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9 janvier 1925
Le parti repousse, dans l'appréciation de la situation mondiale, les conceptions simplistes tendant à substituer, à l'analyse objective des faits, des jugements sommaires, des appréciations hâtives, aboutissant bien plus à créer une situation pour justifier une thèse qu'une thèse pour traduire la véritable situation.
Il souligne l'importance exceptionnelle qu'a pour lui l'observation juste et complète des phénomènes sociaux qui doivent déterminer, dans le cadre des principes doctrinaux, ses règles constantes d'action.
Il repousse en conséquence le projet de thèse sur la situation internationale présenté dans le numéro 2 des Cahiers du Bolchévisme , sous la signature du camarade Albert Treint.
Ce projet qui affirme, sur des considérations superficielles, que "la période démocratique pacifiste" est aujourd'hui terminée, tend à accréditer dans les esprits l'idée de l'imminence de la Révolution mondiale et de la prise du pouvoir par les partis communistes.
Une telle conception assise sur des bases aussi fragiles que celles qui sont établies dans la thèse présentée, exposerait le Parti français, s'il la faisait sienne, au plus grand des dangers !
Organisé et entraîné pour l'action immédiate, tenu en haleine dans l'attente d'évènements décisifs, le Parti serait bientôt amené pour éviter une déception, à envisager l'utilisation prématurée des énergies surexcitées et impatientes d'agir.
Le Parti communiste français a la trop claire conscience de son rôle pour se laisser entraîner aux aventures. S'il est décidé à profiter des leçons de l'expérience pour ne pas laisser passer l'heure d'agir, il est non moins décidé à résister aux forces intérieures ou extérieures qui tendraient à lui faire perdre la maîtrise de lui-même et à en faire le jouet des événements.
Le capitalisme universel n'a pu résoudre aucun des grands problèmes issus de la guerre et du régime. Il s'avère de plus en plus incapable de trouver une formule de paix susceptible d'assurer pour une longue période la stabilité du régime.
La question de l'organisation et de la maîtrise de la production, celle des salaires, celle de la stabilisation des unités monétaires restent tragiquement posées, et avec elles celles de la normalisation des ressources budgétaires, de l'inflation sans fin des dettes publiques, de la vie chère, du logement, etc…
Mais l'impuissance des classes dirigeantes à restaurer l'édifice croulant du capitalisme ne signifie pas la disparition immédiate des moyens matériels dont disposent ces classes contre les forces du prolétariat, qui accède seulement à l'Histoire et est encore loin d'avoir la pleine conscience de sa mission historique.
Le régime agonise sous les effets des oppositions irréductibles que ses propres efforts font surgir. Il étouffe dans le cadre des nations à une époque où l'internationalisation de l'activité créatrice humaine est devenue une nécessité vitale.
Cependant, il ne peut, sans se suicider, entrer dans cette voie. Enfermé dans le cadre national, c'est dans ce cadre seulement qu'il est contraint de trouver son expression économique et politique: c'est sous l'égide du nationalisme qu'il place ses organisations de défense et ses formations de combat.
Le régime meurt faute de pouvoir assurer sur les bases de la solidarité le développement de la technique moderne, mais tout effort en ce sens ne lui sert qu'à mieux mettre en relief les antagonismes fondamentaux de ses impérialismes et le caractère inéluctable de la lutte mortelle où tous sont entraînés, lutte à l'extérieur contre les impérialismes rivaux; lutte à l'intérieur contre tout ce qui fait obstacle à la toute-puissance du capitalisme national et notamment contre la classe ouvrière.
Le Parti communiste français a la nette conscience de cette dégénérescence du capitalisme mondial et des possibilités d'action offensive et défensive qui restent aux classes dominantes.
C'est avec sang-froid et d'une façon strictement objective qu'il envisage le rapport des forces matérielles et morales en présence.
Il ne s'érige pas en prophète sur la nature et la durée des événements qui marqueront la chute définitive du capitalisme, sur les phases et les aspects particuliers de la lutte révolutionnaire du prolétariat.
Les événements actuels mettent en évidence la position des groupes impérialistes rivaux et les effets de la guerre mondiale sur chacun d'eux.
L'axe du conflit s'est déplacé pour se porter entre l'ancien monde et le nouveau. La guerre économique a succédé à la guerre des armes, mais avec le même but, le même caractère implacable. L'impérialisme anglais, débarrassé par la guerre des coalitions continentales d'Europe, voit aujourd'hui dans l'impérialisme américain se dresser un nouvel et puissant adversaire, véritable profiteur de la guerre, dont les visées très claires sont appuyées par d'incomparables moyens d'action.
Autour des belligérants, accrochés à eux dans une étreinte dont ils ne se débarrasseront pas, la révolution. Et, pour le communisme international, le problème se pose :
Sans sous-estimer la puissance actuelle de la Révolution, le communisme international n'attend rien du miracle et tout de lui-même. Il mesure avec calme, mais avec l'inébranlable volonté de le parcourir le plus vite et le plus sûrement possible, le chemin qui le sépare encore du pouvoir. Il pense que le rapport actuel des forces impérialistes et révolutionnaires n'autorise pas l'affirmation péremptoire que l'impérialisme américain est incapable de dominer pour un temps les contradictions du capitalisme mondial et d'empêcher l'écroulement définitif qui marquera sa propre fin. Le Parti considère au contraire que le conflit anglo-américain trouve dans la situation générale du monde les conditions d'un développement pouvant aller jusqu'à l'hégémonie américaine.
Le communisme international suivra attentivement toutes les phases de la lutte et profitera de toutes les circonstances pour entraîner à la Révolution les masses laborieuses que l'impérialisme vainqueur soumettrait inévitablement au plus sûr esclavage.
La première étape de la bolchevisation du Parti, c'est-à-dire sa réorganisation sur la base des cellules, doit être appliquée avec le souci de maintenir le Parti à la hauteur de toutes ses tâches. Or, la tâche éducative est à peu près nulle dans les cellules : on ne saurait en effet considérer comme éducation des mots d'ordre transmis par les délégués du centre. D'autre part, éducation et discussion sont impossibles dans des réunions très courtes où l'organisation de la propagande doit être le souci dominant. Cette fonction spécifique des cellules rejette à l'arrière-plan tout ce qui n'est pas ouvrier manuel et crée une forme d'ouvriérisme. Il serait indispensable d'envisager des assemblées délibératives autres que celles des cellules où la pensée de la base du Parti pourrait se faire jour.
S'il est nécessaire qu'un accord règne dans le Parti sur les points essentiels de doctrine, ceci ne veut pas dire que, pour donner une idéologie unique il faille étouffer toute pensée et se prosterner devant quelques dogmes. Le caractère génial de Lénine est précisément d'avoir su sortir des dogmes pour adapter la pensée et la tactique aux situations les plus diverses. Si on veut réunir non ceux qui pensent mais ceux qui sont impatients d'agir, on est fatalement entraîné au putsch.
S'il faut bannir l'éclectisme idéologique, ceci ne signifie pas qu'on doive taxer d'anticommunisme ceux qui, envisageant différemment la situation internationale, en déduisent une tactique appropriée.
L'homogénéité est évidemment nécessaire dans la direction, mais le rôle de celle-ci n'est pas d'étouffer tout mouvement d'idées venant d'en bas.
Le Parti dans lequel on exige une obéissance aveugle est un appareil de dictature mais de dictature uniquement, comme fin et comme moyen, de dictature qui craint l'idée même dans ses propres partisans. Un tel instrument peut, dans des circonstances exceptionnelles et passagères, répondre à un besoin, il ne saurait être le modèle ne varietur de la constitution des Partis communistes. Le Parti français actuel est issu, non de la situation politique et économique de notre époque, mais d'un conflit spécifiquement russe. Les ouvriers intelligents venant à nous discerneront vite que le fonctionnarisme paralyse leur collaboration active et les réduit à une servitude aveugle. Ils se lasseront et déserteront le Parti. Il ne faut pas qu'il se crée une solidarité d'intérêts matériels égoïstes entre fonctionnaires communistes et, pour cela, ils doivent être élus par la masse et non nommés par le centre.
La discipline, mais la discipline consentie et non imposée.
Sur les questions d'appréciation et de tactique, les divergences de vue sont naturelles, inévitables et nécessaires. Bien entendu notre presse ne doit pas refléter les divergences internes, mais on ne saurait les étouffer qu'en période d'insurrection. En faire un crime à toute époque, c'est atrophier le Parti idéologiquement. La valeur révolutionnaire de ce Parti est précisément fonction de la valeur des ses unités composantes. Le problème de la prise du pouvoir, s'il est indiscutablement conditionné par l'exercice organisé de la violence révolutionnaire, ne se limite pas à l'acte de mainmise sur l'appareil capitaliste. Les tâches qui le sollicitent avant comme après cette prise du pouvoir sont nombreuses et complexes. Il doit avoir sur les masses une puissance d'action, d'organisation, d'éducation et d'attraction qu'on ne saurait trouver dans un Parti militarisé à outrance.
Le Parti, conscient de ses forces et de celles de la bourgeoisie, estime indispensable de maintenir au premier plan de ses préoccupations la conquête des masses ouvrières et paysannes. Il croit nécessaire de donner à l'Humanité un autre caractère que celui actuel d'information pour les militants et de défense des ouvriers d'usines.
On devrait trouver, dans notre organe, l'information générale beaucoup plus complète. Il faudrait surtout, chaque jour, dire la pensée du Parti sur toutes les grandes questions du moment. Il serait encore indispensable de donner une revue de la presse reprenant au jour le jour les mensonges bourgeois pour les dépiauter. D'autre part, le Parti doit organiser dans les campagnes une large propagande très étudiée, car c'est là qu'est notre point faible. Nous devons aussi apparaître aux yeux des techniciens, des intellectuels, de tous les éléments sociaux dont la Révolution a besoin comme un parti sérieux, groupant une élite clairvoyante et capable de diriger, sans faiblir, le formidable appareil économique mondial.
Le Parti repousse la conception simpliste tendant à présenter la bourgeoisie comme un bloc homogène et à considérer qu'en dehors du communisme il n'existe que des fascistes. Les contradictions et l'instabilité du capitalisme résultent précisément, pour une très large part, de l'existence de couches sociales diverses, en opposition d'intérêts. Il est bien évident que tous les partis en dehors du nôtre sont des ennemis du communisme. Nous n'avons aucune illusion sur la façon dont les bourgeois, quels qu'ils soient, accueilleront la Révolution. Mais il n'est pas moins évident que la majorité des ouvriers est encore sous l'influence de préjugés démocratiques.
La violence antiprolétarienne peut revêtir différentes formes, le fascisme est une de ces formes. C'est la formation illégale de combat créée et entretenue par les grandes puissances d'argent lorsque leur expression politique, l'Etat, et leur légalité leur paraissent impuissant à conjurer le péril révolutionnaire. Le fascisme n'est pas une formation légale, il reste illégal même lorsqu'il réussit comme en Italie à entrer dans la légalité. C'est un instrument de guerre civile qui tire son caractère provisoire non seulement des causes passagères qui le provoquent, mais des sacrifices et aussi des dangers qu'il représente pour le capitalisme lui-même.
Le fascisme est l'instrument de la grande bourgeoisie, ce n'est pas le front unique démocratico-anarcho-bourgeois. La démocratie est par essence antifasciste et l'exemple actuel de la France montre que son avènement peut répandre dans la haute bourgeoisie une inquiétude suffisante pour provoquer une poussée fasciste, ce qui n'exclut pas l'emploi des méthodes modernes de lutte contre les ouvriers par ladite démocratie, celle-ci prenant le masque de la légalité. Toutefois nous restons devant l'hypothèse d'une situation où certaines forces étrangères au communisme sont amenées à la lutte contre le fascisme proprement dit. Le Parti communiste, sans altérer ses principes, sans altérer son indépendance, sans restreindre sa propagande, a un intérêt évident à rechercher le front unique de lutte contre le fascisme.
Berthelin. F. Loriot
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