1930 |
Avril 1930 : le combat pour unifier et souder l'Opposition de Gauche Internationale face à la tourmente qui s'annonce. |
Œuvres - avril 1930
Un craquement dans l'appareil
Il y a dans la Pravda du 30 avril un article de Jaroslavsky intitulé "De la Gauche à la Droite". Il est consacré au "passage" de l'Opposition de gauche... dans le camp de la social-démocratie. Comment des gens qui, depuis plus de deux ans, ont été emprisonnés et exilés pour activité "contre-révolutionnaire", et même "préparation d'une lutte armée contre le gouvernement soviétique" (le motif officiel de l'exil de Trotsky), comment ces vieux "contre-révolutionnaires" peuvent-ils commencer seulement maintenant à "passer" dans le camp de la social-démocratie, cela demeure un problème. Mais ce qui est clair, c'est que Jaroslavsky doit encore suer à la tâche de découvrir une explication "scientifique" de l'article 58 du Code pénal sur la base duquel l'Opposition a été persécutée. Cette recherche d'une explication revêt un caractère particulièrement bruyant car il y a un craquement dans l'appareil et il faut l'étouffer.
Ce n'est pas par hasard qu'on a lancé Jaroslavsky contre l'Opposition alors qu'il existe dans le parti des gens plus instruits et plus intelligents. Mais à présent, les plus instruits, les plus intelligents, les plus consciencieux, non seulement ne veulent plus être des béni-oui-oui de Jaroslavsky, mais encore ne peuvent pas, et, en partie n'osent pas dire tout haut ce qu'ils pensent, ou sont simplement troublés. Les Jaroslavsky, eux, ne sont pas troublés car ils n'ont rien qui puisse l'être. C'est pourquoi c'est Jaroslavsky qui prend la défense de la politique stalinienne contre l'Opposition, et, ce faisant, il donne au passage un exemple remarquable de la pourriture dont se nourrit le parti.
Si, par exception, nous nous arrêtons cette fois à un article de Jaroslavsky, c'est parce que, avec toute son insignifiance, il est symptomatique et montre très bien, selon l'expression allemande à quel endroit la chaussure de Staline le blesse.
Il y a quelques mois, nous écrivions aux camarades en U.R.S.S. que les signes indiquant que l'industrialisation se faisait sur un rythme trop rapide étaient en train de se multiplier. Citant notre Biulleten, Jaroslavsky écrit que cette appréciation "ne diffère on rien de ce qu'écrivent les mencheviks". Absolument en rien!
Jaroslavsky n'a même pas eu l'idée que la question des rythmes justes ou faux, réalistes ou non, existe en soi, indépendamment de ce qu'en disent les mencheviks et est tranchée en liaison avec les facteurs matériels et d'organisation et pas des citations de journaux, encore moins quand elles sont falsifiées. A l'époque où nous, oppositionnels, luttions pour des rythmes d'industrialisation plus élevés (1923-1929), la presse bourgeoise du monde entier, avec les social-démocrates, emboîtait le pas à Staline, répétant son accusation que les oppositionnels seraient "romantiques", "fanatiques" et "super-industrialisateurs".
En 1923-1925, nous prouvions que, même après l'épuisement de tous les moyens de production pré-révolutionnaires, l'industrie soviétique pourrait connaître une croissance annuelle de 20 %. Nous appuyions cette affirmation sur des considérations économiques que nous ne citerons pas ici ( Voir Où va la Russie ? Vers le Capitalisme ou vers le Socialisme ?). Une année plus tard, on élaborait un Plan quinquennal dans les coins du Gosplan. Selon ce plan, le développement de l'industrie devait se faire à un rythme décroissant de 9 à 4 % par an. L'Opposition condamna ce plan sans merci. On nous accusa de "démagogie". Au bout d'un an, le bureau politique approuva un nouveau Plan quinquennal avec une croissance annuelle de 9 %. Le XV° congrès du parti approuva ce taux et accusa I'Opposition de "manque de foi" et de "scepticisme". Cela n'empêcha pas l'Opposition de condamner sans merci ce nouveau Plan quinquennal. Une année et demie plus tard, le Gosplan élabora un troisième Plan quinquennal avec une augmentation annuelle de 29 %. La croissance avait coïncidé - de plus près qu'on ne pouvait s'y attendre - avec le pronostic hypothétique de l'Opposition en 1925 et elle réfutait totalement les clameurs antérieures sur le romantisme industriel et la démagogie. Telle est, en bref, la préhistoire de cette question.
La croissance réelle de l'industrie dans le cours de la première année du Plan quinquennal (1928-29) a dépassé le plan de plus de 10%. La direction, s'appuyant sur ce succès a immédiatement décidé de réaliser le plan quinquennal en quatre ans. Contre cela, l'Opposition a mis en garde, se faisant entendre cette fois "de la droite". Quelles étaient nos considérations ?
1 . Il est impossible qu'il n'existe pas de disproportions dans le projet de plan quinquennal. Au fur et à mesure que le plan se réalise, elles s'accumulent et peuvent se manifester avec acuité sinon dans le cours de la première année, du moins dans la seconde ou la troisième, ce qui provoquerait l'arrêt de la croissance. Avant que l'industrie ne prenne plus de vitesse, il nous faut, pour parler le langage militaire, examiner attentivement les butoirs et les jonctions, où s'interpénètrent toutes les branches de l'industrie.
2 . La baisse tout à fait évidente de la qualité des produits, actuellement très basse, constitue un danger grave non seulement pour le consommateur, mais pour l’industrie elle-même puisqu'elle est le principal consommateur de ces produits. La mauvaise qualité ne peut que se répercuter dans une baisse importante de la quantité de la production.
3 . La question du rythme du développement industriel ne doit pas être séparée de la question du niveau de vie des masses ouvrières, parce que le prolétariat est la principale force productive et que seule une augmentation suffisante du niveau matériel et culturel du prolétariat peut garantir de futurs rythmes élevés d'industrialisation. Nous considérons cette question comme d'une importance énorme.
Quand nous demandons l'abandon de la course formelle à la quantité et une amélioration réelle de la qualité cela signifie-t-il que nous appelons à la retraite à partir de succès déjà réalisés ? Quand nous revendiquons l'utilisation d'une partie de ce qui est accumulé pour les besoins réels des ouvriers cela signifie-t-il que nous mettons en danger l'industrialisation ? Quand nous revendiquons cela avant que les 30% de croissance annuelle soit transformés en loi d'airain, et qu'on étudie les rapports entre elles des différentes branches industrielles et avec l'économie dans son ensemble du point de vue de la productivité du travail et des coûts de la production, cela veut-il dire que nous appelons à une retraite, à partir des positions de Staline hier ?
Si la question est vraiment aussi simple, pourquoi nous en tenir à 30% ? 50% c'est encore plus. Celui qui ne veut pas tirer "en arrière" doit inscrire sur son drapeau 75% au moins.
Ou peut-être les 30% vont-ils devenir la règle ? Décidée par qui, comment ? Les malheureux dirigeants sont simplement arrivés à cette règle en se ruant aveuglément dans la poursuite des premières étapes conduisant aux 20% qu'ils avaient eux-mêmes combattu bec et ongles pendant plusieurs années. Il apparaît maintenant qu'il n'y a que 30% qui soit du léninisme. Celui qui dit aux opportunistes effrayés "Ne perdez pas la tête, ne poussez pas l'industrie vers une crise sévère", celui-là n'est "absolument, en rien différent de la social-démocratie". Absolument, en rien! Ces gens ne sont-ils pas des bouffons ?
Les choses empirent si possible avec la politique paysanne. Pendant des années, le bureau politique a construit sa politique agraire sur l'adulation du paysan moyen aisé et sur l'économie paysanne individuelle en général. Le koulak, ils ne le remarquaient pas, tout simplement, ou le déclaraient insignifiant bien qu'il ait concentré entre ses mains 40% du grain commercialisable et en outre soumis à son autorité le paysan moyen. Ayant créé ses propres canaux et liaisons économiques, le koulak n'a pas livré le grain à l'industrie gouvernementale. Après cela (pour être précis, après le 15 février 1928), la direction effrayée et en retard a frappé le koulak d'une grêle de mesures administratives de répression qui ont immédiatement bouché la circulation des marchandises du paysan, pratiquement liquidé la Nep et poussé dans une impasse le paysan moyen.
Quand nous disons que cette impasse fut le point de départ du nouveau chapitre de la collectivisation, nous ne découvrons ni n'inventons rien. Nous ne faisons que répéter ce que la presse soviétique officielle a reconnu très souvent. Si Jaroslavsky gémit que "Pas un seul réactionnaire n'est venu à proposer une explication aussi abominable", il ne fait que démontrer qu'absorbé par la lecture de la correspondance des Oppositionnels, le pauvre homme n'a pas lu les articles économiques dans la presse soviétique. Jaroslavsky est particulièrement agité quand nous disons que les paysans moyens ont balancé entre la collectivisation et la guerre civile. Il qualifie cette remarque de "complet reniement" ( le vocabulaire de ce monsieur qui écoute aux portes n'est pas très riche). Mais toute la presse soviétique est pleine de l'information que les paysans, c'est-à-dire les paysans moyens, exterminent ou liquident avec rapacité leur cheptel et leurs outils. Tous les dirigeants disent que cette situation est "menaçante". Les journaux attribuent cela à l'influence des koulaks. Mais il ne peut être question ici d'une influence "idéologique", mais seulement des liens économiques entre le koulak et le paysan moyen, d'un certain degré d'interdépendance à travers l'économie de marché paysanne, l'économie marchandise et argent de la paysannerie. Dans cette vente du bétail en tant que phénomène de masse, nous ne voyons rien d'autre qu'une forme de sabotage et de guerre civile calme. D'un autre coté, la tendance à rejoindre les kolkhozes a également un caractère de masse. N'est-il pas évident que la double nature du paysan moyen qui combine en lui un travailleur et un marchands revêt à l'étape actuelle son expression la plus contradictoire ? Le paysan moyen oscille entre la collectivisation et la guerre civile et dans une certaine mesure combine l'une à l'autre. C'est là la gravité de la situation et son caractère dangereux. Elle va s'aggraver dix fois si nous ne le comprenons pas à temps.
Dans les années où les trois quarts du bureau politique et 90% de l'appareil gouvernemental étaient sur une orientation en direction du "paysan aisé" - c'est à dire du koulak -, l'Opposition réclamait des mesures énergiques pour la collectivisation de l'agriculture. Rappelons que ces revendications ont pris dans la plate-forme de l'Opposition la forme suivante:
"Aux tendances grandissantes du fermier au village, nous devons opposer une marche plus rapide de la collectivisation. Il faut systématiser les crédits pour l'aide aux paysans pauvres organisés collectivement"
Et plus loin:
"Nous devons investir beaucoup plus dans les sovkhozes et les kolkhozes. Il faut faire les concessions les plus importantes possibles aux kolkhozes récemment organisés et aux autres formes de collectivisation. Les personnes privées de leurs droits électoraux ne peuvent être membres des kolkhozes. Tout le travail dans les kolkhozes doit être pénétré de la signification du problème qui est de transformer la production à petite échelle en production collective à grande échelle. Il faut poursuivre une ferme politique de classe dans la fourniture des machines et mener une lutte particulières contre les fausses sociétés qui en vendent".
Nous ne tranchions pas à l'avance du rythme de la collectivisation parce qu'il s'agissait pour nous (et il en est encore ainsi) d'une proposition secondaire, en rapport avec le rythme de l'industrialisation et une série d'autres facteurs économiques et culturels. Le plan du bureau politique deux ans plus tard prévoyait la collectivisation d'un cinquième des paysans pendant le plan quinquennal. Nous supposons que ce chiffre n'est pas simplement apparu en rêve à Krzijanowski mais qu'il reposait sur des considérations techniques et économiques. Etait-ce cela ou non ?
Néanmoins, pendant la première année et demie, les trois cinquièmes de la paysannerie ont été collectivisés. Même en admettant que cet élan de collectivisation est un triomphe complet du socialisme, nous devons en même temps admettre que la faillite totale de la direction est un fait parce que l'économie planifiée suppose que la direction prévoie les procès économiques fondamentaux dans une certaine mesure au moins.
Mais il n'y a même pas une suggestion de cela. Boukharine, le Boukharine nouveau, reconstruit, complètement collectivisé et industrialisé, admet dans la Pravda que la nouvelle étape de la collectivisation est sortie des mesures administratives dans la lutte pour le pain et que la direction n'avait pas prévu cette étape "dans tous ses aspects concrets". Ce n'est pas trop mal dit. Les erreurs de rythme qu'ils ont commises dans les considérations sur la planification se chiffrent en tout et pour tout à 1000%. Et dans quel domaine ? Non, pas dans la production des dés à coudre, mais dans celle de la transformation socialiste de l'agriculture dans son ensemble. Il est clair que ni Staline ni Jaroslavsky n'avaient pas prévu quelques-uns de ces "aspects concrets" et Boukharine a raison sur ce point.
Comme on sait, nous n'avons jamais soupçonné la direction actuelle d'un excès de clairvoyance. Mais elle n'aurait jamais commis ce genre d'erreur si la collectivisation avait résulté en réalité de notre réussite à convaincre les paysans, à l'expérience, des avantages de l'économie collective à grande échelle sur l'économie individuelle.
Bien entendu, nous ne doutons pas un instant du sens profondément progressiste et créateur de la collectivisation.
Nous sommes disposés conditionnellement à admettre, que dans sa dimension, elle correspond approximativement à l'essor du plan quinquennal. Mais d'où sortent les 10% de succès supplémentaire ? Il faut l'expliquer! Supposons que le travail des kolkhozes ait été si fructueux pendant les douze années précédentes qu'il puisse convaincre toute la paysannerie non seulement des avantages, mais de la possibilité d'une collectivisation générale. Il est clair que ce genre de conviction ne pourrait être développée que par le moyen de kolkhozes reposant sur des tracteurs et autres machines. On peut admettre que l'écrasante majorité des paysans moyens reconnaît aujourd'hui les avantages du travail de la terre avec des tracteurs. Mais la "tractorisation" complète n'en découle pas, parce que nous avons besoin non seulement de la conviction de ses avantages, mais du tracteur lui-même. Les autorités ont-elles prévenu les paysans de la situation réelle dans le domaine des possibilités matérielles techniques en général ? Non! Au lieu de freiner une collectivisation en panique, ils l'ont aggravée par leur folle pression. Il est vrai que maintenant, pour défendre l'erreur du rythme de 1000% on a créé une théorie qui fait de la question des ressources techniques une question de dixième ordre et proclame que l'agriculture socialiste ("du type manufacturier") peut être créée par le catéchisme quels que soient les moyens de production. Nous sommes cependant déterminés à rejeter cette théorie mystique. Nous ne croyons pas en une conception semblable du socialisme. Mieux, nous déclarons une guerre impitoyable à cette mythologie parce que l'inévitable déception des paysans menace de provoquer une sévère réaction contre le socialisme en général et que cette réaction peut aussi embrasser des cercles considérables d'ouvriers.
Staline avait aussi peu prévu l'inévitabilité de sa dernière retraite qu'il avait prévu la collectivisation complète une demi-annnée plus tôt, quand il se livrait à sa "théorisation" minable sur l'opportunité pour le régime socialiste pour les poules des paysans. Les dernières dépêches annoncent que Staline est arrivé à marcher beaucoup plus - pas en avant, ô sage Jaroslavsky - mais en arrière. De collectivisation à 60% à 40%. Nous ne doutons pas le moins du monde qu'il ait encore à reculer d'un important pourcentage, toujours à la remorque du processus réel. L'ayant prévu il y a des mois - au cœur de la poussée de collectivisation - nous avons mis en garde contre les conséquences de l'aventurisme bureaucratique. Si le parti avait lu nos avertissements tels que nous les avions rédigés et pas dans les versions déformées de Jaroslavsky, bien des erreurs auraient été, sinon évitées, du moins modifiées.
L'approche de la crise de l'économie soviétique coïncide avec l'aggravation de la crise capitaliste mondiale. Leur coïncidence a en dernière analyse des causes communes. Le capitalisme mondial se survit, mais le fossoyeur n'est pas prêt à faire son travail. La crise de l'économie soviétique, si on laisse de côté les erreurs de la direction, ce sont les conséquences économiques de l'isolement de l'U.R.S.S., c'est-à-dire le fait même que le prolétariat mondial n'a pas encore balayé le capitalisme. Le problème de la révolution prolétarienne est le problème de l'organisation de l'économie socialiste à une échelle mondiale. Pour l'Europe, dont le capitalisme est plus que mûr et malsain, la révolution prolétarienne signifie d'abord l'unification économique du continent.
La seule façon dont nous pouvons et devons préparer les ouvriers européens à la prise du pouvoir consiste à leur révéler les immenses avantages de l'économie socialiste justement planifiée dans toute l'Europe et ensuite à l'échelle du monde. Le mot d'ordre des Etats-Unis soviétiques d'Europe, qui s'impose plus que jamais, est cependant inadéquat sous sa forme politique abstraite. Il faut lui donner un contenu politique concret. L'expérience économique de l'Union Soviétique suffit amplement à créer une variante exemplaire du plan basée sur la coopération économique entre l'URSS et les pays industriels d'Europe. En dernière analyse historique, pour l'U.R.S.S., c'est la seule voie pour sortir des contradictions internes grandissantes. L'Europe n'a pas non plus d'autre issue (chômage, domination grandissante de l'Amérique et la perspective de guerre). Le problème de la coopération dans sa pleine dimension ne peut être tranché que par une révolution prolétarienne et la création des Etats-Unis soviétiques d'Europe qui par l'intermédiaire de l'Union Soviétique, seront aussi liés à l'Asie libérée.
Les ouvriers d'Europe doivent être conduits par cette perspective. On doit leur présenter un plan clair et large de coopération économique basé sur des taux de croissance exceptionnellement élevés même dans la Russie arriérée et isolée. C'est la signification révolutionnaire incommensurable du mot d'ordre de coopération économique avec l'U.R.S.S. s'il est mis en avant de façon juste, c'est-à-dire révolutionnaire. Dans les circonstances présentes, ce mot d'ordre et avant tout l'une des armes les plus efficaces pour la mobilisation des chômeurs et des ouvriers de façon générale en rapport avec le chômage. Ce n'est pas seulement la question de possibles livraisons à l'Union soviétique, quelque importance qu'elle ait. Il s'agit de sortir de l'impasse historique, des possibilités économiques tout à fait nouvelles d'une économie européenne unie. Avec ce plan "supra-national" concret, basé sur l'expérience, entre nos mains, l'ouvrier communiste peut et doit aborder l'ouvrier social-démocrate. Dans les conditions de la crise, c'est la façon la plus importante d'aborder le problème de la reconstruction socialiste en Europe. Avec l'application correcte de la politique de front uni, le mot d'ordre de la coopération avec l'U.R.S.S. et la transformation économique de l'Europe peut devenir le coin qui éloignera des cercles importants d'ouvriers social-démocrates de leurs dirigeants actuels.
Mais il faut pour cela d'abord liquider, rejeter et condamner la théorie du socialisme dans un seul pays. Il nous faut démontrer au prolétariat mondial que les Russes ne sont pas en train de construire une patrie socialiste séparée pour eux-mêmes et qu'une telle structure à une échelle nationale est de façon générale impossible. Ils sont en train de construire un mur national pour les européens et aussi plus tard pour la patrie socialiste mondiale. Plus on avance et plus la construction du mur est difficile car il peut s'effondrer avant qu'on ait à temps construit d'autres murs. Il nous faut commencer le travail dans les autres pays simultanément selon un plan commun. Ce plan doit être élaboré par le gouvernement de l'Union soviétique, au moins ses traits de base, en tant que plan de croissance matérielle et spirituelle du peuple de l'Europe et du monde.
C'est ce que signifie le mot d'ordre de coopération économique avec l'Union Soviétique sous sa forme développée, dans les circonstances historiques actuelles. Mais une telle politique présuppose une révision radicale de la théorie et de la pratique de la direction soviétique. Les Jaroslavsky ne conviennent que peu à une telle politique.
Comme il n'était pas difficile de le prévoir, Jaroslavsky "prouve" maintenant que l'Opposition de gauche est allée à droite. Quand nous nous sommes élevés contre le taux de 4% du développement industriel et pour un taux de 20%, nous étions des "ultra-gauches". Quand nous avons mis en garde qu'on ne dépasse pas les 30% aggravant la baisse de la qualité de la production et surmenant la main d’œuvre, nous sommes "droitiers". Quand, contre la politique thermidorienne de chercher appui sur le paysan moyen aisé, nous demandions une politique de collectivisation, nous étions dénoncés comme "ultra-gauches". Quand sous la forme de propagande antireligieuse, nous nous élevons contre le mythe du début sans faute du socialisme, nous sommes "droitiers".
Toujours, depuis que le pied de Molotov est devenu la mesure de toutes choses, les questions sont tranchées avec une grande simplicité.
Tous les mencheviks, piaille Jaroslavsky, ont combattu les rythmes actuels d'industrialisation et de collectivisation. Il est donc clair que l'Opposition partage le point de vue menchévique. Jaroslavsky, c'est clair, veut faire peur à quelqu'un. A nous? Non, il cherche à intimider les siens parce qu'il a entendu un craquement dans l'appareil.
Le menchevisme est pour le retour de l'U.R.S.S. au capitalisme qui, pour la satisfaction des mencheviks, doit être couronné par la démocratie bourgeoise. Ainsi les mencheviks ont-ils soutenu le programme stalinien d'industrialisation d'hier contre la plate-forme de l'Opposition, voyant dans le premier les éléments du "réalisme" économique et déclarant "romantique" le second. C'est un fait historique. Il va de soi que les mencheviks sont maintenant aussi pour l'abaissement des rythmes de l'industrialisation. Cela veut-il dire que, du point de vue marxiste, les rythmes d'industrialisation n'ont de toute façon, pas de limites en général ?
Il est à remarquer que, dans le même article, Jaroslavsky fait référence, avec une grande satisfaction à un vieux social-révolutionnaire, Minor, qui a parlé avec sympathie de la collectivisation en U.R.S.S. dans une réunion à Paris. Du point de vue personnel la déclaration de Minor l'honore sans aucun doute, parce qu'elle montre qu'il a une conscience socialiste et qu'il essaie de comprendre ce qui se passe réellement sans les conceptions malveillantes a priori d'un petit-bourgeois offensé. Mais du point de vue politique, il ne faut pas oublier un instant que Minor est des plus anciens Narodniki qui, par tout son passé, est le plus coupé du marxisme. Combien de lances les marxistes n'ont-ils pas brisées dans leur lutte contre les utopistes populistes en ce qui concernait la construction du socialisme basé sur la charrue paysanne primitive et la commune ? Le socialiste agraire avait une empreinte aventuriste avec les S.R. de gauche et un caractère bureaucratique avec leur droite. Dans la politique stalinienne les éléments d'aventurisme et de bureaucratisme s'allient. Rien d'étonnant à ce que Minor ait trouvé dans le nouveau stalinisme quelques-uns des éléments de son propre passé.
Une des définitions possibles du bolchevisme est qu'il a donné dans la pratique la synthèse la plus remarquable de la réforme et de la révolution. D'abord la social-démocratie était pour la réforme contre la révolution; maintenant elle est même contre la réforme par peur de la révolution. La social-démocratie est toujours contre la révolution. Cela signifie-t-il que la négation du caractère révolutionnaire d'une situation à un moment donné soit du menchevisme ? Les mencheviks étaient opposés à la révolution d'Octobre, avec Zinoviev, Kamenev, Rijkov, Miljutin et autres? Les mencheviks étaient opposés à l'offensive révolutionnaire en Allemagne en 1923 (avec Staline). Les mencheviks étaient opposés à la rupture avec le Guomindang et la construction de soviets en Chine en 1925-27, soutenant ouvertement Staline contre nos idées. Notre revendication de déclarer la guerre au conseil général des syndicats dans la grève des mineurs britannique de 1926, les mencheviks, avec Staline, l'ont considérée comme "une aventure".
D'un autre côté, les mencheviks étaient contre l'insurrection en Estonie en 1924, contre l'aventure terroriste en Bulgarie, contre le soulèvement de Canton en 1927. Cela veut-il dire que nous devons soutenir les soulèvements aventuristes ou les organiser ? Dans notre brochure sur "la troisième période", nous avons démontré par des faits et des chiffres la criminelle légèreté des Molotov et compagnie déclarant la France au bord d'une révolution. Les réformistes et les capitalistes peuvent essayer de s'agripper à nos chiffres. Cela signifie-t-il que nous devrions ignorer faits et chiffres, que nous devrions souffler la lanterne ? Errer dans le noir ?
A travers cette revue brève et incomplète, nous voyons qu'à tous les moments critiques des treize dernières années, les mencheviks, avec les épigones, ont nié l'existence d'une situation révolutionnaire chaque fois qu'elle était à l'ordre du jour. Chaque fois, ils se sont opposés à nous. D'un autre côté, le jugement des mencheviks de façon épisodique et purement formelle s'est trouvé coïncider avec le nôtre quand ils condamnaient une insurrection en tant que telle tandis que niions l'existence de conditions d'une insurrection victorieuse. C'est la même chose qui arrive avec la question du rythme de l'industrialisation et de la collectivisation.
Quelques camarades sont troublés par notre dénonciation du cours stalinien actuel comme un aventurisme ultra-gauchiste. Un de nos amis prouve que "la collectivisation totale" n'a pas, de la part de la direction un caractère "aventuriste", mais au contraire un caractère purement "suiviste". Il n'y a là aucune contradiction. Le "suivisme" toujours et inévitablement débouche sur l'aventurisme ultra-gauche, soit en supplément, soit directement. La régénération du bolchevisme passe par l'inévitable décomposition chimique des éléments d'opportunisme et de "révolutionnarisme" creux.
Il ne faut pas oublier que l'aventurisme peut être de deux sortes. L'un exprime l'impatience révolutionnaire de l'avant-garde et aboutit à se ruer en avant avec trop de précipitation; le second exprime le désespoir politique de l'arrière-garde à la traîne. Dans les manifestations d'avril et de juillet en 1917, quelques bolcheviks ont indubitablement apporté un élément d'aventurisme. La même tendance, s'exprimant cependant plus nettement et avec des conséquences bien plus graves, peut être découverte dans l'insurrection des spartakistes en 1919 quand ils essayèrent de sauter par-dessus la phase de l'Assemblée constituante. D'un autre côté, la tactique de la direction allemande dans les journées de mars 1921 était une tentative de déclencher une insurrection sur une vague qui refluait. La tactique de la direction ultra-gauchiste en Allemagne en 1924 était un supplément aventuriste du suivisme de 1923. Le soulèvement de Canton en 1927 était la transformation de l'opportunisme 1925-27 et en même temps un exemple classique du désespoir de l'arrière-garde.
Le mouvement des paysans vers les kolkhozes, provoqué par une combinaison de mesures économiques et administratives, est devenue une force élémentaire. La politique de la bureaucratie a été au fond un modèle de suivisme. Mais la bureaucratie n'a pas seulement clamé que sa politique était sa plus grande victoire - "Si on doit aller se promener, allons y pour de bon" cria le perroquet quand le chat l’attrapa par la queue - mais développé une pression insensée sur la paysannerie au nom de la liquidation des classes. Le suivisme s'était transformé directement en aventurisme.
Peut-on appeler "ultra-gauchisme" cet aventurisme et dire que nous, Opposition, l'attaquons de la droite ? Stratégiquement, ce serait bien entendu absurde parce que le zigzag tactique de Staline sape la stratégie révolutionnaire de classe. Tactiquement cependant nous avons cette fois de la part des staliniens non un zigzag à gauche mais un zigzag ultra-gauchiste - on ne peut l'appeler autrement.
Tout en élaborant notre tactique et notre stratégie au III° congrès de l'I.C., nous rejetions, l'aventurisme ultra-gauchiste de Zinoviev, Bela Kun, Maslow et autres. Lénine n'avait pas peur de dire qu'il les critiquait cette fois de la droite. Certains de mes amis en ont été troublés. Ce fétichisme des mots est une maladie déplaisante.
Le cours de droite en tant que ligne stratégique consiste à s'appuyer sur le fermier capitaliste au village - capitalisme en cours d'installation. Dans les premières années, Staline est allé loin sur cette route. A présent il va très exactement dans le sens inverse. Le programme de la liquidation administrative du koulak est une caricature ultra-gauchiste d'un cours révolutionnaire. Tactiquement, nous sommes en ce moment à la droite de la course du zigzag. Stratégiquement, nous continuons à être sur une ligne révolutionnaire fondamentale.
Le 14 juin 1929, quand le tournant officiel à gauche commença à se faire sentir, j'écrivais à Khristian Rakovsky et aux autres exilés ce qui suit:
"Après que les suivistes aient manqué la situation révolutionnaire en Allemagne en 1923, il s'en est suivi un très profond zigzag ultra-gauchiste en 1924-25. Ce zigzag ultra-gauche s'est développé dans des canaux droitiers: la lutte contre les industrialisateurs, le flirt avec LaFollette et Radich, l'Internationale paysanne, le Guomindang, etc… Quand l'ultra-gauchisme s'est cassé la tête à droite, un cours à droite a commencé. Il n'est donc pas inconcevable que nous ayons maintenant une reproduction étendue de la même chose dans une étape nouvelle, c'est-à-dire l'ultra-gauchisme s'appuyant sur des prémisses opportunistes. Les forces économiques peuvent cependant briser cet ultra-gauchisme dès le début et donner à l'ensemble du cours une orientation décisive à droite."
Comme l'activité principale de Jaroslavsky est de surveiller la correspondance des Oppositionnels, il peut facilement vérifier cette citation. Ni l'ultra-gauchisme stalinien, ni le tout dernier tournant à droite n'étaient pour nous inattendus. En tant que marxistes, nous devons nous orienter non sur la psychologie des bureaucrates, mais sur "les forces économiques".
Allons-nous appeler à la retraite ? Le camarade cité plus haut exprime l'idée que le mot d'ordre de "retraite" ne nous convient pas. D'ailleurs, ajoute-t-il, Staline va reculer. Cela vaut-il la peine de joindre notre voix aux appels de ces politiciens de second ordre ? S'il s'agissait d'un Etat bourgeois, ces critiques seraient justes. Nous ne sommes pas du tout obligés de donner des conseils même à la bourgeoisie la plus démocratique et sociale quant à la façon de sortir de ses difficultés. Au contraire, nous devons les exploiter sans merci pour dresser la classe ouvrière contre l'Etat capitaliste. La position d'Urbahns sur l'U.R.S.S. est une caricature de la politique marxiste vis-à-vis d'un Etat bourgeois. Mais en dépit des Jaroslavsky nous avons considéré et nous considérons encore l'Etat soviétique comme un Etat prolétarien. Même si Jaroslavsky "cite" des paroles qu'il nous attribue d'après le Biulleten sur "la mort inéluctable de la Révolution d'Octobre" cet honorable homme qui-écoute-aux-portes ment. Nous n'avons jamais dit ça, nous n'avons jamais écrit ça et nous n'avons jamais pensé ça, bien que nous ne nous dissimulions pas, ni à nous, ni au parti, les dangers terribles dont approche la révolution d'Octobre comme résultat des erreurs monstrueuses de la dernière période. L'Opposition n'identifie l'Etat soviétique ni avec Jaroslavsky ni avec Staline. Elle considère l'Etat soviétique comme son Etat et le défendra non seulement des ennemis de classe ouverts mais aussi de ceux qui le volent de l'intérieur, dont Jaroslavsky n'est pas le moindre!
Dans le même article "Sur l'évolution du Trotskysme", Jaroslavsky répète une fois de plus que "L.D. Trotsky était convaincu il y a un an que notre parti allait être obligé de l'appeler au secours". Dans le même sens, il était supposé avoir averti "ceux qui l'accompagnaient" (les agents du G.P.U), que selon toute probabilité, il devrait être rappelé pour rétablir la situation dans quelques mois. Jaroslavsky ment! Ce n'est pas ce que j'ai dit. Ce n'est pas ainsi que j'ai parlé. Avec l'Opposition tout entière, j'ai dit que le pays entrait dans une phase de difficultés nouvelles, sur une base historique supérieure, que la direction ne voit rien et ne prévoit pas que ces difficultés peuvent provoquer une crise grave dans deux ans, un an ou même dans quelques mois. J'ai dit alors qu'on se rendrait compte que l'appareil du gouvernement comme celui du parti sont submergés de bureaucrates, de carriéristes, de traîtres politiques, etc., mais que l'Opposition combattrait fidèlement avec le noyau révolutionnaire du parti. "Vous aurez honte", ai-je dit à mes "accompagnateurs", "si vous avez à aller chercher les Oppositionnels directement en prison ou en exil pour qu'ils aident en ce difficile moment". Ce pronostic demeure valable encore aujourd'hui. Ce qui est plus vrai encore, c'est qu'il est plus réel et plus aigu.
Jaroslavsky ajoute au dépouillement économique brutal et absurde la flatterie politique indécente. A propos de mes paroles selon lesquelles la paysannerie, devant les portes fermées du marché, "se rue" vers la collectivisation, Jaroslavsky écrit:
"Trotsky, conservant toujours son ancienne idée de la paysannerie force ennemie, ne peut l'imaginer autrement que sous la forme d'un troupeau qui "se rue" dans les portes ouvertes de la collectivisation".
Je n'ai pas comparé la paysannerie à un troupeau. Pour de telles comparaisons, il faut la psychologie de laquais de Jaroslatsky. A aucun moment je n'ai considéré la paysannerie comme une force ennemie, pas plus que je ne la considère comme une force socialiste consciente. La paysannerie est contradictoire. En elle, sa dépendance à l'égard des forces élémentaires de la nature est encore terriblement forte, même aujourd'hui, avec sa terrible dispersion et son économie sans espoir. Marx et Engels écrivaient en leur temps au sujet de "I'idiotie de la vie rurale". Les populistes ont dit à ce sujet pas mal de tristes choses et ont déduit du Manifeste communiste une prétendue inimitié des marxistes à l'égard de la paysannerie. En quoi Jaroslavsky en diffère-t-il ? Autant le paysan est réaliste sur les questions de son entourage immédiat, autant il tombe victime de l'instinct aveugle sur les questions plus vastes.
Toute l'histoire de la paysannerie est telle qu'après des décennies et des siècles de lourde immobilité, il plonge soit dans une direction, soit dans l'autre. Les soldats paysans ont écrasé la révolution de 1905. La paysannerie a élu des S.R. à l'assemblée constituante de 1917, mais ensuite a aidé les bolcheviks à les chasser. Combien de fois s'est-elle ruée dans une direction; puis dans une autre pendant la guerre civile avant de lier fermement son sort à celui du pouvoir soviétique ? Pour libérer le paysan des forces élémentaires qui pèsent sur sa conscience, il faut qu'il soit "dépaysannisé". C'est la tâche du socialisme. Mais c'est tranché non par la forme de la collectivisation mais par une révolution de la technique agricole. Le paysan avancé comprendra tôt ou tard que l'oppositionnel voit beaucoup plus loin sur la question paysanne que le bureaucrate dirigeant. Evidemment le sort voulait se payer une bonne partie de rire aux dépens de Jaroslavsky. Dans le même numéro de la Pravda (30 mars) où paraît cet article malveillant et malheureux, il y a un compte-rendu du discours de Bulat au plénum de la conférence de district de Moscou. Bulat dit que, dans une des sections, "les sentiments de droite dans les rangs du pâti étaient très forts. Le comité de district a révoqué plusieurs responsables. Et toute l'organisation est allée à gauche jusqu'au tour complet". C'est littéralement ce qu'il dit. Ce discours ne porte pas sur une masse paysanne, mais sur une organisation du parti qui est supposé personnifier la conscience de la classe ouvrière. Et le dirigeant officiel nous dit qu'après avoir écarté quelques "droitiers", l'organisation "s'est jetée" vers l'ultra-gauchisme. C'est bien plus caractéristique des "troupeaux", pour parler le langage servile d'un Jaroslavsky.
Le tableau dessiné par Bulat symbolise néanmoins tout le destin du parti pendant les deux dernières années. Après le cours ultra-droitier dont Boukharine était le théoricien, le parti, sous les coups de l'appareil stalinien s'est rué vers la collectivisation intégrale. Si ce plongeon a été pour la paysannerie un malheur historique, pour le parti en tant que sélection consciente, une telle condition n'est plus seulement un malheur, mais une disgrâce. C'est le régime stalinien dans lequel Jaroslavsky occupe une place honteuse, mais pas la dernière, qui a conduit le parti à cette disgrâce.
Cependant, sur laquelle de mes idées anciennes de la paysannerie en tant que force ennemie Jaroslavsky écrit-il ? Ne s'agit-il pas de ces idées que j'ai exprimées, disons, il y a trente ans, pendant mon premier exil et dont Jaroslavsky a fait un compte-rendu très enthousiaste au printemps de 1923? "Autour de lui", nous dit Jaroslavsky, "Trotsky ne voyait que le village. Il était chagriné par ses besoins. Il était déprimé par son isolement et son manque de droits", etc. Jaroslavsky non seulement considérait qu'il était nécessaire de célébrer l'attention exceptionnelle que je donnais à la paysannerie et ma connaissance de toute la vie paysanne, mais il réclamait également que mes articles de jeunesse sur la paysannerie soient rassemblés dans un livre de textes pour être étudiés par la jeune génération. Littéralement!
J'ai mentionné cette réponse grossièrement flatteuse dans non autobiographie, jetant au visage de Jaroslavsky et de nombre de mes autres critiques leurs propres paroles de la veille. En relation avec cela, Jaroslavsky parle maintenant de "l'éloge de lui-même que fait Trotsky dans son autobiographie". Il oublie seulement d'ajouter que cet "éloge de lui-même " consiste en citations empruntées à ceux qui ont dirigé la campagne d'empoisonnement et de calomnie - dont les dimensions sont sans exemple pendant les sept dernières années. Je n'ai aucun plaisir à remuer tout cela. Et je serai cru non seulement d'un révolutionnaire, mais de toute personne qui pense et n'est pas contaminée par l'esprit dégradant du bureaucrate carriériste. J'ai seulement fait ce que je considérais comme mon devoir révolutionnaire. Staline et ses Jaroslavsky m'attaquent précisément parce que je représente un ensemble d'idées qu'ils abhorrent.
Pour mener à bien cette lutte, ils ont estimé nécessaire de bouleverser toute l'histoire du parti et de la révolution sans laisser un seul point vivant intouché. Mettre en déroute leur campagne calomnieuse, ce n'était même pas seulement une question d’autodéfense personnelle, mais une nécessité politique. Je l'ai fait dans plusieurs ouvrages. Dans La Révolution défigurée, Ma Vie et finalement dans le livre La Révolution permanente. Dans ces travaux, j'expose sur la base de faits historiques exacts de documents et de citations le tissu de mensonges de l'école stalinienne dans laquelle Jaroslavsky occupe un honteux fauteuil de second rang. Par rapport à ces livres, qui ont déjà été publiés en plusieurs langues et continuent à être traduits et réédités, les staliniens ont observé un silence complet. Qu'ils essaient donc de réfuter mon exposé. qu'ils se défendent contre ces contradictions calomniatrices, ces falsifications, ces calomnies dont je les accuse sur la base de documents incontestables et le plus souvent de leurs propres déclarations. qu'ils réfutent au moins l'une des citations, au moins un iota des preuves que j'apporte. Ils ne le peuvent pas - ils sont condamnés par leurs propres actes. Ils sont dans l'étau de leurs propres contradictions, compromis par leurs propres dénégations, et leur impuissance idéologique est révélée par l'inconsistance de leurs propres mensonges. La vie ne s'arrête pas. La vie continue, confirmant critiques et pronostics de l'Opposition.
Pourquoi, après toutes les précédentes liquidations, écrasements, enterrements de l'Opposition, Jaroslavsky est-il obligé, ou plus exactement pourquoi l'a-t-on chargé de s'engager dans une polémique hautement principielle contre l'Opposition ? Même avec les pires déformations, l'homme qui écoute aux portes a été obligé de citer le Biulleten Oppostitsii et de divulguer en partie sous l'effet du besoin, en partie par sa propre sottise, des choses très désagréables pour la fraction stalinienne.
Si l'on regarde de plus près les articles de Jaroslavsky, on ne peut qu'en conclure qu'il a écrit d'abord pour faire peur aux rangs inférieurs de l'appareil stalinien. Empruntant au Biulleten des citations très désagréables pour Staline, Jaroslavsky leur a dit: "Vous entendez ce que dit l'Opposition ? Attention de ne pas répéter ce qu'elle dit!" Sous la pression de la base, l'inquiétude grandit dans l'appareil et des voix condamnant le dernier zigzag se font entendre de plus en plus fort. C'est justement pour cela que Jaroslavsky s'est mis de façon aussi inattendue à parler des espoirs de Trotsky d'être rappelé pour "sauver" la révolution. Jaroslavsky, un petit peu trop zélé, a couru trop loin et a révélé une inquiétude excessive. On entend un craquement dans l'appareil et qui Jaroslavsky effraye-t-il ? Les siens. Assis, taisez-vous. Peu importe si vous croyez ou non en la direction, taisez-vous. N'exprimez aucun doute, autrement l'appareil sera mis en danger par "l'intervention" du trotskysme. C'est là le sens de l'article de Jaroslavsky; c'est en cela que consiste sa musique politique.
Mais cette musique-là ne peut pas longtemps recouvrir le bruit du craquement dans l'appareil. Comme résultat des dernières expériences, qui démontrent que la direction tourne en rond sans cervelle, la différenciation interne dans le parti va s'accroître considérablement. La droite connaîtra certainement une nouvelle croissance qui portera en avant de nouveaux dirigeants, avec peut-être des noms moins connus mais plus sérieux et plus consistants. Il faut prévoir ce danger. Mais il faut aussi un réveil - et c'est ce qui est en train d'arriver - dans le parti.
Jour après jour va grandir le désir de vraiment comprendre le dernier saut à gauche en rapport avec la "ligne générale dans son ensemble" - qui, hélas, n'a en réalité jamais existé. Il est bien possible que la discussion d'avant congrès ne soit pas aussi calme que le voudraient les éléments bonapartistes de la bureaucratie. Les nouvelles que Staline a une fois de plus essayé de différer le congrès jusqu'à l'automne, c'est-à-dire au nouveau retournement complet, le cent-unième à ce moment, et que son propre comité central a résisté sont hautement crédibles et en même temps très symptomatiques. Cela signifie le commencement de l'éveil du parti.
Un nouveau chapitre s'ouvre devant l'Opposition - lourd de responsabilités. En dehors de l'Opposition, personne ne donnera au parti un tableau clair de ce qui arrive aujourd'hui dans une liaison inébranlable avec la politique de toute la période d'après la mort de Lénine. Personne, sauf l'Opposition, n'est capable de donner au parti une orientation principielle juste.
L'homme qui écoute aux portes mentionne de nouvelles déclarations de repentir et des voix sceptiques d'oppositionnels isolés. Par la force combinée de la famine, des mesures du G.P.U., des exhortations de Jaroslavsky et des élucubrations théoriques des professeurs dont le rouge tire sur le jaune, on prépare pour le XVI° congrès un nouveau groupe de capitulards. Mais Jaroslavsky passe sous silence les centaines d'Oppositionnels récemment arrêtés à Moscou seulement, la renaissance des activités de l'Opposition dans le parti et la croissance et la consolidation de l'Opposition internationale.
Isolément et en groupes, les oppositionnels à qui la collectivisation complète avait donné le vertige, sont obligés par la logique de l'inertie à présenter leur repentir au XVI° congrès, à un moment où commence le difficile retour au sang-froid. Bien, il faut ajouter un nouveau groupe de réputations révolutionnaires broyées. A leur place, des centaines viennent déjà, selon les statistiques du G.P.U. Demain des milliers et des dizaines de milliers suivront. Ce ne sont pas les Jaroslavsky qui peuvent briser le lien entre l'Opposition et le parti, non, maintenant moins que jamais.