Source : Bulletin communiste n° 13 (troisième année), 30 mars 1922. |
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Le Parti communiste français, quoi qu'en disent les sots et les malins, prend au sérieux son adhésion solennelle à la IIIe Internationale. Pour tout homme de bonne foi, il était clair que les conditions posées par la IIIe Internationale — Internationale fondée surtout par la section qui fait, sur une échelle grandiose, la première révolution sociale communiste — n'avaient qu'un seul but : remplacer la niaiserie électorale et l'illusion réformiste par la propagande communiste et par la préparation révolutionnaire. Le texte des fameuses « 21 » ne fut que le moyen de mettre en déroute tous les socialistes de guerre — passée et à venir — tous les faibles, tous les hésitants.
Ce but fut atteint. Tous ceux qui hésitaient entre la lutte de classes menée jusqu'au bout et la collaboration avec les anciens et futurs ministres de la bourgeoisie nous quittèrent. Depuis, ils n'ont pas cessé de faire des progrès — à reculons. M. Léon Blum, par exemple, ne parle plus de la dictature : le réformisme lui suffit. Il construit — dans son imagination de lettré bourgeois — des « fondations » de la Cité future dans le « gouffre » de la société actuelle, financièrement et économiquement effondrée. Son château de cartes réformiste est aussi solide que sa doctrine construite avec quelques débris du jauréssisme, le génie et la flamme de Jaurès en moins. Les autres n'ont pas cessé de pleurer l'unité perdue — par leur faute — et prennent leur crise de larmes pour une crise du mouvement socialiste en France. D'autres encore ont fait pis. Ils attaquent ouvertement et cyniquement, à la Grumbach, la révolution russe.
Pendant ce temps, le Parti communiste continue sa marche vers la révolution. Il n'a pas cessé de parcourir le pays dans tous les sens, en portant partout la bonne parole communiste et révolutionnaire. Il entretient des relations permanentes et vivantes avec Moscou, le foyer de la révolution mondiale. Il forge peu à peu, par ses écoles et ses éditions, tout un arsenal d'armes révolutionnaires. Il prépare toute une bibliothèque de propagande communiste.
L'Humanité, devenue organe de lutte ouvrière et communiste, réédite l'œuvre de Jaurès sur la Révolution française, où le grand tribun fait une adhésion solennelle et motivée à la doctrine marxiste, et tente, malgré quelques survivances du « mystique Michelet », pour la première en France, une interprétation économique systématique de la Grande Epoque. Il ne fut devancé, dans ce travail nécessaire, que par deux Russes — n'oublions pas que la première traduction du Capital, de Karl Marx, avait été, en 1872, une traduction russe — auxquels Jaurès lui-même rend hommage : Boris Minzès et le professeur Loutchitchky. Nous y reviendrons, un jour.
En même temps, l'organe central du Parti communiste réédite le Manifeste Communiste en attendant la réédition du Capital, de Marx. Le Manifeste de Karl Marx et de Fr. Engels — on peut le dire sans exagérer — est un livre unique dans la littérature mondiale. En quelques dizaines de pages, il concentre une immensité d'idées et résume un monde de faits. C'est en même temps un livre de combat, un pamphlet formidable, un engin terrible — engin à retardement d'une précision d'horlogerie toute scientifique — jeté en plein édifice capitaliste qui s'écroulera un jour sous les coups mathématiquement prévus.
Ce petit livre passé inaperçu pour le grand public au moment de sa parution (1848) et devenu le Manuel de la Révolution prolétarienne et communiste, contient toute une philosophie de l'histoire.
Tous les historiens, jusqu'à Marx, considéraient l'histoire selon la maxime de Carlyle, comme « une biographie des grands hommes ».
Les quelques tentatives dans le passé lointain (l'Arabe Ibn-Khaldun) et même celles de Saint-Simon furent ou totalement oubliées, ou complètement négligées. Même ceux qui parlaient, comme Guizot dans son ouvrage sur la Monarchie (vers 1820) de classes sociales, n'avaient pas le courage de regarder en face la lutte des classes jusqu'à nos jours, avec toutes ses conséquences théoriques et pratiques. La lutte des classes est, pour la bourgeoisie, ses théoriciens et ses historiens, comme la Révolution : elle vaut un peu pour le passé, mais rien du tout pour le présent. Un historien connu, M. Aulard, accorde, en faisant la grimace, son hommage à la révolution du 18e siècle, mais recule avec horreur devant les révolutions en cours. Il faut que la lave révolutionnaire se pétrifie pour que ces historiens en papier mâché osent la toucher...
Marx, seul, donne vie et mouvement à l'histoire qui continue. Il dévoile le fond du mouvement historique que les tartufes idéalistes de toutes les époques et de tous les pays « ne sauraient voir ». Il arrache les masques à toutes les idéologies menteuses, à toutes les « vérités éternelles » : Liberté, Vérité, Justice et autres « grues métaphysiques », comme disait Lafargue. Il enlève violemment ces oripeaux éphémères derrière lesquels se cachent des intérêts on ne peut plus prosaïques. Marx est l'ennemi-né des phraseurs, des idéologues menteurs ou illusionnistes. Et les phraseurs ont raison de le détester. Car il leur a porté — et portera — un coup mortel : on a les amis — et les ennemis ! — que l'on mérite.
Ce fut un spectacle délicieux. Tout un Olympe d'idoles et de fausses divinités s'écroula. Des bibliothèques entières avec leur fatras idéologique, avec leur verbalisme insupportable et vide apparaissaient sous leur vrai jour : des mots, des mots, des mots ! On aurait dit une princesse, avec un corps maigre et laid, avec les dessous sales, déshabillée sur la place publique et apparaissant dans sa nudité repoussante.
Capitaliste, tu parles de Liberté avec un L majuscule. C'est à la liberté d'exploitation prolétarienne que tu penses. Ta liberté, c'est la liberté du commerce et du vol. C'est la liberté capitaliste !
Philosophe, tu parles de la vérité scientifique. Et tu déclares en même temps que le régime capitaliste — l'exploitation et le massacre de l'homme par l'homme — est éternel. Ta théorie évolutionniste, ta doctrine de transformation illimitée s'arrête au seuil de ta banque, de l'usine capitaliste, de l'Etat bourgeois. Nouveau Josué, tu arrêtes le soleil de l'histoire à la porte de ta boutique : on ne passe pas plus loin que ton intérêt, d'ailleurs mal compris, l'exige.
Justice ! Proudhon en écrit de quoi remplir quelques rayons de bibliothèque. Avec quelques coups d'épingle le petit Manifeste, tel David contre Goliath, a fait crever le ballon gonflé de mots, de mots, de mots. Aujourd'hui, nous rendons justice à là valeur personnelle de Proudhon, mais sa méthode, sa doctrine sont mortes.
Les hommes, pour vivre, ont besoin de produire. Pour produire, il faut des instruments de travail. Ceux qui possèdent les instruments — sources de toute vie : sol, sous-sol, machines — « possèdent » la société et façonnent à leur image : justice, vérité, liberté, égalité, fraternité, etc., etc.
Ces vérités sont « éternelles » parce que les hommes — jusqu'ici ! — en sont « éternellement » dupes. Elles ne deviendront réalités qu'avec le régime communiste, en attendant l'étape suivante de l'humanité.
La guerre ! La paix ! Vérités éternelles ? Jamais ! La guerre des classes est sacrée. La guerre impérialiste est maudite. Car la guerre des classes, c'est la véritable dernière guerre. En supprimant la société de classes, elle en supprime la cause et établit la paix entre les producteurs qui n'ont plus d'intérêt à se détruire mutuellement. La guerre capitaliste, au contraire, engendre la guerre. Nous sommes contre le pacifisme bourgeois parce que nous sommes contre la phrase vide et grandiloquente, pour la réalité ; contre le mot, pour la chose. Ce n'est pas la paix que nous combattons — elle est la condition de la vie et de la production sociales — mais les phraseurs pacifistes, les pacifistes de tout repos qui se transforment en un clin d'œil le jour de la mobilisation en bellicistes enragés.
Le Manifeste Communiste, c'est la dynamite qui fera sauter tous les discoureurs en l'air, tous les bavards incorrigibles qui fabriquent des systèmes avec le vide de leur idéologie verbale. En France, comme ailleurs, plus qu'ailleurs, nous en souffrons jusqu'à en mourir. Voilà pourquoi le Manifeste Communiste est une œuvre de haute actualité qu'il faut lire et faire lire, méditer et faire méditer.
Le Manifeste — pourquoi est-ce Dunois et non « le petit-fils » dissident qui l'a annoté ? — contient encore : 1° Une économie sociale ; 2° Une politique de classe ; 3° Un programme révolutionnaire ; 4° Une critique impitoyable de la littérature socialiste de l'époque. Tant de choses dans un seul petit livre : c'est — soit dit en passant — une protestation par le fait contre la verbomanie. Nous en reparlerons.