1919

Source : num�ro 19/20 du Bulletin communiste (premi�re ann�e), 22 juillet 1920.


Le mouvement communiste isra�lite

Mois�i Raf�s


Format MS Word/RTF Format Acrobat/PDFT�l�chargement
Cliquer sur le format de contenu d�sir�

I

La r�volution d'octobre 1917 n'a pas entra�n� dans son torrent le mouvement ouvrier isra�lite qui poss�dait son organisation autonome. Dans des centres comme Kiev, Odessa, les masses ouvri�res isra�lites qui s'�taient toujours trouv�es sous l'influence du mouvement g�n�ral du prol�tariat russe furent pr�cipit�es dans le courant bolchevique. Mais ce fait n'eut pas de r�percussion sur l'action politique des groupes socialistes isra�lites, qui continu�rent leur lutte opini�tre contre les � utopies ï¿½ et la � d�magogie ï¿½ bolcheviques.

C'est le Bund, la plus ancienne organisation r�volutionnaire juive qui, naturellement, donnait le ton � tous les autres groupes socialistes. Le Bund a dans son pass� � et notamment de 1905 � 1906 � des p�riodes marqu�es d'une tendance au bolchevisme de cette �poque ; mais d�s 1907-1908, ses leaders donnaient un coup de barre � droite, pour se rapprocher de plus en plus des � liquidateurs ï¿½ du parti social-d�mocrate russe. Depuis 1912, le Bund se trouvait en tant qu'organisation en relations �troites avec les mencheviks, relations qui subsist�rent jusqu'au moment de la R�volution allemande. L'attitude qu'il eut envers la guerre, dans les ann�es qui pr�c�d�rent la R�volution, fut celle que manifesta toute l'Internationale. Deux courants se partag�rent le Bund ; l'un � d�fensiste ï¿½, l'autre dit � internationaliste ï¿½. Le � d�fensisme ï¿½ l'emporta et d�s les premiers jours de la r�volution de f�vrier cette tendance absorba toute l'id�ologie du Bund. Avec les mencheviks, le parti soutint le gouvernement de coalition et sa politique guerri�re. Mais l'insucc�s de l'offensive de K�rensky et les �v�nements de juillet rompirent l'�quilibre des deux courants au sein du Bund : les id�es du � d�fensisme ï¿½ et de la � coalition avec la bourgeoisie ï¿½ mises en �chec par les internationalistes qui l'emportent dans le Parti, font place � une tactique nouvelle : bloc avec la petite bourgeoisie urbaine et rurale, mais continuation de la lutte contre le bolchevisme.

Telle �tait au fond l'attitude des deux autres groupes nationaux-socialistes isra�lites au moment de la r�volution d'octobre. Le � Parti ouvrier socialiste unifi� isra�lite ï¿½ (S. S. et S. I.) avait �t� constitu� en mars 1917 avec les d�bris des deux groupes qui avaient pass� inaper�us pendant la premi�re r�volution : les � Sionistes-Socialistes ï¿½ et les � Socialistes Isra�lites ï¿½ (S�imovtzy, Sernvotzy). Ce Parti acquit une importance assez rapide par le fait que les masses isra�lites furent entra�n�es dans le mouvement r�volutionnaire, notamment en Ukraine, o� les traditions du Bund avaient toujours �t� moins fortes. Son mot d'ordre principal fut la revendication de � l'autonomie nationale personnelle ï¿½ pour les Juifs, autonomie tr�s large, qui devait donner aux masses isra�lites la possibilit� de r�gler de fa�on ind�pendante leurs besoins intellectuels et moraux, leur genre de vie et leurs n�cessit�s �conomiques et sociales. Cette revendication contribua vivement � mettre en mouvement les masses de la petite bourgeoisie isra�lite, mais quand la vague r�volutionnaire d�ferla, ce mot d'ordre fut largement exploit� par la ploutocratie et les cl�ricaux isra�lites qui l'utilis�rent pour consolider leur ancienne influence sur la petite bourgeoisie isra�lite.

Le Parti � Poalei Sion ï¿½ lors de la seconde r�volution russe abandonna sa propagande active en faveur de la remise de la Palestine aux Juifs, et, de m�me que les � Unifi�s ï¿½, mena une propagande r�volutionnaire plus ou moins radicale. Mais l'id�ologie sioniste du � Poalei Sion ï¿½ le pr�serva, semble-t-il, de l'engouement du � d�fensisme ï¿½ : leur nationalisme ne consistait pas dans la d�fense du pays, du syst�me �tatiste national des peuples � ï¿½trangers ï¿½, mais convoitait � leur ï¿½ patrie sioniste. Cette � exterritorialit� ï¿½, si l'on peut s'exprimer ainsi, du Poalei-Sionisme le rendit plus accessible aux tendances bolchevistes : il n'avait pas � se d�tacher des traditions de la Seconde Internationale pour la simple raison qu'il n'y avait jamais adh�r� ni par son id�ologie ni par son organisation.

Les traditions de la Seconde Internationale ont jou� un triste r�le dans l'affranchissement du prol�tariat mondial. Elles ont jou� le m�me r�le dans le mouvement isra�lite ouvrier. La discipline, la coh�sion, l'organisation, tout ce qui avait donn� au Bund pendant la premi�re r�volution le droit de s'intituler � l'avant-garde de la r�volution russe ï¿½ se retourna en octobre 1917 contre le prol�tariat : le Bund retarda le processus naturel de dissociation dans le mouvement r�volutionnaire isra�lite. Le Bund dirigea toute l'�nergie de sa propagande contre la r�volution socialiste, contre la dictature du prol�tariat, en s'effor�ant de concilier la classe ouvri�re et la petite bourgeoisie sur le terrain des vieilles id�es de d�mocratie bourgeoise, telles que l'Assembl�e Constituante et l'autonomie nationale. Lors des journ�es d'octobre, le Bund d�fendit l'id�e de la coalition de tous les groupes socialistes. Quand ce � vikj�lisme ï¿½1 n'eut aboutit � rien, il ne restait plus au Bund qu'une chose � faire : croire � la chute prochaine du bolchevisme et y contribuer par sa propagande. C'est ce que firent les � Unifi�s ï¿½ et les � Poalei Sion ï¿½. En plusieurs endroits de la Russie Sovi�tiste, certains groupes du � Poalei Sion ï¿½ adopt�rent la plateforme du pouvoir des Soviets, mais sans que cette adh�sion f�t d'eux des communistes ni se r�percut�t sur leur id�ologie nationaliste g�n�rale.

Sans scission dans les rangs des vieux groupes socialistes isra�lites, surtout dans le Bund, il ne pouvait �tre question d'un mouvement communiste profond parmi les ouvriers juifs. Sous l'influence du mouvement environnant, un certain nombre d'ouvriers juifs quitt�rent les groupes socialistes isra�lites de droite et entr�rent au Parti Communiste. Ces pionniers du mouvement communiste isra�lite cr��rent � l'int�rieur du Parti Communiste russe des petits groupements appel�s sections isra�lites du Parti C.R. Mais ces sections ne pouvaient avoir � cette �poque une bien grande influence sur le mouvement ouvrier isra�liste d'autant moins qu'elles �taient cr��es principalement en Russie Centrale, loin de l'Oural et du Sud o� se trouvent concentr�es les populations ouvri�res isra�lites. Ces pionniers se charg�rent des fonctions de commissaires isra�lites. Ces derniers avaient pour mission de transformer la vie isra�lite en lui donnant de nouvelles bases conformes aux exigences de l'�poque de la r�volution socialiste. Pour les raisons m�mes que nous avons d�j� cit�es, l'influence des commissaires isra�lites ne pouvait pas �tre tr�s grande, car la masse des ouvriers juifs organis�s restait encore en dehors du mouvement communiste.

La Lituanie et la Pologne se sent trouv�es constamment s�par�es de la Russie sovi�tiste. En Bi�lorussie, la vie politique n'a jamais �t� tr�s intense. En Ukraine la situation politique �tait toute diff�rente. La r�volution du 25 octobre, qui, � Petrograd, renversait le gouvernement de coalition eut pour premier r�sultat la victoire de la Rada Centrale ukrainienne, fameuse par son nationalisme, mais apr�s quatre mois de guerre civile aboutissait � l'instauration du pouvoir des Soviets. Dans cette guerre civile, les groupes socialistes isra�lites se trouv�rent de l'autre cot� de la barricade dans le camp de la Rada Centrale petite bourgeoisie. Cette situation �tait � la fois la cons�quence de leur attitude politique g�n�rale (ils ne croyaient pas � la possibilit� du socialisme et �taient partisans du bloc avec la petite bourgeoisie), et le r�sultat de leur attitude nationaliste. Par suite d'un accord entre les socialistes petits bourgeois ukrainiens et isra�lites se trouva r�alis� en Ukraine le vieux r�ve des socialistes juifs : une large autonomie nationale isra�lite avec un minist�re isra�lite sp�cial, des communes administratives isra�lites et, en perspective, l'assembl�e nationale isra�lite. Ici la � d�mocratie ï¿½ pouvait chanter victoire. Les bolcheviks troubl�rent cette paisible idylle petite bourgeoise ; aux yeux des socialistes de droite, c'�tait un argument de plus contre la dictature du prol�tariat. Les socialistes isra�lites si�g�rent donc � la Rada Centrale, re�urent des portefeuilles minist�riels et assum�rent la responsabilit� de toute cette politique de la Rada, qui ne visait pas moins que la destruction du mouvement prol�tarien.

D�s janvier 1918, il y eut de fortes d�sillusions. On vit que la � d�mocratie ï¿½ ukrainienne tant vant�e se r�v�lait chauvine et m�me antis�mite. De petits pogroms avaient d�j� eu lieu en novembre 1917. La proclamation de l'ind�pendance ukrainienne (samostinost) avait abouti � une rupture avec la r�volution russe et subordonnait l'Ukraine � l'imp�rialisme allemand. L'id�ologie r�actionnaire l'emportait. En m�me temps, la fameuse autonomie isra�lite � d�mocratique ï¿½ d�cevait les esp�rances fond�es en elle. Dans l'immense majorit� des cas les �lections mirent les communes ssra�lites entre les mains de la ploutocratie et des cl�ricaux isra�lites. Comme on le voit l'alliance des d�mocraties isra�lite et ukrainienne re�ut un choc d�s janvier 1918, mais ce fait, loin de pousser les socialistes isra�lites � gauche, ne fit qu'engendrer parmi eux l'apathie et le scepticisme, ils continu�rent donc � lutter contre le bolchevisme pendant l'�poque �ph�m�re de l'instauration du pouvoir des soviets ; ils prolong�rent cette lutte m�me apr�s la d�faite de ce pouvoir par l'arm�e d'occupation allemande, et ne la cess�rent qu'avec la r�volution en Allemagne.

II

La Lituanie et la Pologne � berceau du mouvement ouvrier Isra�lite � se sont trouv�es, d�s le d�but de la guerre europ�enne sous le joug du militarisme allemand qui occupa ces r�gions. Les ouvriers juifs de ces pays se trouv�rent s�par�s de la Russie et ne v�curent directement, ni les violentes chutes, ni les d�sillusions de la premi�re r�volution bourgeoise, ni la r�volution d'octobre qui fut le pr�texte d'une lutte violente des diff�rents courants politiques. Mais, par contre, ils n'ont pas �t� atteints par les illusions d�fensistes, par les id�es nationalistes, qui s'empar�rent des mencheviks et de la section russe du Bund.

La paix de Brest � fruit de la victoire temporaire de l'imp�rialisme allemand � eut pour r�sultat l'accroissement du territoire d'occupation allemande. En avril 1918, tout l'ouest et le sud de l'ancien Empire russe, toute la r�gion que les Juifs �taient autoris�s � habiter sous l'Empire, avec sa nombreuse population ouvri�re isra�lite �tait occup�e par les troupes allemandes. La Russie sortit de la guerre mondiale. Les id�es du � d�fensisme ï¿½ �taient alors depuis longtemps abandonn�es par le mouvement ouvrier isra�lite. Au d�but la modification brusque de la situation politique (des libert�s de la r�volution russe aux beaut�s du r�gime des junkers prussiens) provoque la d�sillusion, l'apathie et l'indiff�rence politique dans les masses prol�tariennes isra�lites. Mais cet �tat d'esprit est de courte dur�e. L'occupation allemande contribue � dissiper rapidement ce qu'il y a de born�, de pr�jug� national dans la conception mench�vique sur le cours de la r�volution russe. Frapp�e par la d�faite de la r�volution russe, la pens�e politique se porte involontairement, � la suite des bolcheviks, sur l'ouest et cherche dans la r�volution europ�enne, dans la r�volution allemande, le moyen d'�chapper � l'occupation allemande, au militarisme allemand. Le sort des ouvriers juifs s'est trouv�, apr�s la paix de Brest, li� pour ainsi dire directement � celui du prol�tariat allemand.

La section prol�tarienne de la d�mocratie socialiste mench�vique et du Bund professait un profond scepticisme envers la r�volution socialiste commenc�e en Russie, dans le pays le plus arri�r� de l'Europe. Mais si la r�volution �clate en Allemagne, si dans ce pays le prol�tariat s'empare du pouvoir, alors m�me pour les plus grands sceptiques envers le socialisme, le programme du bolchevisme devra cesser d'�tre une utopie ; il deviendra un � imp�ratif cat�gorique g�n�ral ï¿½ pour tout socialiste v�ritable, �lev� � l'�cole marxiste, r�volutionnaire d'avant la guerre. Surtout, si cette r�volution �clate dans cette Allemagne, dont l'Internationale ouvri�re a toujours tant attendu, o� l'organisation et le niveau de conscience du prol�tariat pouvaient servir de mod�le � toute la social-d�mocratie, et dont les th�oriciens ont �t� pendant longtemps les leaders de l'Internationale tout enti�re.

Cela explique suffisamment pourquoi la r�volution allemande produisit une impression si forte, si formidable m�me sur l'esprit des ouvriers isra�lites organis�s. Novembre 1918 marque le d�but d'une r�vision compl�te de leur id�ologie. Le menchevisme orthodoxe est abandonn� tout � fait, et voit se d�tourner de lui toute la tendance r�volutionnaire du Bund et des autres partis socialistes. La R�volution allemande trace au sein de ces partis la ligne de d�marcation que la r�volution d'octobre a trac�e pour la Russie enti�re ; � droite, tous les �l�ments petits-bourgeois, tout ce que la petite bourgeoisie isra�lite a apport� au mouvement ouvrier en y adh�rant ; � gauche, les �l�ments vraiment r�volutionnaires, pour qui le socialisme n'est pas seulement une belle th�orie mais un organisme solide de lutte de classe. Ces �l�ments r�volutionnaires continueront longtemps � discuter entre eux sur les m�thodes de la r�volution sociale, s'accrocheront longtemps encore aux �paves de l'id�ologie r�formiste ant�rieure, mais ils devront venir t�t ou tard au bolchevisme, qui est l'unique forme possible de lutte pour la victoire du prol�tariat.

Cette �volution interne et cette lutte durent depuis un an dans les rangs du Bund en Bi�lorussie ; elle se d�roule avec la m�me lenteur en Lituanie et en Pologne. Mais en Ukraine, par suite des conditions sp�ciales du d�veloppement du mouvement dans ce pays, ce processus d'adh�sion � la plateforme communiste s'effectue avec une rapidit� toute r�volutionnaire. On peut dire des socialistes isra�lites ukrainiens qu'ils ont chang� de tactique en 24 heures. Au d�but de f�vrier 1919, l'organisation communiste des ouvriers juifs avait presque d�finitivement pris corps. C'est un r�sultat de la seconde r�volution ukrainienne et qui se produisit apr�s les premiers coups de la r�volution allemande. Ce moment retiendra un peu plus de noire attention.

Nous avons signal� plus haut le lien �troit qui s'�tait �tabli pendant la premi�re ann�e de la r�volution entre les socialistes isra�lites d'Ukraine et la Rada Centrale Ukrainienne. Les socialistes isra�lites soutenaient le mouvement nationaliste ukrainien, et luttaient avec lui contre le mouvement bolchevique r�volutionnaire des ouvriers et des paysans. Nous avons vu les d�sillusions caus�es par la d�mocratie petite-bourgeoise ukrainienne aux socialistes isra�lites dans la p�riode qui suivit quand commen�a � se r�v�ler, si inexactement pour eux aussi, la physionomie nationaliste et r�actionnaire de la Rada petite-bourgeoise, tendant � se s�parer de la Russie r�volutionnaire et s'effor�ant, � l'int�rieur du pays, � ukraniser tout par la force. D�j�, � cette �poque on pouvait apercevoir le fil antis�mite de ce mouvement. La Rada Centrale fut renvers�e en mai 1918 par les ba�onnettes allemandes qu'elle avait elle-m�me appel�es en Ukraine pour combattre le mouvement populaire dirig�e contre elle. Le r�gime du Hetman lui succ�da.

En novembre 1918, les membres de l'ancienne Rada Centrale, organis�s en Alliance Nationale Ukrainienne levaient l'�tendard de la r�volte contre le Hetman au nom de l'ind�pendance ukrainienne. Le mouvement �tait dirig� par le Directoire Ukrainien avec son pr�sident Vinnitchenko et le commandant de l'arm�e Petlioura. Le mouvement r�ussit gr�ce � l'appui que lui accord�rent les nombreux groupements insurrectionnels communistes et socialistes r�volutionnaires ukrainiens. Le 14 d�cembre, le Directoire entre � Kiev � la t�te d'une forte arm�e r�volutionnaire. Mais la physionomie politique de ce gouvernement se fait de jour en jour plus claire. Les paysans et, en grand nombre, les ouvriers s'�taient soulev�s pour d�fendre leurs int�r�ts sociaux les plus l�gitimes, pour la terre et la libert�.

Mais les chefs du mouvement voulurent lui assigner des fins �troitement nationalistes. L'Alliance Nationale Ukrainienne et son directoire repr�sentaient politiquement les int�r�ts et les aspirations de la petite bourgeoisie des villes et des paysans riches. Ils visaient � �tablir le pouvoir ukrainien du paysan riche et c'est dans ce but qu'ils avaient pris comme mot d'ordre l'ind�pendance de l'Ukraine. Mais en m�me temps dans un but de d�magogie sociale toute l'id�ologie politique du Directoire avait �t� peinte en couleur bolchevique. On avait proclam� le pouvoir du peuple travailleur et sa dictature. On avait priv� des droits politiques la bourgeoisie et les propri�taires terriens, en tant qu'exploiteurs, responsables, en outre, d'avoir �tabli le r�gime de l'Hetman. En guise d'Assembl�e Constituante on avait �mis l'id�e d'un Congr�s du Peuple Travailleur et des repr�sentants des paysans, des ouvriers et des travailleurs intellectuels. Au point de vue national, cette formule n'�tait pas en opposition avec les int�r�ts de l'Alliance Nationale Ukrainienne, car elle �cartait de toute participation � la vie politique les �l�ments appartenant � d'autres nationalit�s (les propri�taires terriens russes et polonais, les capitalistes isra�lites, russes et �trangers).

En deux mois, le v�ritable fond des aspirations du Directoire apparut dans toute sa nettet�. Dans la lutte politique ardente qui se d�roulait alors en Ukraine, chaque groupe politique devait prendre une attitude nette, toute h�sitation n'�tait plus possible. Les socialistes isra�lites se montr�rent d�fiants � l'�gard du Directoire, et � chaque coup de barre donn� � droite par ce dernier tombait une illusion des anciens opportunistes, et poussait � gauche les �l�ments r�volutionnaires des partis socialistes isra�lites dans le camp des communistes qui luttaient contre le Directoire. On vit bient�t que les phrases sur la dictature prol�tarienne et paysanne n'�taient que des mots. Le Directoire entreprit la lutte contre les Soviets de d�put�s ouvriers et paysans en r�alisant la politique des droitiers du Congr�s Ukrainien et de l'ataman des tirailleurs galiciens Konovaletz. Le Directoire s'illustra bient�t par de violentes r�pressions contre les ouvriers et contre les paysans. Le Congr�s du Peuple Travailleur et les radas locales �taient form�s de fa�on � donner la pr�pond�rance au paysan riche. La � d�mocratie ï¿½ avait essay� de prendre un d�guisement bolchevique, mais �choua rapidement, sans avoir recul� devant l'organisation des pogroms de Jitomir et de Berditchev, quand ils pouvaient servir la lutte contre les Soviets. Plac� dans l'alternative de choisir entre l'alliance avec la Russie Sovi�tique r�volutionnaire et la vassalit� envers l'Entente, le Directoire choisit la seconde, et d�s le mois de janvier il avait remis au corps exp�ditionnaire fran�ais tous les chemins de fer ukrainiens. Les socialistes isra�lites s'�duquaient en peu de temps dans le feu de la lutte r�volutionnaire. En ce temps, le premier drame r�volutionnaire se jouait en Allemagne. Le mouvement spartakiste �tait �cras� et semblait convier tous les r�volutionnaires � achever l'�uvre commenc�e. Aux yeux des socialistes isra�lites, l'id�e de � d�mocratie ï¿½ avait fait doublement banqueroute : les couches petites-bourgeoises s'�taient dissoci�es et avaient rejoint tr�s vite le camp de la contre-r�volution (L'Alliance Nationale Ukrainienne et le Directoire), et l'id�e de la Constituante perdait d�finitivement tout cr�dit du fait qu'en Allemagne cette derni�re se trouvait aux mains de la bourgeoisie en d�pit de la pr�paration objective de ce pays pour le r�gime socialiste.

Vers la mi-janvier 1919, la majorit� du Bund et celle du � Parti Socialiste Isra�lite Unifi� ï¿½ se trouvaient d�j� sur la plateforme sovi�tiste, alli�es activement au Parti Communiste et participaient � la lutte arm�e pour le pouvoir des Soviets. Le 1er mars � la conf�rence Pan-Ukrainienne du Bund s'op�ra d�finitivement la scission dans l'organisation, scission qui s'�tait d�j� manifest�e au Congr�s des Travailleurs qui comprenait deux fractions du Bund : l'une qui se tenait sur la plate-forme sovi�tiste, et l'autre qui restait fid�le au parti social-d�mocrate mench�vique. Au cours de cette conf�rence, la majorit� changea l'ancienne d�nomination du parti, qui, apr�s la scission de l'aile droite s'intitula : Bund Communiste. Quinze jours plus tard, le Parti Socialiste Isra�lite Unifi� � la 3e Conf�rence de ce parti, prenait aussi le nom de � Parti communiste Isra�lite unifi� ï¿½. Quant au � Poalei-Sion ï¿½, une lutte sourde avait lieu � l'int�rieur du parti, mais ce groupe �tait politiquement d�sorganis� et d�moralis� par la participation de ses leaders au Directoire. L'id�ologie nationaliste sioniste unit la droite et la gauche de ce parti, et plus particuli�rement au moment o� les perspectives du sionisme par les promesses de l'Entente de donner la Palestine aux Juifs deviennent plus fermes. Ce n'est que plus tard, fin ao�t, � la conf�rence panrusse de Gomel, que ce parti se scinde. � c�t� de l'ancien � Parti ouvrier social-d�mocrate Isra�lite-Poalei Sion ï¿½ en surgit un autre, le � Parti Communiste Isra�lite-Poalei Sion ï¿½. Le processus de diff�renciation se produit lentement aussi au sein du Bund de Bi�lorussie. Mais l� �galement, � la conf�rence de Gomel de novembre 1919 la majorit� du Bund adh�re � la IIIe Internationale Communiste et d�cide d'entrer dans le Parti Communiste Russe. Selon les renseignements re�us de l'autre c�t� du front, la majorit� du Bund de Lituanie et de Pologne eut une attitude identique. La fusion avec le parti communiste est entrav�e ici par certaines divergences sur des questions de politique g�n�rale, et aussi par les opinions et pr�jug�s nationalistes qui n'ont pas encore disparu.

D�s la constitution des deux partis communistes isra�lites en Ukraine, s'est trouv�e pos�e pour ces deux groupes la question de l'unification du mouvement communiste isra�lite et celle de la fusion en un seul parti communiste. Malgr� la guerre civile qui rompt les rapports entre les villes, le processus de diff�renciation au sein des vieux partis socialistes isra�lites s'est produit de fa�on identique dans toutes les localit�s, et partout la majorit� s'engage sur une plateforme communiste. Les n�gociations relatives � la fusion des diff�rents partis sont men�es depuis le premier jour o� les id�es communistes ont p�n�tr� dans leur milieu. Il n'y a qu'une seule question sur laquelle il a fallu se mettre d'accord : la question nationale.

Pendant les deux ann�es de r�volution, un r�le consid�rable a �t� jou� par la formule de l'autonomie nationale personnelle, et l'on a vu tant�t s'adoucir tant�t s'approfondir les anciennes divergences entre le Bund avec son autonomie intellectuelle et morale et les Serpotvtzy qui revendiquent une large autonomie s'�tendant jusque dans le domaine des questions �conomiques et de la repr�sentation nationale. Dans la mesure o� ces deux partis se placent aujourd'hui au point de vue de la r�volution socialiste et agissent dans un pays o� domine le pouvoir des Soviets, le pouvoir du prol�tariat, la revendication de l'autonomie nationale n'a plus aucun sens. Auparavant elle devait servir de garantie contre l'oppression nationale et les assimilations par la force qui sont la caract�ristique du r�gime bourgeois. Mais l� o� le prol�tariat domine il n'y a plus d'oppressions ; une partie du prol�tariat ne peut pas exiger de garanties sp�ciales contre l'autre partie. La question est plac�e sur un autre plan : il faut faire en sorte que le m�canisme du pouvoir des soviets puisse satisfaire les besoins de tous les travailleurs appartenant � diverses nationalit�s. Maintenant leur point de vue ant�rieur � savoir que la notion de � nation ï¿½ est applicable entre autres au peuple juif, qui, dans son immense majorit�, parle une langue commune, les communistes Isra�lites se sont mis � la recherche de formes d'organisations ad hoc, aussi bien dans le domaine de l'organisation publique que dans celui de l'action du parti. Il a fallu combiner le principe de centralisation dans la direction politique avec la constitution d'un groupement national distinct, proche de la masse ouvri�re isra�lite. Ce fut la � section Isra�lite ï¿½ des divers commissariats ainsi que le Parti Communiste Russe.

Lorsque l'accord d'id�es eut �t� obtenue entre le Bund et les Unifi�s des conf�rences de parti furent convoqu�es simultan�ment et le 22 mai 1919 � la r�union conjointe de deux conf�rences fut fond�e une � Alliance Communiste Isra�lite ï¿½ unique, qui est devenue populaire sous l'abr�viation juive de Farband.

Le Farband a fonctionn� pendant trois mois comme organisation communiste isra�lite distincte. Il a fait para�tre pendant ce laps de temps 65 num�ros du journal isra�lite hebdomadaire Kommunistische Fon2, � Le Drapeau Communiste ï¿½, il a r�pandu en un grand nombre d'exemplaires, en langue juive, le manifeste de l'Internationale Communiste, le programme du Parti Communiste, adopt� au 8e Congr�s et d'autres documents communistes. Tous les membres de l'organisation ont �t� d�clar�s mobilis�s. Au moment de l'offensive de D�nikine, un groupe important de militants a �t� dirig� sur le front pour mener dans l'arm�e une action politique. Le Farband a mis � l'ordre du jour la dissolution des vestiges d'organisations isra�lites bourgeoises, telles que les communes, le secr�tariat national, qui �taient au pouvoir des sionistes et des cl�ricaux. L'orientation des sionistes par suite de la victoire de l'Entente, avec laquelle ils �taient en rapports r�guliers, et leur propagande pour la Palestine qui g�nait l'enr�lement des ouvriers dans l'Arm�e Rouge, et, d'une fa�on g�n�rale, la r�sistance oppos�e par les sionistes � l'�uvre gouvernementale des organismes sovi�tistes poussa le Farband � prendre l'initiative de mettre fin � l'action des sionistes et des cl�ricaux. Afin d'intensifier la mobilisation des ouvriers isra�lites dans l'Arm�e Rouge, il a �t� organis� aupr�s du Commissariat de la Guerre, � Kiev, une section isra�lite � Evvoensek ï¿½ qui a publi� un hebdomadaire l'Arm�e Rouge, et envoy� partout des propagandistes et des instructeurs. Aupr�s du Commissariat de l'Instruction Publique il existe une section sp�ciale pour l'�uvre scolaire et extra-scolaire en langue juive. Le Farband s'est charg� �galement de secourir les populations isra�lites victimes des pogroms (Section Centrale au Commissariat de l'Assurance Sociale).

Les victoires de D�nikine ont interrompu le cours de cette grande �uvre communiste cr�atrice. La veille m�me de l'�vacuation de Kiev, le Farband a �t�, conform�ment � la d�cision du Comit� Central du Parti Communiste Russe, inclus dans le parti en qualit� de Section Isra�lite3. Les militants �vacu�s d'Ukraine se sont dispers�s dans les villes de l'Ouest et y ont contribu� aux progr�s du mouvement communiste.

Pendant la semestre �coul�, le mouvement communiste isra�lite a �galement grandi dans ces r�gions. Les conf�rences de juin (� Moscou) et de novembre (conf�rence r�gionale � Vitebsk) ont constat� un revirement dans l'�tat d'esprit de la masse ouvri�re isra�lite et la rupture avec les partis opportunistes. Les � semaines du parti ï¿½ organis�es � Gomel et � Vitebsk ont amen� dans les rangs du Parti Communiste Russe des centaines d'ouvriers isra�lites. Un journal quotidien Der Stern (l'Etoile), para�t � Vitebsk, un autre Les Pauvres, para�t � Gomel. Le mouvement est dirig� par le C.B. � Moscou, qui publie une revue mensuelle Le Monde Communiste et aide le mouvement � l'�tranger (Pologne, Am�rique, Galicie).

M. RAFES. 4 d�cembre 1919.

Notes

1 La politique de coalition de tous les croupes socialistes �tait d�fendue surtout par l'organisation professionnelle et administrative des cheminots d'alors le Vikjel (Comit� Central Ex�cut� des Chemins de Fer). (Note du trad.)

2 A Odessa paraissait � la m�me �poque un journal hebdomadaire en langue juive : La Voix Communiste.

3 Ou Yevsektsia. (Note de la MIA)


Archives LenineArchives Internet des marxistes
Haut de la page Sommaire