1922 |
Source : Bulletin communiste n° 19 (troisième
année), 4 mai 1922. |
Les anarchistes et la révolution russe
Avant la Révolution de novembre, les anarchistes apportèrent, dans la préparation de la lutte décisive contre la bourgeoisie une aide efficace aux bolcheviks contre les mencheviks et les socialistes révolutionnaires.
Après la Révolution de novembre, ils prirent une attitude d'opposition de plus en plus active et de plus en plus résolue contre la dictature du prolétariat et contre la discipline révolutionnaire. Ils se livrèrent à un travail de décomposition souterraine des organes du pouvoir ouvrier. Ce travail fut profitable à la contre-révolution. Quelques mois après la Révolution de novembre, les anarchistes passent presque tous dans le camp des adversaires les plus résolus de la Révolution prolétarienne.
Les réactionnaires de Pétrograd mirent bientôt leurs espoirs d'abattre la Révolution sur les anarchistes dont la propagande dissolvante et l'action désorganisatrice ne pouvaient que contribuer à la chute des Soviets et au rétablissement du pouvoir de la bourgeoisie et des généraux tsaristes.
Au printemps, dans l'année 1918, à Moscou et à Petrograd, les anarchistes organisent de nombreux groupes de pillage. Ils se livrent à des actes de banditisme, ne reculant pas devant l'assassinat. Indistinctement, on pille les riches et les pauvres.
Après que le gouvernement se fut installé à Moscou, des bandes de criminels de droit commun, se réclamant de l'anarchie, parcouraient les rues après huit heures du soir et se livraient contre les passants et contre les paisibles habitants jusque dans les maisons à de véritables actes de terrorisme.
En avril 1918, la Tcheka arrêta les anarchistes et occupa 18 maisons habitées par eux.
La plupart de ceux qui furent ainsi arrêtés étaient des déserteurs, des assassins et des voleurs professionnels. Ils furent emprisonnés. Parmi eux, se trouvaient quelques hommes sincères n'ayant participé à aucun acte de désordre. Tous les idéologues sincères de l'anarchie furent libérés.
C'est alors que les anarchistes qui avaient échappé à la répression nécessaire, émigrèrent en Ukraine. Essentiellement agricole, l'Ukraine est un pays de riches propriétaires paysans. Contre la Révolution ouvrière, contre le pouvoir des Soviets, contre la dictature du prolétariat, l'idéologie anarchiste trouva un terrain idéal pour semer sa propagande.
Bientôt, les anarchistes se groupent autour de l'aventurier Makhno. Ils fondent une association puissante. Leur théoricien : Sabat, va sur place se charger de légitimer leurs pires agissements du point de vue de la doctrine anarchiste.
Makhno et les anarchistes qui se groupent autour de lui représentent contre les ouvriers les intérêts des paysans cossus d'Ukraine.
Pour défendre ces intérêts et pour faire échec aux Soviets, Makhno et ses amis anarchistes ont ouvert le front d'Ukraine à Denikine qui put ainsi occuper entièrement cette riche province.
Makhno et les anarchistes égorgèrent en grand nombre et indistinctement tout ce qui pouvait exciter la haine des riches propriétaires paysans : communistes, agents des Soviets, juifs. Les pogroms sociaux se mêlaient atrocement aux pogroms religieux. .
Makhno expédia ses agents jusqu'à Moscou. Ce sont ces derniers qui ont jeté la bombe de vingt-cinq kilos à la séance du Comité central du parti en train de délibérer sur les mesures à prendre contre l'armée Denikine. Cette armée se trouvait alors a moins de 150 kilomètres de Moscou et menaçait très sérieusement la capitale de la Révolution. Le coup fut monté d'accord avec les socialistes révolutionnaires dont le rôle d'agents contre-révolutionnaires de la bourgeoisie est établi par mille preuves écrasantes et irréfutables.
Les anarchistes, ces purs adversaires de la dictature, de toute dictature d'où qu'elle vienne, ont fourni en grand nombre des cadres à l'armée Makhno. Ils ont introduit dans cette armée, eux, les adversaires de tout militarisme, quelle que soit sa couleur, une discipline de fer, une discipline féroce, dont les excès inutiles dépassent de loin et sans aucune comparaison possible les rudesses nécessaires de la discipline de l'armée rouge en lutte contre la trahison des officiers ralliés d'ancien régime.
Eux, les anarchistes, adversaires par principe de tout pouvoir et de toute autorité, lorsqu'ils occupèrent Ekaterinoslav, après en avoir chassé les Soviets, ils n'introduisirent dans l'organisation de la ville aucun organe électif. Ils préférèrent placer la ville sous un impitoyable commandement militaire.
Après une guerre au couteau, où Makhno et ses lieutenants se distinguèrent par des atrocités sans nom, l'armée de l'aventurier et son chef se réfugièrent en Roumanie, sous la protection des boyards.
Alors, les forces anarchistes se dispersèrent. Il n'en subsista que quelques petits groupes presque insignifiants. Par exemple, dans l'Ukraine soviétique, les anarchistes poussèrent les boulangers à la grève en leur faisant revendiquer 9 livres de pain alors que les autres ouvriers n'avaient droit qu'à une livre. Ainsi, les anarchistes poursuivirent leur œuvre de désorganisation de l'Etat ouvrier en flattant chez les travailleurs les plus arriérés, enfermés dans l'horizon corporatif le plus étroit, les instincts les plus vils et les plus démagogiques.
L'histoire de la Révolution russe montre clairement que l'anarchie, doctrine vague et sans base concrète s'appuyant solidement sur le réel, peut bien être une force capable de concourir à la destruction du pouvoir bourgeois ; mais ne saurait être une force capable de concourir à la construction révolutionnaire d'une économie communiste.
L'impuissance de l'anarchie à se saisir du réel pour le transformer, est susceptible de mener les anarchistes à s'égarer dans les pires déviations et de faire d'eux les agents parfois conscients, parfois inconscients de la contre-révolution. Autour de l'anarchie, se réclamant d'elle, souvent sans être désavoués par elle, se groupent les éléments les plus louches qui sous le couvert de la lutte contre tout pouvoir et contre toute dictature, cherchent en réalité à établir la dictature régressive des appétits personnels et des instincts les plus grossiers de la nature humaine.
Mais l'expérience de la Révolution russe a démontré aussi que plus un parti communiste est agissant et vigoureusement révolutionnaire, et plus il a de chances d'entraîner les éléments anarchistes les plus sains et les plus sincères. Les uns continuent à caresser leur chimère et à croire à la possibilité de passer directement du régime capitaliste au communisme libertaire. Ceux-là font une opposition loyale au régime des Soviets et à la dictature du prolétariat. Aucun de ceux-là n'est brimé dans la République des Soviets de Russie. D'autres, sans abandonner leur idéal, comprennent que le chemin le plus court et le seul praticable qui mène au communisme libertaire passe nécessairement à travers toutes les résistances bourgeoises nationales et internationales, par la dictature du prolétariat et par le communisme autoritaire de la Troisième et Glorieuse Internationale.
Et parmi ceux-là, j'en connais, qui non seulement avec loyauté, mais aussi de toute leur intelligence, de tout leur cœur, de toute leur âme et de toute leur vie, rendent les plus éminents services à la cause de la Révolution mondiale.
Que ceux-ci nous fassent pardonner et oublier les erreurs, les fautes et les crimes des autres.