Œuvres - septembre 1930

Léon Trotsky

Difficultés en Tchécoslovaquie

18 septembre 1930

Chers camarades Jerabek et Blazek,

C'est avec grand intérêt que j'ai lu votre lettre me donnant un aperçu des grandes difficultés dans lesquelles doit se débattre l'Opposition tchécoslovaque.

Je ne veux surtout pas nier qu'on puisse avoir beaucoup à redire à la tactique utilisée par l'Opposition russe et par moi-même. Toutefois, si l'on voulait traiter cette question en profondeur, il faudrait pouvoir reconstituer totalement la situation politique d'alors, ce qui m'est évidemment assez difficile dans le cadre d'une simple lettre. Cela ne signifie pas que je renonce à revenir sur cette question, mais pour aujourd'hui, je veux la laisser de côté, pour la reprendre plus tard.

Je voudrais maintenant prendre brièvement position sur les questions que vous soulevez.

Le parti et la classe sont deux roues d'un engrenage, l'une plus petite et l'autre plus grande. Nous voulons agir sur le mouvement de la plus petite. Nous pouvons y parvenir de deux façons différentes: premièrement en agrippant les rayons pour mettre la roue en mouvement. Mais nous pouvons aussi (si naturellement nous en avons la force) agir directement sur la grande roue, afin qu'elle entraîne la roue du parti dans son mouvement. Nous pouvons également utiliser en même temps les deux procédés, si nous en avons les moyens, c'est-à-dire surtout si nous sommes en mesure de contrôler le résultat de notre action. Nous ne sommes nullement voués à n'agir que de l'intérieur, seulement il faut mesurer notre action à l'aune de nos forces réelles. Il faut également prendre en considération la spécificité de chaque type d'action. Par exemple, sur la question de la coopération économique avec la Russie soviétique, nous pouvons sans crainte nous adresser à la classe dans son ensemble, diffuser un appel à des dizaines de milliers d'exemplaires, si nous en sommes capables techniquement et financièrement, intervenir dans toutes les assemblées publiques ouvrières auxquelles nous avons accès, etc. Il en va tout autrement pour ce qui concerne l'affaire Blumkine, que vous soulevez, si, dans une telle affaire, nous nous adressons à une opinion publique ouvrière large, sans disposer dans chaque réunion, usine, syndicat, d'un représentant de nos positions, capable de discuter de cette question, de combattre l'adversaire, etc., alors nous courons le danger que notre action soit utilisée par l'ennemi de classe, sans que les ouvriers soient en état de la comprendre vraiment. C'est pourquoi il me semble qu'une telle action devrait être plutôt limitée au cercle des communistes, bien sûr pas aux bureaucrates, mais bien aux ouvriers communistes.

Nous sommes à un point de départ, nous ne disposons pas encore de cadres. Une période propagandiste, durant laquelle nous n'aurons à compter que sur des cercles restreints, est inévitable. Nous pouvons dès maintenant, comme je l'ai indiqué plus haut, prendre position pour le grand public sur certaines questions fondamentales, mais pour les mois à venir, le poids principal de notre activité sera probablement de nature plus théorique et propagandiste qu'agitative. Mais, au fur et à mesure que nous nous affermirons, le point central de notre activité de déplacera.

Dans les débats , il est toujours difficile de trouver le rapport convenable entre le travail en profondeur et le travail sur une grande surface.

Cela donne lieu à des divergences, à des querelles, etc. Mais nous devons nous, préparer à un travail de longue haleine, et ne devons en aucun cas perdre patience. Nous faisons des progrès indéniables dans plusieurs pays, je ne vois pas pourquoi tel ne serait pas aussi le cas en Tchécoslovaquie. A cet égard, le journal est d'une grande importance non seulement par son effet sur l'extérieur mais aussi pour la régulation interne du travail au sein même de l'Opposition.

C'est pourquoi j'attends avec intérêt le premier numéro, qui, en tout cas, se fait attendre un peu trop longtemps.