1871 |
Une lettre de Marx à W. Liebknecht sur les suites de la Commune de Paris. |
Lettre à W. Liebknecht
6 avril 1871
Londres, 6 avril 1871.
Cher Liebknecht,
La nouvelle de votre libération à Bebel et à toi [1] , ainsi que de celle de Braunschweiger, a été accueillie ici, au Conseil général, avec une grande joie.
Il semble que si les Parisiens succombent ce soit par leur faute, mais par une faute due, en réalité, à une trop grande honnêteté. Le Comité central et, plus tard, la Commune, ont donné au malfaisant avorton Thiers le temps de centraliser des forces ennemies : 1. Parce qu'ils ne voulaient pas, les insensés, ouvrir la guerre civile. Comme si Thiers ne l'avait pas déjà ouverte par sa tentative de désarmer Paris par la force, comme si l'Assemblée nationale, convoquée seulement pour décider de la paix ou de la guerre avec les Prussiens, n'avait pas immédiatement déclaré la guerre à la république ! 2. Pour ne pas se donner l'apparence d'un pouvoir usurpateur, ils ont perdu des moments précieux (il s'agissait de se porter immédiatement vers Versailles après la défaite, place Vendôme, de la réaction dans Paris) par l'élection de la Commune, dont l'organisation, etc., a encore pris du temps.
De tout le fatras qui te tombe sous les yeux dans les journaux sur les événements intérieurs de Paris, tu ne dois pas croire un mot. Tout est mensonger. Jamais la bassesse du journalisme bourgeois ne s'est mise plus brillamment en évidence.
Il est fort caractéristique que l'empereur de l'unité allemande, l'Empire de l'unité, le Parlement de l'unité à Berlin ne semblent pas du tout exister pour le monde extérieur. Chaque courant d'air à Paris intéresse davantage.
Vous devez suivre attentivement les histoires des principautés danubiennes. Si la révolution en France est temporairement abattue (ce n'est que pour un court temps que le mouvement peut y être écrasé), alors s'ouvre pour l'Europe une nouvelle histoire de guerre venant de l'Est, et la Roumanie y offrira au tsar orthodoxe le premier prétexte. Donc attention de ce côté-là...
Mon plus cordial salut à ta chère femme.
Ton KARL MARX.
Notes
[1] Bebel et Liebknecht avaient étés emprisonnés pour leurs prises de positions internationalistes durant la guerre franco-allemande.