1905 |
Publié pour la première fois en 1925
dans la revue « Proletarskaïa Révolutsia » n°4
(39). |
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Lénine Lettre à A. A. Bogdanov et S. I.
Goussiev |
Le 11. 2. 1905
Je vous ai télégraphié hier que j'acceptais vos modifications bien que je ne sois nullement d'accord avec ce que j'ai pu comprendre de votre lettre. Mais tous ces atermoiements m'ont tellement écœuré et vous aviez tellement l'air de vous moquer de moi avec vos questions que je me suis dit : peu importe pourvu qu'on fasse quelque chose ! Que l'on publie n'importe quel communiqué sur le congrès, mais qu'on le publie au lieu d'en parler ! Vous vous étonnez du mot : se moquer. Songez-y pourtant : j'envoie, il y à deux mois, mon projet à tous les membres du Bureau1. Pas un ne s'y intéresse et ne croit devoir procéder à un échange de vues ! ! Et voici qu'on télégraphie ! Ah, là là. Nous dissertons sur l'organisation, la centralisation, et en fait, parmi les camarades du centre les plus unis, règne tant de désarroi, tant de dilettantisme que cela soulève le cœur. Les gens du Bund, eux, ne palabrent pas sur la centralisation, mais chacun d'entre eux écrit chaque semaine au centre et la liaison s'établit effectivement. Il suffit d'ouvrir leurs Poslédnié Izvestia2 pour s'en apercevoir. Mais nous, nous publions le 6e numéro de Vpériod sans que le membre de la rédaction (Rakhmetov) ait écrit une seule ligne sur ce journal ou dans ce journal. On « parle » chez nous de riches relations littéraires à Saint-Petersbourg et Moscou, de jeunes forces de la majorité, mais nous n'en voyons rien, absolument rien, deux mois après l'appel au travail (l'annonce de Vpériod et la lettre qui l'accompagnait). Les comités de Russie (Caucase, Nijni-Novgorod, sans parler de la Volga et du Sud) considèrent le Bureau comme un « mythe » et ont pleinement raison. Nous avons « entendu » des tiers parler d'on ne sait quelle union du comité pétersbourgeois de la majorité et du groupe menchevik, mais nos propres camarades ne nous ont donné à ce sujet aucune information. Nous nous refusons à croire que des bolcheviks aient pu s'engager dans une action aussi sotte et désespérée. Nous avons « entendu » des tiers parler de la conférence des social-démocrates on et du « bloc », mais nos propres camarades ne nous en ont pas dit une syllabe bien que ce soit, dit-on, un fait accompli3. Les bolcheviks ont évidemment envie d'être roulés une fois de plus.
Notre seule force est dans la droite franchise, la cohésion, l'offensive énergique. Mais les gens semblent s'être ramollis devant la « revolution » !! Ils se vendent aux désorganisateurs, à l'heure où l'organisation nous est nécessaire au centuple. On voit par les amendements au projet de déclaration et de congrès (exposés dans la lettre en termes aussi confus que possible) qu'ils se targuent de « loyauté » : Vieux Papa l'écrit en toutes lettres et ajoute : si l'on ne mentionne pas les centres, personne ne viendra au congrès ! Eh bien, messieurs, je parie que si vous agissez ainsi vous n'aurez jamais de congrès, et vous n'échapperez jamais à la botte des bonapartistes de l'Organe central et du Comité central. Réunir un congrès contre les centres auxquels on à refusé la confiance, réunir un congrès au nom du Bureau révolutionnaire (inexistant et fictif du moment que l'on se prosterne devant les statuts formels) et reconnaître le droit absolu des 9 bonapartistes, de la Ligue (ha, ha !) et des créatures des bonapartistes (les comités tout frais émoulus) d'assister au congrès, c'est se rendre ridicule et ruiner son propre crédit. On peut et on doit inviter les centres, mais, je le répète, il est insensé de leur reconnaitre une voix délibérative. Certes, les centres ne viendront pas quand même à notre congrès, mais pourquoi offrir l'occasion de nous cracher une fois de plus dans la gueule ? Pourquoi ces hypocrisies et ces cachotteries ? C'est tout bonnement honteux. Nous avons proclamé la scission, nous convoquons un congrès des partisans de « Vpériod », nous rompons, nous rompons sur l'heure tous les liens fr toute espèce avec les désorganisateurs et l'on nous parle de loyauté et l'on feint de croire qu'un congrès commun de I'Iskra et de Vpériod est possible. C'est une vraie comédie ! Il va de soi que le premier jour, la première heure du congrès (si seulement il se réunit) fera justice de cette comédie, mais cette duplicité nous nuira d'ici là des dizaines et des centaines de fois.
Vraiment, j'en arrive souvent à penser que les 9/10 des bolcheviks ne sont en réalité que des formalistes. Ou nous grouperons réellement dans une organisation de fer ceux qui veulent se battre et ce parti petit, mais solide, démolira le colosse débile, formé d'éléments hétérogènes de la nouvelle Iskra, ou nous démontrerons par notre attitude que nous avons mérité de périr comme de méprisables formalistes. Comment ne comprend-on pas que nous avons tout fait avant le Bureau et avant « Vpériod » pour sauver la loyauté, sauver l'unité, sauver les méthodes formelles, c'est-a-dire supérieures, de règlement du conflit ! ? ! ? Maintenant, après le Bureau, après « Vpériod », la scission est un fait. Et dès qu'elle est devenue un fait, il est apparu que nous étions matériellement beaucoup plus faibles. Nous devons encore transformer notre force morale en force matérielle. Les menchéviks ont plus d'argent, plus de publications, plus de moyens de transport, plus d'agents, plus de « noms », plus de collaborateurs. Il serait d'une puérilité impardonnable de ne pas le voir. Et si nous ne voulons pas offrir au monde l'image écœurante au possible d'une vieille fille anémique et sèche, fière de sa vertu stérile, nous devons comprendre que nous avons besoin de la guerre et d'une utilisation de guerre. Ce n'est qu'après une longue guerre, si nous avons une organisation excellente, que notre force morale se transformera en force matérielle.
Il faut de l'argent. Le plan d'un congrès à Londres est plus qu'absurde, car il coûterait deux fois plus cher. Nous ne pouvons arrêter la parution de Vpériod et une longue absence nous y obligerait. Le congrès doit être simple, court, peu nombreux. Ce doit être un congrès pour l'organisation de la guerre. Tout indique que vous vous faites à ce sujet des illusions.
Il faut des collaborateurs à Vpériod. Nous sommes peu nombreux. Si l'on ne nous adjoint deux ou trois collaborateurs permanents de Russie, point n'est besoin de dire des sottises sur la lutte contre l'Iskra. Il faut des brochures et des tracts, il en faut à tout prix.
Il faut de jeunes forces. Je conseillerais tout simplement de fusilier sur place ceux qui se permettent de dire que nous manquons d'hommes. Il y à des hommes en Russie, tant qu'on veut. Il faut seulement recruter des jeunes plus largement et plus hardiment, encore plus hardiment et plus largement, toujours plus hardiment et plus largement, sans craindre la jeunesse. Nous sommes en temps de guerre. La jeunesse décidera de l'issue de la lutte, la jeunesse estudiantine et plus encore la jeunesse ouvrière. Secouez toutes les vieilles habitudes d'immobilité, de respect hiérarchique, etc. ! Formez des centaines de cercles de jeunes sympathisants de Vpériod et encouragez-les à travailler sans arrêt. Triplez le comité en y faisant entrer les jeunes, créez cinq sous-comités ou une dizaine, « cooptez » toute personne énergique et honnête. Donnez sans paperasserie à tout sous-comité le droit de rédiger et de publier des tracts (il n'y aura pas grand mal si lon commet des erreurs, Vpériod les corrigera « avec douceur »). Il faut grouper et mettre en mouvement avec la promptitude la plus grande tous ceux qui ont de l'initiative révolutionnaire. Ne craignez pas leur manque de préparation, ne tremblez pas devant leur inexpérience et leur manque de culture. D'abord, si vous ne savez pas les organiser et les stimuler, ils suivront les mencheviks et les Gapone et leur inexpérience nous fera cinq fois plus de mal. En second lieu, les évènements les formeront maintenant comme nous le désirons. Les évènements inculquent déjà à tous et à chacun l'esprit de Vpériod.
Mais organisez à tout prix, organisez et organisez des centaines de cercles en reléguant tout à fait à l'arrière-plan les habituelles sottises (hiérarchiques) des comités. Nous sommes en temps de guerre. Ou de nouvelles organisations militaires, jeunes, fraiches, énergiques, se formeront partout pour accomplir sous tous ses aspects, dans tous les milieux, l'œuvre révolutionnaire de la social-démocratie, ou vous périrez avec le renom de « comitards » nantis de sceaux.
Je traiterai ce sujet dans Vpériod 4 et j'en parlerai au congrès. Je vous écris pour tenter une fois de plus de susciter un échange de vues, pour que la liaison directe soit établie entre notre rédaction et une dizaine de jeunes cercles ouvriers (et autres) nouveaux, bien que... bien que, soit dit entre nous, je n'aie aucun espoir de voir ces vœux téméraires se réaliser. Peut-être me demanderez-vous dans deux mois de vous dire par télégramme si j'accepte telle ou telle modification du « plan »... Je vous réponds à l'avance que je souscris à tout... Au revoir, au congrès. — Lénine.
P. S. Il faut se donner pour tache de révolutionner le transport de Vpériod en Russie. Faites la plus large propagande pour les abonnements à Pétersbourg. Que les étudiants et surtout les ouvriers fassent venir des dizaines et des centaines d'exemplaires à leurs propres adresses. Il est ridicule de ne pas l'oser dans les circonstances actuelles. La police ne réussira jamais à tout saisir. La moitié ou le tiers arrivera à destination et ce sera déjà beaucoup. Suggérez cette idée à tout cercle de jeunes qui trouvera des centaines de moyens de communiquer avec l'étranger. Répandez, plus largement, nos adresses pour que l'on écrive à Vpériod.
Notes
1 Voir Œuvres, 4e éd. Russe, tome 7, p. 503-505. (N.R.)
2 « Poslédnié Izvestia » [Dernières Nouvelles], bulletin du comité du Bund à l'étranger, parut à Londres et à Genève de 1901 à 1906.
3 En français dans le texte. (N.R.)
4 Voir « Nouveaux objectifs, forces nouvelles », 8 mars (23 février) 1905.
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