1920

Source : num�ro 44/45 du Bulletin communiste (premi�re ann�e), 25 novembre 1920, pr�c�d� de l'introduction suivante :
� Afin de faire la lumi�re sur la tactique des communistes allemands pendant le coup de main militaire de von Kapp, nous publions trois documents importants, trois lettres des camarades Paul L�vy (alors emprisonn�), Clara Zetkin. E. Meyer, tous les trois membres influents du Comit� central du Parti communiste allemand.
La passion dont elles sont empreintes � et surtout celle du camarade L�vy qui, soulignons-le, �crivait entre les quatre murs d'une cellule, � est bien compr�hensible.
Nos ennemis se r�jouiront certainement des d�saccords survenus alors au sein du Parti communiste allemand. Grand bien leur fasse ! Les communistes n'ont jamais craint de se critiquer eux-m�mes.
La critique publique des fautes du Comit� central du Parti communiste allemand ne pourra que faciliter aux membres du Parti ouvrier communiste allemand la fusion avec nos camarades au sein d'un Parti communiste unique. ï¿½


Lettre au Comit� Central du Parti Communiste Allemand

Paul Levi

16 mars 1920



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Camarades,

Je viens de lire votre proclamation. Mon opinion est que le K. P. D. court � la faillite morale et politique. Je ne puis comprendre, comment, dans une telle situation, en peut �crire des phrases de ce genre : La classe ouvri�re, est, en ce moment, incapable d'agir ; il faut le d�clarer ouvertement.

Le seul fait que le gouvernement L�ttwitz-Kapp a pris la place du gouvernement Bauer-Noske, n'apporte pas de changement imm�diat � la marche de la grande lutte de classe. Ecrire de pareilles choses, c'est faire le jeu de ces mis�rables �l�ments du mouvement ouvrier qui crient sans cesse : Tout cela ne m�ne � rien. Ils peuvent maintenant se r�clamer du K. P. D.

Apr�s avoir, d�s le premier jour, ni� la capacit� d'action du prol�tariat, on fait para�tre le jour suivant une proclamation : � Le moment est enfin arriv� o� le prol�tariat allemand doit commencer la lutte pour la dictature du prol�tariat et la r�publique des soviets ï¿½. Et dans ce but on d�cide de faire : La gr�ve g�n�rale (Et cela apr�s la d�claration formelle sur la compl�te incapacit� d action). Puis quand la gr�ve g�n�rale a fait sortir des usines tous les ouvriers, on fixe les �lections des comit�s et on convoque un congr�s des comit�s centraux. Bref, politiquement et en mati�re d'organisation, nos � pontifes ï¿½ cassent le cou � la gr�ve g�n�rale. Moralement ils l'ach�vent. Selon moi. c'est un crime que de briser l'action en criant au fort de la lutte : Le prol�tariat ne remuera m�me pas le petit doigt pour la Republique d�mocratique.

Savez-vous comment cela s'appelle ? Le plus tra�tre coup de couteau dans le dos que l'on ait jamais donn� au prol�tariat allemand ! Jusqu'� l'heure actuelle je croyais que nous �tions tous d'accord sur les points suivants : Quand une action a lieu, m�me pour le but le plus stupide (la r�volution de novembre n'avait aucun but raisonnable et m�me aucun but du tout) nous devons soutenir cette action, nous efforcer par nos mots d'ordre de la canaliser vers un autre but r�volutionnaire et d�veloppant cette action faire en sorte que les masses comprennent notre but. Mais il ne faut jamais crier d�s le d�but : � Ne pas remuer m�me le petit doigt ! ï¿½ seulement parce que le but ne nous pla�t pas. Il faut imm�diatement donner des mots d'ordre concrets, dire aux masses ce qui doit �tre fait � l'instant. Il faut, cela va de soi, �largir le mot d'ordre, l'�largir peu � peu. La r�publique des soviets, cela vient ensuite et non au d�but. Personne, me semble-t-il, ne pense en ce moment aux �lections des conseils de fabriques et d'usines. Pour le moment, le seul mot d'ordre est : L'armement du prol�tariat ! Maintenant, regardez dans la Rote Fahne1 de dimanche l'article intitul� : Que faire ? Nous devrions bien nous dire qu'au cas de l'�chec de l'insurrection militaire, le gouvernement Bauer-Ebert-Noske, s'il revenait au pouvoir, ne serait plus l'ancien gouvernement, car il aurait perdu son appui de droite. Ce serait, comme en janvier 1919, o� il s'est modifi� apr�s avoir perdu son soutien de gauche. C'est pourquoi il faut maintenant faire tous ses efforts pour que l'�meute soit �cras�e, sans compromis ! Si on y r�ussit, toute � R�publique d�mocratique ï¿½ future ira fatalement � gauche, car elle aura perdu son soutien de droite. Et c'est alors seulement que viendra le temps o� nous pourrons d�ployer notre propre front ! Mais � l'heure pr�sente nous devons agir avec tous les autres (sans m�me en excepter les social-d�mocrates), mais avec des mots d'ordre diff�rents de ceux des Ind�pendants. (Si seulement nous avions les mots d'ordre qui tra�nent dans la rue et non des mots d'ordre livresques !) Dans tous les cas, il faut avant tout �craser l'insurrection, et le reste nous sera donn� par surcro�t. (Notre mot d'ordre pour l'heure pr�sente : Contre tout compromis !)

Et au lieu de cela, nos aimables camarades m�nent des pourparlers ! Je ne puis conserver le calme en pensant que l'occasion que nous attendions depuis de longs mois s'est enfin pr�sent�e : la droite a fait une b�tise colossale ; et au lieu de lancer quelques proclamations, profiter de la situation pour assurer � notre Parti, comme en 1918, le r�le dirigeant, nous nous amusons � des bagatelles. Je ne puis �num�rer tous les d�tails, il y a de quoi faire hurler. Je ne vois pas comment le Parti se remettra jamais de ce coup. Que de fois n'avions-nous pas dit : � Que vienne l'�meute contre-r�volutionnaire ! alors nous marcherons avec les social-d�mocrates, car ils seront liquid�s au cours de l'action. ï¿½ Et maintenant ? Ne pas remuer m�me le petit doigt ? Et c'est l� un mot d'ordre communiste ?

Cette nuit, pour la premi�re fois depuis que je suis ici, je n'ai pas dormi de toute cette histoire et je veux encore ajouter quelque chose � ce que je vous ai �crit hier. Ce qui pour moi �tait hier soir une profonde d�sillusion est aujourd'hui un sujet d'indignation. Je vais pourtant t�cher de faire abstraction de mes sentiments personnels pour ne consid�rer que les faits.

  1. Tout d'abord, en ce moment a lieu une gr�ve � laquelle participent les ouvriers de toute l'Allemagne, Berlin y compris ; c'est l�, je suppose, un fait que ne peut nier m�me le Comit� Central du Parti Communiste d'Allemagne qui a d�clar� que le prol�tariat �tait incapable d'action. Mais une gr�ve suppose des revendications. En la d�clarant, il faut savoir ce qu'on veut en obtenir. En d'autres termes, il faut savoir ce qui doit �tre r�alis� pour que le travail recommence : quelles sont les revendications auxquelles doit satisfaire l'adversaire ? C'�tait au K. P. D. de formuler ces revendications, car le Vorw�rts2, il va de soi, ne l'a pas fait. Ces exigences sont :

    1. L'armement du prol�tariat pour la s�curit� de la R�publique, c'est-�-dire la distribution d'armes aux ouvriers politiquement organis�s ;

    2. La capitulation sans conditions des Kapp-L�ttwitz. Ceci est de la plus haute importance. �videmment, il y a d�j� des machinations, on noue des intrigues ;

    3. L'arrestation imm�diate des chefs de l'�meute et leur jugement par un tribunal prol�taire exceptionnel, extraordinaire, car le conseil de guerre c'est de la com�die et rien de plus ! Ce que le Comit� Centra] du K. P. D. �crit dans sa proclamation du 16 mars est inapplicable dans la pratique. � R�publique Sovi�tiste ï¿½, � Convocation du congr�s de conseils ï¿½ ce ne sont pas l� des revendications de gr�ve, avant l'acceptation desquelles on ne saurait reprendre le travail. Ce ne sont m�me pas en g�n�ral des revendications que l'on puisse poser � l'adversaire. � A bas la dictature militaire ! A bas la d�mocratie bourgeoise ! ï¿½ Ce ne sont pas non plus des revendications, ce ne sont que des phrases.

    Les revendications concr�tes �num�r�es dans la proclamation et qui ont �t� ensuite supprim�es (pourquoi ?) ne valaient rien non plus. Ce n'est pas la d�mission � du gouvernement Kapp, mais son arrestation ï¿½ qu'il faut r�clamer. Les tra�tres n'ont pas � donner de d�mission. � Le d�sarmement de la Reichswehr ï¿½ est �galement un non-sens : si on faisait droit � cette revendication dirig�e en partie contre les �l�ments de la � Reichswehr ï¿½ sur l'appui desquels les ouvriers pourraient compter, cela pousserait dans le camp adverse les �l�ments qui sont contre l'�meute militaire. Enfin la confiscation imm�diate des armes qui sont entre les mains de la bourgeoisie et la cr�ation d'une milice ouvri�re sont des mesures qui ne peuvent �tre r�alis�es du jour au lendemain ; cela demande des semaines, et c'est pourquoi, ces revendications ne sont pas des revendications de gr�ve. Je ne vois pas, en ce moment, d'autres revendications � pr�senter que celles que je viens de citer. Peut-�tre, au cours de l'action, en surgira-t-il de nouvelles que je ne puis pr�voir.

  2. Avec les mots d'ordre que j'ai indiqu�s, le K. P. D. aurait ainsi donn� � la gr�ve la raison d'�tre dont elle est priv�e maintenant. Avec ces mots d'ordre, au bout de quelque temps on aurait vu la justesse de ce que le K. P. D. affirmait d�s le d�but, savoir que les social-d�mocrates ne prendraient pas part, ou plut�t ne pourraient prendre part � l'action jusqu'au bout. Et alors, mais seulement alors, �'aurait �t� le moment de montrer aux masses qui avait trahi leurs int�r�ts, qui �tait responsable de leur insucc�s. Alors, mais seulement alors, quand les masses auraient adopt� nos revendications et que les � meneurs ï¿½ refusant de soutenir ces revendications auraient fait d�fection, la marche m�me des �v�nements en aurait suscit� de nouvelles : les Soviets, le Congr�s des Soviets, la R�publique Sovi�tiste, l'abolition de la r�publique d�mocratique, etc. Toutes ces revendications auraient surgi d'elles-m�mes, si les revendications de la gr�ve avaient re�u satisfaction. C'est autour de ces derni�res qu'il faut tout faire converger dans le moment pr�sent : si on y fait droit, la R�publique glisse fatalement vers la gauche, m�me si Noske reste au pouvoir, ce qui est � peu pr�s impossible. Car si les revendications de la gr�ve �taient satisfaites, le prol�tariat deviendrait le soutien de la R�publique, et le nouveau gouvernement, quel que f�t son nom, ne serait qu'une enseigne au changement radical survenu dans le rapport des anciennes forces sociales. Et alors, apr�s six mois de d�veloppement normal, nous aurions la R�publique sovi�tiste.

A l'heure actuelle, en ce qui concerne l'organisation, voici ce que nous devrions faire :

  1. Une fois, ou m�me selon les circonstances, deux fois par jour, publier une petite feuille, de caract�re g�n�ral o� il y aurait l'appr�ciation de la situation, les conclusions � en tirer, les revendications et, ce qui est particuli�rement important, une critique de l'action du Comit� de gr�ve qui se dispose � engager des pourparlers ;

  2. Publier des proclamations aux soldats ;

  3. Des feuilles dirig�es contre les membres de la social-d�mocratie ;

  4. Des feuilles �clairant les fonctionnaires sur le sens de la situation ;

  5. Des feuilles pour les cheminots et les employ�s des P. T. T. ;

  6. Faire en sorte que la vague du mouvement enfle de plus en plus, organiser de grandes manifestations au parc de Treptow en �vitant toutefois les collisions ;

  7. Pr�parer les cadres de la lutte, m�me sans armes. D'ailleurs, quand commencera le combat entre les troupes amen�es pour r�tablir l'ordre et celles de la ville, la population ne devrait pas rester indiff�rente. Il devrait y avoir des cadres pr�par�s � l'avance, ne serait-ce que pour tenir en respect la racaille qui va surgir des bas-fonds et agir � l'arri�re de nos troupes et pour n'avoir pas � r�pandre le sang.

Prison cellulaire, 16 mars 1920.

Notes

1 Journal du KPD.

2 Journal du Parti Social-d�mocrate (SPD).


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