1938 |
Article paru dans SIA (organe hebdomadaire de Solidarité Internationale Antifasciste [1]) du 10 novembre 1938. |
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Va-t-on laisser ressusciter l'Inquisition ?
L'affaire du P.O.U.M.
M. Pivert
Le P.O.U.M. est un parti marxiste espagnol créé par des militants communistes qui se sont séparés de la III° Internationale. Les accusés sont tous des révolutionnaires éprouvés, ayant rempli des fonctions dirigeantes dans le mouvement ouvrier et subi maintes fois la répression de la monarchie ou de la dictature Primo de Rivera. Tous étaient à leur poste de combat le 19 juillet 1936 lorsque les militaires factieux de la Péninsule se sont soulevés.
D'après l'acte d'accusation lui-même, la police de Madrid découvrit en juin 1937 chez un espion fasciste, l'architecte Javier-Fernandez Golfin, « un plan de Madrid millimétré qui devait être remis au camp factieux. Derrière ce plan on découvrit des inscriptions à l'encre sympathique en langage chiffré, interprété par l'Etat-major, parmi lesquelles la suivante : « Votre ordre sur l'infiltration de nos hommes dans les rangs extrémistes, anarchistes et du P.O.U.M. s'accomplit avec succès… exécutant vos ordres je fus moi-même à Barcelone pour rencontrer le membre dirigeant du P.O.U.M. « N ». « N » vous demande avec insistance, ainsi qu'aux amis étrangers, que ce soit moi qui sois désigné uniquement et exclusivement pour communiquer avec lui. »
L'acte d'accusation estime que « cet important document » a dû être écrit entre le 24 et le 28 avril 1937 et « PROUVE [»] [2] que le P.O.U.M. est « en intime contact avec les organisations fascistes de l'Espagne rebelle et également en relation directe avec les organisations internationales connues sous le dénominatif général de « trotskystes » et dont l'activité chez une déterminée puissance amie de la République espagnole met en relief qu'elles se trouvent au service du fascisme européen et asiatique. » (sic)
Enfin, le mystérieux « N » est plus ou moins ouvertement identifié à NIN, « inculpé arrêté à Barcelone le 16 juin 1937 lorsque fut découvert à Madrid le plan millimétré qui provoqua le procès actuel ». (sic)
En résumé, toutes les accusations articulées contre le P.O.U.M. proviennent de ce système d'explication : il y a des liaisons entre le P.O.U.M. et les fascistes ; la preuve : le document « N ».
En conséquence, les divergences politiques du P.O.U.M. avec les organisations staliniennes sur la conduite simultanée de la guerre et de la révolution sont le résultat de l'influence fasciste.
« Le P.O.U.M. attaque le parlement et préconise la dictature du prolétariat exercée par les ouvriers et les paysans, fascisme ![»] [2]
Il injurie et diffame la Russie soviétique : fascisme !
Il critique l'armée populaire : fascisme [!] [3]
Il publie de fausses nouvelles : fascisme !
Bref, il se comporte en toutes circonstances « comme les fascistes ».
Il distribue des « papillons fascistes ».
Il travaille avec les espions fascistes.
Il héberge des agents de la Gestapo.
Il abandonne le front et fraternise avec les fascistes…
Enfin, il provoque le [«]soulèvement insurrectionnel de mai 37 à Barcelone pour favoriser le fascisme[»].
Tels sont les points principaux de l'acte d'accusation et le système de déduction qui les a reliés entre eux ainsi qu'au document « N » qui constitue la clef de voûte de l'édifice.
Une étrange discrétion de la presse espagnole censurée et muette jusqu'au 25 octobre, un peu plus ouverte, mais bien modestement depuis cette date, nous prive des informations complète qu'aurait pu obtenir une publicité complète des débats.
Mais nous en savons assez aujourd'hui, (grâce surtout à « Solidaredad Obrera [4] » pour nous faire une opinion : La machination policière a raté son coup : L'affaire était assez habilement montée : On met tout sur le dos de NIN… après l'avoir assassiné… puis on raconte qu'il est enfin chez les fascistes ! Il n'est plus là pour se défendre et les documents, du moins en apparence, sont accablants !
Malheureusement, « a beau mentir qui vient de loin » le document « N » se révèle comme un faux grossier, la clef de voûte de l'édifice s'effondre : les experts en écriture ne peuvent pas affirmer que le texte incriminé est écrit par NIN. Les documents produits sont déclarés « n'avoir aucune valeur militaire » par l'Etat-major lui-même. Mieux, l'avocat démontre que le fameux plan millimétré a été pris chez Jolfin le 23 mars et qu'à ce moment-là il n'y avait rien d'écrit au dos.
Restent les conditions dans lesquelles NIN a disparu. Ici, l'accusation raconte que « une fois arrêté, Andres NIN fut transféré le 16 juillet 37 à une prison de Madrid et de là à un hôtel aménagé en prison situé dans la rue Alcala de Henarès d'où le 22 juillet 37, à 21 h30, il parvint à s'évader (!) grâce à l'appui d'un groupe d'individus en uniforme qui réduisirent à l'impuissance la garde de l'hôtel ( !) et avec lesquels Andres NIN s'en alla… (!)
Mais le ministre de la Justice de cette époque Manuel Irujo (dirigeant du parti nationaliste basque-catholique de droite) « affirme que le juge spécial qui tentait d'éclaircir l'affaire NIN fut sur le point d'être arrêté et que la police arriva à des méthodes complètement abusives.[»]
« La police, ajoute-t-il) a pratiqué des arrestations sans que le ministre de l'Intérieur en fût averti ! Elle transportait les détenus d'un endroit à un autre, dans des lieux inconnus d'où il arrivait que les gens disparaissent comme dans le cas de NIN, sans que l'on puisse prouver ces faits… »
Conclusion : il est invraisemblable que les policiers staliniens qui ont disposé de NIN sans aviser le ministre de l'Intérieur, l'aient laissé s'évader ! L'ancien secrétaire de l'Internationale syndicale rouge était trop précieux pour eux ; en se débarrassant de lui et en montant l'affaire du document « N » ils espéraient faire coup double.
Maintenant les accusateurs de NIN sont et resteront, pour nous, des accusés et leur procès devra se faire tôt ou tard devant le prolétariat international.
Examinons néanmoins les griefs portés contre la 29° division [5]. L'acte d'accusation et les témoins à charge (staliniens) affirment que cette division composée de militants du P.O.U.M. et commandée par Rovira [6] (avec pour commissaire politique Arquer) avait abandonné le front d'Aragon au moment des journées de mai.
Voici sur ce point le témoignage de José Guarner Vivancos, chef d'Etat-major du gouvernement de Catalogne, chef de la 28° division (C.N.T.) : « Je connais parfaitement la 29° division qui ne donna jamais lieu à aucun trouble de caractère militaire. Je n'ai jamais entendu parler d'un pacte de non-agression entre elle et les factieux. Mais tout le contraire. »
D'après Solidaridad Obrera Vicancos « exposa devant le tribunal les brillantes actions de cette division. Il avait bonne impression du P.O.U.M. Il déclare ne pas savoir au juste si la 29° division abandonna le front au moment des événements de mai, mais il aurait entendu dire qu'elle en était partie et qu'elle y était retournée ensuite. Et que plusieurs divisions avaient également abandonné le front pour avoir entendu dire qu'on assassinait leurs frères À Barcelone.
« Il affirme catégoriquement que jamais le gouvernement central n'a envoyé un seul homme pour prendre les positions abandonnées sur ce front. »
Là encore, les accusations se révèlent sans base sérieuse. Un immense danger a frôlé incontestablement la République espagnole en ces jours tragiques : mais comment imaginer s'il y avait eu des liaisons directes entre le P.O.U.M. et Franco, que celui-ci ne l'aurait pas mis à profit. Comment imaginer, si le front avait été abandonné – puisque aucune troupe n'a été envoyée en ligne – que les fascistes n'en auraient pas profité pour attaquer ?
Le trouble qui s'est emparé des combattants à la nouvelle de ce qui se passait à Barcelone au début de mai est trop explicable, hélas ! il a atteint de larges secteurs antifascistes (et pas seulement le P.O.U.M. !)
Que s'est-il donc passé au début de mai 37 ?
Là est le nœud du problème que les historiens résoudront sans peine.
Ecoutons quelques témoins :
Martin Rouret (sous-secrétaire à la généralité, dirigeant de la Esquerra republicana de Catalunya [7]).
« A [son] avis, les forces publiques, par leur action dans l'affaire de la téléphonique, provoquèrent les événements de mai. »
Andreu Abello, président du Tribunal de Cassation, déclare qu'il « ne peut préciser qui participa à la lutte des journées de mai. Mais [il] croit que le P.O.U.M. eut la plus petite part parce que les forces de la C.N.T.-F.A.I. sont supérieures à celles du P.O.U.M. et ces dernières n'auraient rien pu faire sa ns l'appui de la C.N.T.-F.A.I. »
Federica Montseny (ex-ministre de la Santé du gouvernement Caballero) (C.N.T.-F.A.I.) fut « envoyée par le gouvernement central pour régler les troubles de mai et lorsqu'on pourra faire la lumière sur ces événements, dit-elle, l'on comprendra certaines choses qui, à l'heure actuelle, paraissent obscures, que ni le P.O.U.M., ni la C.N.T.-F.A.I. n'ont aucune responsabilité dans lesdits événements. [»] Elle ajoute que la préparation de ces événements a été faite dans l'ombre, [«] dans le but de renverser le gouvernement Caballero et chasser le prolétariat du pouvoir au préjudice des travailleurs. »
Elle demande d'ailleurs l'acquittement pur et simple des accusés qui sont, à ses yeux, de bons militants antifascistes.
Enfin, Francisco Largo Caballero (ex-président du Conseil, dirigeant de la gauche du Parti socialiste et de l'U.G.T.), déclare que les événements de mai furent provoqués par la lutte qui existait entre les partis politiques. Il affirme qu'il a été l'objet de très fortes pressions pour dissoudre le P.O.U.M. par décret gouvernemental, ce qu'il a refusé catégoriquement.
En résumé, s'il faut condamner le P.O.U.M. pour les événements de mai, aux côtés des accusés doivent comparaître également les organisations suivantes : la C.N.T., la F.A.I., la gauche du Parti socialiste. Cependant, c'est exclusivement en raison de leur rôle dans les journées de mai que les dirigeants viennent d'être condamnés !!
« Des membres du P.O.U.M. se sont joints au mouvement subversif provoqué par des éléments rebelles à Barcelone en mai 1937, dans le but d'imposer leurs conceptions sociales… délit de rébellion, art. 238 n°4 du Code pénal, de droit commun « pour avoir tenté de soustraire la nation à l'autorité du Gouvernement…
« En conséquence : quinze ans d'internement à :
Enrique Adroher (Gironella)
Petro Bonet
Onze ans à José Arquer.
Acquittés : José Escuder et Daniel Rebull.
« Le tribunal ordonne en outre la dissolution du P.O.U.M. et de la J.C.I. »
(Soli. 29 oct.)
(Rovira, que les staliniens accusaient d'être passé chez Franco alors qu'il assurait la direction politique illégale du P.O.U.M., s'est spontanément présenté à la police le 30 octobre.)
1° D'abord l'accusation d'espionnage n'a pas été retenue : La flétrissure se porte donc sur ceux qui ont essayé de salir ignoblement leurs adversaires politiques, et qui ont été jusqu'à l'assassinat sans réussir, d'ailleurs, à abattre de fiers combattants révolutionnaires ;
2° Ensuite, la machination policière contre le P.O.U.M. et contre la révolution espagnole est maintenant très évidente : le procès a mis en lumière les monstrueux procédés employés pour essayer de déshonorer les militants du P.O.U.M. : documents fabriqués, perquisitions préparées, utilisation d'indicateurs tarés (comme l'espion Roca), etc… Aucun agent de la Gestapo parmi les militants fréquentant le P.O.U.M. n'a jamais pu être découvert.
Il faut donc faire un contre-procès pour reconstituer les circonstances et les responsabilités de la disparition de Nin (comme d'ailleurs de Kurt Landau). Il faudra bien clouer au pilori les inspirateurs et les auteurs de ces attentats fascistes.
Il faudra réhabiliter les militants du P.O.U.M. injustement condamnés par des événements provoqués par d'autres. Il faut, immédiatement, développer la campagne en faveur de l'amnistie qui les arrachera au risque d'assassinat toujours possible ;
3° Il faut enfin que le prolétariat international, dans toutes ses organisations politiques et syndicales sérieuses, s'empare du problème posé par les événements de mai : La C.N.T. n'a pas hésité à l'écrire dans sa brochure : « Les journées de mai ont été assassinées par le P.S.U.C. et le Parti Communiste. La provocation partit de la force publique : des ouvriers de la C.N.T. et d'autres organisations […] [8] . »
Nous considérons quant à nous que les journées de mai prendront un relief saisissant avec le recul de l'histoire : Des ouvriers syndicalistes conquièrent, les armes à la main, en juillet 1936, LEUR centrale téléphonique à Barcelone. Et pour des raisons diplomatiques transparentes, la police, aux ordres de Rodriguez Salos et du Parti Communiste, les déloge à coups de fusil de leur position stratégique ! Aucune falsification, aucun truquage n'effacera cela ;
4° Nous nous abstiendrons de tirer des conclusions politiques, elles appartiennent au domaine de la conscience des militants. Nous faisons confiance aux travailleurs espagnols pour qu'ils lèvent l'équivoque redoutable dans laquelle la condamnation et la dissolution du P.O.U.M. place leurs mandataires. En juin 36, le Front populaire espagnol n'osait pas dissoudre la « falanga espanola de la J.O.N.S. » ! Est-ce que ce simple rapprochement n'est pas un signe inquiétant.
5° Enfin, notre S.I.A. a joué courageusement son rôle, en dépit de toutes les pressions exercées sur elle pour étouffer sa voix. Des militants et des organisations osent considérer que la défense des accusés du P.O.U.M. contribue à « discréditer la cause de la République espagnole » Quelle erreur ! C'est au contraire grandir la République espagnole que faire la preuve de son amour de la justice. Un crime odieux a été évité, mais une faute vient d'être commise : il faut la réparer : il faut amnistier les militants antifascistes irréprochables qu'on voulait faire disparaître. S.I.A. a eu raison de répondre : « Nous ne sommes sous le contrôle d'aucun parti ni d'aucun drapeau d'aucune sorte. S.I.A. vient en aide à tous les secteurs antifascistes chaque fois qu'elle croit nécessaire et juste d'intervenir en leur faveur [»].
Voilà la bonne route. Nous aurons besoin de plus en plus de ce langage fraternel, désintéressé et indépendant comme doit l'être le mouvement même du prolétariat. Aussi, nous développerons S.I.A. malgré les insensés qui CONTINUENT à salir le P.O.U.M. et ses défenseurs « comme des traîtres et des agents de la 5° colonne à la solde du fascisme international » (Huma, 6 nov. 38), et nous rassemblerons dans ses rangs, au service de notre cause commune, tous les travailleurs « demeurés fidèles à ces valeurs révolutionnaires par excellence : la liberté – la vérité – la justice.
Notes
[1] Regroupant jusqu'à 15 000 adhérents, SIA organisait des meetings et des livraisons alimentaires à la Catalogne. L'hebdomadaire comprenait des pages en espagnol et en italien. (Note MIA).
[2] La distribution des guillemets semble à plusieurs reprises assez accidentée dans l'article. Nous rajoutons entre crochets les guillemets manifestement supposés disparus (Note MIA).
[3] L'article met ici un tiret, il doit vraisemblablement s'agir d'une faute de frappe pour un point d'exclamation (Note MIA).
[4] Il s'agit, mal orthographié, de Solidaridad Obrera [Solidarité ouvrière], quotidien de la CNT à Barcelone (Note MIA).
[5] La 29 ° division, formée par la Colonne Lénine du P.O.U.M., et ayant fait preuve d'héroïsme sur le front d'Aragon, a été dissoute en juin 1937 (Note MIA).
[6] Josep Rovira (1902-1968) et Jordi Arquer (1907-1981) participaient par ailleurs à la direction (Comité exécutif) du P.O.U.M. (Note MIA)
[7] Mauvaise orthographe corrigée. Il s'agit de la Gauche républicaine catalane, parti petit-bourgeois participant au Front populaire. (Note MIA)
[8] L'article est ici tronqué : une ligne est répétée et la dernière phrase est coupée. (Note MIA)