1862-95

Source : Édition Sociales, 1971.

marx

K. Marx - F. Engels

Lettres à L. Kugelmann

Lettre de Jenny Marx - 27 juin 1872

27 juin 1872.

Mes chers amis,

Si vous saviez combien de fois je me suis installée pour vous écrire et combien de fois j'ai été interrompue avant d'avoir écrit une demi‑douzaine de lignes, je suis sûre que vous me pardonneriez de ne pas avoir répondu plus tôt à votre dernière lettre.

Vous serez content, mon cher docteur, d'apprendre que le Maure est entièrement de votre avis en ce qui concerne son activité au sein de l'Internationale. Il est convaincu que, tant qu'il restera au Conseil Général, il lui sera impossible d'écrire la second volume du Capital auquel il n'a pu travailler l'année dernière. Il a donc décidé d'abandonner son poste de secrétaire tout de suite après le prochain congrès. Mais d'ici là, il aura un travail écrasant au Conseil et ailleurs, en vue de préparer la grande bataille qui se livrera au congrès, lequel doit se tenir en Hollande [1].

Vous aurez quelque idée de ce travail quand je vous aurai dit que Mohr ne se contente pas de rédiger des manifestes, de lire des montagnes de lettres ou d'y répondre, mais aussi qu'il est obligé d'assister non seulement à la séance hebdomadaire normale à Rathbone Place, mais encore à des séances supplémentaires chez nous et chez Engels, et la dernière a duré de quatre heures de l'après‑midi à une heure du matin. Voilà pour le travail de l'internationale. Le reste du temps (et il n'en reste guère) est consacré à la correction des épreuves envoyées par Meissner [2] et à la révision de la traduction française qui est malheureusement si imparfaite que le Maure a été obligé de récrire la plus grande partie du premier chapitre. La première livraison, qui contient seulement le portrait de l'auteur (d'après la photographie ci‑jointe de Duyall), une lettre autographe et la réponse de l'éditeur Lachâtre [3], paraîtra prochainement, dans une semaine environ. Mille exemplaires de la traduction russe, qui est excellente, ont déjà été vendus. La traduction française de La Guerre civile [4] a une excellente influence sur les réfugiés, car elle satisfait également tous les partis, blanquistes, proudhoniens et communistes. Il est fort dommage qu'elle n'ait pas paru plus tôt, car elle aurait sans nul doute beaucoup contribué à apaiser l'animosité contre le Conseil Général [5].

Et maintenant, ma chère Trautchen, il faut aussi que je vous donne quelques nouvelles. Selon toute probabilité, le mariage si souvent annoncé par la presse policière de Paris aura lieu vers la mi‑juillet, le 16 ou le 18. La semaine dernière, Le Gaulois [6] m'a mariée pour la vingtième fois. Il m'a choisi pour mari le fameux Landeck [7]. Quand je serai mariée pour de bon, je suppose que ces stupides scribouillards me laisseront tranquille.

Je ne puis vous envoyer la photographie de M. Longuet, mes chers amis, car la seule que j'aie est horrible; elle a été expo. sée dans des vitrines, et c'est une caricature faite pour réjouir la bourgeoisie et pour la convaincre que physiquement aussi bien que moralement les Communeux sont les monstres qu'elle imagine. Dès que j'aurai une photographie plus ressemblante, je vous l'enverrai. Que pensez‑vous de celle ci‑jointe de papa ? Nous l'admirons tous beaucoup et la trouvons supérieure à celle qu'on avait faite de lui à Hanovre.

Avec les meilleures amitiés de nous tous à vous deux et à Françoise.

Croyez‑moi toujours votre amie affectueuse

Jenny Marx.

Notes

[1] Il se tint à La Haye en septembre 1872.

[2] Il s'agit de la deuxième édition allemande du Capital.

[3] Le portrait de l'édition originale française est signé Dumont. La lettre de Marx : Au citoyen Maurice La Châtre, est datée : Londres, 18 mars 1872, la réponse de La Châtre est sans date. Toutes deux sont reproduites en fac‑similé.

[4] Il s'agit sans doute de la traduction parue vers la mi‑juin 1872 à Bruxelles et qui fut faite par Charles Longuet. Elle fut tirée à 9 000 exemplaires.

[5] Voir la lettre de Marx à Kugelmann du 9 juin 1872. Marx était secrétaire de l'Internationale pour l'Allemagne et la Russie.

[6] Le Gaulois du mardi 18 juin 1872 (p. 1‑V) annonce, dans sa rubrique « Ce qui se passe » : « Le citoyen Landeck, ancien membre de la Commune de Marseille, vient d'épouser à Londres la fille de Karl Marx, le grand pontife de l'Internationale. »

[7] Bernard Landeck : joaillier français, alors âgé de 40 ans, membre de l'Internationale et de la section française de 1871 à Londres.


Texte surligné en jaune : en français dans le texte.

Texte surligné en bleu : en anglais dans le texte.