1923 |
Au lendemain de la révolution, Trotsky aborde les problèmes de la vie quotidienne : rapports travail/loisirs, condition des femmes, famille, gestion des équipements collectifs, logement, culture et cadre de vie... |
Les questions du mode de vie
Préface à la première édition
Pour mieux comprendre ce livre, il faut en deux mots raconter son histoire. Il m'a semblé qu'il manquait dans la bibliothèque du Parti une petite brochure qui, sous la forme la plus populaire, montrerait à l'ouvrier et au paysan moyens le lien qui unit certains faits et certains phénomènes de notre époque de transition et qui, tout en indiquant une juste perspective, servirait d'arme pour l'éducation communiste. Pour vérifier cette idée, je m'adressai au secrétaire du Comité de Moscou, le camarade Zélensky, et lui demandai de réunir une petite assemblée d'agitateurs, au cours de laquelle il serait possible d'échanger nos points de vue sur les moyens et les procédés littéraires de notre propagande.
La réunion dépassa immédiatement les limites du projet initial. Les problèmes relatifs à la famille et au mode de vie passionnèrent tous les participants. Au cours des trois séances qui durèrent dans l'ensemble dix à douze heures on a, sinon résolu, du moins effleuré et en partie mis à jour les différents aspects de la vie ouvrière à une époque de transition, ainsi que nos moyens d'action sur le mode de vie ouvrier.
Entre la première et la deuxième séance, et sur la proposition des participants, je formulais sous forme écrite des questions auxquelles certains répondirent aussi par écrit; par ailleurs, quelques-unes de ces réponses furent le résultat de petites assemblées au niveau des arrondissements. Nos conversations avec les agitateurs du Comité de Moscou furent sténographiées. Ce sont ces sténogrammes et ces enquêtes qui forment la base du présent ouvrage. Bien sûr, ce matériau est extrêmement insuffisant. De plus, il a fallu le remanier très vite. Mais mon but ne consistait pas à éclairer sous tous ses angles le mode de vie ouvrier, son évolution, et les moyens d'agir sur lui, mais avant tout à présenter le problème du mode de vie ouvrier comme un objet digne d'une étude attentive.
Le petit livre que l'on propose ici au lecteur n'est nullement la brochure populaire dont l'idée servit de point de; départ à ce travail. J'essaierai encore de rédiger cette brochure si les circonstances me le permettent. Le présent ouvrage est destiné en premier lieu aux membres du Parti, aux dirigeants des syndicats, de s coopératives et des organismes culturels. Je donne en annexe les extraits les plus intéressants et les plus importants des questionnaires et des sténogrammes de notre réunion. Le lecteur fera peut-être bien de commencer par lire cette annexe. Il évitera ainsi certaines difficultés de compréhension qui pourraient résulter du fait que, pour économiser du temps et de la place, j'ai omis certaines citations et certains, renvois.
4 juillet 1923
Préface à la deuxième édition
Par rapport à la première édition, cette seconde édition est considérablement augmentée : en partie par d'anciens articles qui ont directement trait aux questions du mode de vie, et principalement par des articles tout à fait récents. J'exprime ici ma reconnaissance envers les camarades qui ont répondu à mon appel lorsque je leur demandai de me faire parvenir leurs remarques, leurs propositions et autres matériaux sur le thème du mode de vie. Je suis loin d'avoir utilisé tous ces matériaux. Mais le travail n'est pas terminé. Il ne peut d'ailleurs avoir qu'un caractère collectif, d'une ampleur toujours plus grande.
Quelques têtes éclairées tentent, pour autant que le sache, d'opposer les tâches relatives à la culture du mode de vie aux tâches révolutionnaires. Une telle approche ne peut être définie que comme une grossière erreur politique et théorique. Nous écrivons dans un article sur la culture prolétarienne (Pravda, n° 207) :
"Quelles que soient l'importance et la nécessité vitale de notre militantisme culturel, il est encore tout entier placé sous le signe de la révolution culturelle et mondiale. Nous sommes, comme auparavant, des soldats en campagne. C'est notre jour de repos. Il faut faire la lessive, se couper les cheveux, les coiffer, et avant tout nettoyer et graisser sa baïonnette. Notre travail culturel revient uniquement à mettre un peu d'ordre dans nos affaires, entre deux combats, entre deux campagnes. Les combats les plus importants sont encore à venir, peut-être même sont-ils déjà proches. Notre époque n'est pas encore celle de la nouvelle culture; elle n'en est que l'antichambre."
Plus notre travail économique et culturel aura un caractère systématique et pratique, plus nous résoudrons avec succès les tâches importantes qui se présentent à nous. La deuxième vague ne sera en aucun cas une simple répétition de la première, mais exigera de nous, dans tous les domaines, une préparation et une qualification incomparablement supérieures. Ici s'impose avant tout une compréhension plus profonde, de la part des masses travailleuses des perspectives constructives que seule la révolution mondiale triomphante peut nous offrir totalement et dans toute leur ampleur.
9 septembre 1923