1973

"L'erreur de la stratégie de l'entrisme « sui generis » a eu des conséquences tragiques en Bolivie en 52-55 et en Argentine en 55 ; la stratégie pour dix ans du contrôle ouvrier manifeste ses terribles dangers potentiels dans l'interprétation faite par le camarade Mandel de la grève générale de mai 68 et dans l'orientation que, selon lui, il aurait fallu appliquer."


Nahuel Moreno

Un document scandaleux


VI. Parti mandéliste ou parti léniniste ?

4. Une analyse avant-gardiste et stratégiste.

Alors que pour le camarade Mandel la « science sociale critique » remplit un rôle révolutionnaire, pour son disciple, le camarade Germain, ce rôle est rempli par l'analyse :

« Mais l'objet de l'analyse est toujours de changer les conditions en faveur de la révolution prolétarienne, et non de l'adapter à la situation donnée » (Germain, "En défense...", p.95).

Cette dangereuse affirmation du camarade Germain confond l'analyse avec la politique marxiste, de la même manière que Mandel confond la science marxiste avec le programme et le parti révolutionnaire. Voyons une citation de Lénine :

« Le marxisme exige de nous une analyse strictement exacte et objectivement vérifiable des rapports de classes et des caractères concrets propres à chaque moment historique. En tant que bolcheviks, nous avons toujours essayé de remplir cette exigence absolument essentielle pour donner une base scientifique à la politique. » (Lénine, "Lettres sur la tactique" 8-13 avril 1917. Œuvres complètes, tome 34, p.458).

Cela fait une légère différence avec la position de Germain. Lénine nous dit que le but de l'analyse marxiste est de connaître les « rapports de classes » et « les caractères concrets propres à chaque moment historique », d'une manière « strictement exacte et objectivement vérifiable ». Cela veut dire ne pas changer d'un iota la réalité par notre analyse, mais au contraire nous pencher sur une étude soigneuse de la réalité pour en découvrir les tendances allant dans le sens de la révolution prolétarienne et celles qui s'y opposent, et ce dans leurs relations réciproques. Une fois ces tendances et ces relations réciproques découvertes, nous sommes en présence d'une caractérisation d'un moment historique donné. C'est la base scientifique dont nous parle Lénine. Mais une base scientifique pour faire quoi ? Le camarade Mandel nous dirait certainement : « pour la brandir contre la réalité et faire changer celle-ci ». Cependant, le camarade devra encore réfréner son impatience. Dès que cette base scientifique est obtenue, elle doit nous servir à forger l'outil avec lequel nous changerons la réalité. Et quel est cet outil ? Lénine se charge de nous le désigner : « la politique » et en particulier la politique dont peut se doter un parti révolutionnaire en direction des masses afin d'imposer un changement révolutionnaire.

Il est donc clair maintenant que l'analyse ne remplit en rien l'objectif de « changer les conditions en faveur de la révolution prolétarienne ». C'est la politique qui remplit cet objectif. Les deux, analyse et politique, sont bien entendu intimement unis, mais sont distincts. Notre analyse découvre la réalité contradictoire et dynamique, notre politique tend à la changer en faveur de la révolution prolétarienne. Nous ne pouvons pas nous donner une politique révolutionnaire sans partir de l'analyse et de la caractérisation scientifiques et marxistes de la réalité. Mais notre analyse ne sert à rien si elle ne devient pas une politique pour changer cette réalité. Voyons un exemple.

Analyse : le mouvement ouvrier est en ascension, il a à sa tête les sociaux-démocrates et les staliniens ; la bourgeoisie est en crise, elle a un gouvernement faible qui laisse des libertés démocratiques et fait des concessions au mouvement ouvrier ; un secteur de la bourgeoisie prépare un coup d'Etat fasciste ; la classe moyenne est divisée, un secteur tend à être entraîné vers le fascisme et l'autre par le mouvement ouvrier ; notre parti n'a pas d'influence de masse mais il est reconnu par des secteurs de l'avant-garde.

Caractérisation : Nous sommes face à une situation pré-révolutionnaire qui débouchera soit sur la révolution ouvrière, soit sur la contre-révolution fasciste. La montée de la classe et la radicalisation d'un secteur-clé, la petite-bourgeoisie, ainsi que l'existence de notre parti poussent du côté de la révolution. La bourgeoisie et l'impérialisme, la classe moyenne de droite et la politique opportuniste des directions du mouvement de masses poussent de l'autre côté. Ce n'est qu'en renversant ces directions opportunistes et en gagent la direction du mouvement de masses que nous déboucherons sur la révolution ouvrière.

Politique : Il faut unifier le mouvement ouvrier dans un front contre le fascisme et commencer à poser le problème de l'armement des organismes de masses, en dénonçant les hésitations et les trahisons des directions réformistes ; nous devons gagner le mouvement des masses à cette tâche, réaliser un travail sur la base de l'armée, avancer un programme qui prenne en compte également les besoins de la petite-bourgeoisie pour l'entraîner dans la révolution ouvrière ; nous devons intervenir dans les organismes du mouvement ouvrier et des masses en lançant les mots d'ordre qui découlent des points précédents : « Unité de toutes les organisations ouvrières et des partis ouvriers et populaires contre le fascisme », « détachements armés des syndicats et des soviets (s'il yen a) », « droits démocratiques pour les soldats et sous-officiers », etc.

Comme nous le voyons, à l'inverse de ce que dit le camarade Germain, nos analyses et nos caractérisations ne changent pas la réalité, mais s'adaptent « à la situation donnée » .Elles doivent être faites soigneusement et scrupuleusement afin de ne pas s'écarter d'un millimètre de la réalité, des conditions existantes et de leur dynamique. C'est précisément parce que nous sommes marxistes que notre politique se base sur l'analyse exhaustive de la dynamique de la réalité telle qu'elle est. Pour formuler notre politique, nous devons tout d'abord définir avec soin l'étape de la lutte de classes que traverse un pays, un continent, le monde ainsi qu'une branche d'industrie, une usine et même un lycée ou une faculté. Sans cette analyse préalable, il n'y a pas de véritable politique marxiste.

La base de l'analyse et de la caractérisation marxistes c'est la situation de la lutte de classes. Cela signifie que l'analyse marxiste est avant tout une analyse structurelle qui doit répondre à la question suivante: quel est le rapport de forces entre les classes dans la situation que nous voulons caractériser ? Et sur cette base s'intègrent les éléments superstructurels, la. situation des partis politiques, des syndicats et autres organismes des masses, des différentes tendances en leur sein, etc.

Le rapport de forces entre les classes s'expriment dans le type de régime existant dans une étape déterminée. Un changement général dans le rapport de forces devient à court terme un changement de régime, c'est-à-dire un changement d'étape. Dans ces étapes, il y a des moments où une classe prend l’offensive et d'autres moments où c'est l'autre classe. Au sein d'une même classe, les secteurs à l'offensive sont distincts et quelquefois des secteurs distincts d'une même classe se combattent entre eux. Il existe de plus les superstructures des différentes classes et l'Etat, qui ont une certaine autonomie et ne coïncident pas avec le mouvement des classes, provoquant ainsi des situations contradictoires entre la base et la superstructure (comme quand le mouvement ouvrier va vers la révolution et que les partis ouvriers s'orientent de plus en plus à droite).Tous ces va-et-vient au sein d'une étape peuvent déterminer des sous-étapes - que nous devons également préciser avec soin -mais elles ne signifient pas un changement de l'étape générale tant qu'elles ne se transforment pas en un nouveau rapport de forces général entre les classes, ni en changement de régime consécutif.

Trotsky disait qu'il existe en général quatre types de régimes qui reflètent quatre stades dans le processus de la lutte de classes : contre-révolutionnaire, non-révolutionnaire, pré-révolutionnaire et révolutionnaire, qui se transforment l'un en l'autre avec les grands changements dans les rapports de force entre les classes. Les gouvernements reflètent d'une manière non mécanique les caractères de l'étape et c'est eux qui résument toutes les contradictions. Il existe des gouvernements fascistes, bonapartistes, semi-bonapartistes, démocratiques-bourgeois, kérenskystes, korniloviens. Dans les pays arriérés, il y a, selon Trotsky, des gouvernements bonapartistes « sui generis » qui, sans cesser d'être bourgeois, affrontent ou résistent à une puissance impérialiste et tendent ainsi à s'appuyer sur le mouvement de masses ou ouvrier.

L'existence de ces différents types de gouvernements et le fait qu'ils n'y ait pas un seul type de gouvernement pour chaque étape obéit au fait que les gouvernements, comme toute superstructure, reflètent non seulement le rapport fondamental entre exploiteurs et exploités (qui définit une étape et un régime) mais aussi les autres contradictions et combinaisons de classes ou de secteurs de classes. Ils restent tous des gouvernements bourgeois mais certains s'appuient sur la classe moyenne urbaine, d'autres sont obligés de s'appuyer sur la paysannerie ou sur les partis de la classe ouvrière par exemple. Dans certains gouvernements, l'appareil bureaucratique et militaire a plus de poids, dans d'autres moins, etc. De ces différentes combinaisons découlent différents types de gouvernements qui reflètent des situations particulières de la lutte de classes, mais ces gouvernements sont déterminés par les caractéristiques spécifiques de l'étape, par le régime. Dans une étape pré-révolutionnaire, il peut y avoir un gouvernement démocratique-bourgeois ou kérenskyste mais pas un gouvernement fasciste; dans une étape contre-révolutionnaire, il peut y avoir un gouvernement fasciste ou bonapartiste mais pas démocratique-bourgeois.

Cette méthode de définition des étapes et des régimes à partir de la situation de la lutte de classes, et de définition des gouvernements par la combinaison concrète des secteurs sociaux et des superstructures qu'ils expriment, est la méthode de notre Internationale à la belle époque de l'« archéo-trotskysme ». Notre politique commençait alors toujours par la tentative sérieuse, soigneuse, tenace et scientifique de définir l'étape traversée et le gouvernement subi. Mais depuis que la majorité prédomine dans les directions de notre Internationale, cette méthode a été abandonnée. Nos analyses ne se font plus sur la base de la lutte de classes dans son ensemble mais sur la seule prise en compte des rapports internes au mouvement ouvrier et plus particulièrement, et presque exclusivement, de la situation de l'avant-garde. De telles analyses il est déduit une politique dont l'objectif n'est donc pas de diriger correctement les masses dans la situation concrète de la lutte de classes qu'elles doivent affronter, mais une politique qui doit avoir de l'impact sur l'avant-garde. De là, le mépris total et absolu pour les caractérisations précises, scientifiques, d'une terminologie soigneuse, élaborées par le trotskisme, des étapes, régimes et gouvernements. Auparavant, nous aurions discuté pendant des mois pour savoir si la définition du gouvernement Banzer comme « fasciste », faite par le camarade Gonzalez, était correcte ou non. Et c'est seulement en nous mettant d'accord sur cette définition que nous aurions pu nous mettre d'accord sur quelle politique nous donner. Et nous nous serions facilement mis d'accord car, si c'était bien un gouvernement fasciste, nous aurions tous été, en faveur de faire de la propagande notre tâche essentielle, puisqu'il se serait agi d'une étape contre-révolutionnaire.

Aujourd'hui, les camarades de la majorité sont d'accord sur la politique et la stratégie du POR(C) en Bolivie sans l'être, apparemment, sur la définition du gouvernement, puisque Gonzalez le définit comme fasciste et Germiain de « réactionnaire ». En Argentine, les camarades de la majorité disaient que la politique de l'ERP-PRT(C) était un modèle (au temps où ils étaient encore dans la même Internationale et la même tendance majoritaire) bien que le PRT(C) ait défini la situation comme étant de « guerre civile » et les camarades du SU de « pré-révolutionnaire » (même pas révolutionnaire !) Nous ne comprenons pas que l'on puisse tomber d'accord sur une orientation à partir de caractérisations de la situation réelle de la lutte de classes aussi diamétralement opposées. Les camarades de la majorité devront nous l’expliquer.

Les camarades de la majorité formulent une stratégie en fonction de phénomènes internes au mouvement ouvrier et de masses et inventent ensuite une analyse de la réalité qui justifie cette stratégie. Au départ, le secteur auquel ils donnèrent une importance fondamentale fut celui des organisations bureaucratiques du mouvement ouvrier, en particulier les PC. Ils formulèrent ensuite une stratégie dirigée vers ce secteur, celle de l'entrisme « sui generis ». Pour la justifier, ils commencèrent par assurer que la guerre mondiale était inévitable et que les PC seraient obligés de prendre la tête des luttes de masses, et qu'en conséquence y surgiraient des tendances centristes qui dirigeraient toute une étape de la révolution.

Il n'y eut ni guerre mondiale ni naissance de tendances centristes, mais de nouvelles analyses de la réalité furent inventées pour justifier cette stratégie décennale. Dans la dernière analyse en date, on nous dit que cette stratégie de l'entrisme « sui generis » fut adoptée en prévision du fait que :

« le processus de radicalisation - de formation d'une nouvelle avant-garde massive - se produirait essentiellement au sein des organisations de masses traditionnelles » ("La construction des partis..." BII n°4, p.28).

Quel est le rapport entre cette analyse-justification et la lutte de classes mondiale ? Pour les camarades de la majorité, rien n'a-t-il changé pendant ces vingt dernières années ? Est-il certain que se soit formée une « nouvelle avant-garde » au sein des organisations traditionnelles ? Cette analyse n'a rien à voir avec la révolution bolivienne ni cubaine, entre autres, qui pouvaient changer et ont changé la dynamique de formation et d'éducation d'une nouvelle avant-garde. La guerre froide et le début de la montée qui commence avec la révolution cubaine vont-elles dans le même sens pour les camarades de la majorité ? En Bolivie, la radicalisation au sein des organisations traditionnelles s'est-elle réalisée ? Et en Europe après 1960 ? Et la nouvelle avant-garde spontanéiste de 68, où s'est-elle formée ? Dans ou hors des organisations traditionnelles ? N'est-ce pas un processus combiné où prédomine l'extérieur de ces organisations ?

Le phénomène le plus important des années 60 est le castrisme et le guévarisme. S'il y a eu quelque chose de commun dans toutes les manifestations de cette époque, c'est bien le portrait du Ché. D'où sortaient tous ces jeunes qui les brandissaient ? Des organisations traditionnelles ? De la part des staliniens et sociaux-démocrates ?

Le camarade Frank nous a raconté, au nom de la majorité, la petite histoire suivante : Si un jour à la fin des années 50, deux inconnus nommés Fidel Castro et Che Guevara avaient rendu visite aux camarades du SWP, afin de leur demander des armes pour la guérilla cubaine, le SWP aurait dû leur donner tout ce qu'il pouvait. Entrons dans le jeu du camarade Frank et accentuons son effet de manche : Nous pensons que nous ne devions pas leur donner d'armes. Nous sommes contre donner des armes aussi bien à des inconnus qu'à des personnes connues, à moins que nous nous soyons mis d'accord au préalable sur un programme. Si nous étions arrivés à un accord, ils auraient reçu des armes, mais pas dans le cas contraire. Mais nous sommes sûrs que les camarades de la majorité ne leur auraient pas donné d'armes, car ni Castro ni le Ché ne pratiquaient l'« entrisme sui generis » dans les organisations traditionnelles, ils n'étaient ni l'un ni l'autre dans le PC cubain. Et telle était l'orientation universelle, la « stratégie décennale » en cours pour la majorité.

Cela fait vingt ans que nous subissons cette méthode stratégiste. Elle a légèrement changé aujourd'hui car, auparavant, elle était « de masse », c'est-à-dire une stratégie de suivisme par rapport aux organisations bureaucratiques du mouvement de masses, alors que maintenant elle est avant-gardiste, le suivisme se faisant par rapport à des tendances de l’avant-garde. Il s'agit aujourd'hui, comme le dit le camarade Germain, de ne pas « opposer la stratégie de construction du parti » à la discussion que mène l'avant-garde en faveur ou contre la lutte armée.

En Amérique latine, nous en avons vu un bon exemple. Les camarades de la majorité n'ont absolument pas pris en compte l'analyse marxiste de la lutte de classes pour définir leur stratégie. Ils ne donnèrent aucune importance aux étapes traversées par chaque pays latino-américain. Ils ont pris comme point de référence les préoccupations de l'« avant-garde » : la guérilla rurale et la lutte armée. Ils en ont tiré leur stratégie : d'abord la guérilla rurale, ensuite (lorsque les carottes étaient cuites puisque les guérillas rurales avaient échoué) ils l'ont distillée et en ont tiré la quintessence : la « stratégie de lutte armée ». Cela n’intéressait absolument pas la majorité de savoir qu'au Brésil il y avait un régime semi-fasciste ou ultraréactiorlnaire, au Pérou un bonapartisme « sui generis », un certain glissement nationaliste dans d'autres pays latino-américains et différentes étapes de la lutte de classes de pays à pays. Ils mirent tout dans le même panier d'une stratégie commune.

La première analyse-justification de la stratégie de lutte armée a été d'inventer un régime commun à toute l'Amérique latine, un régime d'accord monolithique entre l'impérialisme, la bourgeoisie nationale et l'armée. Mais après le Congrès mondial apparurent des gouvernements comme celui de Torrez et celui d'Allende, puis en Argentine Ongania tombait, entraînant avec lui cette analyse. Comme il fallait maintenir la stratégie, une nouvelle analyse fut inventée, avec un nouveau nom : le « réformisme militaire ». En réalité, la seule nouveauté de cette analyse était son nom, car il s'agissait de l'explication journalistique - non marxiste - suivante : Rockefeller avait visité l'Amérique latine, il avait écrit un rapport et recommandé à l’impérialisme une nouvelle politique, le « réformisme militaire », avec laquelle étaient toujours d'accord l'impérialisme, la bourgeoisie nationale et les armées, d'une manière monolithique. Cette caractérisation s'écroula également quand éclatèrent les sanglants coups d'Etat pro-impérialistes de Banzer et de la Junte militaire chilienne. Il ne nous reste plus qu'à attendre une nouvelle analyse-justification afin que la majorité puisse continuer à maintenir sa stratégie décennale de lutte armée.

Une longue période du gouvernement Torrez et la dernière de celui d'Allende eurent des caractéristiques « kérenskystes ». Les camarades de la majorité ne surent pas prévoir ni définir ce type de gouvernement. La seule définition s'en rapprochant fut celle faite par Germain, sous forme négative, quand il qualifia Banzer de « kornilovien », mais cela dit en passant et sans aucune auto-critique sur le fait de ne pas avoir prévu les gouvernements kérenskystes et ne pas s'être donné la seule orientation correcte face à eux: le front unique ouvrier contre le putsch réactionnaire, et les milices comme bras armé des organisations naturelles du mouvement de masses. Pourquoi les camarades de la majorité ont-ils été incapables de le faire ? Parce qu'une analyse de ce type desservait leur stratégie de lutte armée. Ils n'en dirent pas un mot et restent toujours sans un mot. Il semblerait que la naissance de la nouvelle analyse-justification soit plus longue et douloureuse que les précédentes.

Comment caractérisons-nous, à partir d'une analyse marxiste, les régimes latino-américains ?

« La défaite ou la nécessité d'affronter le mouvement de masses, ainsi que la conjoncture économique ont facilité l'unité entre l'impérialisme et la bourgeoisie nationale, et cette unité a permis l'apparition de gouvernements bonapartistes dictatoriaux, soutenus par l'armée ou directement militaires, et dans certains cas semi-fascistes comme au Brésil.

« Cela pose des problèmes théoriques importants : le front unique monolithique entre l'impérialisme yankee et la bourgeoisie nationale existera-t-il pendant une période de cinq, dix ans ou plus, ou au contraire est-ce un phénomène transitoire, comme nous en avons vus dans d'autres périodes en Amérique latine, des gouvernements faibles succédant aux gouvernements fort dès que monte le mouvement de masses ? En principe, nous pensons que la réponse castriste et guévariste à ce problème, pour qui les gouvernements se maintiendront ainsi, est fausse. »

« La crise actuelle croissante entre des secteurs de la bourgeoisie nationale et entre certains de ces secteurs et l'impérialisme, crise qui se combine avec un facteur encore plus important et décisif qui est la montée du mouvement de masses, est en train de provoquer la crise de tous les gouvernements. Ils ne sont pas un phénomène monolithique et éternel. Au contraire, ils ne durent que le temps que dure le recul du mouvement de masses. » (Projet de thèses sur la situation en Amérique latine, CC du PRT-La Verdad).

Deux ans plus tard, nous disions :

« Définir les gouvernements et les régimes latino-américains n'est pas une occupation oiseuse, mais une des nécessités révolutionnaires les plus urgentes. » « La tentative d'ignorer le grave problème théorique de définition des régimes latino-américains par d'ingénieuses phrases journalistiques comme par exemple « réformisme militaire » ne font qu'obscurcir le problème et nous éloigner de l'analyse marxiste de classe. » « Les tenailles de la colonisation yankee d'une part, la mobilisation ouvrière d'autre part, sont à l'origine de changements violents et spectaculaires dans le caractère des régimes bourgeois. Certains sont semi-fascistes comme au Brésil, ou directement réactionnaires sur des bases de légalité bourgeoise comme en Uruguay. D'autres, nationalistes bourgeois tendent à se transformer ou se transforment en bonapartistes « sui generis » selon les enseignements de Trotsky. »

« La spectaculaire montée du mouvement des masses donne naissance à des situations de double pouvoir institutionnalisé ou atomisé, qui engendre à son tour un autre type de gouvernement et de régime, kérenskyste. Ce sont des gouvernements typiques des situations révolutionnaires, quand le pouvoir ouvrier est si fort que le gouvernement reste suspendu dans le vide, entre deux pouvoirs. » Le kérenskysme est « extrêmement instable, c'est un bonapartisme ou semi-bonapartisme entre les exploiteurs et le mouvement de masses, et non comme le bonapartisme « sui generis » entre l'impérialisme et le mouvement de masses. L'actuelle montée révolutionnaire tend à transformer le bonapartisme « sui generis » en bonapartisme kérenskyste ou réactionnaire ». « Nous pensons que le régime de Velasco Alvarado comporte des éléments bonapartistes « sui generis » ; Allende est à mi-chemin. ». « En Bolivie ont existé trois types de gouvernement que nous avons définis : celui de Barrientos comme réactionnaire ou semi-fasciste ; celui d'Ovando comme tendant au bonapartisme « sui generis » ; celui de Torrez comme kérenskyste. » ("Revista de America", n° 8-9, p.10-11).

Pour nous, il fallait combattre chaque type de régime avec une stratégie différente, précisément parce qu'ils exprimaient une situation distincte de la lutte de classes. Pour les camarades de la majorité, l'analyse se réduisait à une explication du motif qui régissait une même stratégie

(la plus sympathique à l'avant-garde) pour tout type de régime et de pays. Cette méthodologie n'est pas réservée aux positions de la majorité sur l'Amérique latine. Nous avons vu que ces analyses stratégistes sont une habitude pour les camarades de la majorité et leur caractère avant-gardiste a été proclamé bien haut par le camarade Germain, quand il dit qu'il faut réaliser « des campagnes politiques nationales autour de problèmes soigneusement choisis qui correspondent aux préoccupations de l'avant-garde... » ("The Building of Revolutionary Parties in Capitalist Europa", p.25).

Cette négation du marxisme se déploie dans toute sa splendeur tout au long du document européen de la majorité, aucune sorte de distinction n'y est faite clans les caractérisations de l'étape traversée par les différents pays européens. Pourtant certains traversent une situation contre-révolutionnaire comme la Grèce, l'Espagne et le Portugal. Elle évolue vers une situation pré-révolutionnaire en Espagne et, si elle se combine avec la guerre civile au sein de son empire colonial, au Portugal. D'autres pays vivent une situation non-révolutionnaire évoluant vers pré-révolutionnaire, comme 1’Italie, la France et peut-être l'Angleterre qui supporte une guerre civile ou révolutionnaire en Irlande. Les autres pays sont dans une situation non révolutionnaire sans possibilité à court terme de devenir pré-révolutionnaire.

Notre caractérisation est sommaire et peut-être erronée, il faut la considérer comme un exemple méthodologique. Pour un marxiste, de ces différentes situations découlent différentes tâches, quelquefois totalement opposées. En Grèce, en Espagne et au Portugal, les tâches posées sont démocratiques, et dans ces deux derniers pays, d'une manière urgente car en Espagne le mouvement ouvrier est en ascension continue et au Portugal la guerre dans les colonies a des répercussions. En Angleterre, la tâche essentielle est d'obtenir que les soldats anglais se retirent de l'Irlande du Nord et d'élaborer un programme de transition pour combattre la misère croissante du mouvement ouvrier. En Italie et en France, les problèmes objectifs posés sont différents de ceux des autres pays européens, car la lutte de classes a atteint un niveau très haut. En définitive, il est absolument impossible de nous donner comme tâche essentielle les deux stratégies prônées par les camarades de la majorité : le contrôle ouvrier et le travail centré sur l'avant-garde (cette dernière étant plus qu'une stratégie, devenant un nouveau principe caractérisant le parti léniniste).

L’évolution des camarades de la majorité vers une conception avant-gardiste de l'analyse s'exprime, non seulement sur le terrain des analyses concrètes, mais aussi sur des questions théoriques générales. Deux parmi elles sont à la limite de l'aberration: l'analyse de la dégénérescence de la II° et de la III° Internationale et la caractérisation des situations pré-révolutionnaire et révolutionnaire. Sur ces deux questions, le camarade Mandel abandonne nos caractérisations traditionnelles fondées sur la lutte de classes, et base toute son explication sur les rapports internes à la classe ouvrière et, en son sein, sur le rôle de l'avant-garde :

« la racine de la dégénérescence de la IIème comme de la IIIème Internationales, c'est-à-dire la subordination des partis de masses sociaux-démocrates et staliniens à une bureaucratie conservatrice et réformiste, qui dans la pratique quotidienne est devenue partie intégrante du statu quo... répond à une loi générale de la dégénérescence ». Cette loi est : « le résultat de ces tendances contradictoires dépend de la lutte entre elles qui, en même temps et en définitive, est déterminée par deux facteurs sociaux, d'une part le degré des intérêts sociaux spécifiques qui découlent de « l'organisation autonome » et d'autre part le degré d'activité politique de l'avant-garde de la classe ouvrière ». (Mandel "La théorie léniniste d'organisation" p.36).

Pour les trotskistes, jusqu'à Mandel, la dégénérescence de la IIème et la IIIème Internationales était due au processus général de la lutte de classes dans le monde. La IIème a dégénéré à cause de l'existence et de la montée de l'impérialisme qui a accordé de grandes concessions à des secteurs importants de la classe ouvrière, grâce à l'exploitation de ses colonies. C'est ainsi qu'est née une aristocratie ouvrière intimement liée aux concessions octroyées par le capitalisme. La préservation des « intérêts sociaux spécifiques » qui découlent de l’« organisation autonome » ou l'« autopréservation de l'appareil en soi » n'est pas la véritable explication, car cette « organisation autonome » ou cet « appareil en soi » faisait partie du processus général de formation d'une aristocratie ouvrière liée aux concessions impérialistes.

La IIIème Internationale a dégénéré à cause des défaites et du recul du mouvement ouvrier à l'échelle mondiale et des répercussions de ce recul dans le premier Etat ouvrier, l'URSS, une nation arriérée et paysanne. L'importance de la préservation de « l'appareil en soi » était subordonnée au processus d'ensemble de la lutte de classe à l'échelle mondiale et au sein de l'URSS.

Mais le plus grave dans les analyses de Mandel, c'est que ces processus de dégénérescence, non seulement n'ont rien à voir avec la lutte de classes dans son ensemble, mais n'ont même rien à voir non plus avec la classe ouvrière, les masses travailleuses, ni leurs luttes. La dégénérescence bureaucratique ne serait ainsi que la résultante du rapport entre une bureaucratie qui défend son appareil et le « degré d'activité politique de l'avant-garde » ! Les masses et leurs luttes ne comptent pour rien. La même interprétation, inique pour le mouvement ouvrier et fondamentalement avant-gardiste, est faite par Mandel des situations pré-révolutonnaires et révolutionnaires :

« La maturation d'une situation pré-révolutionnaire (explosion potentiellement révolutionnaire) est l'intégration des grandes masses à l'action des ouvriers avancés. Une situation révolutionnaire - soit la possibilité de la conquête révolutionnaire du pouvoir - apparaît lorsqu'a été atteinte l'intégration des actions de l'avant-garde et des masses à la conscience de l’avant-garde et des couches révolutionnaires. » (Mandel, idem p.22).

Quelle belle définition ! Pour la première fois dans l'histoire du marxisme quelqu'un définit ces situations par les rapports entre masses, avant-garde et parti ! Si la classe ouvrière pouvait ne pas avoir à lutter pour prendre le pouvoir ! Si la bourgeoisie et la petite bourgeoisie pouvaient ne pas exister ! Dommage que Trotsky n'ait pas pensé ainsi :

« Le mécontentement, l'irritation, l'instabilité, les hésitations de la petite bourgeoisie sont des caractéristiques extrêmement importantes d'une situation pré-révolutionnaire. » ( Trotsky, "Où va la France" .p .58 ) .

Mandel ne mentionne même pas ce facteur lié à une des classes fondamentale de la société. Trotsky définissait une situation « apte à la victoire de la révolution prolétarienne », en tenant compte des rapports d'ensemble entre les classes :

« 1- L ' impasse bourgeoise et la confusion qui en résulte dans la classe dominante ; 2- une insatisfaction très nette et une tendance vers des changements décisifs dans les rangs de la petite bourgeoisie, sans l'appui de laquelle la grande bourgeoisie ne peut pas se maintenir ; 3- la conscience de 1a situation intolérable et la volonté de réaliser des actions révolutionnaires dans les rangs du prolétariat ; 4- un programme clair et une direction ferme de l'avant-garde ouvrière. » (Trotsky, "Imperialist war and world revolution", documents of the fourth internationnal, p.345).

Cet ordonnancement que Trotsky répète systématiquement pendant les années 30 est instructif : 1- la situation de la bourgeoisie ; 2- celle de la petite bourgeoisie ; 3- celle de la classe ouvrière ; 4- l'existence d'un parti révolutionnaire. Comme tout bon marxiste, Trotsky va du plus objectif au subjectif. Il n'a pas donné une définition aussi précise de la situation pré-révolutionnaire mais a montré que celle-ci est intermédiaire entre la situation non-révolutionnaire et révolutionnaire. Il a suggéré, presque dit, qu'elle était caractérisée par l'existence des trois premières conditions et l'absence de la dernière, celle du parti révolutionnaire. Ce qu'il n'a jamais dit, ni suggéré, c'est qu'une de ces deux situations se caractérisait fondamentalement par des rapports internes au mouvement ouvrier ou par des rapports subjectifs. Au contraire, pour Trotsky les rapports entre les classes ont toujours été au premier plan.

Par ailleurs, ce n'est pratiquement pas une question d'orthodoxie trotskiste, mais de simple bon sens. Si la bourgeoisie est unie dans un solide front, si elle jouit d'une bonne situation économique, si elle satisfait la petite bourgeoisie et compte sur son soutien, les fameuses « intégrations » du camarade Mandel n'entraînent, même pas par hasard, la révolution. L'intégration la plus avancée, celles des masses, de l'avant-garde et du parti dans leurs actions et leurs consciences, se terminerait par un écrasement brutal et sanglant de la classe ouvrière par cette bourgeoisie unie, soutenue par la petite bourgeoisie et défendue par une armée sans failles. Heureusement, il n'y a aucune possibilité réelle qu'une telle « intégration » mandéliste se produise dans la lutte de classes, telle que nous la connaissons jusqu'à présent.

Cette incompréhension de la majorité et particulièrement du camarade Germain, de ce qu'est une situation révolutionnaire ou pré-révolutionnaire, a provoqué toute une discussion viciée sur le mot « normal ». Cette discussion a commencé par l'Amérique Latine, mais elle a une importance décisive pour l'analyse marxiste de la situation mondiale. Les camarades de la majorité affirment que nous ne verrons pas en Amérique Latine de processus de développement « normal » du mouvement de masses, car il n'y aura pas de périodes prolongées ayant des conditions de démocratie bourgeoise. Ils prétendent démontrer ainsi que le pronostic de la minorité, selon lequel l'Amérique Latine se rapproche de plus en plus vers les normes classiques de la révolution, est faux. La question de savoir si la révolution tend ou non à se « normaliser » n'est pas liée à la plus ou moins longue durée ces régimes de légalité bourgeoise. Elle est liée au fait que le processus révolutionnaire mondial tend vers des situations qui ont été décrites par Lénine et Trotsky, c'est-à-dire la généralisation de situations similaires à celle de la révolution russe.

Pour nous, « normales » sont les révolutions qui ont pour centre le prolétariat industriel, le villes sur le plan géographique et l’insurrection urbaine comme axe de la lutte armée. « Normal », c'est également que ces révolutions ne triompheront que si elles ont à leur tête un parti bolchevique.

Cette conception de « normalité » est apparue en opposition à celle d’« anormalité » à laquelle nous avons assisté après guerre, lorsque des partis petits-bourgeois ou bureaucratiques, du stalinisme au castrisme, se sont vus obligés de diriger des gouvernements ouvriers et paysans. Cette anormalité fut la conséquence de plusieurs facteurs combinés : les deux premières conditions d'une situation révolutionnaire (impasse de la bourgeoisie et radicalisation de la petite bourgeoisie) étaient devenues chroniques, le crash financier, la crise chronique de l'économie se sont reflétés dans une crise sans issue de la bourgeoisie pour des années, et une radicalisation permanente de la petite bourgeoisie qui n'avait aucune possibilité de s'appuyer sur une légère récupération de l'économie bourgeoise. Ces facteurs se combinèrent avec la crise de l'impérialisme yankee dans l’après-guerre et sa division face à Castro, avec deux carences fondamentales : celle du mouvement ouvrier et de sa direction. La paysannerie s'est mise à jouer un rôle prépondérant et les conditions objectives ont fini par amener les partis petits-bourgeois au gouvernement et à la rupture avec le régime impérialiste, les propriétaires terriens et le régime bourgeois. L'anormalité a consisté, en définitive, en ce que, à cause de l'absence du mouvement ouvrier et du parti révolutionnaire, la crise de la bourgeoisie et la radicalisation de la petite bourgeoisie (les deux premières conditions de la situation révolutionnaire) ont acquis un poids colossal et que le rôle du parti révolutionnaire fut rempli alors par des partis petits-bourgeois avec une influence de masse. Cette combinaison anormale avait été prévue par Trotsky dans le Programme de Transition.

Le retour actuel à la normalité ne signifie pas que nous retournions purement et simplement à la situation d'avant-guerre, mais que le mouvement ouvrier et en son sein le développement des seuls partis ouvriers révolutionnaires existant dans le monde, les nôtres, s'intègrent dans la situation révolutionnaire. Les autres conditions non seulement ne vont pas régresser mais continuent à avancer. Le caractère chronique de la crise s'étendra à des pays capitalistes ayant une structure beaucoup plus solide que celle des pays arriérés et accentuera le poids de l'intervention de la classe ouvrière industrielle dans le cadre de cette crise chronique. La combinaison sera beaucoup plus explosive que dans toute étape passée: une crise majeure de l'économie bourgeoise, l'augmentation de la radicalisation de la bourgeoisie, la montée des sentiments et de l'activité révolutionnaires de la classe ouvrière, un colossal accroissement des partis de notre Internationale et de leur influence dans le mouvement de masses. Cela signifie que la révolution deviendra de plus en plus « normale » car elle deviendra objectivement plus facile surtout par le fait que la classe ouvrière et ses partis entrent en lice. Des situations révolutionnaires « anormales » se reproduiront, mais elles resteront subordonnées (et aideront) à la normalisation à l'échelle mondiale.

Quel est le rapport entre tout cela et la durée des périodes de légalité bourgeoise ? La révolution russe, la plus « normale » de toutes les révolutions triomphantes, a eu lieu dans la Russie tsariste qui a connu des siècles de despotisme, un an de légalité en 1905 et quelques mois en 17, plus quelques années avec de petites marges de légalité. Notre « normalité » c'est cela : la clandestinité du mouvement révolutionnaire et l'affrontement contre des gouvernements réactionnaires de tous poils la plupart du temps. Nous ne comprenons pas la « normalité » comme étant celle de la situation en Europe occidentale, avec un siècle ou plus de légalité bourgeoise, interrompu brièvement par des phénomènes comme le fascisme.

Nous pensons que les étapes de clandestinité seront beaucoup moins longues que pour la Russie, car les conditions sont beaucoup plus favorables pour le mouvement de masses. Et nous affirmons avec certitude que, comme en Russie, les marges légales et démocratiques ne seront obtenues que par l'action du mouvement de masses et que, plus les coups que celui-ci portera contre la bourgeoisie seront forts, plus les régimes qui en résulteront seront faibles. La tendance à des gouvernements kérenskystes sera de plus en plus affirmée dans la mesure où la montée continuera, et seules des occasions révolutionnaires manquées, à cause de l'absence d'un parti bolchevique et d'une politique trotskiste, pourront expliquer les reculs partiels vers des régimes semi-fascistes.

C'est le cas des expériences bolivienne et chilienne, que notre méthode d 'analyse marxiste a su prévoir et que la méthode stratégiste et avant-gardiste des camarades de la majorité a totalement ignoré. Le camarade Germain, en qualifiant Banzer de kornilovien, a reconnu implicitement le gouvernement de Torrez comme kérenskyste. Ne se rend-il pas compte que, par le fait de reconnaître l'existence d’un gouvernement kérenskyste, il reconnaît les règles « normales » de la révolution russe ? Non, évidemment. Il pense que les putschs de Banzer et des militaires chiliens lui donnent raison, car ils démontrent le caractère"exceptionnel" des périodes de démocratie bourgeoise. Cependant, la Bolivie et le Chili ont connu plus de démocratie bourgeoise ces cinq dernières années que la Russie révolutionnaire en un siècle entier ! Silence absolu ! Les camarades de la majorité continuent à comparer la situation latino-américaine avec l'Europe dominée par le fascisme.

Différents pays - dont la Bolivie et le Chili - sont entrés dans une situation pré-révolutionnaire classique qui n'est pas devenue révolutionnaire à cause de l'absence du parti. Cela ne signifie pas que tous les pays latino-américains soient entrés dans cette étape. Tout au contraire, c'est une minorité de pays qui s'achemine vers elle, dans un processus d'ensemble inégal. Mais ces « Russies » latino-américaines montrent la voie aux autres pays du continent et, nous nous risquons à le dire, au moins à tout le monde occidental.


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