1913 |
Un ouvrage qui est encore discuté aujourd'hui... |
L'accumulation du capital
I: Le problème de la reproduction
Le caractère défectueux du schéma de la reproduction simple apparaît clairement : il expose les lois d'une forme de reproduction qui, dans les conditions de la production capitaliste, ne peut être qu'exceptionnelle. La règle du mode de production capitaliste, encore plus que de tout autre mode de production, n'est pas la reproduction simple, mais la reproduction élargie [1]. Malgré cela, le schéma conserve toute son importance scientifique. Cela sous un double rapport. Pratiquement, même avec une reproduction élargie, la plus grande partie du produit total tombe toujours sous le point de vue de la reproduction simple. Celle-ci constitue la large base sur laquelle a lieu, chaque fois, l'extension de la production au-delà des limites précédentes. De même, théoriquement, l'analyse de la reproduction simple constitue le point de départ indispensable de toute représentation scientifique exacte de la reproduction élargie. Ainsi, le schéma de la reproduction simple du capital social mène automatiquement au-delà de ses propres limites, au problème de la reproduction élargie du capital social.
Nous connaissons déjà la particularité historique de la reproduction élargie sur la base capitaliste : elle doit se présenter en tant qu'accumulation de capital, ceci étant à la fois sa forme spécifique et sa condition. Autrement dit, la production sociale - qui est, sur la base capitaliste, une production de plus-value - ne peut être chaque fois élargie que dans le sens et la mesure où le capital jusqu'alors actif de la société reçoit un accroissement de la plus-value produite par lui. L'emploi d'une partie de la plus-value, et notamment d'une partie croissante, à des buts productifs et non pas à des buts de consommation personnelle de la classe capitaliste ou à des buts de thésaurisation, telle est la base de la reproduction élargie dans les conditions de la production capitaliste.
Un élément de la reproduction élargie du capital social est, tout comme pour la reproduction simple que nous avons supposée plus haut, la reproduction du capital individuel. Car la production, qu'elle soit simple ou élargie, ne se poursuit en fait que sous la forme d'innombrables mouvements de reproduction indépendants de capitaux individuels. La première analyse complète de l'accumulation du capital individuel est donnée dans le tome I du Capital de Marx, 7° partie, chapitres XXII et XXIII. Marx y étudie la division de la plus-value en capital et en revenu, les conditions qui déterminent, indépendamment de la division de la plus-value en capital et en revenu, l'accumulation du capital, telles que le degré d'exploitation de la force de travail et la production du travail, l'accroissement du capital fixe par rapport au capital circulant en tant que facteurs de l'accumulation, enfin la formation continue de l'armée de réserve industrielle à la fois comme résultat et comme condition du procès de l'accumulation. Entre-temps, Marx réfute deux idées extravagantes de l'économie bourgeoise touchant l'accumulation : d'une part, la plus « économie-vulgaire » « théorie de l'abstinence », qui présente la division de la plus-value en capital et en revenu, et par conséquent l'accumulation elle-même comme un acte hautement moral des capitalistes, et, d'autre part, l'erreur de l'économie classique d'après laquelle toute la partie capitalisée de la plus-value est employée exclusivement « à être consommée par des ouvriers productifs », c'est-à-dire à payer des salaires à des ouvriers supplémentaires. Cette conception erronée, qui oublie complètement que toute extension de la production doit s'exprimer non seulement dans l'augmentation du nombre des ouvriers occupés, mais aussi dans l'accroissement des moyens de production matériels (bâtiments, instruments, pour le moins et en tout cas matières premières), s'appuie manifestement sur le faux « dogme » déjà mentionné d'Adam Smith.
De l'erreur selon laquelle le prix de toutes les marchandises se divise entièrement - en laissant complètement de côté le capital constant - en salaire et en plus-value, a découlé également cette croyance qu'il suffit, pour élargir la production, de dépenser plus de capital en salaires. Il est caractéristique que Ricardo, qui, tout au moins occasionnellement, a compris le caractère erroné de la doctrine de Smith, reprenne expressément sa conclusion erronée, en écrivant : « Il faut comprendre que tous les produits d'un pays sont consommés, mais cela fait une très grande différence qu'ils le soient par des gens qui reproduisent une autre valeur ou par des gens qui n'en reproduisent pas. Quand nous disons que le revenu est épargné et transformé en capital, nous disons que la partie du revenu transformé en capital est consommée par des ouvriers productifs au lieu de l'être par des ouvriers improductifs. » D'après cette conception étrange, qui fait consommer par les hommes tous les produits fabriqués, et ne laisse par conséquent, dans l'ensemble de la production sociale, aucune place pour les moyens de production non consommables : instruments et machines, matières premières et bâtiments, la reproduction élargie se fait de cette façon merveilleuse qu'au lieu d'une partie de moyens de consommation de qualité supérieure pour la classe capitaliste on produit, pour le montant de la partie capitalisée de la plus-value, des moyens de consommation de qualité ordinaire pour de nouveaux ouvriers. De déplacement autre que celui qui a lieu à l'intérieur de la production de moyens de consommation la théorie classique de la reproduction élargie n'en connaît pas. Que Marx ait réfuté en se jouant cette bourde élémentaire de Smith-Ricardo, c'est ce qui se comprend de soi-même d'après ce qui a été dit plus haut. De même que, pour la reproduction simple, à côté de la production de la quantité nécessaire de moyens de consommation pour les ouvriers et les capitalistes doit avoir lieu le renouvellement régulier du capital constant (les moyens de production matériels), de même, pour l'élargissement de la production, une partie du nouveau capital supplémentaire doit être employée à l'accroissement de la partie du capital constant, c'est-à-dire à l'augmentation des moyens de production matériels. Ici entre en jeu une autre loi découverte par Marx : la partie du capital constant qu'oublie régulièrement l'économie classique croît constamment par rapport à la partie variable, dépensée en salaires. Ce n'est là que l'expression capitaliste des effets généraux de la productivité croissante du travail. Avec le progrès technique, le travail vivant est en mesure de mettre en mouvement et de transformer en produits, en un temps de plus en plus court, des masses de plus en plus considérables de moyens de production. Au point de vue capitaliste, cela signifie une diminution continue des dépenses consacrées au travail vivant, aux salaires, par rapport à celles consacrées aux moyens de production fixes. La reproduction élargie doit par conséquent, non seulement, contrairement à la conception de Smith-Ricardo, commencer toujours avec la division de la partie capitalisée de la plus-value en capital constant et capital variable, mais encore cette division doit, au fur et à mesure du progrès technique de la production, comporter une part relativement de plus en plus grande pour la partie constante du capital et une part relativement de plus en plus petite pour la partie variable. Ce changement qualitatif incessant dans la composition du capital constitue la forme spécifique de l'accumulation du capital, c'est-à-dire de la reproduction élargie sur la base capitaliste [2].
L'autre aspect de ce déplacement continuel dans le rapport de la partie constante à la partie variable du capital est ce que Marx appelle la formation de la population ouvrière en excédent pour les besoins moyens de mise en valeur du capital, et par conséquent superflue. La production de cette réserve constamment disponible d'ouvriers industriels non occupés (dans le sens large, y compris les prolétaires placés sous le commandement du capital commercial), qui constitue à son tour la condition des accroissements brusques de la production dans les périodes de haute conjoncture, fait partie des conditions spécifiques de l'accumulation du capital [3].
Nous avons par conséquent à déduire de l'accumulation du capital individuel les quatre éléments suivants de la reproduction élargie :
Ces éléments déduits déjà du mouvement de reproduction du capital individuel constituent un progrès énorme sur l'analyse de l'économie bourgeoise. Mais il s'agissait maintenant, partant du mouvement du capital individuel, de représenter l'accumulation du capital social. D'après le schéma de la reproduction simple, il fallait pour la reproduction élargie également mettre en rapport exact les uns avec les autres, du point de vue de l'accumulation, tant les points de vue de valeur d'une production de plus-value que les points de vue concrets du procès du travail (production de moyens de production et production de moyens de consommation).
Ce qui distingue essentiellement la reproduction élargie de la simple reproduction, c'est que, dans cette dernière, toute la plus-value est consommée par la classe capitaliste et sa suite, tandis que dans la première une partie de la plus-value est soustraite à la consommation personnelle de ses possesseurs, non pas pour être thésaurisée, mais pour être transformée en capital actif, capitalisée. Pour cela, il est nécessaire que le nouveau capital additionnel trouve réalisées les conditions matérielles de sa mise en activité. Ici entre par conséquent en ligne de compte la composition concrète du produit social total. Marx dit déjà dans le tome I du Capital à propos de l'accumulation du capital individuel :
« En premier lieu, la production annuelle doit fournir tous les objets ou valeurs d'usage qui serviront à remplacer les éléments matériels du capital consommés dans le cours de l'année. En sus de ces objets, il y a le produit net ou surproduit, représentait de la plus-value. De quoi se compose ce surproduit ? De choses peut-être qui seraient destinées à la satisfaction des besoins et des appétits de la classe capitaliste et entreraient par suite dans le fonds de consommation capitaliste ? S'il en était ainsi, la plus-value serait dépensée jusqu'au dernier centime, et il n'y aurait que simple reproduction.
« Pour accumuler, il faut transformer en capital une partie du surproduit. Mais à moins d'opérer des miracles, on ne peut transformer en capital que des choses qui soient utilisables dans le procès de travail, c'est-à-dire des moyens de production, ou encore des choses dont l'ouvrier ait besoin pour vivre, c'est-à-dire des moyens de subsistance. Par conséquent, il faut qu'une partie du surtravail annuel ait été consacrée à créer des moyens supplémentaires de production et de subsistance, en excédent sur la quantité nécessaire au remplacement du capital avancé. En un mot : la plus-value n'est convertible en capital que parce que le surproduit, dont elle est la valeur, contient déjà les éléments matériels d'un nouveau capital [4]. »
Assurément, des moyens de production et des moyens de consommation supplémentaires ne suffisent pas pour les ouvriers : il faut encore des forces de travail supplémentaires pour mettre en mouvement la production élargie. Mais cette condition n'offre d'après Marx aucune difficulté particulière. « Par son mécanisme même, la production capitaliste a résolu le problème : elle reproduit la classe ouvrière comme une classe dépendante du salaire et à qui le salaire assure la conservation et l'accroissement. Ces forces additionnelles que lui fournit tous les ans la classe ouvrière aux divers degrés d'âge, le capital n'a qu'à les incorporer aux moyens de production additionnels déjà contenus dans la production annuelle, et la conversion de la plus-value en capital est effectuée [5]. »
Nous avons ici la première solution que Marx donne au problème de l'accumulation du capital social. Sans insister davantage sur cet aspect de la question dans le tome I du Capital, il n'y revient qu'à la fin du tome II de son ouvrage principal : le vingt et unième et dernier chapitre est consacré à l'accumulation et à la reproduction élargie du capital social.
Examinons maintenant d'un peu près la représentation schématique de l'accumulation chez Marx. D'après l'exemple du schéma, que nous connaissons déjà, de la reproduction simple, Marx construit un schéma de la reproduction élargie. Une comparaison des deux schémas en fera apparaître nettement la différence.
Supposons que le produit total annuel de la société représente une valeur de 9 000 (par quoi on peut entendre des millions d'heures de travail, ou, exprimé en argent, n'importe quelle somme d'argent), le produit total est réparti de la façon suivante :
I- 4 000 c + 1000 v + 1000 pl = 6 000 II- 2 000 c + 500 v + 500 pl = 3 000 |
Total : 9 000. |
La première section représente des moyens de production, la seconde des moyens de consommation. Un simple coup d'œil sur les rapports numériques suffit pour montrer qu'il ne peut y avoir ici que reproduction simple. Les moyens de production fabriqués dans la première section sont égaux à la somme des moyens de production effectivement consommés dans les deux sections, et dont le seul renouvellement ne permet que la répétition de la production dans les anciennes dimensions. D'autre part, tout le produit de la section des moyens de consommation est égal à la somme des salaires, ainsi que des plus-values dans les deux sections. Cela montre que les moyens de consommation existants ne permettent aussi que l'occupation de la même quantité de forces de travail, mais qu'en même temps aussi toute la plus-value passe dans les moyens de consommation, c'est-à-dire dans la consommation personnelle de la classe capitaliste.
Mais prenons maintenant le même produit total de 9 000 dans la composition suivante :
I- 4 000 c + 1000 v + 1000 pl = 6 000 II- 1 500 c + 750 v + 750 pl = 3 000 |
Total : 9 000. |
Ici apparaît immédiatement une double disproportion. La quantité fabriquée de moyens de production (6 000) dépasse, en valeur, de 500 la quantité effectivement consommée dans la société (4 000 c + 1500 c). En même temps, la quantité de moyens de consommation (3000) représente par rapport à la somme des salaires payés, c'est-à-dire des besoins des ouvriers (1000 v + 750 v), ainsi qu'à la somme de la plus-value obtenue (1000 pl + 750 pl), un déficit de 500. Il en résulte - étant donné que la réduction du nombre des ouvriers occupés est exclue - que la consommation de la classe capitaliste doit être plus petite que la plus-value obtenue par elle. Ainsi sont observées les deux conditions indispensables à la reproduction élargie sur la base capitaliste : une partie de la plus-value obtenue n'est pas consommée, mais employée à des buts productifs, et en même temps des moyens de production en quantité accrue sont fabriqués, afin que la plus-value capitalisée puisse être employée effectivement à l'extension de la production.
Si nous avons trouvé, dans le schéma de la reproduction simple, que ses principales conditions sociales sont incluses dans le rapport exact suivant : la somme des moyens de production fabriqués (produit de la section I) doit être égale en valeur au capital constant des deux sections, mais la somme des moyens de consommation fabriqués (produit de la section Il) à la somme des capitaux variables comme de la plus-value dans les deux sections, nous devons en déduire pour la reproduction élargie un double rapport exact inverse. La condition générale de la reproduction élargie est la suivante : le produit de la section I est, d'après sa valeur, plus grand que le capital constant des deux sections ensemble, le produit de la section II est, d'après sa valeur également, plus petit que la somme des capitaux variables et de la plus-value dans les deux sections.
Mais par là nous sommes loin d'avoir épuisé l'analyse de la reproduction élargie. Nous en sommes au contraire à peine au commencement.
En effet, ces rapports que nous avons déduits du schéma, il nous faut maintenant les suivre dans leur activité ultérieure, dans le flot de la circulation et la marche de la reproduction. Si la simple reproduction peut être comparée à un cercle qui se répète toujours à nouveau, la reproduction élargie ressemble, d'après l'expression de Sismondi, à une spirale, qui monte toujours plus haut. Il nous faut par conséquent étudier tout d'abord les courbes de cette spirale. La première question générale qui se pose est celle-ci : comment se réalise en fait, étant donné les conditions que nous connaissons maintenant, l'accumulation dans les deux sections, de telle sorte que tous les capitalistes capitalisent une partie de leur plus-value et trouvent en même temps les conditions matérielles nécessaires à la reproduction élargie ?
Marx explique cette question à l'aide de l'exposé schématique suivant.
Supposons que la moitié de la plus-value de I soit accumulée. Les capitalistes emploient par conséquent 500 pour leur consommation, et transforment les 500 autres en capital. Ce nouveau capital de 500 doit, comme nous le savons maintenant, pour pouvoir être mis en activité, être partagé en capital constant et capital variable. Supposons que le rapport de ces deux sortes de capital reste, malgré l'extension de la production, le même que dans le capital original, c'est-à-dire 4 à 1. Alors les capitalistes de la section I répartiront leur capital additionnel de 500 de façon à acheter pour 400 de nouveaux moyens de production et pour 100 de nouvelles forces de travail. L'achat de nouveaux moyens de production pour 400 n'offre aucune difficulté : nous savons que la section I a déjà fabriqué pour 500 de moyens de production supplémentaires. Là-dessus, les 4/5 ont été employés à l'intérieur de la section I pour permettre l'élargissement de la production. Mais l'accroissement correspondant du capital variable de 100 en argent ne suffit pas, les nouvelles forces de travail additionnelles doivent trouver aussi des moyens de consommation correspondants, et ceux-ci ne peuvent être tirés que de la section II. Maintenant par conséquent la circulation se fait entre les deux grandes sections. Jusqu'alors, dans la reproduction simple, la section I tirait pour 1000 de moyens de consommation de la section Il pour ses propres ouvriers, maintenant elle doit en tirer pour 100 de plus. Elle commencera donc la reproduction élargie de la manière suivante :
4 400 c + 1 100 c |
A son tour, la section II, par suite de la vente de moyens de consommation supplémentaires de 100, est en mesure d'acheter à la section I pour une quantité supplémentaire correspondante de moyens de production. En effet, sur l'excédent total du produit de la section I, il reste encore juste 100. La section II les achète pour pouvoir procéder à son tour à un élargissement de la production. Mais ici non plus on ne peut pas faire grand-chose uniquement avec une plus grande quantité de moyens de production : pour pouvoir les mettre en mouvement, des forces de travail supplémentaires sont nécessaires. Si nous supposons ici aussi que l'ancienne composition du capital est maintenue, que par conséquent le rapport du capital constant au capital variable est de 2 à 1, il faut pour mettre en activité les moyens de production supplémentaires de 100 de nouvelles forces de travail pour 50. Mais pour ces nouvelles forces de travail, il faut également, pour le montant de leurs salaires, de nouveaux moyens de consommation, que la section Il fournit elle-même. Du produit total de la section II, par conséquent, en dehors des moyens de consommation supplémentaires de 100 pour les nouveaux ouvriers de la section I, de nouveaux moyens de consommation supplémentaires de 50 devront être employés pour les ouvriers de la section Il. Celle-ci commence par conséquent la reproduction élargie de la façon suivante :
1600 c + 800 v |
Maintenant, le produit total de la section I- (6 000) est passé entièrement dans la circulation : 5 500 ont été nécessaires pour le simple renouvellement des vieux moyens de consommation usagés dans les deux sections, 400 ont été utilisés pour l'élargissement de la production de la section I et 100 pour le même but dans la section II. En ce qui concerne le produit total de la section Il (3 000), 1900 ont été employés pour la quantité accrue des forces de travail dans les deux sections. Les 1100 de moyens de consommation restants servent à la consommation personnelle des capitalistes, à la consommation de leur plus-value, à savoir 500 dans la section I, 600 pour les capitalistes de la section II, qui sur leur plus-value de 750 n'en ont capitalisé que 150 (100 pour l'achat de moyens de production et 50 pour le paiement de salaires).
Alors la production élargie peut avoir lieu. Si nous conservons le même degré d'exploitation (100 %), comme pour le capital original, nous aurons dans la période suivante :
I- 4 400 c + 1 100 v + 1 100 pl = 6 600 II- 1600 c + 800 v + 800 pl = 3 200 | Total : 9 800 |
Le produit total de la société est passé de 9 000 à 9 800, la plus-value dans la première section de 1000 à 1100, dans la seconde de 750 à 800. Le but de l'élargissement capitaliste de la production, à savoir la production accrue de plus-value, est atteint. En même temps, la composition matérielle du produit social donne de nouveau un excédent de 600 de moyens de production (6600) par rapport à ceux qui ont été effectivement utilisés (4 400 + 1 600), ainsi qu'un déficit de moyens de consommation (3 200) par rapport aux salaires payés jusque-là (1100 v + 800 v) et à la plus-value obtenue (1 100 pl + 800 pl). Par là est donnée de nouveau déjà une base matérielle comme une nécessité d'employer une partie de la plus-value non seulement à la consommation personnelle de la classe capitaliste, mais à un nouvel élargissement de la production.
Le deuxième élargissement de la production et de la création de plus-value découle automatiquement, avec ses rapports mathématiquement exacts, de la première. L'accumulation du capital une fois commencée mène mécaniquement toujours plus loin au-delà d'elle-même. Le cercle s'est transformé en une spirale, qui monte de plus en plus haut, comme sous la contrainte d'une force naturelle, qu'on peut mesurer mathématiquement. Si nous supposons au cours des années suivantes toujours cette même capitalisation de la moitié de la plus-value dans la section I, en conservant la même composition du capital et le même degré d'exploitation, nous aurons la progression suivante dans la reproduction du capital social :
Deuxième année.
I- 4 840 c + 1210 v + 1210 pl = 7 260 II- 1760 c + 880 v + 880 pl = 3 520 | Total : 10 780 |
Troisième année.
I- 5 324 c + 1331 v + 1 331 pl = 7 986 II- 1 936 c + 968 v + 968 pl = 3 872 | Total : 11 858 |
Quatrième année.
I- 5 856 c + 1464 v + 1 464 pl = 8 784 II- 2 129 c + 1065 v + 1 065 pl = 4 249 | Total : 13 033 |
Cinquième année.
I- 6 442 c + 1 610 v + 1610 pl = 9 662 II- 2 342 c + 1 172 v + 1 172 pl = 4 686 | Total : 14 348 |
Ainsi, en cinq années d'accumulation, le produit social serait passé de 9 000 à 14 348, le capital social de 5 400 c + 1750 v, soit 7 150, à 8 784 c + 2 782 v, soit 11 566, et la plus-value de 1 000 pl + 500 pl, soit 1500, à 1 464 pl + 1 065 pl, soit 2 529, la plus-value consommée par les capitalistes étant passée de 1 500 avant le commencement de l'accumulation à 732 + 958 (dans la dernière année), soit 1 690 [6]. La classe capitaliste a pu par conséquent capitaliser davantage, faire preuve de plus d'esprit d'épargne et cependant vivre plus agréablement. La société est devenue plus riche au point de vue matériel : plus riche en moyens de production, plus riche en moyens de consommation, et en même temps dans le sens capitaliste, car elle produit une plus-value de plus en plus grande. Le produit total passe entièrement dans la circulation sociale : il sert en partie à l'élargissement de la reproduction, en partie à des buts de consommation. Les besoins d'accumulation des capitalistes concordent en même temps avec la composition matérielle du produit social. Il en est comme Marx l'a dit dans le tome I du Capital : la plus-value accrue peut précisément être transformée en capital parce que le surproduit social vient au monde sous la forme matérielle de moyens de production, une forme qui ne permet précisément aucun autre usage que son emploi dans le processus de la production. En même temps, l'élargissement de la reproduction se réalise dans le respect le plus strict des lois de la circulation : l'approvisionnement réciproque des deux sections de la production en moyens de production et moyens de consommation supplémentaires se fait en tant qu'échange d'équivalents, en tant qu'échange de marchandises, l'accumulation dans l'une rendant possible et conditionnant précisément l'accumulation dans l'autre. Le problème compliqué de l'accumulation est par conséquent transformé en une progression schématique d'une étonnante simplicité. On peut poursuivre à l'infini la chaîne d'équations ci-dessus commencée. Il suffit seulement d'observer les règles simples suivantes : à l'accroissement du capital constant dans la première section doit toujours correspondre un certain accroissement du capital variable. Ce dernier accroissement indique d'avance quel peut être l'accroissement du capital constant, dans la seconde section. Ce dernier doit être accompagné à son tour d'un accroissement correspondant du capital variable. Enfin, l'importance du capital variable accru dans les deux sections indique toujours combien, sur la somme totale des moyens de consommation, il reste pour la consommation personnelle de la classe capitaliste. On constatera que cette quantité de moyens de consommation restant pour la consommation personnelle des capitalistes correspond exactement en valeur à la partie non capitalisée de la plus-value dans les deux sections.
La continuation du développement schématique de l'accumulation, en tenant compte de ces quelques règles faciles, ne connaît, comme nous l'avons dit, aucune limite. Mais il est temps maintenant de nous demander si nous n'arrivons précisément à des résultats aussi étonnamment faciles que parce que nous ne nous livrons là qu'à des exercices mathématiques avec additions et soustractions, exercices ne pouvant présenter aucune surprise, et si l'accumulation ne se poursuit ainsi sans heurts, à l'infini, que parce que le papier a bon dos et se laisse couvrir facilement de formules mathématiques. En d'autres termes, il est temps de considérer les conditions sociales concrètes de l'accumulation.
Notes
[1] « L'hypothèse de la reproduction simple, d'après laquelle I (v + pl) = Il c, est tout d'abord incompatible avec la production capitaliste. cela n'exclut pas du reste que, dans un cycle industriel de dix ou douze années, la production d'une année ne soit moindre que celle de l'année précédente et qu'il n'y ait même pas reproduction simple. En outre, étant donné l'accroissement annuel naturel de la population, la reproduction simple ne pourrait avoir lieu que si un nombre correspondant d'auxiliaires improductifs aidait à consommer les 1500, qui représentent la plus-value totale. L'accumulation de capital, c'est-à-dire la production capitaliste proprement dite, serait impossible. » (Le Capital, Il, p. 497 Trad. Molitor, VIII, pp. 200-201.)
[2] « Le mode de production spécifiquement capitaliste, le développement correspondant de la productivité du travail, le changement qui en résulte dans la composition organique du capital ne contentent pas de marcher de pair avec le progrès de l'accumulation ou l'accroissement de la richesse sociale. Leur marche est infiniment plus rapide, parce que l'accumulation simple, ou l'extension absolue du capital total, s'accompagne de la centralisation de ses éléments Individuels, et que le bouleversement technique du capital additionnel s'accompagne du bouleversement technique du capital primitif. Avec le progrès de l'accumulation, le rapport entre la partie constante et la partie variable du capital se transforme donc ; de 1 : 1 qu'il était il abord, il devient 2 : 1, 3 : 1, 4 : 1, 5 : 1, 6 : 1, 8 : 1, etc., si bien qu'avec l'accroissement du capital ce n'est plus 1/2 de sa valeur totale, mais progressivement 1/3, 1/4, 1/5, 1/6, 1/7, 1/8, etc., qui sont convertis en force de travail, et par contre 2/3, 3/4, 4/5, 5/6, 6/7, 7/8, etc., en moyens de production. La demande de travail, étant déterminée non point par l'étendue du capital total, mais par celle de la partie variable, diminue progressivement avec l'accroissement du capital total, au lieu d'augmenter proportionnellement, comme nous l'avons supposé plus haut. Elle diminue relativement à la grandeur du capital total et dans une progression accélérée avec l’accroissement de cette grandeur. Il est vrai que l'accroissement du capital total entraîne celui de la partie variable ou de la force de travail incorporée au capital mais dans une proportion sans cesse décroissante. Les intervalles où l'accumulation opère comme simple extension de la production sur une base technique donnée deviennent de plus en plus courts. Il faut d'abord que l'accumulation du capital total soit accélérée dans une progression constante, pour pouvoir absorber un nombre additionnel donné d'ouvriers, ou encore pour pouvoir, à cause de la métamorphose incessante du capital ancien, occuper les ouvriers déjà en fonctions. De son côté, cette accumulation croissante et cette centralisation provoquent de nouveaux changements dans la composition du capital ou une nouvelle diminution accélérée de sa partie variable par rapport à la partie constante. » (Le Capital, I, p. 593. Trad. Molitor, IV, p. 93-94.)
[3] « Le cours caractéristique de l'industrie moderne, la forme d'un cycle décennal, interrompu par des fluctuations plus ou moins accentuées, et composé de périodes d'une vitalité moyenne, de production compliquée d'excès, crises et de stagnations, repose sur la formation continuelle, l'absorption plus ou mains grande et la reproduction de l'armée de réserve industrielle ou de la surpopulattion. De leur côté, les vicissitudes du cycle industriel recrutent la surpopulation, à la reproduction de laquelle elles concourent puissamment. » (Le Capital, I, p. 594. Trait. Molitor, IV, p. 98.)
[4] Le Capital, I, p. 543. Trad. Molitor, IV, p. 31.
[5] Le Capital, I. p. 544. Trad. Molitor, IV, p. 32.
[6] Le Capital, II, pp. 487-490. Trad. Molitor VIII, p. 189.