1936

Lettre au rayon du P.O.U.M. de Madrid, Bibliothèque du Collège de Harvard, 8072, avec la permission du Collège de Harvard. Ecrite en français. Un exemplaire traduit en néerlandais se trouve dans les archives Sneevliet à l'Institut international d'histoire sociale d'Amsterdam.


Œuvres – avril 1936

L. Trotsky

[Vers les jeunes et les organisations de masse]

15 avril 1936


Chers Camarades [1],

Je vous remercie pour votre lettre amicale. Je n'ai pas la moindre raison de douter de la sincérité de vos sentiments. Mais la politique ne se fait pas avec des sentiments personnels. Elle exige des principes justes, du courage et de la persévérance. Malheureusement ces trois principes faisaient et font défaut à la direction de la Izquierda Comunista, sans parler de la direction du P.O.U.M.[2].

La situation en Espagne était extrêmement favorable à un groupement marxiste révolutionnaire. Pendant ces cinq années, un tel groupe, avec une politique juste, aurait pu devenir la force dominante en Espagne révolutionnaire. Malheureusement Andrés Nin, Andrade et les autres ont tout fait pour compromettre la situation. Ils prenaient les principes à la légère, esquivaient toute discussion sérieuse sur les devoirs révolutionnaires et cherchaient toujours la ligne de moindre résistance. Ils se solidarisaient de n'importe quelle confusion orientée contre la politique internationale des b.l. [3]. Ils se sont liés contre la IV° Internationale avec ce petit-bourgeois sans principes qui s'appelle Maurín. Les noms d'Andrés Nin et d'Andrade entreront dans l'histoire du mouvement ouvrier espagnol comme les noms de gens qui ont trahi leur drapeau.

Quant à vous, chers camarades, vous ne gagnerez jamais (le) P.O.U.M. à la politique marxiste, parce que ce n'est pas une organisation de, masses, mais une formation sélectionnée autour de Maurín, de Nin, etc. L'expérience des cinq dernières années a démontré qu'il n'y a plus rien à chercher (de ce côté‑là). C'est vers les jeunes et vers les organisations de masses que vous devez vous tourner. Il y a un an, vous aviez encore toutes les possibilités de gagner les jeunesses socialistes. C'est la politique passive et conservatrice de Nin et de Maurín qui vous en a empêché. Il faut commencer ce travail malgré le succès des staliniens. Il faut pénétrer dans les jeunesses en tournant le dos à Maurín, à Nin et autres. Autrement, tous vos beaux desseins resteraient des phrases creuses. Je vous parle en toute franchise parce que vous n'avez pas de temps à perdre.

Je vous envoie une lettre écrite en allemand à un camarade espagnol. Je vous prie (de) traduire cette lettre en espagnol et (de) la communiquer à tous les camarades susceptibles d'être intéressés par mon opinion [4].

P.‑S. Je viens de recevoir La Batalla du 10 avril 1936 [5] avec cette formule, empruntée au journal bourgeois El Liberal, en manchette ; « El frente popular es la ùnica garantia conservadora de Espana ». C'est tout à fait juste. Mais pourquoi le P.O.U.M. a‑t‑il aidé (à) construire cette garantie conservatrice ? Nin et Andrade n'auraient‑ils pas compris de quoi il s'agit ?

Pourtant la littérature internationale des b.l. avait depuis longtemps analysé et dénoncé le mécanisme perfide du Front populaire. Or vos chefs, dans cette question comme toutes les autres questions importantes, ont choisi la voie de moindre résistance et du plus grand préjudice pour la révolution.


Notes

[1] Le responsable du rayon de Madrid du P.O.U.M. qui avait pris l'initiative d'envoyer à Trotsky une lettre de respectueux hommage était Luis Garcia Palacios dit Roberto Mariner. Cet employé de banque avait été l'un des fondateurs et le tout premier secrétaire général des J.C. d'Espagne. Membre de l'Opposition de gauche depuis sa fondation, partisan de la constitution du P.O.U.M., il était resté attaché à Trotsky et à l'Opposition internationale comme, de façon générale, le rayon de Madrid qui se considérait lui-même comme « trotskyste ». L'envoi par Garcia Palacios d'une lettre à Trotsky provoqua une vive réaction de la droite du P.O.U.M. que Maurín, dit‑on, eut peine à apaiser. En tout cas, Garcia Palacios se démit quelques semaines plus tard de toutes ses responsabilités.

[2] Rappelons qu'lzquierda Comunista ‑ Gauche communiste ‑ était le nom de la section espagnole de l'Opposition de gauche, puis de la L.C.I., mais qu'elle s'était fondue dans le P.O.U.M. en 1935.

[3] Trotsky reprochait notamment aux dirigeants de la section espagnole d'avoir soutenu successivement Landau, Mill, les gens de la Gauche communiste, plus tard Vereeken, Oehler, Naville, etc.

[4] Nous ignorons si c'est à la suite de la diffusion de ces deux lettres que se manifesta un autre ancien membre du C.C. de la I.C.E., Francisco Enguix, de Torrellano dans le Levante, se manifesta et écrivit au S.I. Mais Enguix fut fusillé aux premières heures du soulèvement de l'armée. Un seul vieux militant, à l'époque découragé et isolé, devait reprendre ensuite le contact : il s'agit d'Esteban Bilbao Urruza (1896-194 ?).

[5] C'était Alfonso Leonetti qui avait expédié ce numéro du journal du P.O.U.M. à Trotsky et le lui avait annoncé dans sa lettre du 3 avril.


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