1868-94

«Dans tous ces écrits, je ne me qualifie jamais de social-démocrate, mais de communiste. Pour Marx, comme pour moi, il est absolument impossible d'employer une expression aussi élastique pour désigner notre conception propre. »
Fr. Engels - Préface à la brochure du Volksstaat de 1871-1875.

Une publication effectuée en collaboration avec la bibliothèque de sciences sociales de l'Université de Québec.


La social-démocratie allemande

K. Marx - F. Engels

5
Critique du programme social-démocrate d'Erfurt de 1891


Sur le congrès de Bruxelles et la situation en Europe
Le Socialiste, 12 septembre 1891.

Nous avons tout lieu d'être satisfaits du congrès de Bruxelles.

On a bienfait de voter l'exclusion des anarchistes par là avait fini la vieille Internationale, par là recommence la nouvelle. C'est la confirmation pure et simple, dix-neuf ans après, des résolutions du congrès de la Haye [1].

Non moins importante a été la porte largement ouverte aux syndicats anglais. La mesure prouve combien on a compris la situation. Et les votes qui ont lié les syndicats à « la lutte des classes et à l'abolition du salariat » [2] font que ça n'a pas été une concession de notre part.

L'incident Domela Nieuwenhuis [3] a montré que les ouvriers européens ont définitivement dépassé la période de la domination de la phrase ronflante et qu'ils ont conscience des responsabilités qui leur incombent : c'est une classe constituée en parti de lutte, parti qui compte avec les faits. Et les faits prennent une tournure de plus en plus révolutionnaire.

La situation en Europe

En Russie, il y a déjà famine; en Allemagne, il y aura famine dans quelques mois; les autres pays souffriront moins, voici pourquoi : le déficit de la récolte de 1891 est estimé à 11 millions demi d'hectolitres de froment et à 87 ou 100 millions d'hectolitres de seigle : ce dernier déficit affecte donc principalement les deux pays consommateurs de seigle, la Russie et l'Allemagne.

Cela nous garantit la paix jusqu'au printemps 1892. La Russie ne bougera pas avant cette époque; à moins de bêtises inconcevables à Paris ou à Berlin, il n'y aura donc pas de guerre.

En revanche, le tsarisme traversera-t-il cette crise ? J'en doute. Il y a trop d'éléments rebelles dans les grandes villes, surtout à Pétersbourg, pour qu'on ne tâche pas de saisir cette occasion pour déposer l'alcoolique Alexandre III ou tout au moins pour le placer sous le contrôle d'une assemblée nationale - peut-être lui-même sera-t-il forcé de prendre l'initiative de cette convocation. La Russie a travaillé énormément - c’est-à-dire le gouvernement et la jeune bourgeoisie - à la création d'une grande industrie nationale (voir dans la Neue Zeit l'article de Plékhanov[4]. Cette industrie sera arrêtée net dans sa marche, parce que la famine lui fermera son seul marché - le marché intérieur. Le tsar verra ce que c'est que d'avoir fait de la Russie un pays se suffisant à lui-même et indépendant de l'étranger : il aura une crise agricole doublée d'une crise industrielle.

En Allemagne, le gouvernement se décidera trop tard, comme toujours, à abolir ou à suspendre les droits sur le blé. Cela brisera la majorité protectionniste au Reichstag. Les grands. propriétaires fonciers, les « ruraux » ne voudront plus soutenir les droits sur les produits industriels, ils voudront acheter le meilleur marché possible. De sorte que nous aurons probablement la répétition de ce qui s'est passé lors du vote sur la loi contre les socialistes : une majorité protectionniste divisée elle-même par des intérêts opposés, créés par la nouvelle situation, se trouvant dans l'impossibilité de tomber d'accord sur les détails du système protectionniste. Toutes les propositions possibles n'obtiennent que des minorités; il y aura ou bien un retour au système libre-échangiste, ce qui est impossible, ou bien une dissolution, avec déplacement des anciens partis formant l'ancienne majorité, et avec une nouvelle majorité libre-échangiste, opposée au gouvernement actuel. Cela signifie la fin réelle et définitive de la période bismarckienne et de la stagnation politique intérieure - je ne parle pas ici de notre parti, mais des partis gouvernementalement possibles - il y aura une lutte entre la noblesse foncière et la bourgeoisie, ainsi qu'entre la bourgeoisie industrielle qui est protectionniste et les commerçants, et une fraction de la bourgeoisie industrielle qui est libre échangiste. La stabilité intérieure sera brisée; enfin, il y aura mouvement, lutte, vie, et notre parti en récoltera tous les fruits : et si les événements prennent cette allure, notre parti pourra arriver au pouvoir vers 1898.

Voilà ! je ne parle pas des autres pays, parce que la crise agricole ne les affecte pas aussi considérablement. Mais si cette crise agricole faisait éclater en Angleterre la crise industrielle que nous attendons depuis 25 ans... Alors !


Notes

[2] Engels souligne ici le lien existant entre chaque Internationale, l'une préparant à la suivante une base supérieure à partir d'où elle pourra se développer avec plus de force et d'ampleur. Pour ce qui concerne le congrès de la Haye, cf. Marx-Engels, le Parti de classe, III, pp. 59 - 86.

[3] Il y a quelques années, la C.G.T. a rayé de l'article 1° de ses statuts la formule de l'abolition du salariat, consacrant un recul inouï par rapport à l'acquis du siècle dernier, cf. Marx-Engels, le Syndicalisme, tome 1°, pp. 172-175 et 180-184.

[4] Dans la Neue Zeit, Liebknecht écrit à propos de la recette proposée par Domela Nieuwenhuis pour empêcher la guerre : « La seule dissonance lors du débat sur la question militaire - et le fait est caractéristique - provint du membre d'une nation (la Hollande) qui n'y est pas intéressée, et peut donc là considérer avec toute la tranquillité d'âme du pays des nuées. Le plan d'une « grève militaire », car la « grève générale des ouvriers » ne suffit pas au faiseur de programme du pays des nuées, ne pouvait germer que dans l'esprit d'un rêveur, qui est assez heureux pour ne connaître le militarisme qu'au travers des brumes et de loin » (Skizzen vom Brüsseler Kongress, p. 838).

[1] Dans la Neue Zeit, Plékhanov avait publié une série d'articles sur la situation sociale et politique de la Russie en 1890, cf. numéros 47 à 52, IX - II, 1891.


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