écrit. J'ai passé les cinq derniers mois en Russie à étudier les choses de ce pays. Si j'avais aujourd'hui à écrire ce livre, je pourrais déjà, sur plus d'un point, apporter une solution définitive à raison même de l'expérience acquise en Russie et dont, alors, je n'avais pas connaissance. Mais, même aujour­d'hui, je n'aurais à écrire rien d'essentiellement différent. Et je suis heureux do pouvoir noter que ce facteur psychique auquel j'attachais une importance particulière — la mentalité conservatrice des masses ouvrières, la survivance de l'idéologie en face du bouleversement des bases économiques, — a été également constaté par nos camarades russes les plus marquants. « La dictature du prolétariat, écrit Lénine, dans la Maladie infantile du Communisme, est la guerre la plus dure, la plus violente, la plus implacable, que la classe nouvelle mène contre le plus redoutable des enne­mis : la bourgeoisie..., dont la puissance ne ré­side pas seulement dans la puissance du capital international, dans la force et la solidité des ap­puis internationaux que possède la bourgeoisie, mais aussi dans la puissance de l'habitude... »

Trotsky (Terrorisme et Communisme) signale encore plus nettement ce fait de la survivance de l'idéologie ; « La structure sociale du peuple retarde beaucoup sur le développement de ses forces productives... La conscience des masses, de son côté, reste extrêmement en retard sur le dévelop­pement de l'état social ; la conscience des vieux partis socialistes retarde de toute une époque sur l'opinion des masses, et la conscience des vieux leaders parlementaires et trade-unionistes, laquelle est encore plus réactionnaire que la conscience de leur parti, représente un noyau rigide que jus­qu'à l'heure présente, l'Histoire n'a pu ni digérer, ni éliminer ».

Quant aux problèmes que j'ai traités dans ce livre, je dois dire ceci : la dictature du prolétariat a, il est vrai, soulevé en Russie encore de nou­veaux problèmes (transports, concessions), mais tous l.es problèmes que j'examine sont d'une im­portance capitale, même pour la Russie proléta­rienne. Bien qu'il existe une énorme différence entre la petite Hongrie, avec sa dictature s'y éta­blissant pacifiquement, et la gigantesque Russie, toute bouleversée par la Révolution, le fait même de la dictature a, dans les deux pays, soulevé des problèmes absolument identiques et conduit à d'identiques tentatives de solutions. Je vais main­tenant essayer d'esquisser, très brièvement, ce que les derniers développements historiques compor­tent de matière nouvelle a ajouter à la matière de ce livre. J'espère, qu bout d'une année, être en mesure de donner, dans un ouvrage particulier, un exposé détaillé de l'économie et de la politique économique de la Russie.

La crise du capitalisme se poursuit sans chan­gement. Tous les efforts faits par les capitalistes pour amener les ouvriers à accroître leur rende­ment, n'ont qu'un succès temporaire. Une nou­velle vague de grèves balaie tout devant elle. La crise d'après-guerre du capitalisme européen est encore aggravée par la crise de surproduction qu'il y a en Amérique.

La crise des matières nécessaires à la vie est, en Russie, déjà résolue en partie. La bonne organisation de l’administration des vivres permet d'approvisionner comme il convient les grands centres industriels, — Pétrograd, Moscou, Ivanovo, Voznessensk, etc. Par contre, le pays souf­fre de la pénurie de produits manufacturés. La longue guerre civile a, naturellement, beaucoup contribué à ralentir le développement de l'écono­mie communiste et, par conséquent, à retarder la fin de la crise des matières nécessaires à la vie.

La question de la discipline du travail et de l'accroissement du rendement du travail est aujour­d'hui encore un des problèmes les plus importants et les plus ardemment discutés de la Russie, notamment en connexion avec la question du rôle des syndicats dans l'Etat prolétarien. La guerre, qui a retenu sur le front la majeure et la meil­leure fraction des membres du Parti Communiste, a retardé la solution définitive, qui est la trans­formation de l'idéologie, des masses ouvrières, l'avènement d'un esprit communiste correspondant aux fondements de l'économie communiste et l'a­vènement d'une nouvelle discipline du travail ba­sée sur cet esprit. Tout le reste : salaire à for­fait, normalisation du travail de l'ouvrier, primes en argent et en nature, militarisation du travail, etc, ne peut être que des mesures transitoires permettant de maintenir le niveau de la production pendant l'époque nécessaire à la transformation des idéologies. La rénovation idéologique est en marche. Ses progrès et tout le développement éco­nomique de la Russie dépendent désormais de ce­ci : le prolétariat international est-il assez fort et assez conscient de lui-même, en tant que classe, pour empêcher, d'abord, une nouvelle attaque mi­litaire des impérialistes contre la Russie des So­viets, mais aussi pour dégager, par la constitu­tion de républiques soviétistes, la Russie de l'iso­lement économique où elle se trouve, et pour lui assurer les avantages de la division du travail entre les nations ? A ce point de vue, l’établisse­ment en Allemagne d'une publique des Soviets serait tout spécialement d'une importance décisive. Car l'Allemagne produit, précisément, les instruments dont la Russie a besoin, avant tout, pour l'exploitation de ses énormes richesses en matières premières et en denrées alimentaires, Locomotives, machines de toute espèce, tracteurs et machines agricoles pour la mise en valeur des immenses terrains qui restent en jachère, dyna­mos pour l'achèvement des gigantesques installa­tions électriques qui se trouvent en construction, produits chimiques et pharmaceutiques, ingénieurs et organisations que possède l'Allemagne, voilà ce qu'il faudrait à la Russie. Les statistiques du commerce extérieur d'avant-guerre montrent l'é­norme importance des transactions entre l'Alle­magne et la Russie. Réunies, la Russie et l'Alle­magne peuvent tenir tête au monde entier.

La question agraire en Russie a traversé, au cours de ces trois dernières années, diverses pha­ses : expropriation révolutionnaire des grands domaines fonciers par la collectivité de la popula­tion paysanne, nivellement des fortunes villageoi­ses, grâce à l'action du Comité des Pauvres du Village, incorporation de l'économie paysanne dans l'économie communiste par le système du contingentement des fournitures et par un grand développement du système du troc. Enfin, voici la dernière phase : standardisation de l'économie paysanne par la constitution d'un Office public des ensemencements, détermination pour toutes les plantes de l'étendue des superficies à cultiver, application obligatoire de certains perfectionne­ments agricoles sous la direction et avec l'assis­tance d'agronomes de l’Etat. A coté de cela se poursuit la reconstitution de la grande culture, sous forme de domaines nationaux et de syndicats de culture, formés entre les paysans et les com­munes (colonies agricoles avec travail et consom­mation communistes).

Toutes ces phases n'ont pas encore été parcou­rues par la totalité de la Russie ; et je crois que, dans les pays d'Europe où, comme en Allemagne, le prolétariat l'emporte numériquement, certaines d'entre elles peuvent être laissées de côté.

La solution du problème financier est parvenu à un stade avancé. Bien que la masse du papier monnaie en circulation augmente de jour en jour, bien que l'Etat jette sur le marché toujours de nouveaux milliards, l'élimination de l'argent est en pleine voie de réalisation. Dans la comptabi­lité des entreprises publiques, l'argent a complètement disparu. Les ouvriers reçoivent, depuis le 1er janvier 1920, tous les produits alimentaires sans payer. Il n'y a plus d'impôts. Les chemins de fer et les tramways transportent gratuitement mar­chandises et voyageurs. Il y a déjà un grand nom­bre de gens — tous ceux qui sont nourris et logés dans des institutions d'Etat, — qui, pendant des semaines, n'ont pas un centime entre les mains. L'économie communiste exclut complètement l'ar­gent du système des transactions ; le pouvoir d'achat de l'argent n'intéresse plus que les gens qui vivent, totalement ou en partie, en dehors du régime communiste. Le temps viendra bientôt où il sera tout à fait indifférent pour l'économie com­muniste de savoir quelle quantité de denrées res­tées en dehors du monopole de l'Etat les paysans sont disposés à donner, en échange de ces vignettes en couleur qu’est le papier-monnaie. L’élimination de la monnaie est déjà si avancée qu le calcul en argent de la valeur relative des richesses produites dans les entreprises étatistes est, à l’heure actuelle, devenu impossible. La Russie est sur le point de commencer pratiquement le cal­cul des valeurs en heures de travail2. Si l'on réussit dans un pays à instaurer la dictature sans provoquer une longue guerre, il sera possible, là aussi, — sans qu'il se produise la dévalorisation presque complète de l'argent qui a eu lieu en Russie, — d'aboutir à exclure l'argent de l'écono­mie communiste, c'est-à-dire à le remplacer par des bons représentatifs des heures de travail ef­fectuées.

Cependant, tout le cours des développements économiques dépend des progrès de la révolution mondiale. Plus il y a d'Etats déjà passés de la dic­tature de la bourgeoisie à celle du prolétariat, et plus facilement s'opérera le passage de l’économie capitaliste et individualiste à l'économie prolétarienne et communiste. Et ceux qui se désespèrent sur les difficultés économiques que rencontre la (…)3 Russie est le champion isolé qui, lui tout seul, lutte depuis trois ans contre tout l'univers capi­taliste pour l'affranchissement de l'humanité. La tâche imposée à la Russie a été trop lourde. Il est grand temps que la révolution internationale se propage pour mettre fin a l'isolement de la Russie.

Ce n'est pas seulement dans l'intérêt de la Rus­sie ; ce n'est pas même, en première ligne, dans son intérêt ; l'absence d'une aide internationale ne peut pas réduire le prolétariat russe à s’effondrer, comme cela a été le cas de la petite Hongrie des Conseils. Mais le danger, c'est que la Russie ne puisse plus jouer le rôle de moteur de la révo­lution internationale. Car, on ne doit pas le laisser ignorer : il y a en Russie des communistes qui, fatigués d'avoir si longtemps attendu la révolu­tion européenne, voudraient finalement s'appuyer sur la base d'un isolement de la Russie. Cela si­gnifierait : paix avec les impérialistes, échange régulier de marchandises avec les pays capitalis­as et concessions de diverses sortes ; abandon de la propagande à l'étranger, pour satisfaire cer­taines exigences des puissances impérialistes. De cette manière se créerait un nouveau type d'Etat, dans lequel, sur la substruction d'une vaste masse paysanne, la classe ouvrière exerce le pouvoir. Cet Etat échangerait l'excédent de ses denrées alimen­taires et de ses matières premières contre les pro­duits du monde capitaliste, et de cette façon il con­tribuerait indirectement à la consolidation de l'or­dre capitaliste. Cette tendance, qui désirerait sta­biliser l'Etat prolétarien de Russie et son écono­mie prolétarienne, en le laissant isolé au milieu du monde capitaliste, est, aujourd'hui, encore fai­ble et peu importante. Mais elle peut devenir forte, si la Russie prolétarienne reste encore isolée pen­dant longtemps. Il est certain que les pays capi­talistes pourraient vivre en relations de voisinage pacifique avec une Russie qui considérerait la ré­volution sociale dans les autres pays comme une affaire qui lui est étrangère, et qui accepterait de participer paisiblement à l'échange international des marchandises.

Je suis loin de croire qu'une pareille immobili­sation de la Russie révolutionnaire puisse arrêter la marche de la révolution mondiale ; mais elle la ralentirait. Il peut se faire que l'occasion extrêmement favorable qui est actuellement fournie par la période d'ébranlement du capitalisme soit manquée. Dans ce cas, la lutte des classes oscillera longtemps encore, sans résultat décisif, jus­qu'à la prochaine guerre générale entre les vain­queurs d'aujourd'hui : Amérique, Japon et Angle­terre...

Il y a péril en la demeure !

Moscou, 3 janvier 1921.

Préface de l’Édition Française

Il peut sembler étonnant aujourd'hui, plus de deux ans après la chute de la République hon­groise des Conseils, de publier, en langue fran­çaise, un livre traitant spécialement des expérien­ces de ladite République. La dictature ouvrière a pris fin depuis longtemps, mais la Terreur Blan­che, toujours sévissante en Hongrie montre que, malgré sa courte durée, la République des Con­seils a profondément impressionné les classes dirigeantes de l'Europe occidentale. Nous disons les classes dirigeantes d'Europe, car il est évident que, sans l'appui bienveillant des classes diri­geantes de l'Europe occidentale, et avant tout de la France, le régime de la Terreur Blanche en Hongrie ne pourrait durer.

Mais ce ne sont point ces raisons qui justifient la parution de notre livre. Ce qui donne à cet ouvrage une valeur historique, c'est que les expé­riences du gouvernement des Conseils hongrois, dans le domaine de l'organisation économique, re­présentent l'unique parallèle des expériences de la Russie Rouge. C'est seulement en mettant sur un même plan, pour les comparer, les expériences des deux pays qu'il est possible de voir ce qui est spécifiquement russe dans les événements présents de Russie et de juger quels sont les problèmes appelés à se répéter dans toute dictature, parce qu'appartenant à la dictature même et naissant avec elle. Car, bien que la République hongroise des Conseils n'ait duré que quatre mois et demi, elle permet cependant une comparaison, précisé­ment parce que, grâce à l'étendue restreinte de la Hongrie, maintes phases de son développement ont été parcourues plus vite qu'en Russie. Il va sans dire qu'il eût été préférable de recomposer entièrement le livre en prenant comme base les expériences russes. Mais le temps me manque et, de plus, j'ai l'intention d'écrire un livre traitant spécialement de l'administration et de l’économie de la Russie des Soviets. La difficulté en ceci est que tout y est toujours en évolution, alors que les expériences hongroises forment, hélas ! un tout achevé.

Maintenant, venons-en à la Russie. Dans la pré­face de la seconde édition de ce travail, j'ai ex­posé les traits principaux du développement de l'économie russe jusqu'en janvier 1921. Déjà, le lecteur y remarquera, assez clairement indiqué, le grand changement qui s'est opéré dans l'éco­nomie soviétique au cours de cette année. A ce sujet, nous sommes avant tout obligés d'appuyer sur le fait, que la chute de la République hongroise des Conseils et l'orientation nouvelle de l'écono­mie russe sont dues à une seule et même cause : l'isolement dans lequel ont été tenues les deux républiques soviétiques. L'isolement de la Hon­grie des Conseils a eu pour suite la chute com­plète du régime nouveau ; l'isolement de la Russie soviétique n'a pas conduit et ne pourra jamais conduire à la chute du gouvernement des Conseils, mais il a obligé les camarades russes à dévier de la ligne droite conduisant à l'établissement d'une économie communiste, et — ainsi que le dit Lé­nine — à faire plusieurs pas en arrière.

L'isolement de la Russie Rouge a permis aux contre-révolutionnaires, soutenus par les capitalis­tes de partout, de porter la guerre, renouvelée d'année en année, dans tout le pays ; il a contraint le prolétariat russe d'employer dans l'armée le meilleur de ses forces pour écraser le mouvement contre-révolutionnaire ; il a enlevé à la Russie la possibilité de profiter de la production économi­que mondiale, d'acheter à l'étranger les moyens de production que de tous temps elle s'y est pro­curés ; il a nourri sans cesse dans les rangs de la bourgeoisie l'espérance de pouvoir renverser, avec l'aide des capitalistes étrangers, le gouvernement prolétarien ; en un mot, il a empêché la marche de la reconstruction économique russe. Pendant ce temps, des changements se produisaient dans l'état des classes en Russie. Du prolétariat rural d'autrefois naquit, grâce au partage du sol — qui était dans les circonstances données le seul moyen d'intéresser les paysans pauvres au maintien de la dictature — la classe des paysans moyens qui, d'un sol à eux à l'aide des moyens de production leur appartenant par leur propre travail, tiraient leur subsistance

D'après la conception primitive du système éco­nomique russe, les paysans devaient livrer leur excédent entier de vivres pour l'alimentation de l'armée et de la population urbaine. Par contre, l'Etat avait à charge de les pourvoir de tous les objets industriels nécessaires, Pendant la guerre, le pouvoir des Soviets prit toutes les mesures pour que fût exécutée rigoureusement la première partie de ce programme. Mais, d'autre part, la guerre rendit impossible à la grande industrie toute nouvelle production et, par conséquent, ne permit point au nouveau régime de fournir aux paysans les objets industriels espérés. Le résul­tat de celte situation fut que rien ne poussait plus les millions et les millions de paysans russes à produire des vivres en excédent. Ce que j'ai ap­pelé dans mon livre eTendance au retour de l'éco­nomie primitive » s'affirma très fortement en Rus­sie : la superficie cultivée fut réduite ; les produits de la terre diminuèrent d'année en année ; les cultures spéciales à la Russie disparurent presque complètement. Et quand la guerre prit fin, les mil­lions de paysans russes manifestèrent clairement qu'ils n'étaient pas satisfaits de la politique éco­nomique poursuivie.

Le Parti Communiste russe, comme parti diri­geant du pays, avait à résoudre la question sui­vante : ou conserver pure l'idée communiste et perdre la puissance politique — car contre la vo­lonté unie des masses paysannes, la dictature du prolétariat, diminué et affaibli par la longue guerre soutenue et l'émigration, au village, n au­rait pu résister ; ou bien, comptant avec l'isole­ment dans lequel se trouvait le prolétariat russe, maintenir le pouvoir prolétarien d'une façon con­forme à la réalité de la situation. Nul doute que, dans l'intérêt de la révolution mondiale, il soit incomparablement plus avantageux pour le prolé­tariat d'un pays de 150 millions d'habitants de gar­der le pouvoir que de conserver dans sa pureté l'idée communiste en perdant ce pouvoir, acquis au prix de tant de difficultés, préparant par la même la voie à la réaction mondiale. Car les diri­geants de l'Internationale d'Amsterdam eux-mê­mes, qui avaient déversé dans le monde tant de calomnies sur la Russie des Soviets, n'en furent pas moins obligés de reconnaître, dans leur appel en faveur des victimes de la faim, que la chute de la République russe des Conseils aurait comme conséquence l'envahissement du monde par la réaction.

Le caractère du changement qui s'est opéré dans l'économie russe, on peut l'esquisser brièvement de la façon suivante : au lieu du monopole des vivres, l'établissement de l'impôt en nature. Celui-ci rend au paysan le stimulant qui le fera tra­vailler à l'élévation de sa production, car une fois l'impôt en nature versé, le travailleur de la terre peut disposer à sa guise de l'excédent de ses pro­duits. Pour le paysan, l'excédent de production n'a de signification que s'il peut en obtenir les arti­cles manufacturés dont il a besoin. Il était indis­pensable que ceci lui fût rendu possible. Et puis­que la grande industrie étatisée se trouvait mo­mentanément, à la suite de la guerre, à la suite du manque de vivres, de combustibles et de ma­chines autrefois importées, dans l'incapacité de produire les objets réclamés par le paysan, la li­berté de la petite industrie et du commerce local devait être rétablie.

Ce qui signifiait naturellement la possibilité d'une renaissance capitaliste. L'inauguration du système d'affermage des petites usines nationali­sées, qui eut lieu en même temps, fut dictée par les mêmes considérations. Il se trouva que l'éta­tisation fut poussée tellement loin qu'elle dépas­sait, par son étendue, les capacités d'organisation et d'administration d'un prolétariat affaibli par la guerre et la lutte contre-révolutionnaire L'immense superficie de la Russie, la défectuosité des moyens de communications et la difficulté d'entrer en rap­ports, la dissémination de la population, rendaient pénible l'organisation du système économique. La production locale était entravée par la centrali­sation exagérée.

Grâce à l'affermage des usines de petite importance, on arriva tout d'abord à ce résultat qu'il fut possible au paysan de se procurer sur le mar­ché libre les articles industriels dont il avait be­soin ; d'autre part, on put concentrer, sur les branches les plus importantes de la grande indus­trie, les forces d'organisation du prolétariat épar­pillées dans le pays entier. Simultanément, un esprit d'organisation plus souple se fit sentir dans les exploitations demeurées sous la dépendance directe de l'Etat, les liens du centralisme bureau­cratique se relâchèrent. Enfin, on essaya aussi d'obtenir des capitalistes de l'extérieur les instru­ments nécessaires au relèvement de la produc­tion : d'une part, sous la forme de concessions, par l'abandon à ces capitalistes de richesses na­turelles et d'entreprises ; d'autre part, sous la for­me de crédits d'Etat. Toute cette évolution fut pré­cipitée par les mauvaises récoltes de 1920 et sur­tout de 1921, dont la Russie eut tant à souffrir.

De cette façon, la Russie est aujourd'hui arrivée à un point que les social-démocrates se plaisent à désigner dans leur programme comme le point de départ de la transformation sociale. L'Etat pro­létarien reste en possession des branches de l'éco­nomie « mûres » pour la socialisation : les mines, l'industrie lourde, les grandes exploitations en gé­néral, les moyens de transport, les finances et le commerce extérieur.

Mais il importe de déclarer bien haut qu'il existe une différence absolue entre la politique d'un pro­létariat qui, en pleine possession du pouvoir, est amené, sous la pression des événements, à ré­duire, dans une certaine mesure, son programme d'étatisation et la politique qui consisterait à dé­buter par l'application d'une étatisation limitée. Les expériences des gouvernements social-démo­crates d'Allemagne, d'Autriche, de Tchéco-Slovaquie, de Hongrie ont clairement démontré que toute socialisation est impossible aussi longtemps que le pouvoir politique reste en possession de la classe capitaliste. Pour qu'une expropriation des moyens de production soit possible, il est indis­pensable avant tout d'arracher la puissance poli­tique des mains de la classe bourgeoise.

Aussi longtemps qu'elle détiendra le pouvoir, jamais la bourgeoisie ne traitera d'égal à égal avec le prolétariat. Si « mûre » pour l'expropria­tion que puisse être une branche économique, toujours la bourgeoisie s'opposera à cette expro­priation, si elle en a la force. C'est donc là pur bavardage, qui n'a rien de commun avec le marxisme historique, lorsque les social-démocra­tes soutiennent que le prolétariat russe aurait dû commencer où il est maintenant arrivé. Aucune expropriation ne peut être menée à bien, aucun socialisme n'est possible sans avoir au préalable brisé complètement toute résistance de la bour­geoisie sur le terrain politique.

Si donc le pouvoir de la bourgeoisie doit néces­sairement être brisé — ce qui signifie qu'il faut également nationaliser telles branches de l'écono­mie et telles exploitations qui eussent mieux fait, laissées aux mains des capitalistes — ceci ne veut pas dire qu'un abandon partiel de ces conquêtes soit inévitable. La Russie a été obligée d'adopter sa nouvelle politique uniquement à la suite de l'isolement dans lequel on l'a abandonnée. Si la Révolution mondiale avait fait de plus grands pas, si les ouvriers de l'Europe centrale et de l'Europe occidental eussent été, eux aussi, en mesure d'établir dans leur pays la dictature du prolétariat, jamais la Russie n'en serait venue là.

Car, alors, elle n'eût pas été obligée de faire la guerre des années durant ; elle ne se verrait pas contrainte, à l’heure actuelle encore, de laisser improductif le meilleur de ses forces en l'em­ployant à la constitution d'une armée de défense. Depuis longtemps, les éléments contre-révolutionnaires russes auraient perdu tout espoir d'arriver au renversement par la force du gouvernement des Soviets. Et celui-ci, depuis longtemps égale­ment, aurait pu recevoir des républiques indus­trielles de l'Europe occidentale les machines et les moyens de production indispensables au relève­ment de l'industrie russe et à l'approvisionnement, en objets manufacturés, de tous les paysans de Russie.

C'est pourquoi il y a un pur non-sens, auquel s'ajoute parfois la malveillance, dans le reproche fait aux camarades russes d'avoir consenti à des concessions que leur dictait la situation.

Un reproche, on pourrait l'adresser — si cela avait, en somme, une signification historique — au prolétariat de l'Europe centrale et occidentale ; celui d'avoir fait montre d'indolence dans la con­tinuation de la révolution prolétarienne.

Dans ces conditions, un devoir concret se dé­gage pour le prolétariat français en particulier. Toutes les tentatives d'invasion criminelles diri­gées contre la Russie des Soviets par les divers généraux contre-révolutionnaires et aussi par la Pologne furent financées par des capitalistes fran­çais. Les gouvernements bourgeois de France ap­provisionnèrent d’armes, de munitions et d'ins­truments de guerre de toutes sortes les Koltchak, Denikine, Wrangel, ainsi que la Pologne. Les pro­létaires français ont forgé des armes avec les­quelles on a combattu les prolétaires russes : des cheminots français ont transporté ces instruments de meurtre ; des officiers français ont commandé les armées blanches : la France a été et reste le soutien le plus solide de toutes les entreprises guerrières dirigées contre la République russe des Soviets. Au prolétariat français incombe le devoir minimum d'empêcher sa propre bourgeoisie d'or­ganiser toute nouvelle lutte contre la Russie sovié­tique.

Le prolétariat français a pour le moins le devoir négatif de veiller a ce que, pendant la période présente de contre-révolutionnarisme, la Russie jouisse d'une pause de respiration en vue de son relèvement économique. Aucune arme ne doit plus être forgée contre la République des Soviets ; au­cun transport d'instruments de meurtre ne doit plus être effectué ; aucun argent français ne doit plus être donné aux gardes-blancs. Nous disons devoir minimum : car le devoir positif du prolé­tariat français serait, de renverser sa propre bourgeoisie et ensuite de déchaîner la révolution sociale sur tout le Continent.

La France, est aujourd'hui la citadelle de la réaction européenne. L'effondrement de son régime est la voie ouverte à la révolution prolétarienne de toute l'Europe, Comme jadis, le prolétariat fran­çais a la possibilité de jouer un rôle prépondérant dans le développement révolutionnaire de l’Hu­manité : mais il lui faut une volonté opiniâtre et un courage prêt à tous les sacrifices.

Moscou, le 15 mars 1922.

Professeur Eugène VARGA.

Notes

1 Tel est le sens exact de la notion de « dictature du prolétariat », et non pas, comme Kautsky le donne à croire, « une politique d'oppression... qui se libère... des liens législatifs qu'elle a elle-même créés... un état d'arbitraire qui, de par sa nature même ne peut être exercé que par un très petit groupe... ou par un seul individu... » C'est là la définition de la tyrannie, de la dictature en général, mais non pas celle de la dic­tature du prolétariat — qui est la forme transitoire d'Etat dans laquelle domine seul, politiquement par­iant, le prolétariat en tant que classe, de même que la démocratie bourgeoise est la forme d'Etat où la bourgeoisie possède la domination exclusive. La « dictature du prolétariat » ne signifie pas « se libérer des liens législatifs par soi-même créés ». Au contraire, plus toutes les lois sont strictement observées, plus l’exercice de la dictature a de fermeté et plus est courte la période pendant laquelle elle est une nécessité historique. (Note de Varga)

2 De très intéressants travaux préliminaires sont systématiquement poursuivis sur ce terrain-là. Des travaux scientifiques du à H. Strumilin, Fritzmann et autres ont assez bien éclairé le côté théorique de la question. (Note de Varga)

3 Passage manquant (note de la MIA).


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