1917 |
La «Novaïa Jizn » n° 71, 24 (11) juillet 1917 |
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Lénine Lettre à la rédaction de la Novaïa Jizn |
Permettez-nous, camarades, de vous demander asile, le journal de notre parti se voyant contraint d'interrompre sa publication. Certains journaux ont déclenché contre nous une furieuse campagne, nous accusant d'espionnage ou d'intelligence avec un gouvernement ennemi.
Les simples faits suivants montrent avec quelle... inconcevable légèreté (ce n'est pas le terme propre, c'est plutôt un euphémisme) cette campagne est poursuivie. Le Jivoïé Slovo écrit d'abord que Lénine est un espion, puis il déclare, sous la forme d'une «rectification» qui ne change rien à rien, qu'on ne l'accuse pas d'espionnage ! On fait d'abord état des dépositions d'Ermolenko, puis on se voit forcé de reconnaître qu'il est gênant et honteux de chercher des arguments dans les dépositions d'un tel individu.
On mêle à cette histoire le nom de Parvus, mais on passe sous silence le fait que personne n'a condamné Parvus, dès 1915, en des tenues aussi catégoriques et aussi impitoyables que le Social-Démocrate de Genève, rédigé par nous, qui flétrissait en Parvus, dans un article intitulé « Au bout du rouleau », un renégat «léchant les bottes » de Hindenburg etc. [1] Quiconque n'est pas analphabète sait ou peut apprendre sans peine qu'il ne peut être question d'aucune relation politique ou autre entre nous et Parvus.
On mêle à cette histoire le nom d'une certaine Sumenson, avec laquelle nous n'avons jamais eu affaire et que nous n'avons même jamais vue. On parle encore des affaires commerciales de Hanecki et Kozlovski, sans citer le moindre fait, sans dire avec précision quand ou comment leur négoce servit de couverture à une activité d'espionnage. Or, non seulement nous n'avons jamais participé directement ou indirectement à ces affaires commerciales, mais encore nous n'avons pas reçu un seul copeck d'aucun des camarades nommés, ni pour nous personnellement ni pour le parti.
On en arrive à nous faire grief de ce que les journaux allemands reproduisent, en les déformant, des télégrammes de la Pravda ; et l'on « oublie » de signaler que la Pravda publie à l'étranger un bulletin en allemand et en français, dont la reproduction est entièrement libre [2].
Et tout cela se fait avec la participation ou même sur l'initiative d'Alexinski, que le Soviet n'a pas admis en son sein, et qui a été reconnu comme diffamateur notoire ! ! Est-il possible de ne pas comprendre que cette façon d'agir contre nous constitue une tentative d'assassinat juridique ? La discussion, par le Comité Exécutif Central des Soviets, des conditions dans lesquelles les membres de ce Comité pourraient, d'une façon générale, être traduits devant les tribunaux, apporte sans nul doute un élément de clarté [3]. Les partis socialiste-révolutionnaire et menchevique voudront-ils participer à une tentative d'assassinat juridique ? à notre traduction devant les tribunaux sans qu'il soit même indiqué si nous sommes inculpés d'espionnage ou de sédition ? plus généralement, à notre mise en jugement sans qu'il y ait eu aucune qualification juridique précise de notre crime ? voudront-ils participer à un procès manifestement tendancieux, susceptible d'empêcher la candidature à l'Assemblée constituante de personnes que leurs partis, c'est de notoriété publique, comptent présenter aux élections ? Ces partis voudront-ils faire de la veille de la réunion de l'Assemblée constituante de Russie le début d'une nouvelle affaire Dreyfus ?
Le proche avenir fournira une réponse à ces questions. Les poser ouvertement nous paraît être le devoir de la presse libre.
Nous ne parlons pas de la presse bourgeoise. Il va de soi que Milioukov ne nous croit pas plus des espions ou des stipendiés de l'Allemagne que Markov et Zamyslovski ne croyaient les Juifs accoutumés à boire le sang des enfants.
Mais Milioukov et Cie savent ce qu'ils font.
N. Lénine
Notes
Les notes rajoutées par l’éditeur sont signalées par [N.E.]
[1]. Voir «Au bout de rouleau», Œuvres, vol. 21, pages 437-438
[2]. Le « Bulletin de la «Pravda» en langue allemande, qui parut à Stockholm de juin à novembre 1917 sous le titre de «Russische Korrespondenz «Pravda» était publié par la représentation à l'étranger du Comité central du P.O.S.D.(b)R. Le Bulletin publiait des articles sur les aspects principaux de la révolution en Russie, des documents, des tours d'horizon, des chroniques mettant eu lumière la vie du parti et du pays. Paraissait également en langue française. [N.E.]
[3]. Le (18) juillet 1917, après la publication par le journal des Cent-Noirs Jivoïé Slovo de la grossière calomnie visant Lénine, le Comité exécutif central menchevique-s.-r. du Soviet des députés ouvriers et soldats, à la demande de la fraction bolchevique constitua une commission d'enquête destinée à faire la lumière sur les accusations lancées contre Lénine et quelques autres bolcheviks. Mais dès que le Gouvernement provisoire prit la décision de confier au procureur de la Chambre de justice de Petrograd l'enquête sur l'organisation, les 3-5 juillet 1917, d'une intervention armée contre le pouvoir d'Etat dans la ville de Petrograd, la commission d'enquête du Comité exécutif central donna sa démission. Le 9 (22) juillet, elle fit savoir par les Izvestia du Soviet des députés ouvriers et soldats de Petrograd qu'elle «cessait ses activités et remettait la documentation qu'elle avait réunie à la disposition de la commission gouvernementale». Le 13 (26) juillet, à la réunion commune du C.E.C. des Soviets des députés ouvriers et soldats et du Comité Exécutif du Soviet de Russie des députés paysans, les mencheviks et les s,-r. firent voter une résolution déclarant qu'ils considéraient comme inadmissible le refus de Lénine de se présenter devant le tribunal. La résolution indiquait que toutes les personnes mises en accusation par les autorités judiciaires seraient écartées du travail dans les Soviets. [N.E.]