1923 |
L'engagement du combat face au stalinisme montant. |
Cours Nouveau
Annexe IV
Les sphères dirigeantes des Jeunesses Communistes russes sont intervenues dans la discussion du Parti. Considérant qu’un article signé de neuf camarades (Deux générations, Pravda, N° 1) et une adresse des militants de Pétrograd posent les questions de façon erronée et peuvent faire du tort au Parti s’il s’ensuit une large discussion dans les J. C. R., nous jugeons nécessaire d’analyser leurs déclarations et les raisons qui les motivent.
L’adresse de Pétrograd et l’article des neuf disent qu’il ne faut pas flatter la jeunesse, que cette dernière n’est pas le contrôleur du Parti, que l’on ne saurait opposer la nouvelle génération du Parti à l’ancienne, qu’aucune dégénérescence ne nous menace, que Trotsky est coupable de tous ces péchés mortels et qu’il faut mettre la jeunesse sur ses gardes. Voyons ce qu’il en est.
Dans leur article, les neuf camarades disent que Trotsky tire par les cheveux la question de la jeunesse (nous reviendrons là-dessus dans la suite), qu’il s’adapte aux jeunes, qu’il les flatte. Écoutons ce que dit à ce sujet Lénine :
" Des écoles soviétistes, des facultés ouvrières ont été fondées ; des centaines de milliers de jeunes gens s’y instruisent. Ce travail portera ses fruits. Si nous travaillons sans trop de précipitation, dans quelques années nous aurons une masse de jeunes gens capables de modifier radicalement notre appareil ".
Pourquoi Lénine a-t-il parlé ainsi de la jeunesse ? Qu’est-ce que qui l’y poussait ? Le désir de se mettre au ton de la jeunesse, de la flatter, d’obtenir ses applaudissements ou bien une intelligence véritable de son rôle et de la situation ? Il ne saurait être question de " flatterie " de la part de Trotsky, et il n’est absolument aucune raison de l’opposer aux autres chefs de notre Parti. Les neuf camarades disent que Lénine nous a appris à avoir une attitude critique envers la jeunesse, à ne pas encourager ses défauts. Le camarade Trotsky ne suit-il pas ce bon conseil lorsque, au XI° Congrès du Parti et maintenant encore, il dit : " … Cela ne signifie pas, certes, que tous les actes et états d’esprit de la jeunesse expriment des tendances saines ", ou dans un autre endroit : " La jeunesse des écoles, recrutée dans toutes les couches et stratifications de la société soviétique, reflète dans son effectif disparate tous nos côtés, bons ou défectueux ". À en juger par ces citations, Trotsky, loin de flatter, critique.
La question de la dégénérescence est exposée également d’une façon erronée. Trotsky parle du danger de la dégénérescence et pour la jeune génération et pour l’ancienne. À cela, la rédaction de la Pravda répond ainsi :
" Le danger théorique d’une dégénérescence existe chez nous. Il a sa source dans la possibilité d’une victoire graduelle de l’économie capitaliste sur l’économie socialiste et dans la possibilité d’une soudure progressive de nos cadres administratifs avec la nouvelle bourgeoisie. Mais il n’est personne chez nous qui ne voie ce danger ".
Pourtant, ce que disent dans leur article les neuf camarades : " Ce danger de dégénérescence politique ne peut exister chez nous ", ne concorde pas du tout avec cette déclaration. Par suite, l’accusation et la défense portent à faux. Passons à l’accusation la plus grave : Trotsky oppose deux générations, les excite l’une contre l’autre, " veut saper l’influence de l’état-major bolchévik éprouvé ". Voici ce qu’écrit Trotsky :
" Il faudrait être fou pour songer à mettre au rancart l’ancienne génération. Ce dont il s’agit, c’est que l’ancienne génération change consciemment d’orientation et, par là même, assure la continuation de son influence prépondérante dans tout le travail du Parti ".
Y a-t-il là cette opposition des jeunes aux vieux, ce désir de saper les anciens cadres, qui sont à la base de l’argumentation des deux documents ? Il nous semble que si l’on examine tranquillement, sérieusement, toutes les déclarations précitées de Trotsky, il est impossible d’y voir une excitation quelconque des deux parties, une intention d’animosité. Au contraire, Trotsky comprend le nouveau cours comme le meilleur moyen de consolider et d’accroître l’influence des anciens cadres bolchéviks.
Mais si l’on rejette toutes ces légendes, interprétations arbitraires et dénaturations, et que l’on étudie le fond de la question des moyens d’éducation des jeunes communistes dans l’esprit léninien, il apparaît clairement que Trotsky a entièrement raison.
Et si les neuf militants des J. C. R. qui sont intervenus prennent la peine d’examiner de près la situation du jeune communiste, qui leur est le mieux connue, ils constateront que les jeunes communistes des J. C. R. ont le sentiment d’être non pas des membres du Parti dans les J. C. R., mais des " Jeunesses communistes dans le Parti ". C’est là un fait signalé à maintes reprises par les militants les plus considérés.
Quelle en est la raison profonde ? C’est que dans le régime restreint du Parti, les jeunes n’ont pas la possibilité de participer au dépôt de richesses accumulées par de longues années de travail de notre Parti. Le meilleur moyen de transmission des traditions révolutionnaires bolchéviques, de toutes les qualités inhérentes au cadre fondamental du Parti, c’est le cours nouveau de la démocratie appliqué " consciemment par l’ancienne génération dans l’intérêt de la conservation de son influence directrice. "
Ainsi donc, en ce qui concerne également le fond de la question, ce n’est pas Trotsky qui a " tiré par les cheveux " la question de la jeunesse (liée chez lui à toutes les raisons motivant le nouveau cours du Parti) mais les auteurs des lettres qui lui attribuent un point de vue qu’il n’a jamais soutenu.
Effectivement (quoique involontairement) les neuf camarades qui ont fait intervenir les J. C. R. dans la discussion ont réduit cette dernière à la question de deux générations, sans la relier à l’ensemble de la discussion et à toutes les questions que le parti se pose maintenant. Et lorsque la question elle-même des générations est posée d’une façon erronée, qu’elle est dénaturée, toutes les interventions ne sauraient être que regrettables ; et si elles amènent à une discussion parmi les militants des J. C. R., cette discussion se déroulera sur une ligne fausse et provoquera le dissentiment contre lequel s’élève précisément Trotsky.
Le Comité central des J. C. R. a décidé de ne pas soumettre à un examen spécial des membres du Parti travaillant dans les J. C. R. les questions soulevées dans la discussion du Parti. Nous considérons cette décision comme entièrement juste. Elle ne saurait en aucun cas légitimer l’article sus-mentionné. Si la décision interdisant que la discussion soit transportée dans les J. C. R. est juste et que les militants du Comité Central aient jugé nécessaire de s’élancer dans cette discussion pour ne rien dire de nouveau, abstraction faite d’une accusation maladroite contre Trotsky s’inclinant soi-disant devant on ne sait quelle " trinité divine ", comment expliquer leur acte autrement que par le désir de voir donner un coup à Trotsky par la jeunesse ?
Nul n’a contesté (et Trotsky moins que personne) la nécessité de conserver l’influence prépondérante, la direction de l’ancien cadre du Parti. Cette nécessité est plus qu’évidente pour chacun de nous. Ce n’est pas là-dessus que roule notre discussion de l’article des neuf.
Nous sommes contre le fait d’attribuer aux camarades dirigeants de notre Parti des pensées qu’ils n’ont pas exprimées, et par là même de dénaturer cette question, de la mettre sous un jour faux, particulièrement devant les jeunes communistes. Nous ne voulons pas que l’on voile la nécessité de créer dans le Parti une situation qui permette de former des léninistes véritables et non des communistes dont Lénine disait à notre III° Congrès des J. C. :
" Si un communiste s’avisait de vanter le communisme avec les arguments qu’on lui a fournis tout préparés, sans effectuer lui-même un travail sérieux, considérable, sans chercher à comprendre les faits qu’il doit passer au crible de la critique, ce serait un triste communiste ".
Nous sommes pour l’unité, pour la direction réellement bolchéviste du Parti. Nous sommes loin de fermer les yeux sur les dangers qui menacent la jeunesse. Conscients au contraire de ces dangers, nous ne voulons pas que l’on voile la question du cours nouveau sous prétexte de défendre les droits historiques de la vieille garde du Parti contre des atteintes inexistantes.
NOTES
[1] Nous publions ce document qui nous a été envoyé et qui caractérise le manque de fondement et la malveillance intentionnelle des affirmations sur notre soi-disant désir d’opposer les jeunes aux vieux. - L. T.