1978
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"Le titre du livre synthétise ma position :
à la place de la démocratie socialiste et de la dictature du prolétariat du SU, je suis revenu aux sources, ai tenté de faire revivre la vieille formule marxiste, tant de fois reprise par Trotsky, de dictature révolutionnaire. Dit d'une autre manière, une dictature pour développer la révolution, et non pour produire de la "démocratie socialiste" immédiatement."
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Nahuel Moreno
La dictature révolutionnaire du prolétariat
III. Démocratie bourgeoise ou
démocratie ouvrière ?
3. Une dictature sans obligations, sans une stricte
discipline ?
Pour la majorité du SU, les "libertés politiques" ne
doivent être "limitées" qu'à l'égard de ceux qui "prennent les armes contre
le pouvoir de la dictature du prolétariat.". Mais que faisons-nous contre
ceux qui ne respectent pas, ou font de la propagande pour qu'on ne respecte
pas les résolutions du pouvoir révolutionnaire ? Le document de
la majorité du SU accorde les garanties et les droits les plus larges à la
contre-révolution, mais oublie de préciser que la dictature prolétarienne
imposera, comme dans toute lutte ouvrière, la discipline de classe la plus
stricte, parce que dans un processus de révolution permanente, de lutte
acharnée contre l'impérialisme et la bourgeoisie, il faut qu'il y ait, comme
dans toute autre lutte, une discipline presque militaire. Et elle utilisera
pour cela la force de l'état, qu'elle aura à sa disposition. N'importe quel
"ouvrier qui a participé ne serait-ce qu'une seule fois à une grève sait
qu'aucune lutte n'est possible sans discipline et sans une direction ferme",
surtout à "notre époque", qui "tout entière est pénétrée par l'esprit du
centralisme", disait Trotsky (1940) [4]
; et, pensons nous, il comprend bien mieux que les auteurs des thèses
ce qu'est la dictature du prolétariat. Il sait que pour gagner une grève il
faut la plus stricte discipline ; il comprend qu'il faut
combattre les briseurs de grève par tous les moyens, et qu'il faut compter à
leur nombre, également, ceux qui se limitent à faire de la
propagande pour briser la grève. On empêche d'entrer ceux qui veulent
travailler, et on empêche de s'exprimer ceux qui font une propagande
contraire à la grève.
Et il en sera ainsi sous la nouvelle dictature avec encore plus de raison.
Les mesures adoptées par la dictature prolétarienne révolutionnaire devront
être respectées. C'est-à-dire que l'on imposera des devoirs à toute la
population, et beaucoup plus à la population non prolétaire. S'il est voté
que tout travailleur, par une nécessitée impérieuse, - doit
aller travailler, n'est-il pas légitime de sanctionner ceux qui ne le
font pas, ou font de la propagande en ce sens ? Lénine était-il
dans le vrai quand il disait qu'il fallait fusiller un vagabond sur dix
? Pour le chef de la seule dictature révolutionnaire qui ait existé,
il fallait fusiller, non pas seulement celui qui prenait les armes contre la
dictature prolétarienne, mais celui qui manquait son travail. Si l'on ne peut
adopter de mesures punitives, comment pouvons-nous imposer la discipline de
classe ?
Pour la majorité du SU, la dictature révolutionnaire
du prolétariat agira de manière directement opposée à celle dont fonctionne
le mouvement ouvrier quand il lutte sous le régime capitaliste. Les auteurs
du document semblent ignorer que non seulement le parti
marxiste-révolutionnaire, et les partis trotskystes en général, se
caractérisent par le fonctionnement du centralisme démocratique, par la
démocratie la plus large dans la discussion préalable et la discipline la
plus absolue une fois votée une action ou une résolution, mais que ce
fonctionnement est également caractéristique de toute lutte ouvrière et de
masse. Et il le sera encore plus quand s'imposera la dictature
révolutionnaire du prolétariat ; toute discussion aura pour but
d'adopter des mesures, et celui qui fera de la propagande pour qu'on ne les
respecte ou ne les accomplisse pas, sera réprimé même s'il n'en vient pas à
prendre les armes ; les mesures pénales, administratives, ou de
quelqu'autre type, y compris celles spontanément adoptées par la base
révolutionnaire militante, sans aucune norme préalable, pour réprimer ceux
qui ne respectent pas les décisions ou font de la propagande en faveur de la
contre-révolution, ne sont pas seulement positives, mais indispensables. Le
document ne signale jamais que la dictature révolutionnaire du prolétariat
signifie la plus dure discipline de classe, et que "la garantie élémentaire
du succès exige d'opposer le centralisme révolutionnaire au centralisme de la
réaction" (Idem) [5].
Ce furent les anarchistes qui dans le mouvement ouvrier se battirent en
défendant l'idée qu'à partir de la révolution ouvrière, il y aurait une
liberté absolue pour tous. En revanche, le marxisme "autoritaire" s'est
toujours caractérisé par le fait de souligner la nécessité de l'Etat pour
imposer une stricte discipline et centralisation dans le processus
révolutionnaire et au début de la construction socialiste. Lénine insistait,
avant la révolution russe, sur le fait que l'éducation produirait
automatiquement la discipline sociale. Mais comme il le reconnaissait
lui-même, l'expérience démontrait qu'il était impossible d'y parvenir dans
les premières étapes de la dictature du prolétariat. Quand se joue le destin
de la révolution, il n'y a pas de coutume ni de morale qui soient suffisantes
en elles-mêmes pour garantir la mise en déroute de la contre-révolution. La
centralisation et la discipline sont indispensables. Elles peuvent être de
caractère bureaucratique ou révolutionnaire, mais sans elles il ne peut
exister de dictature du prolétariat. La démocratie révolutionnaire est
précisément celle qui se fonde sur la discipline révolutionnaire; c'est à
dire que c'est une démocratie pour ceux qui soutiennent et appuient la
révolution.
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