1920 |
Source : L’Humanité, 4 novembre 1920. |
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Pour la III° Internationale
Il faut savoir gré à Léon Blum : il cherche à élever le débat. De ce qu’il a écrit et surtout de ce qu’il promet de nous dire, il résulte avec évidence qu’on n’ergotera plus sur « les textes » mais que la discussion sera portée sur les sommets d’où s’ouvrent des horizons nouveaux.
En effet, il ne sert à rien d’envisager « les conditions » (peu importe leur nombre !), isolément ; il faut les étudier dans leurs rapports avec les principes vitaux de la doctrine et de la tactique du socialisme international. Cela ne suffit pas. Il faut encore regarder en face les problèmes angoissants de notre époque. Les « conditions » ne sont pas tombées du ciel. La III° Internationale se distingue des peuples heureux, qui dit-on, n’ont pas d’histoire. L’Internationale communiste en a une, et très douloureuse. Il faut connaître cette histoire pour la comprendre et pour savoir si ses postulats-conditions sont justes et nécessaires. Ce qui nous sépare des « reconstructeurs à droite» (Paul Faure, Pressemane, Léon Blum et leurs amis) n’est pas seulement l’appréciation des conditions de Moscou. En voici une preuve irréfutable.
Au congrès de Strasbourg, avant même la naissance des conditions, Paul Faure avait déclaré que plus il nous écoute, et plus il voit « qu’un abîme nous sépare, le sépare de nous ». Donc, il ne s’agit pas de conditions, mais des questions de principe qui ont creusé cet « abîme ».
Quelles sont donc ces conditions de principes et de tactique ? Les mêmes qui ont présidé à la naissance de l’Internationale Communiste.
C’est tout d’abord la lutte contre le réformisme. Léon Blum affirme que le réformisme est mort depuis quinze ans. Ici, il commet involontairement deux inexactitudes : 1) le réformisme n’est pas mort ; 2) la date de sa mort – pour certains – n’est pas exacte. Comme l’a déclaré Martov à Halle : « c’est la guerre qui a tué le réformisme ».
Le réformisme n’est pas mort. En le tuant, Blum enterre la grande majorité de ses collègues parlementaires. Varenne en tête. Blum, lui-même, est un réformiste sui generis. Car il voit la possibilité de préparer la révolution par des réformes dans les cadres du régime capitaliste. Il n’y a pas une question à l’ordre du jour où la conception révolutionnaire ne se heurte pas à la conception réformiste. Les réformes envisagent la possibilité, malgré la guerre, des conquêtes immédiates. La force du Parti socialiste se mesure pour eux par celle de la pression qu’il est susceptible de produire sur l’Etat capitaliste en lui arrachant, lambeau par lambeau, des améliorations, des concessions. Ainsi, la révolution se fait tous les jours. Et la société capitaliste se livre, telle une femme légère, en détail pour finir par la capitulation totale, absolue. Mon cher Blum, demandez à notre ami commun, Paul-Boncour, si je me trompe sur la définition du réformisme.
Telle n’est pas la conception révolutionnaire. Déjà, avant la guerre, nous n’avons jamais cessé de répéter que nous n’attendons rien de bon de la société capitaliste condamnée à enlever d’une main ce qu’elle nous offre de l’autre. Au risque de ressasser les mêmes vérités, nous n’avons jamais cessé de clamer au prolétariat que la paix armée et le militarisme, organiquement liés au régime, rendent illusoires les réformes arrachées aux classes dominantes ;
La guerre est venue pour donner à cette vérité une confirmation tellement éclatante que le réformisme devient un véritable défi au bon sens et à la réalité de tous les jours. Si le réformisme n’était qu’une illusion, on aurait pu encore le respecter tout en le combattant. Car l’illusion est la nourriture quotidienne des âmes généreuses, bien que candides. Il y a dans tous les partis de « nobles candeurs ». Mais le réformisme est quelque chose de pire : c’est un appât à l’aide duquel les classes dominantes ont enlevé au prolétariat d’innombrables valeurs, presque la totalité des chefs de la II° Internationale, devenus ministres, présidents de conseils ou hauts fonctionnaires.
L’Internationale Communiste c’est la guerre aux illusions et à la déviation réformistes. Le bolchevisme, qui n’est pas toute l’Internationale communiste, mais qui en est le parrain glorieux, est né, au début de ce siècle, dans la lutte contre le réformisme. Dans les travaux de cette époque et dans l’Iskra où collaboraient aussi Plekhanov et Martov, Lénine combat violemment le Bernsteinisme et le corporatisme réformiste. On sait que Bernstein, avec la probité intellectuelle qui le caractérise, livra lui-même le secret de sa doctrine en proclamant : « le mouvement est tout, le but final n’est rien ». Autrement dit, « le réformisme est tout, le socialisme n’est rien ».
Depuis la guerre, la lutte contre le réformisme est une question vitale pour le prolétariat. Car, pour ceux qui connaissent le mouvement international, il est clair comme le jour que le socialisme et le syndicalisme de guerre sont entrés par la porte réformiste. L’ «Union sacrée », c’est la collaboration des classes en temps de guerre. Et il n’y a pas de réformisme sans collaboration des classes.
Une des idées fondamentales de l’Internationale communiste, c’est la nécessité de détruire, coûte que coûte, le sophisme réformiste qui barre la route à la préparation révolutionnaire des masses. Le réformisme, c’est le vote de confiance au régime existant. Un révolutionnaire n’a que de la méfiance pour la société capitaliste.
Pour éviter tout malentendu, les révolutionnaires ont toujours déclaré qu’ils ne repoussent pas des améliorations partielles. Mais demandez à n’importe quel prisonnier de la Santé, devenue notre principale institution nationale, si, dans le cas du régime de droit commun, il ne réclame pas le droit politique, qui est une amélioration, une réforme. Mais si, à ce prix, on voulait le maintenir en prison à perpétuité, il la trouverait mauvaise. Nous non plus, nous ne voulons pas qu’on maintienne le prolétariat, au prix de « réformes » dans la prison capitaliste.
Il y a d’autres problèmes qui sont à la base des « conditions ».
P.S. : Léon Blum, dans son article de dimanche, prétend que dans la période électorale, j’aurais déclaré les méthodes bolchevistes inapplicables en France. Que Blum me permette de lui dire, que sous cette forme, la chose est inexacte. J’ai fait certaines réserves (comme sur la liberté de la presse), dans toute ma campagne, j’opposais au système parlementaire actuel, qui « dépouille » l’électeur de son indépendance, le système des soviets qui, en temps normal, est le gouvernement du peuple par le peuple. Des milliers de mes auditeurs sont autant de témoins. Ceux qui ne voudraient pas me croire sur parole n’ont qu’à consulter la collection du Journal du Peuple et lire mon article : le miracle bolchevik, publié par moi en pleine période électorale.