1919

Source : num�ro 5 du Bulletin communiste (permi�re ann�e), 15 avril 1920.


L'instruction populaire dans la Russie des soviets

Anatoli Lounatcharsky

3 octobre 1919


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J'ai eu l'occasion d'indiquer dans un de mes articles pr�c�dents que, malgr� l'attitude bienveillante, � d�s la premi�re heure � du Commissariat de l'Instruction populaire envers le personnel de l'enseignement, nous nous sommes heurt�s de la part de ce dernier � une opposition haineuse et irr�ductible. Il est vrai que nous conn�mes d�s le premier jour le centre de cette opposition, qui �tait l'Union Pan-russe des Instituteurs, � la t�te de laquelle se trouvaient des professeurs d'�coles moyennes appartenant pour la plupart aux partis S. R. et S. R. de gauche.

Quant au reste de l'enseignement, l'ensemble de l'union � form�e de cinquante mille instituteurs environ � et � plus forte raison, la grande masse des instituteurs demeur�s en dehors de l'union (soit environ trois cents mille instituteurs), h�sitait d'autant plus, comprenait d'autant moins les probl�mes pos�s qu'elle se rapprochait plus du niveau de l'instituteur primaire ; ce sont les plus haut plac�s dans la hi�rarchie de l'enseignement qui nous opposaient le plus de haine et de r�sistance.

Nous tol�r�mes longtemps l'existence de l'Union Panrusse des Instituteurs, d�sireux d'�viter dans les questions d'enseignement toute violence peut-�tre inutile.

Mais le d�veloppement ult�rieur de l'�tat d'esprit des instituteurs nous amena � une autre conclusion. L'Union Panrusse des Instituteurs ayant adopt� de toute �vidence, le caract�re d'une association politique, �touffa absolument les bonnes dispositions naissantes des instituteurs envers l'�cole r�volutionnaire � tandis qu'elle perdait rapidement, d'autre part, la sympathie des masses dont nous recevions, par la voie de nombreuses r�solutions des congr�s les plus vari�s, des t�moignages d'int�r�t de plus en plus fr�quents.

C'est pourquoi nous nous r�sol�mes finalement, � la fin de l'ann�e 1918, � dissoudre l'Union Panrusse des Instituteurs et �, la remplacer par une Association professionnelle d'un autre type.

Mais duquel ? Des divergences d'opinion se manifest�rent � ce sujet. Le corps enseignant lui-mi�me et surtout ses couches sup�rieures, voulurent fonder une large union professionnelle qui n'e�t �t� qu'une r��dition de l'Union Panrusse des Instituteurs ; par ailleurs certains instituteurs communistes et certains repr�sentants du Commissariat de l'Instruction populaire voulaient une association ferm�e, �troite, nettement communiste.

A ce point de vue, l'Union des Instituteurs internationalistes � d�j� existante � semblait m�me trop large.

Une ligne m�diane finit par �tre adopt�e apr�s de longs d�bats � la Conf�rence des D�l�gu�s provinciaux et � la fraction communiste du Congr�s des Instituteurs Internationalistes. On d�cida de cr�er une large union professionnelle mais dont le noyau organisateur e�t toujours �t� form� de communistes ou d'hommes ayant donn� des gages au Parti. Un certain tri devait ensuite se faire : les nouveaux membres ne pouvant �tre admis que sur recommandation. Mais il restait bien entendu que l'acc�s de l'Union ne serait pas rendu trop difficile et qu'elle devrait compter ses membres par milliers.

L'Union professionnelle devait naturellement entrer dans la grande famillle ouvri�re des Unions professionnelles. Le Soviet Panrusse des Unions professionnelles fit subir � notre projet quelques modifications. Il d�cida que l'organisation des instituteurs devait se baser sur les m�mes statuts � � quelques d�tails pr�s � que toutes les Unions professionnelles ouvri�res.

Comme on sait, les Unions professionnelles sont consid�r�es en Russie comme ind�pendantes des partis politiques. Les statuts retiennent cependant un paragraphe o� il est dit que seuls peuvent appartenir aux Unions professionnelles, les travailleurs qui reconnaissent la n�cessit� de la dictature prol�tarienne pour fonder la soci�t� socialiste.

Nos camarades ouvriers soulignaient que cette reconnaissance de la part d'un instituteur est amplement suffisante pour le faire consid�rer comme �tant � l'�cole un digne collaborateur de la r�volution.

Les ouvriers des Unions professionnelles d�sapprouv�rent m�me le titre que nous nous proposions d'adopter : Union professionnelle des travailleurs de l'enseignement et de la culture socialiste.

Ils voulurent en retrancher le mot � socialiste ï¿½ comme ayant un caract�re politique. Ils finirent n�anmoins par reconna�tre l'utilit� de ce terme.

Le premier Congr�s de la nouvelle Union professionnelle � r�uni en juin dernier � a �lu un comit� central compos� de communistes et, d'une fa�on g�n�rale, a t�moign� du caract�re r�volutionnaire relativement �lev� de l'organisation.

En fait les communistes y formaient la majorit� ; et la minorit� m�me y t�moigna d'un tel accord avec les communistes qu'aucun d�saccord ne se fit remarquer.

L'Union fut de suite puissante. Soixante-dix mille membres y adh�r�rent. A l'heure actuelle elle doit en compter quatre-vingt mille environ, sa croissance �tant assez rapide.

Le Commissariat de l'Instruction populaire lui reconna�t de grandes possibilit�s d'avenir et pense que le meilleur travail peut �tre fait avec les instituteurs ainsi organis�s, tandis que sans accord entre les dirigeants de l'enseignement scolaire et les travailleurs de l'�cole, aucune r�forme profonde n'est gu�re possible en fait.

Le Commissariat de l'Instruction populaire reconna�tra tr�s vraisemblablement bient�t � ces Unions professionnelles le droit d'envoyer leurs repr�sentants dans les bureaux des institutions centrales et locales.

Notons que les instituteurs des �coles populaires et ceux du premier degr� ont dans l'Union professionnelle une �crasante majorit�. Ils n'ont pas seulement une majorit� de fait proportionnelle � leur grand nombre ; ils sont encore les plus nombreux en comparaison avec le pourcentage de membres que fournissent les instituteurs des anciennes �coles moyennes.

Quant au nombre des professeurs dans l'Union professionnelle, il est moindre encore.

L'Union admet non seulement les travailleurs de l'�cole mais aussi ceux de l'enseignement pr�-scolaire et post-scolaire, de m�me que les divers membres d'une �cole en g�n�ral. Le Commissariat tend � faire donner au personnel subalterne des �coles � concierges, portiers, femmes de service, etc... � une certaine pr�paration p�dagogique. Les personnes plac�es a proximit� de l'�uvre d'�ducation et des enfants doivent en effet poss�der certaines connaissances ne serait-ce qu'afin d'�viter de f�cheux manques de tact et de ne pas nuire � l'ensemble de l'�uvre p�dagogique.

Les sympathies des instituteurs pour la r�forme de l'�cole se sont v�ritablement �lev�es. Les faits que je viens d'indiquer en donnent la preuve.

La quantit� �norme de lettres et de questions que nous recevons tous les jours l'indique aussi.

De nombreux p�dagogues connus, qui, jusqu'�, pr�sent demeuraient dans une expectative plut�t sceptique, d�ploient maintenant une grande activit� et collaborent avec nous.

Il est vrai que certains milieux sovi�tistes manifestent au m�me moment une certaine impatience, par suite des lenteurs de l'organisation des �coles du second degr�. Cette impatience se traduit g�n�ralement par le d�sir de faire pression sur les membres de l'enseignement et d'intensifier l'action de l'Etat et du prol�tariat sur le personnel scolaire (surtout a P�trograd), ou au contraire par un amoindrissement tr�s appr�ciable de nos exigences et par une tendance vers la r�conciliation avec les �l�ments arri�r�s (tendances observables � Moscou).

Mais il va de soi que le Commissariat de l'Instruction populaire ne tol�rera d'�carts ni dans un sens, ni dans l'autre, sachant bien d'ailleurs que la voie qu'il a adopt�e ne peut naturellement pas amener de suite � des r�sultats absolument satisfaisants, la t�che � accomplir �tant v�ritablement grandiose, mais convaincu que cette voie est sans nul doute la bonne. C'est ainsi que nous sommes, en y pers�v�rant, les t�moins d'un �norme succ�s : la rapide organisation d'une Union professionnelle une fois et demie plus forte que l'ancienne Union Panrusse des Instituteurs et infiniment plus importante qu'elle par ses dispositions actives.

Moscou-Kremlin, 3 octobre 1919.

A. LOUNATCHARSKY.


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