1848-49

Marx et Engels journalistes au coeur de la révolution...

Une publication effectuée en collaboration avec la bibliothèque de sciences sociales de l'Université de Québec.


La Nouvelle Gazette Rhénane

K. Marx - F. Engels

Ruge

n°242, 10 mars 1849


Cologne, le 9 mars.

La Deutsche Allgemeine Zeitung [1] contient la déclaration suivante de son vieux collaborateur, Arnold Ruge, ce caractère poméranien, ce penseur saxon :

« Berlin le 5 mars. Les membres présents du Comité central des démocrates d'Allemagne : d'Ester, Reichenbach et Hexamer annoncent la parution, sous le nom de Allgemeine demokratische Zeitung d'un nouveau journal démocratique qui soit « réellement un organe du parti à Berlin. Cette annonce pourrait éveiller le soupçon que les journaux : Die Reform et Die Zeitungs-Halle ne sont pas réellement des organes du parti, et au début de l'annonce, ces deux journaux sont même nettement dits supprimés. Le passage où le Comité central proclame et accepte que leur suspension par Wrangel équivaille à une suppression définitive dit textuellement : « Les dures épreuves que le Parti démocratique a dû surmonter au cours des derniers mois dans toutes les parties de l'Allemagne, lui ont démontré outre la nécessité d'une organisation solide, également le besoin d'être représenté dans la presse par des organes déterminés, appartenant au parti. La domination du sabre des tenants du pouvoir a réussi à supprimer en de nombreux endroits (la « domination du sabre » n'existe, il est vrai qu'à Berlin) les organes démocratiques, parce que individuellement on n'était pas en mesure de taire des sacrifices assez grands pour rendre inopérantes les mesures despotiques arbitraires. » À cause de la domination du sabre, chacun pense à Berlin, alors qu'il est question de « nombreux endroits ». La démocratie tout entière n'aurait pu rendre ces mesures « inopérantes » qu'en écartant le sabre, Wrangel ayant fermé Berlin et la poste berlinoise aux organes démocratiques. Le Comité central peut bien appeler « sacrifices respectifs » les moyens auxquels, dans notre situation il aurait été en mesure de rendre cet arbitraire inopérant. Aux yeux mêmes de Wrangel, la « Reform » et la « Zeitungs-Halle » ne sont pas interdites. J'en ai pourtant fait l'expérience : les démocrates à qui cette circulaire du Comité central est parvenue ont compris que la Reform et la Zeitungs-Halle cesseraient de paraître et seraient remplacées par l'Allgemeine demokratische Zeitung. Je me vois contraint de dissiper ce malentendu. La « Reform » n'est pas interdite définitivement, et dès que l'état de siège de Berlin sera levé, elle reparaîtra à Berlin, et même comme organe réel du parti démocratique; par suite de décisions expresses de la gauche de l'Assemblée nationale dissoute et du précédent Comité central des démocrates allemands elle « n'appartient » pas moins an parti que la nouvelle feuille tout au plus octroyée par deux membres de l'actuel Comité central (d'Ester et Hexamer).
La rédaction de la Reform
Arnold RUGE. »
P.S. du rédacteur : « Je prie toutes les honorables rédactions des journaux allemands d'accueillir notre déclaration dans leurs colonnes. »

Cette mémorable déclaration nous laisse entendre, à notre grande satisfaction que le ci-devant « rédacteur de la raison des événements [2] » de Francfort et actuel imprimeur, sans aucun doute ne se déclare pas satisfait « à ce titre » de se voir octroyer une nouvelle feuille démocratique « à Berlin », un journal qui doit être « en réalité » un organe du « parti à Berlin ».

Monsieur Arnold Ruge, rédacteur à Francfort « de la raison des événements », et à Berlin de la Reform [3] prétend « à ce titre » avoir édité ainsi un organe du « parti à Berlin »; la Reform était « propriété du parti » par décision du « précédent » Comité central des démocrates [4] , elle avait été comme disent les Français. « En réalité » le « précédent » Comité central n'existe à vrai dire plus - c'est pourquoi la « Reform » nouvellement ressuscitée peut bien être encore un organe « réel » du défunt Comité central et de la gauche dissoute de l'Assemblée nationale « dissoute ».

Toutefois il est possible que M. Arnold Ruge veuille combattre dans l'Allgemeine demokratische Zeitung de Berlin, nouvellement octroyée, la concurrence de l'édition; en dehors de Berlin il se trouvera indiscutablement des aspirants au titre honorifique d'organe du « parti à Berlin ». Nous n'avons du moins jamais méconnu la Reform, « organe véritable » du « parti à Berlin »; nous savons apprécier pleinement l'effort qu'a fait sur lui-même le patriote Ruge, en ce qui concerne le « sacrifice » mentionné. Il subsiste en tout cas une contradiction extrêmement étrange. Le brave éditeur Ruge se place sur le terrain juridique pour défendre sa feuille, la Reform, en tant qu'organe « réel » (patenté sans garantie du gouvernement ) du parti. D'autre part le philosophe Ruge se place sur le terrain de la rébellion contre le « véritable » Comité central démocratique pour pouvoir continuer « véritablement » à faire de nouveaux sacrifices au sens que lui (libraire) donne à ce terme.

La donnée permettant de résoudre cette contradiction pourrait être la suivante.

Le Comité central des démocrates avait déclaré à Ruge qu'il voulait faire de la Reform son Moniteur [5] à la condition que le même Ruge s'abstienne totalement de raisonner et d'écrire.


Notes

Texte surligné : en français dans le texte.

[1] Deutsche Allgemeine Zeitung, c'est sous ce nom que parut à partir de 1843, date où elle fut interdite en Prusse, la Leipziger Allgemeine Zeitung, fondée en 1837. Ce journal subsista jusqu'en 1879.

[2] Dans le Wahl-Manifest der radicalen Reformpartei für Deutschland (Manifeste électoral du parti réformiste radical d'Allemagne) rédigé par RUGE, le but principal fixé à l'Assemblée nationale est la « Redaktion der Vernunft der Ereignisse » ( Rédaction de la raison des événements). Il fut publié dans le journal Die Reform n°du 16 avril 1848), édité à Leipzig par Ruge.

[3] Die Reform fut éditée par Arnold Ruge et H. B. Oppenheim d'avril à juin 1848 à Leipzig, et de juillet à novembre 1848, à Berlin. Elle était l'organe des démocrates petits-bourgeois.

[4] Au premier Congrès des démocrates de juin 1848, à Francfor-sur-le-Main, il fut décidé de créer un Comité central, ayant son siège à Berlin. Fröbel, Rau et Kriege furent élus membres de ce Comité central. Au cours du deuxième Congrès qui se tint du 26 au 30 octobre à Berlin, un nouveau Comité central fut élu avec d'Ester, Reichenbach et Hexamer.

[5] Son journal officiel.


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