1926 |
Ce livre ne concerne pas que l'Angleterre, même s'il aurait pu s'appeler "L'Angleterre et la Révolution". Il contient des leçons pour bien des pays, surtout sur les illusions du passage "démocratique" au socialisme et sur le "crétinisme parlementaire", comme aurait dit Lénine. Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur Cromwell, le chartisme, les trade-unions, le Labour Party... |
Où va l'Angleterre ?
III. De certaines particularités des leaders ouvriers anglais
Les leaders des partis et quelques orateurs de bonne volonté prononcèrent à l'occasion de la mort de lord Curzon des discours élogieux. A la Chambre des Communes, le socialiste Macdonald termina le sien par ces mots : " Ce fut un grand serviteur de la société, un admirable collègue attaché à un noble idéal et un modèle pour tous ceux qui viendront après lui. " Tel fut lord Curzon ! Le Daily Herald, quotidien du Labour Party, publia les protestations des ouvriers contre ce discours sous ce titre modeste : " Un autre point de vue. " La sage rédaction voulait évidemment dire, qu'outre le point de vue des courtisans, des byzantins, des bas flatteurs et des larbins, il y avait encore celui des ouvriers.
Au début d'avril 1925, le leader ouvrier Thomas, qui n'est pas un inconu, secrétai de l'Union des Cheminots, ancien ministre des Colonies, participait avec le Premier Baldwin, à un banquet donné par la Direction de la Compagnie des Chemins de fer de l'Ouest. Baldwin fut autrefois le directeur de cette Compagnie ; Thomas travailla chez lui en qualité de chauffeur-mécanicien. Mr. Baldwin parla, d'un ton magnifiquement protecteur, de Jim Thomas ; Thomas leva son verre à la santé des directeurs de la " Grande Occidentale " et de son président, lord Churchill [1]. Thomas parla avec un profond attendrissement de Mr. Baldwin qui - songez-y ! - marcha toute sa vie sur les traces de son très honorable père. " On me reprochera, naturellement, dit ce laquais vraiment plus qu'exemplaire (Thomas), d'être venu à ce banquet et de fréquenter Baldwin ; on me dira traître à ma classe, mais je n'appartiens à aucune classe, la vérité n'étant pas la propriété d'une classe. "
A l'occasion des débats provoqués par les députés ouvriers de gauche sur l'assignation d'une somme au prince de Galles pour son voyage à létranger, le Daily Herald publia un article de principe sur l'attitude à prendre envers la royauté. " Ce serait une erreur, y était-il dit, de déduire des débats parlementaires que le Labour Party entend abolir la royauté. Mais d'autre part, on ne peut pas se défendre de remarquer que la famille royale n'améliore pas sa situation dans l'opinion des gens raisonnables. Trop de pompe et de cérémonies suggérées peut-être par des " conseillers déraisonnables "; trop d'attention aux courses avec l'inévitable totalisateur ; et enfin le duc et la duchesse du Yorkshire ont chassé en Afrique du Sud le rhinocéros et d'autres animaux méritant un meilleur sort. Assurément - disserte notre journal - on ne saurait en accuser la famille royale seule ; la tradition l'attache trop fortement aux murs et aux habitudes d'une seule classe. Mais on doit s'efforcer de rompre avec cette tradition. C'est, à notre avis, non seulement désirable, mais tout à fait nécessaire. Il faudrait trouver à l'héritier du trône une occupation qui en ferait un élément de la machine gouvernementale, etc., etc... " Tout le reste est imprégné du même esprit trivial, bête et servile au plus haut point. Vers 1905-1906, l'organe des rénovateurs pacifiques de Samara pouvait tenir, chez nous, en Russie, un langage analogue.
L'inévitable Mrs. Snowden est intervenue dans l'affaire de la famille royale en déclarant, dans une courte lettre que, seuls, les orateurs enroués des carrefours peuvent ignorer et ne pas comprendre que les familles royales appartiennent aux éléments les plus travailleurs de l'Europe. Et comme il est dit dans la Bible que " le buf qui fait tourner la meule ne sera pas bâillonné ", Mrs Snowden est, bien entendu, pour l'assignation d'une somme destinée à faire voyager le prince des Galles.
" Je suis socialiste démocrate et chrétienne ", écrivait jadis cette personne en expliquant pourquoi elle était contre le bolchevisme. Ce n'est pas là l'énumération complète des qualités de Mrs Snowden. Nous nous abstenons par politesse de mentionner les autres.
L'honorable Mr. Shiels, député ouvrier de l'est d'Edimbourg, expliqua dans un article de journal que le voyage du prince de Galles serait utile au commerce et, partant, à la classe ouvrière. Aussi était-il pour l'assignation des fonds.
Reportons maintenant nos yeux sur quelques-uns d'entre les députés ouvriers de " gauche " ou de demi-gauche. On discute au Parlement la question de certains droits de propriété de l'Église écossaise. Le député ouvrier écossais Johnston, invoquant l'acte de sécurité de 1707 [2] dénie au Parlement anglais la faculté d'empiéter sur les droits solennellement reconnus de l'Église écossaise. Le speaker refuse de rayer la question de l'ordre du jour.
Un autre député écossais, Maclean, déclare alors que si le bill est voté, ses amis et lui rentreront en Écosse pour appeler les populations à reconnaître le traité d'union entre l'Angleterre et l'Écosse comme dénoncé, et à rétablir le Parlement écossais (Rires sur les bancs des conservateurs et approbation des représentants du Labour Party écossais ). Ici, tout est instructif. Le groupe écossais, qui se place à la gauche de la fraction parlementaire du Labour Party, proteste contre une loi sur l'Église, en adoptant pour point de départ, non le principe de la séparation de l'Église et de 1'Etat, non quelques considérations pratiques, mais les droits sacrés de l'Église écossaise, garantis par un traité qui date déjà de plus de deux siècles. Pour venger les droits lésés de l'Église écossaise, les mêmes députés ouvriers menacent d'exiger le rétablissement du Parlement écossais, dont ils n'ont pas le moindre besoin !
Georges Lansbury, pacifiste de gauche, relate dans un article de fond du quotidien du Labour Party que, dans une réunion ouvrière du Monmouthshire, les ouvriers et les ouvrières ont chanté avec le plus grand enthousiasme un hymne religieux et combien cet hymne lui fut d'un grand secours. " Des individualités peuvent, dit-il, repousser la religion, mais le mouvement ouvrier, en tant- que mouvement, ne peut admettre cette attitude. Notre action a besoin d'enthousiasme, de piété et de fidélité, que l'on ne peut obtenir du seul appel aux intérêts personnels." De sorte que si notre mouvement a besoin d'enthousiasme, il n'est pas capable (d'après Lansbury) de le faire naître, et il se voit contraint de l'emprunter aux curés. "
John Whitley, l'ancien ministre de l'Hygiène du cabinet Macdonald, est presque considéré comme un homme d'extrême gauche. Whitley n'est cependant pas que socialiste. Il est aussi catholique. Il serait plus juste de dire :
il est d'abord catholique, et socialiste ensuite. Le pape ayant invité les fidèles à combattre le communisme et le socialisme, la rédaction du Daily Herald, qui s'abstient par courtoisie de nommer le Très Saint-Père, demanda à Whitley de bien vouloir expliquer les rapports entre le catholicisme et le socialisme. N'allez pas supposer que le journal ait demandé si un socialiste peut être catholique ou, de façon plus générale, croyant ; non, la question se posait de savoir si un catholique peut être socialiste ? Le devoir d'être croyant restait hors de doute ; on doutait seulement du droit du croyant d'être socialiste, tout en restant bon croyant. Le " gauche " Whitley demeure dans sa réponse sur ce terrain. Il considère que le catholicisme, ne s'occupant pas directement de politique, se borne à définir les devoirs moraux de la conduite, et oblige le socialiste à appliquer ses principes politiques avec les égards voulus pour les droits moraux d'autrui. Whitley considère la politique du parti ouvrier britannique qui, à la différence du socialisme continental, n'a pas adopté d'orientation antichrétienne, comme la seule juste. Pour ce " gauche ", la politique socialiste est dirigée par la morale personnelle, et la morale personnelle par la religion. Voilà qui ne diffère en rien de la philosophie de Lloyd George, qui considère l'Église comme la station électrique centrale de tous les partis. La collaboration des classes est ici éclairée par la religion.
Un socialiste a écrit, dans le Daily Herald, à propos du député Kirkwood qui s'opposa aux frais du voyage du prince de Galles, qu'il a (Kirkwood) dans les veines, une goutte du sang du vieux Cromwell, sans doute à cause de sa fermeté révolutionnaire. Nous ne savons pas encore si c'est vrai. En tous cas, Kirkwood a hérité de la piété de Cromwell. Dans son discours au Parlement, il s'est défendu de nourrir le moindre ressentiment personnel contre le prince et de lui envier quoi que ce soit, " Le prince ne peut rien me donner. Je jouis d'une excellente santé, je jouis de ma liberté d'homme et ne suis responsable de mes actions que devant mon Créateur. " Nous apprenons donc, par ce discours, non seulement que la santé du député écossais est excellente, mais encore que ses origines mêmes, au lieu de s'expliquer par les lois de la biologie et de la physiologie, s'expliquent par les intentions d'un certain Créateur, avec lequel Mr. Kirkwood entretient des relations parfaitement définies, fondées, d'une part sur des services rendus et, de l'autre, sur des obligations reconnaissantes.
Il serait facile de multiplier de tels exemples. Plus exactement, il serait possible de réduire toute l'activité politique des dirigeants du Labour Party à de ces épisodes, ridicules ou bizarrement inconvenants, à première vue, mais qui reflètent, en réalité les particularités de toute l'histoire passée, de même, par exemple, que les calculs de la vessie sont le résidu de processus complexes accomplis dans l'organisme. Nous voulons ainsi rappeler que les origines organiques de telles ou telles particularités n'excluent nullement l'intervention chirurgicale pour les éliminer.
La doctrine des leaders du parti ouvrier anglais est un certain amalgame de conservatisme et de libéralisme partiellement adapté aux besoins, des trade-unions ou, plus exactement, de leurs milieux dirigeants. Ceux-ci professent le culte de la gradation. Ils adorent en outre l'Ancien et le Nouveau Testament. On s'y considère comme des ultra-civilisés, tout en croyant que le Père Céleste a créé l'humanité pour la maudire ensuite dans son amour infini, puis tenter d'arranger, à l'aide de la crucifixion de son propre fils, cette affaire extrêmement embrouillée. L'esprit chrétien a donné naissance à des institutions aussi nationales que la bureaucratie des trade-unions, le premier ministère Macdonald et Mrs Snowden.
La religion de l'orgueil national est étroitement liée à celle de la gradation et à la croyance calviniste de la prédestination [3]. Macdonald est convaincu que sa bourgeoisie ayant occupé autrefois la première place dans le monde, il n'a, lui, Macdonald, rien à apprendre des barbares et des demi-barbares du continent européen. A cet égard comme à tous les autres, Macdonald ne fait que singer les chefs bourgeois, tels que Canning, qui proclamait avec plus de raison d'ailleurs - que l'Angleterre parlementaire n'avait pas à recevoir des leçons de politique des peuples de l'Europe. En appelant avec monotonie aux traditions conservatrices du développement politique de l'Angleterre, Baldwin invoque sans nul doute la puissante assise de la domination bourgeoise dans le passé. La bourgeoisie a su imprégner de conservatisme les milieux supérieurs de la classe ouvrière. Ce n'est pas par hasard que les champions les plus résolus du chartisme sont sortis des milieux d'artisans prolétarisés sous les yeux d'une génération ou deux par la pression du capitalisme. Il est aussi significatif que les éléments les plus radicaux du mouvement ouvrier anglais contemporain soient le plus souvent originaires de l'Irlande ou de l'Ecosse (règle qui s'étend naturellement à l'Ecossais Macdonaid). La réunion en Irlande du joug social et du joug national en présence d'âpres conflits d'un pays agraire et d'un pays capitaliste, détermine de brusques modifications de conscience. L'Écosse est entrée dans la voie du capitalisme après l'Angleterre : un changement plus brusque dans la vie des masses populaires entraîne une réaction plus abrupte. Si Messieurs les socialistes britanniques étaient capables d'approfondir leur propre histoire et, en particulier, le rôle de l'Irlande et de l'Écosse, ils réussiraient peut-être à comprendre comment et pourquoi la Russie arriérée a formé, avec sa transition brusque au capitalisme, le parti révolutionnaire le plus énergique, et est entrée la première dans la voie de la Révolution capitaliste.
Mais les fondements du conservatisme de la vie anglaise sont irréparablement minés. Pendant des dizaines d'années, les chefs de la classe ouvrière britannique ont considéré l'existence d'un parti ouvrier comme le triste privilège de l'Europe continentale.
Cette suffisance ignorante et naïve n'a pas laissé de traces. Le prolétariat a contraint les trade-unions à former un parti indépendant. Il ne se bornera certes pas à cela.
Les chefs libéraux et semi-libéraux du Labour Party pensent encore que la Révolution sociale est le triste privilège du continent européen. Sur ce point aussi, les événements montreront combien ils sont arriérés. Il faudra, pour transformer le parti ouvrier anglais en un parti révolutionnaire, beaucoup moins de temps qu'il n'en a fallu pour le créer.
La religiosité protestante du peuple anglais a été et reste encore jusqu'à un certain point l'élément le plus important du conservatisme du développement politique. Le puritanisme fut une école d'éducation sévère et de dressage social des classes moyennes. Les masses populaires lui résistèrent toujours. Le prolétaire ne se sent pas " élu ", la prédestination calviniste n'étant évidemment pas en sa faveur. Le libéralisme anglais, dont la mission principale fut d'éduquer, C'est-à-dire de soumettre à la société bourgeoise les masses ouvrières, s'est formé sur le terrain de la doctrine des " Indépendants ". Dans une certaine mesure, de temps à autre, le libéralisme a rempli cette mission, mais en fin de compte, il n'a pas plus réussi à assimiler la classe ouvrière que le puritanisme.
Le parti ouvrier a pris la succession du libéralisme avec les mêmes traditions, puritaines et libérales. S'il fallait considérer le Labour Party d'après les Macdonald, les Henderson et Cie, il faudrait dire qu'ils sont venus achever l'uvre de l'asservissement complet de la classe ouvrière à la société bourgeoise. Mais la réalité, c'est qu'un autre processus s'accomplit contre leur volonté dans les masses, qui doit liquider à tout jamais les traditions puritaines et libérales et liquider Macdonald chemin faisant.
Pour les classes moyennes anglaises, le catholicisme fut, de même que l'anglicanisme, une tradition toute prête, attachée aux privilèges de la noblesse et du clergé. Contre le catholicisme et l'anglicanisme, la jeune bourgeoisie anglaise dressa dans le protestantisme sa propre forme de croyance, et la justification de sa place dans la société.
Le calvinisme fut, avec sa prédestination d'airain, la forme mystique de la conception de l'immanente légitimité du processus historique. La bourgeoisie montante sentait que les lois de l'histoire étaient pour elle ; ce sentiment revêtit dans sa conscience la forme de la doctrine de la prédestination. La négation calviniste du libre arbitre ne paralysait nullement l'énergie révolutionnaire des " Indépendants ", lui procurant au contraire un puissant appui. Les " Indépendants " se sentaient appelés à accomplir une grande uvre historique. On serait quelque peu en droit de tracer un parallèle entre la doctrine de la prédestination dans le Révolution puritaine et le rôle du marxisme dans la Révolution prolétarienne. Ici et là, l'activité la plus grande se fonde, non sur l'arbitraire subjectif, mais sur l'inébranlable nécessité mystiquement déformée, dans un cas, scientifiquement reconnue, dans l'autre.
Le prolétariat anglais adopta le protestantisme comme une tradition toute prête, c'est-à-dire de même que la bourgeoisie avait adopté, avant le XVIIe siècle, le catholicisme et l'anglicanisme. De même que la bourgeoisie réveillée opposa au catholicisme le protestantisme, le prolétariat révolutionnaire oppose au protestantisme le matérialisme et l'athéisme.
Si le calvinisme fut pour Cromwell et pour ses compagnons de lutte l'instrument spirituel d'une transformation révolutionnaire de la société, il n'inspire plus aux Macdonald que la vénération de tout ce qui a été créé par des " gradations successives ". Du puritanisme, les Macdonald ont hérité non la force révolutionnaire, mais ses préjugés religieux. Des 0wenistes, ils ont hérité non l'enthousiasme communiste, mais leur aversion d'utopistes réactionnaires contre la lutte des classes. A l'histoire politique de l'Angleterre, les Fabiens [4] n'empruntent que la dépendance spirituelle du prolétariat vis-à-vis de la bourgeoisie. L'histoire a tourné le dos à ces gentlemen et les signes qu'ils y ont lus sont devenus leur programme.
La situation insulaire, la richesse, une politique mondiale couronnée de succès, - tout ce que le puritanisme, religion du " peuple élu ", avait cimenté, est devenu mépris hautain du continental et du non-anglais, en général. Les classes moyennes de l'Angleterre furent longtemps convaincues que la langue, la science, la technique, la culture des autres peuples ne méritaient pas d'être étudiées. Les philistins qui dirigent aujourd'hui le Labour Party ont intégralement repris ces convictions.
Fait curieux, Hyndman [5] qui, du vivant de Marx, publia son petit livre l'Angleterre pour tous, y cite l'auteur du Capital, sans le nommer, ni mentionner son uvre : et la cause de cette étrange omission, c'est que Hyndman craignait de choquer les lecteurs anglais. Était-il, en effet, concevable qu'un Anglais pût apprendre quelque chose d'un Allemand ?
La dialectique de l'histoire joue à cet égard un mauvais tour à l'Angleterre, en transformant les avantages de son développement avancé en des causes de situation arriérée. Nous le voyons dans l'industrie, dans les sciences, dans la structure de l'État, dans l'idéologie politique. L'Angleterre s'est développée sans bénéficier de précédents. Elle n'a pas pu chercher et trouver dans des pays plus avancés l'image de son avenir. Elle est allée de l'avant, à tâtons, empiriquement, ne généralisant ses expériences et ne regardant en avant que dans la mesure du plus strict nécessaire. Le sceau de l'empirisme marque la pensée traditionnelle de l'Anglais, c'est-à-dire avant tout du bourgeois anglais, et la même tradition spirituelle a gagné les milieux supérieurs de la classe ouvrière. L'empirisme est devenu une tradition et un drapeau ; en d'autres termes, il s'est allié au dédain de la pensée " abstraite " du continent. L'Allemagne philosopha longtemps sur la nature véritable de l'État, tandis que la bourgeoisie anglaise construisait., pour les besoins de sa domination, l'État le plus parfait en son genre. Mais il est arrivé, avec le temps, que la bourgeoisie allemande, pratiquement arriérée, et encline, de ce fait, aux spéculations théoriques, a transformé ce qui était chez elle une faiblesse en une supériorité et créé une industrie beaucoup plus scientifiquement organisée et mieux adaptée à la lutte sur le marché mondial, Les socialistes philistins anglais héritaient de leur bourgeoisie le dédain du continent, au moment précis où les avantages de l'Angleterre se retournaient contre elle.
Macdunald, justifiant les particularités innées du socialisme anglais, déclare qu'il faudra dans la recherche de ses sources " négliger Marx et remonter à Godwin " [6]. Godwin fut, en son temps, une grande figure. Mais revenir à lui, pour un Anglais, c'est comme pour un Allemand, chercher les sources du socialisme dans Weitling ou pour un Russe revenir à Tchernichevski. Nous ne voulons nullement dire que le mouvement ouvrier anglais n'ait pas ses " particularités ". L'école marxiste a toujours consacré une grande attention à l'originalité du développement de l'Angleterre. Mais, cette originalité, nous l'expliquons par les conditions objectives, par la structure de la société et par ses modifications. Aussi comprenons-nous, marxistes, infiniment mieux le développement du mouvement ouvrier anglais - et en prévoyons-nous mieux les lendemains - que les théoriciens actuels du Labour Party. Le commandement de l'ancienne philosophie : " Connais-toi toi-même " n'a pas été formulé pour eux, Ils se croient destinés, prédestinés à rebâtir la société la plus vétuste, et s'arrêtent cependant, complètement prostrés, devant un trait tracé à la craie sur le plancher. Comment attenteraient-ils à la propriété bourgeoise, s'ils n'osent refuser au prince de Galles son argent de poche ?
La royauté, déclarent-ils, " n'est pas un obstacle " au progrès du pays et lui coûte moins cher que ne coûterait un président, si l'on tient compte des frais d'élection, etc. Ces propos des leaders ouvriers caractérisent un aspect de " l'originalité " anglaise, qu'on ne peut qualifier autrement que de stupidité conservatrice. La royauté est faible, puisque le Parlement bourgeois est le moyen de domination de la bourgeoisie, et puisque celle-ci n'a pas besoin d'armes extraparlementaires. Mais, en cas de besoin, la bourgeoisie peut tirer parti de la royauté avec le plus grand succès, comme du centre de ralliement de toutes les forces extraparlementaires, c'est-à-dire réelles, dirigées contre la classe ouvrière. La bourgeoisie anglaise comprit fort bien elle-même, en de tels cas, le danger que présente la monarchie, même la plus fictive. C'est ainsi qu'en 1837, le gouvernement britannique abolit aux Indes le titre de " Grand Mogol ", en exilant son détenteur de la ville sainte de Delhi, bien que le titre fût à l'époque tout à fait vain : la bourgeoisie anglaise comprenait que le Grand Mogol eût pu, en de certaines conditions, devenir le centre de ralliement des milieux dirigeants hindous contre la domination britannique.
Se revendiquer d'un programme socialiste et déclarer en même temps que la royauté " n'est pas une entrave " et coûte le moins cher, c'est tout comme, par exemple, admettre la science matérialiste et recourir contre les maux de dents à une incantation de rebouteuse, parce que la rebouteuse prend moins cher. Tout l'homme s'exprime dans ce petit détail, et tout ce qu'il y a de fictif dans son adhésion à la science matérialiste, et toute la fausseté de son système d'idées. La question de la monarchie ne se résout pas pour le socialiste du point de vue de la comptabilité d'aujourd'hui et d'autant moins de celui d'une comptabilité fausse. Il s'agit de la transformation complète de la société à se nettoyer de tous les éléments d'esclavage. Ce travail exclut en politique et en psychologie tout accommodement avec la monarchie, MM. Macdonald, Thomas et autres sont indignés de ce que les ouvriers aient protesté en voyant leurs ministres revêtir l'habit bouffon de la Cour. Ce n'est, certes pas, le plus grand des péchés de Macdonald, mais il symbolise à merveille tous les autres. Quand la jeune bourgeoisie se battait contre la noblesse, elle renonçait aux chevelures bouclées et aux vêtements de soie. Les révolutionnaires bourgeois portaient le vêtement noir des puritains. A l'opposé des " cavaliers ", on les surnomma les " têtes rondes ", les " têtes tondues ". Tout nouveau contenu se cherche une nouvelle forme. Certes, la forme des vêtements n'est que conventionnelle, mais la masse ne veut pas comprendre, et elle a raison, pourquoi les représentants de la classe ouvrière doivent se soumettre aux conventions bouffonnes de la mascarade monarchique ? Et la masse apprend de plus en plus à comprendre que celui qui lui est infidèle dans les petites choses le sera dans un grand nombre de choses.
Les traits de conservatisme, de religiosité, d'orgueil national, nous les retrouvons à divers degrés, et sous diverses combinaisons, chez tous les leaders officiels du Labour Party actuel, de l'ultra-droitier Thomas au gauche Kirkwood. On commettrait une très grande erreur en sous-estimant la ténacité et l'adhérence de ces particularités conservatrices des milieux supérieurs de la classe ouvrière anglaise. Nous n'entendons pas dire, cela va de soi, que les tendances religieuses et conservatrices nationales sont tout à fait étrangères aux masses. Mais alors que, chez les leaders, élèves du parti libéral, les traits bourgeois-nationaux ont pénétré la chair et le sang, ils ont dans la masse ouvrière un caractère beaucoup moins profond et moins stable. Nous avons déjà rappelé que le puritanisme, cette religion des classes en voie d'enrichissement, n'a jamais réussi à pénétrer profondément dans la conscience des masses ouvrières. Il en est de même pour le libéralisme. Les ouvriers votèrent pour les libéraux, mais restèrent, considérés dans leur masse, des ouvriers, et les libéraux durent demeurer sans cesse sur leurs gardes. En d'autres conditions, c'est-à-dire si l'Angleterre s'était développée et fortifiée au sens économique, le Labour Party du type actuel aurait pu continuer et approfondir l'uvre " éducatrice " du protestantisme et du libéralisme, c'est-à-dire rattacher plus solidement la conscience des larges milieux de la classe ouvrière aux traditions nationales conservatrices et à la discipline de l'ordre bourgeois. Dans les conditions actuelles de décadence manifeste de l'Angleterre et d'absence de perspective, il faut s'attendre à un développement diamétralement opposé à celui-là. La guerre a déjà porté un coup terrible à la religiosité traditionnelle des masses anglaises. Ce n'est pas pour rien que Mr. Wells [7] se préoccupe de la création d'une nouvelle religion, tentant de faire entre la terre et Marx la carrière d'un Calvin fabien. Nous doutons fort de son succès. La taupe-Révolution creuse trop bien cette fois! Les masses ouvrières se libéreront tumultueusement de la discipline nationale-conservatrice, en élaborant leur propre discipline de l'action révolutionnaire. Sous cette pression d'en bas, les milieux dirigeants du Labour Party se déteindront promptement. Nous ne voulons pas dire que Macdonald se déteindra de façon à prendre figure de révolutionnaire, non ; il sera éliminé. Mais ceux qui, selon toutes probabilités, feront la première relève, les hommes du type Lansbury, Whitley, Kirkwood, révéleront inévitablement qu'ils ne forment qu'une variété de gauche du même type fabien. Leur radicalisme est borné par la démocratie, par la religion, et empoisonné par l'orgueil national, qui les asservit spirituellement à la bourgeoisie britannique. La classe ouvrière aura très probablement à renouveler plusieurs fois ses milieux dirigeants, avant que ne se crée un parti vraiment à la hauteur de la situation historique et des tâches du prolétariat anglais.
Notes
[1] Winston Churchill, un des représentants les plus en vue de la bourgeoisie anglaise à cette époque. Leader de la droite libérale. Exerça des commandements dans les troupes anglaises au cours des sanglantes campagnes de l'Inde et de l'Egypte, ainsi que dans la guerre anglo-boer. Fut conservateur jusqu'en 1906. Avant la guerre, détint les portefeuilles du Commerce et de l'Intérieur, puis, de 1911 à 1915, celui de la Marine. Pendant la guerre, fut ministre du Ravitaillement, puis dirigea, de 1918 à 1921, le département de la Guerre. Fut, dans le cabinet de coalition de Lloyd George un des partisans les plus zélés de l'intervention en Russie. Projeta en 1919 l'écrasement de la Russie des Soviets par l'agression simultanée de quatorze États. Ministre des colonies en 1921, continua la politique de conquêtes et de provocations, à laquelle l'Angleterre est accoutumée. Se présenta aux élections de 1924 contre son propre parti libéral, en préconisant la formation d'un nouveau " parti national constitutionnel indépendant " qui eût groupé la droite libérale et la gauche conservatrice. Est entré, en novembre 1924, en qualité de ministre des Finances, dans le cabinet Baldwin. Lors de la grève générale de 1926, il est le porte-parole de l'aile dure des tories. Churchill a vécu de 1874 à 1965. Il est surtout resté célèbre à cause de son rôle dans la deuxième guerre mondiale.
[2] L'acte de sécurité de 1707 et l'Eglise écossaise. Jusqu'à 1707, l'Église écossaise fut entièrement dépendante de l'Église anglicane, cette dernière s'était puissamment enrichie. Elle possédait des domaines, des monastères richement dotés, etc. L'État lui accordait des privilèges, des subsides et des dotations, Le clergé écossais aspira longtemps à l'égalité de droits avec l'Église anglicane, dans la désignation des évêques. En 1707, au moment de l'union de l'Écosse avec l'Angleterre, un acte fut promulgué, accordant à l'Église écossaise une indépendance complète. Mais l'indépendance formelle n'entraînait pas la transmission des domaines et n'impliquait pas le droit de désigner aux plus hautes fonctions ecclésiastiques, de sorte que l'Église écossaise demeura, comme par le passé, assujettie au clergé anglican plus riche et plus puissant. Le clergé écossais ne puisait pas, comme le clergé anglican, ses revenus dans les richesses de l'État ou dans les siennes propres ; il vivait aux frais de la population opprimée des villes et des campagnes à laquelle il était par là-même attaché. Cette situation fit que la lutte sociale et nationale contre l'Angleterre revêtit de bonne heure en Écosse la forme d'une résistance religieuse.
[3] Le calvinisme est
la doctrine du réformateur religieux Jean Calvin (1509-1564). Le dogme de la
prédestination, selon lequel il y aurait, de par la volonté divine, un petit nombre
d'élus prédestinés à la félicité éternelle et un grand nombre d'infortunés
destinés aux souffrances éternelles, est à la base de l'enseignement de Calvin. Calvin
enseigna que tout croyant doit se conduire ici-bas de manière à mériter la félicité
éternelle, à laquelle il est peut-être prédestiné. Aussi le calvinisme accorda-t-il
une attention particulière au rigorisme des murs, prêchant l'austérité,
l'économie, le renoncement aux plaisirs, etc. Ces exigences auxquelles Calvin donna une
justification religieuse, correspondaient aux intérêts de la petite bourgeoisie, surtout
commerçante, qui, posant à ce moment les fondements de sa richesse, avait besoin d'une
stricte économie de forces et de moyens. L'Église devait, d'après les calvinistes,
être séparée de l'État, et les rites religieux être conformes aux Saintes Écritures,
seule source de la connaissance chrétienne. Comme tous les autres mouvements de
réformation religieuse du XVIe siècle, le calvinisme combattit énergiquement l'Église
catholique. Cette lutte était en réalité celle de la classe commerçante bourgeoise et
de la féodalité, obstacle au développement de la bourgeoisie.
Engels définit en ces termes le rôle du calvinisme :
" Son dogme répondait aux besoins de la partie la plus
malheureuse de la bourgeoisie de l'époque. Sa prédication de la prédestination
exprimait sous des formes religieuses, le fait que, dans le monde commercial, dans le
monde de la concurrence, le succès ou la faillite dépendent, non de l'activité et de
l'habileté de l'homme, mais de circonstances échappant à sa volonté, Ce n'est pas la
volonté d'un homme, ce ne sont pas ses actes qui décident, c'est la grâce - la grâce
de forces économiques puissantes, mais inconnues. C'était indéniablement vrai à
l'époque de la Révolution économique, lorsque toutes les anciennes routes commerciales,
du moment où tous les anciens centres étaient éliminés par des routes et des centres
nouveaux, après la découverte de l'Amérique et de l'Inde, lorsque la valeur même de
l'or et de l'argent, ces saintetés économiques de longtemps révérées, fléchit et se
mit à baisser rapidement. L'Église de Calvin fut toujours démocratique et républicaine
; mais si le royaume de Dieu est devenu républicain, les royaumes terrestres peuvent-ils
rester fidèles à leurs rois, à leurs évêques, à leurs féodaux ? Le luthérianisme
avait été une arme commode entre les mains des petits princes allemands, le calvinisme
fonda la République en Hollande et de grands partis républicains en Angleterre et
surtout en Écosse (Engels : Matérialisme Historique).
[4] La " Société
fabienne " se fonda à Londres en janvier 1884. Elle adopta le nom du fameux chef
de guerre romain Fabius Cunctator, Le Temporisateur, s'affirmant ainsi en faveur
d'une politique progressive, expectante, circonspecte et lente, hostile à toute action
résolue. Sidney Webb et l'écrivain Bernard Shaw furent dès les débuts les principaux
guides des Fabiens. Aussitôt après sa fondation, la Société entreprit la propagande du
socialisme et l'étude des uvres de Karl Marx, de Lassalle, de Proudhon, de Ricardo,
de Mill, etc. Les Fabiens niaient hardiment la théorie de la lutte de classe
prolétarienne. Leur programme se réduit à la reconnaissance de la nécessité de
transmettre toutes les terres à la collectivité et d'abolir la propriété privée. Pour
atteindre ce but, les Fabiens croient suffisant de se livrer à la propagande des idées
socialistes dans toutes les couches de la population. Le programme socialiste peut, à
leur avis, être réalisé par un effort constructif graduel, lent et pacifique, et par
l'accord du capital et du travail. Les Fabiens n'ont pas eu d'organisation de parti.
Certains d'entre eux ont adhéré au Labour Party, d'autres au parti libéral. En
1906, une scission se produisit parmi eux, Une partie d'entre eux voulait que la "
Société fabienne " adhérât au Labour Party et exigeait l'exclusion des
libéraux. Ce groupe comprenait l'écrivain Wells.
L'ancienne tactique fabienne était défendue par Webb, Shaw et Ensor. Les discussions
durèrent de longues années. Ce n'est qu'en juillet 1910 que Webb réussit à faire voter
une résolution reconnaissant à tout membre de la " Société fabienne " le
droit d'appartenir à n'importe quel parti politique. La " Société fabienne "
n'accorde pas une grande importance au nombre de ses membres. Elle en comptait plus de
2.000 en 1911-1912 ; elle n'en compte plus maintenant que 1.782 [en 1926. NDT].
La plupart d'entre eux sont des écrivains, des avocats, des savants, etc. La
" Société fabienne " ne se livre à aucun travail pratique, laissant à
ses membres la faculté de participer à l'uvre du parti libéral ou à celle du Labour
Party. Elle consacre une attention particulière à la diffusion et à l'édition de
brochures, de manifestes et de tracts socialistes. Elle en lança en 1908, prés de
250.000 exemplaires.
L'idéologie fabienne - croyance en la gradation, croyance en la
collaboration pacifique de la bourgeoisie et du prolétariat, répudiation de l'action
révolutionnaire et de la violence révolutionnaire - est très répandue dans les milieux
dirigeants du Labour Party.
[5] Hyndman (1842-1922). Homme politique anglais. Un des fondateurs de la "Fédération social-démocrate" (1881) et du " Parti socialiste britannique " (1911), Hyndman connut personnellement Marx, qui exerça sur lui une grande influence. Etudiant Marx et répandant ses idées, Hyndman ne comprit pourtant pas le point de vue marxiste sur le mouvement ouvrier, le trade-unionisme, le rôle des partis réformistes, et ne sut pas lier pratiquement l'action de. la Fédération social-démocrate au mouvement ouvrier anglais. La situation exceptionnelle de l'Angleterre sur la marché mondial, entraînant la formation d'une aristocratie ouvrière, rendait, d'autre part, extrêmement difficile la pénétration des idées révolutionnaires au sein du prolétariat. A la fin de l'année 1884, une scission se produisit dans la Fédération social-démocrate. Un groupe anarchisant en sortit, pour fonder, sous la direction de Morris, de Shey et de Crane, la " Ligue socialiste ", qui répudia les méthodes parlementaires et les réformes sociales graduelles, mais dont l'existence ne fut que de courte durée. Cette tentative de fonder une organisation concurrente de celle de Hyndman ne donna pas de résultats positifs. Hyndman demeura fidèle à la tactique de la vieille Fédération social-démocrate, basée sur une large utilisation des méthodes parlementaires. En novembre1885, la Fédération social-démocrate, soutenue financièrement par les conservateurs, présente plusieurs candidats aux élections législatives. L'aide financière des conservateurs, qui avaient cherché, en présentant des candidatures social-démocrates, à nuire aux libéraux, suscita dans les masses ouvrières anglaises une véhémente indignation. Quand, entre 1870 et 1890, le nouveau mouvement trade-unioniste prit son essor, s'assignant, des fins politiques, au contraire de l'ancien trade-unionisme, qui ne poursuivait que des fins économiques, Hyndman le considéra avec méfiance. Il ne crut pas devoir tirer parti de cette forme nouvelle du mouvement ouvrier, pensant que la lutte pour de petites améliorations partielles, soutenues par les trade-unions, était incompatible avec la lutte pour les fins dernières du socialisme, et devait, par conséquent, être repoussée. A la XIVe conférence de la Fédération social-démocrate, Hyndman parla de la nécessité pour celle-ci de se désolidariser nettement de l'activité des trade-unions, si les trade-unions ne souscrivaient pas sans délai au programme social-démocrate. Hyndman demeura sur ses positions dans les conférences ultérieures de la Fédération social-démocrate. Il resta à la tête du Parti Socialiste britannique, qui n'eut d'ailleurs jamais de grande influence sur le mouvement ouvrier, jusqu'à la guerre de 1914. Au début de la guerre, il adopta, avec tout son parti, une attitude antimilitariste, mais ne tarda pas à évoluer vers un social-patriotisme ostensible, se mettant ainsi lui-même hors du parti, qui se montra fidèle à l'internationalisme, et dont la gauche adhéra plus tard à l'Internationale communiste. Hyndman mourut en 1922.
[6] William Godwin (1756-1836), publiciste romancier et historien anglais, auquel on doit l'un des premiers systèmes du communisme anarchiste mondial. Les idées de Godwin, formées sous l'impression directe de la Révolution française, exercèrent une grande influence sur la jeunesse britannique du premier tiers du XIXe siècle. Toute organisation politique et économique est, de l'avis de Godwin, un mal. A l'État aristocratique et monarchique - instrument d'oppression des classes possédantes - Godwin oppose l'idéal de l'abolition complète de toute contrainte, L'individu a droit à une liberté absolue ; nul n'a le droit de le contraindre à quoi que ce soit, et l'on ne peut même pas lui imposer de répartition égalitaire des biens. Les entreprises individuelles et le droit de propriété privée des produits du travail personnel doivent être maintenus dans la société future. La raison y sera la seule législatrice. L'espérance de la suppression des antagonismes entre les richesses et la pauvreté, Godwin la plaçait dans la diffusion des " lumières ", " la propriété (bourgeoise) étant en contradiction avec la nature humaine et avec le principe de l'équité ", de la victoire finale duquel Godwin était profondément convaincu.
[7] Herbert Wells (1866-1946). Célèbre écrivain anglais, auteur de nombreux romans d'imagination (L'Homme invisible, La guerre de mondes, La machine à explorer le temps, etc.), revêtant parfois un caractère utopique. Pacifiste et Fabien. Partisan de lévolutionnisme collectiviste défini en ces termes par L. D. Trotsky (Lénine) : " Il faut entendre par là une mixture fabienne faite de libéralisme, de philanthropie, de législation sociale, et de réflexions dominicales sur un avenir meilleur. " Wells formule lui-même en ces termes son évolutionnisme collectiviste : " Je crois que la société impérialiste peut se civiliser et se transformer en une société collectiviste par un système concerté d'éducation sociale. " Wells visita en 1920 la Russie des Soviets et écrivit ensuite un livre intitulé : la Russie dans les Ténèbres.